Théophylacte d'Ohrid
ThĂ©ophylacte dâOhrid (en bulgare et en serbe : ĐąĐ”ĐŸŃОлаĐșŃ ĐŃ ŃОЎŃĐșĐž), aussi connu sous le nom de ThĂ©ophylacte dâAchride ou ThĂ©ophylacte de Bulgarie, de son nom de famille ThĂ©ophylacte HĂ©phaistos (en grec : ÎΔοÏÏλÎșÏÎżÏ ÎÏαÎčÏÏÎżÏ), nĂ© vers le milieu du XIe siĂšcle, vraisemblablement en EubĂ©e, et mort vers 1108 ou 1126 en Bulgarie, fut archevĂȘque d'Ohrid et thĂ©ologien.
Théophylacte d'Ohrid | |
Saint Théophylacte. | |
Saint, archevĂȘque d'Ohrid | |
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Naissance | XIe siĂšcle |
DĂ©cĂšs | v. 1126 |
Nom de naissance | Théophylacte Héphaistos |
Vénéré par | catholiques, orthodoxes |
FĂȘte | 31 dĂ©cembre (fĂȘte locale pour l'Ăglise catholique) |
Il est surtout connu pour ses commentaires sur les saintes Ăcritures reconnus pour leur pertinence, leur sobriĂ©tĂ© et leur exactitude[1], ainsi que pour les nombreuses lettres quâil rĂ©digea Ă lâendroit de destinataires variĂ©s.
Dâabord diacre Ă la cathĂ©drale Sainte-Sophie, il fut remarquĂ© par lâimpĂ©ratrice-mĂšre qui lui confia la tutelle de lâhĂ©ritier prĂ©somptif dâalors, Constantin Doukas. Il fut par la suite nommĂ© archevĂȘque dâOhrid, en Bulgarie, position dĂ©licate oĂč il avait pour tĂąche de maintenir lâordre social dans un pays qui avait Ă©tĂ© un Ătat puissant, dotĂ© de sa propre Ăglise avant son annexion Ă Byzance. Quoique toujours nostalgique de la douceur de vivre Ă Constantinople, il dĂ©fendit avec vigueur lâindĂ©pendance de lâĂglise bulgare et tenta de son mieux de protĂ©ger la population contre les exactions dont elle Ă©tait la victime de la part des hauts-fonctionnaires envoyĂ©s par Byzance.
Il a Ă©crit un Miroir des princes Ă lâintention de Constantin Doukas et un panĂ©gyrique dâAlexis ComnĂšne, de mĂȘme que deux vies de saints tĂ©moignant de son attachement Ă sa patrie dâadoption.
Sa vie
ThĂ©ophylacte HĂ©phaistos naquit vers le milieu du XIe siĂšcle, probablement Ă Chalkis, principale ville de lâile dâEubĂ©e. ArrivĂ© Ă Constantinople dans les annĂ©es 1060, il Ă©tudia sous la direction de Michel Psellos[2] Ă un moment de grand renouveau intellectuel dont les rerpĂ©sentants principaux Ă©taient Jean Mavropous, poĂšte et mĂ©tropolite dâEuchaita, Constantin LeichoudĂšs, rhĂ©teur et juriste, Jean Xiphilin, directeur de lâĂ©cole de droit, et Michel Psellos[3]. Il devint ensuite diacre Ă la cathĂ©drale Sainte-Sophie oĂč il enseigna la rhĂ©torique dans une Ă©cole dĂ©pendant du patriarcat, mais formant aussi mĂ©decins, hauts-fonctionnaires, juges et clercs. Son talent lui valut bientĂŽt le titre de « grand rhĂ©teur » (ÎșÎżÏÏ ÏÎ±ÎŻÎżÏ ÏηÏÏÏÏÎœ)[4] - [3].
Câest probablement durant cette pĂ©riode quâil fut remarquĂ© par lâimpĂ©ratrice Marie dont il demeura trĂšs proche mĂȘme aprĂšs quâelle eut quittĂ© le palais impĂ©rial pour le monastĂšre des Manganes[N 1]. Cette amitiĂ© lui valut de devenir le tuteur de Constantin Doukas, alors hĂ©ritier prĂ©somptif du trĂŽne[N 2], pour lequel il Ă©crit en 1085 un Miroir des princes (voir ci-aprĂšs dans « Ćuvre »).
Une ou deux annĂ©es plus tard, il fut nommĂ© archevĂȘque dâAchrida (maintenant Ohrid), poste important puisquâil regroupait la plus grande partie de la MacĂ©doine, de lâAlbanie, de la Serbie, de la GrĂšce du Nord ainsi que le centre et le nord de la Bulgarie, mais aussi politiquement sensible puisque, aprĂšs le gouverneur militaire du thĂšme, lâarchevĂȘque Ă©tait le principal reprĂ©sentant dâune puissance qui, non seulement avait dĂ©truit le puissant empire Ă©difiĂ© par SimĂ©on Ier de Bulgarie, mais lâavait annexĂ©[5]. Le patriarcat, fondĂ© sous Justinien et garantissant lâindĂ©pendance de lâEmpire bulgare, avait Ă©tĂ© ramenĂ© en 1018 au rang dâarchevĂȘchĂ© et le titulaire, grec et non plus bulgare, de cette Ăglise (qui avait toutefois conservĂ© une certaine indĂ©pendance) dĂ©pendait, non du patriarche de Constantinople, mais directement de lâempereur[6]. ThĂ©ophylacte fut le cinquiĂšme Ă©vĂȘque grec Ă occuper ce poste, succĂ©dant Ă Jean III[7].
Les dĂ©buts furent difficiles pour ce grand intellectuel qui avait vĂ©cu Ă la cour impĂ©riale de Constantinople : non seulement sa nouvelle ville Ă©tait empreinte dâ« une puanteur mortelle », mais la population lâaccueillit avec des insultes et des chants patriotiques Ă la louange de la Bulgarie ancienne[8]. IsolĂ© dans ce poste aux confins de lâEmpire byzantin, il demanda Ă de nombreuses reprises tant Ă lâimpĂ©ratrice Marie quâau grand logothĂšte dâĂȘtre relevĂ© de ses fonctions. Aucune rĂ©ponse ne venant, il se mit Ă la tĂąche et, peu Ă peu, finit par se prendre dâaffection pour les gens simples qui lâentouraient et dont la piĂ©tĂ© le touchait. Il remplit ses fonctions avec zĂšle et dĂ©fendit les intĂ©rĂȘts et lâindĂ©pendance de lâĂglise bulgare. Pour assurer la diffusion de la culture byzantine dans les pays slaves de la rĂ©gion, il soutint le dĂ©veloppement de lâĂglise orthodoxe et de la littĂ©rature bulgare, faisant traduire en slavon de nombreux textes sacrĂ©s et permettant lâutilisation de cette langue dans la liturgie[4] - [9].
Pour contrer la propagande des hĂ©rĂ©sies paulicienne et bogomile dans la rĂ©gion, il favorisa la formation dâun clergĂ© et dâun Ă©piscopat local instruit et compĂ©tent, tout en luttant Ă©nergiquement contre les abus des collecteurs de taxes envoyĂ©s par Constantinople. Il fut dĂšs lors lâobjet de nombreuses accusations, tant dans son diocĂšse quâĂ Constantinople[10], qui lui valurent toutefois lâaffection du peuple, conscient de son labeur incessant en sa faveur[11].
Quoiquâil ait fait quelques voyages Ă Constantinople durant son mandat, il ne put y retourner de façon permanente. DâaprĂšs une date figurant sur le manuscrit dâun de ses poĂšmes, il Ă©tait encore vivant en 1125, mais on ne peut dire sâil Ă©tait encore archevĂȘque dâOhrid Ă ce moment[12]. La date de sa mort est inconnue.
Son Ćuvre
Auteur prolifique, il est surtout connu par les quelque 130 lettres parvenues jusquâĂ nous, lesquelles constituent une source importante pour lâhistoire Ă©conomique, sociale et politique de la Bulgarie et la prosopographie byzantine, ainsi que par sa production exĂ©gĂ©tique et thĂ©ologique.
Théologie et exégÚse
Ses commentaires sur les Ăvangiles, les Actes des ApĂŽtres, les Ă©pitres de saint Paul et les prophĂštes se basent sur ceux du Docteur et PĂšre de l'Ăglise saint Jean Chrysostome.
Ses travaux d'exégÚte méritent une place importante dans la littérature exégétique par leur pertinence, leur sobriété et leur exactitude[1].
Il composa ses divers commentaires du Nouveau Testament et des prophĂštes mineurs de lâAncien Testament Ă la demande de lâimpĂ©ratrice Marie, alors retirĂ©e dans un couvent.
Le souverain modĂšle
Les premiĂšres Ćuvres que lâon possĂšde sont les deux logoi basilikoi quâil adressa, la premiĂšre en 1085 Ă lâendroit du jeune prince Constantin Doukas, la deuxiĂšme en 1088 Ă lâendroit de lâempereur Alexis. Ces Ćuvres qui tiennent Ă la fois de la louange et de lâexhortation constituent une sorte de Miroir des princes, genre Ă la mode au Moyen Ăge, consistant en conseils et en prĂ©ceptes moraux, « miroir » du souverain modĂšle. Le premier, rĂ©digĂ© en 1085/1086, Ă©tait destinĂ© au prince Constantin Doukas et fut prĂ©sentĂ© sous forme dâallocution en prĂ©sence de la mĂšre du prince. AprĂšs une entrĂ©e en matiĂšre vantant la douceur de vivre Ă Constantinople, ThĂ©ophylacte fait lâapologie des qualitĂ©s et des prouesses physiques du prince (glissant diplomatiquement sur ses capacitĂ©s intellectuelles) et le panĂ©gyrique de sa mĂšre. La deuxiĂšme partie, qui est le vĂ©ritable miroir, Ă©numĂšre et compare les diffĂ©rentes formes de gouvernement (monarchie, aristocratie, dĂ©mocratie) avec leurs opposĂ©es (tyrannie, oligarchie et « ochlocracie ») avant dâĂ©numĂ©rer les qualitĂ©s que doit possĂ©der un bon empereur[13].
Le deuxiĂšme, rĂ©digĂ© en 1088, constitue un panĂ©gyrique de lâempereur Alexis Ier, chose surprenante puisque ThĂ©ophylacte Ă©tait certainement plus prĂšs de lâimpĂ©ratrice Marie et des Doukas que des ComnĂšnes[14]. Il sâĂ©loigne dans cet Ă©loge du miroir traditionnel en vantant les prouesses militaires du prince[15].
Hagiographie
ThĂ©ophylacte Ă©crivit deux ouvrages hagiographiques, le premier consacrĂ© Ă un de ses prĂ©dĂ©cesseurs, saint ClĂ©ment dâOhrid, le deuxiĂšme aux quinze martyrs de TibĂ©riopolis.
Lorsque Cyrille et MĂ©thode furent chassĂ©s de Moravie oĂč ils avaient Ă©laborĂ© lâalphabet glagolitique pour mettre les Ăcritures Ă la portĂ©e du peuple, leur hĂ©ritage fut transmis dans les autres pays slaves grĂące Ă la Bulgarie oĂč se dĂ©veloppa lâalphabet cyrillique et oĂč lâarchevĂȘque ClĂ©ment dâOhrid joua un rĂŽle crucial. La Longue vie de ClĂ©ment dĂ©bute par un panĂ©gyrique des frĂšres Constantin (Cyrille) et MĂ©thode, envoyĂ©s comme missionnaires chez les Slaves. En reconnaissant que Cyrille avait traduit les Ăvangiles « du grec vers la langue des Bulgares » et en identifiant le slavon et la langue bulgare, ThĂ©ophylacte faisait un pas en direction du nationalisme bulgare de ses diocĂ©sains. De mĂȘme, il parle avec chaleur du caractĂšre de Boris, converti au christianisme, et de ses Ćuvres pour la diffusion de la foi, tout comme il affirme que ce mĂȘme caractĂšre se retrouvait chez SimĂ©on, lâennemi jurĂ© de Byzance[16].
Le deuxiĂšme ouvrage, destinĂ© Ă rehausser le prestige de son diocĂšse en mettant en valeur non seulement les racines chrĂ©tiennes de lâĂglise bulgare, mais en les reliant aux plus anciennes traditions de la Rome chrĂ©tienne, est Le martyre des saints et glorieux martyrs de TibĂ©riopolis, appelĂ©e Stroumitsa en langue bulgare, martyrisĂ©s sous le rĂšgne de lâempereur impie Julien lâApostat. Le martyrion dĂ©bute par une longue introduction qui couvre les rĂšgnes de Contance Ier jusquâĂ lâavĂšnement de Julien et Ă sa persĂ©cution des chrĂ©tiens. Au cours dâune de ces persĂ©cutions, un groupe de chrĂ©tiens de NicĂ©e sâenfuit pour sâĂ©tablir Ă TibĂ©riopolis en MacĂ©doine. La communautĂ© chrĂ©tienne grandit au point dâalarmer les autoritĂ©s de Thessalonique, lesquelles envoient deux hauts-fonctionnaires enquĂȘter[3]. Quinze chefs de la communautĂ© sont arrĂȘtĂ©s et, sur lâordre des hauts fonctionnaires, exĂ©cutĂ©s. Ils sont enterrĂ©s par leurs coreligionnaires, chacun dans un sarcophage, et bientĂŽt les miracles sây multiplient au point oĂč « TibĂ©riopolis devient un phare renommĂ©, illuminant les citĂ©s de lâOuest [les Balkans] de la lumiĂšre de la foi[17] ». AprĂšs cette description, lâhistoire se transporte quelques siĂšcles plus tard et raconte la conversion du khan Boris en 864 par des prĂȘtres byzantins et la propagation de la foi dans le royaume des Bulgares. Câest sous son rĂšgne que les saints martyrs se manifestent Ă nouveau par des miracles. Boris fait exhumer leurs cercueils pour les enterrer dans une Ă©glise quâil fait construire en leur honneur Ă Bregalnitsa, oĂč le culte se fit dĂšs lors en slavon[18].
Les lettres
Presque toutes Ă©crites entre 1091 et 1108, les quelque 130 lettres qui sont parvenues jusquâĂ nous sont remplies de nostalgie Ă lâendroit de Constantinople et de plaintes sur lâenvironnement « barbare » dans lequel ThĂ©ophylacte doit vivre, procĂ©dĂ© littĂ©raire certes commun aux hauts reprĂ©sentants de Byzance forcĂ©s de vivre loin de la mĂ©tropole, mais traduisant les sentiments profonds dâun homme habituĂ© aux usages de la cour impĂ©riale.
La plupart de ces lettres ont trait Ă lâadministration de son diocĂšse. Il sây montre amical et fraternel Ă lâendroit de ses Ă©vĂȘques suffragants, dĂ©fĂ©rent Ă lâĂ©gard du patriarche de Constantinople. Toutefois, il est intraitable sur les questions de droit. Il se plaint par exemple au patriarche de ce que ce dernier ait autorisĂ© un moine Ă ouvrir une « maison de priĂšre » en MacĂ©doine sans lâavoir consultĂ©, ce quâil considĂšre contraire au droit canon. Il se montre Ă©galement trĂšs sĂ©vĂšre Ă lâendroit dâun Ă©vĂȘque qui sâacharnait sur lâabbĂ© dâun monastĂšre situĂ© dans son diocĂšse sans Ă©gard aux admonestations de ThĂ©ophylacte[19]. De mĂȘme, dans au moins une lettre Ă lâĂ©vĂȘque Kerkirskom, Il dĂ©noncera les « agitateurs » (probablement des pauliciens ou bogomiles) passablement nombreux en Bulgarie Ă lâĂ©poque, mais qui avaient Ă©galement des antennes Ă Constantinople oĂč ils cherchĂšrent Ă dĂ©nigrer ThĂ©ophylacte auprĂšs de l'empereur[4].
Ses lettres Ă lâadresse de Jean Doukas, gouverneur militaire du thĂšme ayant son siĂšge Ă Dyrrachium, et Ă son successeur Jean ComnĂšne, neveu de lâempereur, sont amicales, louent comme il se doit la valeur militaire de leur destinataire et visent surtout Ă faire diminuer les taxes exorbitantes levĂ©es Ă certains endroits, de mĂȘme que la conscription qui frappait les paysans dans la rĂ©gion dâOhrid et privait les terres de leurs cultivateurs[20].
Le thĂšme des percepteurs dâimpĂŽts rapaces (praktores) est surtout repris dans ses lettres Ă Constantinople Ă lâintention du Grand Domestique Adrien dans lesquelles il se plaint non seulement de la lourdeur des taxes imposĂ©es au peuple, mais encore des attaques des praktores contre les propriĂ©tĂ©s de lâĂglise et de leur persĂ©cution de gens sans dĂ©fense. Sa cible favorite est le percepteur en chef pour la Bulgarie, du nom dâIasitĂšs, qui appartenait Ă une noble famille de Byzance et qui, comme ThĂ©ophylacte lui-mĂȘme, disposait de nombreux alliĂ©s dans les cercles officiels[21].
Ses plaintes concernent aussi le triste sort de ses fidĂšles qui sont continuellement les victimes des guerres entre lâEmpire byzantin, les PetchenĂšgues, les Magyars et les Normands (croisĂ©s) qui dĂ©truisent pratiquement toute la nourriture que la terre produit et qui forcent nombre de gens Ă sâenfuir dans les forĂȘts entourant les villes. Il Ă©crit aprĂšs une irruption des PetchenĂšgues (quâil appelle Scythes Ă lâinstar dâAnne ComnĂšne) :
« Leur invasion est rapide comme lâĂ©clair ; leur retraite Ă la fois lourde et vive : lourde par le butin quâils emportent, vive par la rapiditĂ© de leur dĂ©part⊠Le plus terrible Ă leur sujet est que leur nombre dĂ©passe celui des abeilles au printemps, et personne ne sait combien de milliers ou de dizaines de milliers ils sont ; leur multitude est incalculable[22]. »
Dâautres lettres toutefois sont beaucoup plus personnelles et sont destinĂ©es Ă des amis, anciens Ă©lĂšves ou collĂšgues et hauts-fonctionnaires dont lâaide peut lui ĂȘtre utile. Dans certaines dâentre elles, il rĂ©vĂšle son obsession pour ses problĂšmes de santĂ©, comme celle adressĂ©e Ă Jean PantechnĂšs dans laquelle il dĂ©crit dans les moindres dĂ©tails une attaque de mal de mer subie lors dâun voyage de quatre jours de Constantinople Ă Thessalonique[23].
Sur les erreurs des Latins
Ă la fin des annĂ©es 1080 et au cours des annĂ©es 1090, les nombreuses attaques des PetchenĂšgues conduisirent Alexis Ier Ă chercher une alliance avec le pape, mĂȘme au prix dâune rĂ©union des Ăglises. Ă cette fin, un synode des Ă©vĂȘques grecs se rĂ©unit en 1089. Câest probablement de cette pĂ©riode que date Sur les erreurs des Latins en matiĂšre ecclĂ©siastique, une lettre Ă©crite Ă lâun de ses anciens Ă©tudiants, Nicolas, dans laquelle il sâinsurge contre le fait que ces erreurs seraient nombreuses et graves. Selon lui, nombre des accusations portĂ©es par les Grecs ne concernent que des diffĂ©rences insignifiantes de rites et de coutumes qui pourraient ĂȘtre surmontĂ©es avec un peu de compassion et de charitĂ© chrĂ©tienne ; il fait aussi remarquer que les Grecs eux-mĂȘmes ne sont pas sans reproches. Sur un seul point se montre-t-il intraitable, celui du Filioque qui constitue selon lui une innovation (ÎșαÎčÎœÎżÏÎżÎŒÎŻÎ±) dans un Credo que rien ne devrait modifier et de plus une erreur thĂ©ologique dĂ©formant la nature des relations entre les trois personnes de la TrinitĂ©. Mais tout en se montrant intraitable sur le fond, il fait montre dâ« Ă©conomie » (au sens orthodoxe du terme) en attribuant lâerreur des Latins Ă la pauvretĂ© de la langue latine et non Ă une mauvaise volontĂ© qui justifierait un schisme[24] - [25].
Le style de Théophylacte
Surtout dans ses lettres, le grec « atticisant » de ThĂ©ophylacte est rendu difficile Ă comprendre Ă cause de lâobscuritĂ© du style engendrĂ© par les ellipses et les « paraboles » frĂ©quemment utilisĂ©es par les Ă©crivains de cette pĂ©riode, comme en fait foi le jugement de Margaret Mullett rapportĂ© par Dimitri Obolensky :
« Lire une lettre de ThĂ©ophylacte ressemble souvent Ă effleurer un grand scandale historique ou Ă se faire raconter une plaisanterie si Ă©trange quâelle nâen semble plus amusante, voire mĂȘme [sic] de dĂ©chiffrer un code cryptĂ© dans un alphabet dont seuls quelques signes nous sont familiers[26]. »
Il arrive toutefois, surtout dans les lettres Ă ses proches amis, que le style littĂ©raire laisse place Ă un style plus personnel, intense et articulĂ©, oĂč il donne libre cours Ă ses sentiments et Ă ses Ă©motions. Mais, mĂȘme lĂ , les clichĂ©s habituels aux auteurs byzantins vivant Ă lâĂ©tranger, pleins de nostalgie Ă lâendroit de la douceur de vivre Ă Constantinople, aux mĆurs barbares des gens parmi lesquels ils sont forcĂ©s de vivre, reviennent Ă la surface et cadrent mal avec les efforts littĂ©raires dĂ©ployĂ©s par ThĂ©ophylacte pour mettre en valeur lâhistoire de lâĂglise de Bulgarie et concrets pour dĂ©fendre ses diocĂ©sains contre la rapacitĂ© de ses propres compatriotes[27].
Influence et Ă©ditions de ses Ćuvres
Il est l'auteur de lâhagiographie la plus complĂšte de son prĂ©dĂ©cesseur saint ClĂ©ment d'Ohrid[28].
Ses commentaires sur les Ă©pĂźtres pauliniennes ont Ă©tĂ© traduits en 1477 dans une version latine Ă Rome. Son commentaire sur les Ă©vangiles a Ă©tĂ© traduit en latin Ă BĂąle en 1524 par le rĂ©formateur protestant Jean Ćcolampade sous le titre : ExĂ©gĂšse des quatre Ă©vangiles du Nouveau Testament[en latin dans l'original] [29].
Thomas dâAquin (1224-1274) cite de nombreux extraits des commentaires de ThĂ©ophylacte sur les Ă©vangiles de Marc, Luc et Jean dans sa Catena Aurea, commentaire continu des Ă©vangiles composĂ© Ă partir de citations des PĂšres de lâĂglise et d'auteurs mĂ©diĂ©vaux. Le succĂšs de cette oeuvre du grand docteur latin favorisa la connaissance de la thĂ©ologie grecque en Occident dĂšs la fin du 13e siĂšcle et Ă la Renaissance [30].
Au dĂ©but du XVIe siĂšcle, ses commentaires sur les Ăvangiles et les Ă©pitres de saint Paul eurent une influence profonde sur le Novum Testamentum et les Annotationes dâĂrasme, ainsi que sur LâĂ©loge de la folie. Il se mĂ©prit toutefois sur lâidentitĂ© de lâauteur quâil appelle « Vulgarius » (en fait une dĂ©signation du siĂšge bulgare de ThĂ©ophylacte), mĂ©prise quâil corrigea en 1519[31].
Les PP. dominicains Bernardo Maria De Rubeis et Bonifacio Finetti ont rĂ©uni presque toutes les Ćuvres de lâarchevĂȘque et les ont publiĂ©s, avec une traduction latine, sous le titre dâOpera omnia⊠Venise, Bertella, 1754-63, 4 vol. in-fol. Cette Ă©dition fut reprise par lâabbĂ© J. P. Migne dans les volumes 123 Ă 126 de la Patrologia Graeca en 1869.
Une Ă©dition critique fut produite en 1980 et 1986 par Paul Gautier sous le titre ThĂ©ophylacte dâAchrida : Discours, TraitĂ©s, PoĂ©sies, introduction, texte, traduction et notes dans le cadre du Corpus Fontium Historiae Byzantinae.
Notes et références
Notes
- LâimpĂ©ratrice ne sâĂ©tait pas faite religieuse ; elle habitait une annexe du couvent oĂč elle rencontrait les gens importants de la sociĂ©tĂ© dâalors.
- Fils du prĂ©cĂ©dent empereur Michel VII et de Marie dâAlanie, il perdit ce titre en 1087, lorsque lâempereur Alexis obtint un hĂ©ritier mĂąle, Jean ComnĂšne. DĂ©jĂ fiancĂ© Ă Anne ComnĂšne, il garda lâaffection de lâempereur jusquâĂ sa mort vers 1095.
Références
- Protection of the Mother of God Church, Rochester, N.Y. [on line] http://www.pomog.org/index.html?http://www.pomog.org/ocrhid.shtml.
- Vasiliev 1952, p. 496.
- Obolensky 1988, p. 37.
- Anonyme.
- Obolensky 1988, p. 41.
- Voir Ă ce sujet Ostrogorsky 1977, p. 336.
- Obolensky 1988, p. 40.
- Gautier 1986, lettre 6, p. 147.
- Obolensky 1988, p. 48.
- Gautier 1986, lettre 96, p. 487.
- Obolensky 1988, p. 78-82.
- Obolensky 1988, p. 81.
- Obolensky 1988, p. 39.
- Kazhdan 1991, vol. 3, « Theophylaktos, archbishop of Ohrid », p. 2068.
- Obolensky 1988, p. 45, note 42.
- Obolensky 1988, p. 64-65.
- Historia Martyrii XV Martyrum, cap. 17 dans Patrologia Graeca, CXXVI, col. 176.
- Obolensky 1988, p. 74-75.
- Obolensky 1988, p. 49-51.
- Obolensky 1988, p. 51.
- Obolensky 1988, p. 53-54.
- Oratio in Imperatorem Alexium Commenum, dans Patrologia Graeca, CXXVI, citée par Vasiliev 1952, p. 325.
- Obolensky 1988, p. 54-55.
- Vasiliev 1952, p. 475.
- Obolensky 1988, p. 41-44.
- Margaret Mullett, Theophylact through his Letters, p. 19, citée par Obolensky 1988, p. 46.
- Voir les exemples donnés par Obolensky 1988, p. 48-57.
- Article « L'exĂ©gĂšse des quatre Evangiles du Nouveau Testament dĂ©sormais au MusĂ©um national dâHistoire »
- Cette traduction latine a fait l'objet de au moins sept Ă©ditions successives Ă BĂąle et Ă Paris : Basel, 1524 = Basel, 1527 = Paris, 1535 = Paris, 1539 = Basel, 1541 = Paris, 1542 = Paris, 1564
- Obolensky 1988, p. 34.
- Obolensky 1988, p. 34-35.
Voir aussi
Sources primaires
- J. P. Migne (dir.), Patrologia Graeca (lire en ligne).
- P. Gautier (dir.), ThĂ©ophylacte dâAchrida : Discours, TraitĂ©s, PoĂ©sies, introduction, texte et notes, Thessalonique, coll. « Corpus Fontium Historiae Byzantinae » (no 16.1), .
- P. Gautier (dir.), ThĂ©ophylacte dâAchrida, Lettres, Thessalonique, coll. « Corpus Fontium Historiae Byzantinae » (no 16.2), .
Sources secondaires
- (en) Anonyme (trad. Darren Johnson et Catherine Shawki), « Blessed Theophylact, Archbishop of Ochrid and Bulgaria », dans Anonyme, Blagovestnik, vol. 1, Moscou, Sretansky Monastery (lire en ligne), p. 3-13.
- Bernardo Maria De Rubeis, De Theophylacti BulgariĂŠ archiepiscopi gestis et scriptis, ac doctrina, Venise, 1754.
- Paul Gautier, « L'Ă©piscopat de ThĂ©ophylacte HĂ©phaistos, archevĂȘque de Bulgarie », Revue des Ă©tudes byzantines, vol. 21,â , p. 165-168.
- (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re Ă©d., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208).
- (de) Karl Krumbacher, Byzantinische Litteraturgeschichte, Munich, .
- (en) M. Mullett, Theophylact of Ochrid : reading the letters of a Byzantine archibishop, Birmingham, .
- (en) Dimitri Obolensky, Six Byzantine Portraits, Oxford, Clarendon Press, , 228 p. (ISBN 0-19-821951-2).
- Georges Ostrogorsky (trad. de l'allemand), Histoire de lâĂtat byzantin, Paris, Fayot, , 649 p. (ISBN 2-228-07061-0).
- (en) A. A. Vasiliev, History of the Byzantine Empire, Madison, University of Wisconsin Press, , 310 p. (ISBN 0-299-11884-3).
Articles connexes
Liens externes
- Ressource relative Ă la religion :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Fiche sur Nominis