Thémistocle
Thémistocle (en grec ancien : Θεμιστοκλῆς), né vers 524 av. J.-C. à Phréarres et mort vers 459 av. J.-C. à Magnésie du Méandre, est un homme d'État et stratège athénien. Il fait partie d'un nouveau type de politiciens d'origine non aristocratique qui prend de l'importance dans les premières années de la démocratie athénienne. En tant qu'homme politique, Thémistocle est un populiste, ayant le soutien des Athéniens de classes inférieures et étant généralement en désaccord avec la noblesse athénienne. Élu archonte en 493 av. J.-C., il convainc la polis d'augmenter la puissance navale d'Athènes, thème récurrent dans sa carrière politique. Lors de la première invasion perse de la Grèce, il combat à la bataille de Marathon (490 av. J.-C.) et était peut-être l'un des dix stratèges (généraux) athéniens de cette bataille.
Thémistocle Θεμιστοκλῆς | ||
Hermès de Thémistocle (illustration de 1875). | ||
Naissance | vers 524 av. J.-C. Phréarres |
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Décès | vers 459 av. J.-C. Magnésie du Méandre |
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Allégeance | Athènes (jusqu'en 471 av. J.-C.) Perse (469-459 av. J.-C.) |
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Grade | Stratège | |
Conflits | Guerres médiques | |
Faits d'armes | Première guerre médique : * Bataille de Marathon Seconde guerre médique : * Bataille de l'Artémision * Bataille de Salamine |
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Dans les années qui suivent la bataille de Marathon et à l'approche de la seconde invasion perse de 480 à 479 av. J.-C., Thémistocle devient l'homme politique le plus en vue d'Athènes. Il continue à plaider pour une marine de guerre athénienne forte et, en 483 av. J.-C., il persuade les Athéniens de construire une flotte de 200 trières ; ceux-ci se sont avérés cruciaux dans le conflit à venir avec l'Empire perse. Lors de la seconde invasion, il commande effectivement la marine alliée grecque lors des batailles de l'Artémision et de Salamine en 480 av. J.-C.. Grâce à leur ruse, les Alliés parviennent à attirer la flotte perse près de l'île de Salamine, et la victoire de la Grèce qui s'ensuit est le tournant de la guerre. L'invasion est définitivement repoussée l'année suivante après la défaite perse à la bataille de Platées.
Après la fin du conflit, Thémistocle continue sa prééminence parmi les politiciens athéniens. Cependant, il suscite l'hostilité de Sparte en ordonnant la re-fortification d'Athènes, et son arrogance perçue commence à l'aliéner des Athéniens. En 472 ou 471 av. J.-C., il est ostracisé et s'exile à Argos. Les Spartiates y voient une opportunité de se débarrasser de lui et l'accusent dans le prétendu complot de 478 av. J.-C. de leur propre général Pausanias. Thémistocle s'enfuit ainsi du sud de la Grèce. Alexandre Ier de Macédoine lui donne temporairement refuge à Pydna avant qu'il se rende en Asie Mineure où il entre au service du roi perse Artaxerxès Ier. Il est nommé gouverneur de Magnésie du Méandre et y vit le reste de sa vie.
Thémistocles est mort en 459 av. J.-C., probablement de causes naturelles. Sa réputation est réhabilitée à titre posthume et il est rétabli comme un héros de la cause athénienne, voire grecque. Thémistocle peut encore raisonnablement être considéré comme « l'homme le plus instrumental dans la réalisation du salut de la Grèce » de la menace perse, comme le décrit Plutarque. Sa politique navale aurait également un impact durable sur Athènes[1], puisque la thalassocratie athénienne est devenue la pierre angulaire de l'empire athénien et de son âge d'or. Plutarque précise qu'il amène « insensiblement la cité à se tourner et à descendre vers la mer »[2]. Thucydide juge Thémistocle comme « un homme qui a montré les signes les plus indubitables de génie […] [à ce titre] il a un droit à notre admiration tout à fait extraordinaire et sans précédent ».
Biographie
Origine et famille
Thémistocle est né dans le dème attique de Phréarres vers 524 av. J.-C.. Il le fils de Néoclès, un Léontien de Phréarres[3], qui n'est, selon les mots de Plutarque est un « homme de condition médiocre »[3] qui n'appartient pas à l'aristocratie. L'identité de sa mère est plus obscure : son nom serait Euterpe ou Abrotonum[3], et elle serait d'origine méconnue, certaines sources indiquant diversement Halicarnasse, la Thrace ou l'Acarnanie[3]. Comme beaucoup de contemporains, peu de choses sont connues sur ses premières années. Certains auteurs rapportent qu'il est indiscipliné dans son enfance et est donc désavoué par son père, ce que réfute notamment Plutarque. Ce dernier indique qu'en raison des antécédents de sa mère, Thémistocle est considéré comme un « bâtard »[3], c'est-à -dire un enfant qui n'est pas nés de père et mère athéniens. En outre, sa famille semble vivre dans un quartier d'immigrants à Athènes à l'extérieur des murs de la ville[3]. Dans un premier exemple de son charisme, Thémistocle parvient à persuader des enfants « bien nés » de faire du sport avec lui au Cynosarge, un gymnase, brisant ainsi la distinction social entre « bâtards » et « vrais citoyens »[3]. Plutarque rapporte en outre que Thémistocle a « un caractère ardent, un esprit juste, le goût naturel des grandes choses, et l'aptitude de l'homme d'État »[3]. Il est préoccupé, même enfant, par son rôle possible dans la vie publique[3]. À l'école, son maître lui aurait dit : « Mon enfant, tu ne seras pas un homme médiocre ; et il faut que tu deviennes extrême, ou dans le bien, ou dans le mal »[3].
Thémistocle a trois fils avec Archippe, fille de Lysandre, du dème d'Alopèce : Archéptolis, Polyeucte et Cléophante[3]. Platon mentionne Cléophante uniquement comme un « écuyer habile »[3]. Thémistocle a également deux fils plus âgés que ces trois-là , Néoclès et Dioclès[3]. Néoclès est mort jeune d'une morsure de cheval, et Dioclès est adopté par son grand-père maternelle, Lysandre[3]. Thémistocle eut de nombreuses filles : Mnésiptoléma, issue de son second mariage, qui épouse son beau-frère Archeptolis et devint prêtresse de Cybèle[3] ; Italia qui s'est mariée à Panthoïde de Chios[3], et Sybaris mariée à Nicomède, un Athénien[3]. Après la mort de Thémistocle, son neveu Phrasiclès se rend à Magnésie du Méandre et épouse une autre fille, Nicomaché[3]. Phrasiclès prend ensuite en charge sa sœur Asia, la plus jeune des dix enfants de Thémistocle[3].
Contexte
Thémistocle grandi dans une période de bouleversements à Athènes. Le tyran Pisistrate meurt en 527 av. J.-C., passant le pouvoir à ses fils, Hipparque et Hippias[4]. Hipparque est assassiné en 514 av. J.-C., et en réponse à cela, Hippias devient paranoïaque et commence à compter de plus en plus sur des mercenaires étrangers pour garder le pouvoir[5]. Le chef de la puissante, mais exilée famille des Alcméonides, Clisthène, commence à comploter pour renverser Hippias et revenir à Athènes[6]. En 510 av. J.-C., il persuade le roi spartiate Cléomène Ier de lancer une attaque d'envergure contre Athènes, qui réussit à renverser Hippias[6]. Cependant, dans la foulée, les autres familles nobles (eupatrides) d'Athènes rejètent Clisthène, élisant Isagoras comme archonte, avec le soutien de Cléomène Ier[6]. Sur le plan personnel, Clisthène veut revenir à Athènes, cependant, il veut aussi probablement empêcher Athènes de devenir trop proche de Sparte. Manœuvrant mieux que les autres nobles, il propose au peuple athénien un programme radical dans lequel le pouvoir politique serait investi dans le peuple : une « démocratie »[6]. Le peuple athénien renverse ainsi Isagoras, repousse une attaque spartiate de Cléomène Ier et invite Clisthène à retourner à Athènes pour mettre son plan en action[7]. L'instauration de la démocratie va radicalement changer Athènes selon Hérodote : « Et c'est ainsi que les Athéniens se sont trouvés soudainement une grande puissance […] ils ont donné des preuves éclatantes de ce que l'égalité et la liberté d'expression pourraient réaliser ».
Premières années de démocratie
Le nouveau système de gouvernement à Athènes ouvre une mine d'opportunités pour des hommes comme Thémistocle qui auparavant n'auraient pas eu accès au pouvoir[8]. De plus, les nouvelles institutions de la démocratie exigent des compétences qui n'ont jusque-là pas d'importance dans le gouvernement. Thémistocle doit se montrer maître du nouveau système : « il pouvait se battre, il pouvait former des réseaux, il pouvait filer […] et surtout, il savait se rendre visible »[8]. Thémistocle déménage à Céramique, un quartier peu en vue d'Athènes. Cette décision le classe comme un « homme du peuple » et lui permet d'interagir plus facilement avec les citoyens ordinaires. Il commence à constituer une base de soutien parmi ces citoyens aux nouveaux pouvoirs : « il courtisait les pauvres et ceux-ci, peu habitués à être courtisés, l'aimaient comme il se doit. Parcourant les tavernes, les marchés, les quais, démarchant là où aucun homme politique n'avait songé à démarcher auparavant, veillant à ne jamais oublier le nom d'un seul électeur, Thémistocle avait jeté les yeux sur une nouvelle circonscription radicale »[8]. Cependant, il prend soin de s'assurer qu'il ne s'aliène pas la noblesse d'Athènes[8]. Il commence à pratiquer le droit et est la première personne à Athènes à se préparer ainsi à la vie publique[8]. Sa capacité d'avocat et d'arbitre, utilisée au service des gens ordinaires, lui vaut une popularité supplémentaire[3].
Archontat
Thémistocle a probablement trente ans en 494 av. J.-C., ce qui le qualifie pour devenir archonte, la plus haute des magistratures d'Athènes. Fort de sa popularité, il décide manifestement de se présenter à cette fonction et est élu « Archonte éponyme », la plus haute fonction gouvernementale l'année suivante (493 av. J.-C.)[8]. L'archontat de Thémistocle voit les débuts d'un thème majeur dans sa carrière : le développement de la puissance maritime athénienne. Sous sa direction, les Athéniens commencent la construction d'un nouveau port au Pirée pour remplacer les installations existantes à Phalère[8]. Bien que plus éloigné d'Athènes, le Pirée offre trois ports naturels et peut être fortifié[3].
Puisqu'Athènes doit devenir une puissance essentiellement maritime au Ve siècle av. J.-C., la politique de Thémistocle a une importance énorme pour l'avenir d'Athènes, et même de la Grèce. En faisant progresser la puissance navale, Thémistocle préconise probablement une doctrine qu'il juge essentielle pour les perspectives à long terme d'Athènes[8]. Cependant, comme le sous-entend Plutarque, puisque la puissance navale repose sur la mobilisation massive des citoyens ordinaires (thètes) en tant que rameurs, une telle politique met plus de pouvoir entre les mains des Athéniens moyens, et donc entre les mains de Thémistocle lui-même[3].
Première guerre médique
À la suite de la révolte de l'Ionie, le roi perse Darius Ier décide de châtier les cités grecques qui avaient apporté leur aide à ses sujets rebelles. Après avoir pris Naxos et Érétrie, l'expédition perse, sur les conseils d'Hippias qui espère reprendre le pouvoir à Athènes, débarque en 490 av. J.-C. sur la plage de Marathon. Thémistocle est alors nouvellement élu stratège et s'illustre au côté d'Aristide dans la victoire décisive à la bataille qui s'en suit[3]. En effet, après cinq jours de face-à -face, la phalange athénienne et platéenne écrase l'infanterie perse qui prend la fuite et rembarque au prix de lourdes pertes. L'armée grecque se replie alors rapidement sur Athènes pour empêcher le débarquement de l'autre partie du corps expéditionnaire perse à Phalère. Cette victoire met fin à la première guerre médique.
Rivalité avec Aristide
Après la bataille de Marathon, probablement en 489 av. J.-C., Miltiade, le héros de la bataille, est grièvement blessé dans une tentative avortée de prise de Páros. Profitant de son incapacité, la puissante famille des Alcméonides s'arrange pour qu'il soit poursuivi[9]. L'aristocratie athénienne, et même les aristocrates grecs en général, répugnent à voir une personne si prééminente, et de telles manœuvres sont alors monnaie courante[9]. Miltiade reçoit une amende massive pour le crime d'avoir « tromp" le peuple athénien », mais meurt des semaines plus tard des suites de sa blessure[9]. À la suite de cette poursuite, le peuple athénien choisi d'utiliser une nouvelle institution de la démocratie, qui fait partie des réformes clisthéniennes, mais est restée jusqu'à présent inutilisée[9]. C'est l'« ostracisme » où chaque citoyen athénien doit écrire sur un tesson de poterie (ostrakon) le nom d'une personnalité politique qu'il souhaite voir exilé pour une période de dix ans[9]. Cela peut avoir été déclenché par les poursuites envers Miltiade et utilisé par les Athéniens pour tenter d'arrêter de tels jeux de pouvoir parmi les familles nobles[9]. Ce qui est sûr, c'est que dans les années qui suivirent, les chefs des grandes familles, dont les Alcméonides, sont exilés[9]. La carrière d'un homme politique à Athènes devient ainsi plus difficile, car déplaire à la population risquait de conduire à l'exil[9].
Thémistocle, avec sa base de pouvoir fermement établie parmi les pauvres, agi naturellement pour combler le vide laissé par la mort de Miltiade et, au cours de cette décennie, devient l'homme politique le plus influent d'Athènes[9]. Cependant, la noblesse commence à s'unir autour de l'homme qui allait devenir le grand rival de Thémistocle, Aristide[10]. Aristide est présenté comme l'opposé de Thémistocle : vertueux, honnête et incorruptible ; et ses partisans l'appelaient « le juste »[10].
Au cours de la décennie, Thémistocle continue à préconiser l'expansion de la puissance navale athénienne. Les Athéniens sont certainement conscients tout au long de cette période que l'intérêt perse pour la Grèce n'est pas terminé : le fils et successeur de Darius, Xerxès Ier, poursuivant des préparatifs d'une nouvelle tentative d'invasion de la Grèce[11]. Thémistocle semble se rendre compte que pour que les Grecs survivent à l'assaut à venir, il faut une marine grecque capable d'espérer affronter la marine perse, et il tente donc de persuader les Athéniens de construire une telle flotte[8] - [9]. Aristide, en tant que champion des zeugites (de classe supérieure : la « classe des hoplites ») s'est vigoureusement opposé à une telle politique[10].
En 483 av. J.-C., un nouveau filon massif d'argent est découvert dans les mines du Laurion[3]. Thémistocle propose que l'argent acquis soit utilisé pour construire une nouvelle flotte de 200 Trières, tandis qu'Aristide suggère qu'il doit plutôt être distribué parmi les citoyens athéniens[12]. Thémistocle évite de mentionner la Perse, estimant qu'il s'agit d'une menace trop éloignée pour que les Athéniens agissent, et concentre plutôt son attention sur Égine[3]. À l'époque, Athènes est impliquée dans une guerre de longue date avec les cette cité et la construction d'une flotte permettrait aux Athéniens de les vaincre enfin en mer[3]. En conséquence, le discours de Thémistocle porte facilement, bien que seulement 100 navires trières sont construites[3]. Aristide refuse d'approuver cela, et à l'inverse Thémistocle n'est pas content que si peu de navires soient construits[12]. La tension entre les deux camps s'accentue au cours de l'hiver, de sorte que l'ostracisme de 482 av. J.-C. devient un concours direct entre Thémistocle et Aristide[12]. Dans ce qui a été vu comme le premier « référendum », Aristide est ostracisé et les politiques de Thémistocle sont approuvées[12]. En effet, prenant conscience des préparatifs perses pour l'invasion à venir, les Athéniens votent pour la construction de plus de navires que Thémistocle n'a initialement demandé[12]. À l'approche de l'invasion perse, Thémistocle est ainsi devenu le principal homme politique d'Athènes[3].
Seconde guerre médique
Les Athéniens, craignant l'immense armée perse, vont d'abord consulter l'oracle d'Apollon à Delphes. Aristonicé, la pythie de Delphes, leur conseille en premier lieu de partir aux extrémités du monde[13]. Cela effraie encore plus les Athéniens, pour qui abandonner Athènes sans se battre est presque inimaginable. Ils décident donc de la consulter une deuxième fois[14]. Elle leur conseille alors de se réfugier « derrière une muraille de bois ». Les Athéniens sont divisés et une partie pense alors à se protéger grâce aux fortifications en bois de l'Acropole. Thémistocle conseille plutôt aux Athéniens de se préparer à un combat naval, car cette muraille de bois signifie la flotte[15] - [16].
En 481 av. J.-C., un « congrès » des cités-États grecques a lieu au cours duquel une alliance est formée contre l'invasion à venir. Les Spartiates et les Athéniens sont les principales forces dans cette alliance, étant les ennemis jurés des Perses. Les Spartiates revendiquent le commandement des forces terrestres, et puisque la flotte grecque alliée est dominée par Athènes, Thémistocle tente de revendiquer le commandement des forces navales[17]. Cependant, les autres puissances navales, dont Corinthe et Égine, refuse de donner le commandement aux Athéniens et Thémistocle fait pragmatiquement marche arrière[17]. En guise de compromis, les Spartiates (une puissance navale insignifiante), en la personne d'Eurybiade, commande les forces navales[18]. Il ressort clairement d'Hérodote, cependant, que Thémistocle est le véritable chef de la flotte alliée.
Le « congrès » se réunit à nouveau au printemps de l'année 480 av. J.-C.. Une délégation thessalienne suggère que les alliés grecs peuvent se rassembler dans l'étroite vallée de Tempé, aux confins de la Thessalie, et ainsi bloquer l'avancée de Xerxès[19]. Un contingent de 10 000 hoplites est envoyé sous le commandement du polémarque spartiate Euenetus et de Thémistocle à cet endroit où ils pensent que l'armée perse doit traverser. Cependant, une fois là -bas, Alexandre Ier de Macédoine les avertit que la vallée peut être contournée par plusieurs autres cols et que l'armée de Xerxès est extrêmement nombreuse ; ainsi les Grecs se retirent. Peu de temps après, ils reçoivent la nouvelle que Xerxès avait traversé les Dardanelles (Hellespont)[19] sur des ponts de fortunes faits de bateaux accrochés entre eux.
Thémistocle développe alors une seconde stratégie. La route vers le sud de la Grèce (Béotie, Attique et Péloponnèse) oblige l'armée de Xerxès à traverser le passage très étroit des Thermopyles[20]. Cela peut être facilement être bloqué par les hoplites grecs malgré le nombre écrasant de Perses. De plus, pour empêcher les Perses de contourner les Thermopyles par la mer, les marines athéniennes et alliées peuvent bloquer la zone du cap Artémision[20]. Cependant, après la « débâcle » de la vallée de Tempé, il n'est pas certain que les Spartiates soient prêts à quitter à nouveau le Péloponnèse[21]. Pour persuader les Spartiates de défendre l'Attique, Thémistocle doit leur montrer que les Athéniens sont prêts à faire tout le nécessaire pour le succès de l'alliance. Concrètement, toute la flotte athénienne doit être envoyée au cap Artémision.
Pour ce faire, chaque homme athénien valide serait tenu de constituer l'équipage des navires. Cela signifie que les Athéniens doivent se préparer à abandonner Athènes[21] et persuader les Athéniens de faire ce choix est sans aucun doute l'un des moments forts de la carrière de Thémistocle[3]. Comme le dit Holland : « Quelles hauteurs précises d'éloquence il a atteintes, quelles phrases émouvantes et mémorables il a prononcées, nous n'avons aucun moyen de savoir […] ce n'est que par l'effet qu'il a eu sur l'assemblée que nous pouvons mesurer quelle a sûrement dû être sa qualité électrique et vivifiante […] les propositions audacieuses de Thémistocle, mises aux voix, furent ratifiées. Le peuple athénien, face au plus grave moment de péril de son histoire, s'engagea une fois pour toutes pour l'élément étranger de la mer, et fit confiance à un homme dont des ambitions que beaucoup avaient profondément redoutées depuis longtemps »[21].
Ses propositions acceptées, Thémistocle ordonne que les femmes et les enfants d'Athènes soient envoyés dans la ville de Trézène, en toute sécurité à l'intérieur du Péloponnèse, derrière l'isthme de Corinthe. Il peut alors se rendre à une réunion des alliés grecs, au cours de laquelle il propose sa stratégie : avec la flotte athénienne pleinement engagée dans la défense de la Grèce, les autres Alliés acceptent logiquement ses propositions[20].
Bataille de l'Artémision
Ainsi, en août 480 av. J.-C., alors que l'armée perse approche de la Thessalie, la flotte alliée grecque navigue vers le cap Artémision et l'armée alliée grecque marche elle vers les Thermopyles[22]. Thémistocle prend lui-même le commandement du contingent athénien de la flotte et se rend sur place. Lorsque la flotte perse arrive finalement après un retard important, Eurybiade, le général spartiate qui, selon Hérodote et Plutarque, n'est pas le commandant le plus charismatique qu'il soit, souhaite s'éloigner sans combattre[3]. Il est en effet effrayé en voyant l'importance numérique de la flotte de Xerxès Ier et préconise à battre en retraite, sans doute aussi pour protéger sa patrie d'origine, le Péloponnèse. La population locale propose une somme d'argent à Thémistocle pour que la flotte reste au cap Artémision, et il en utilise une partie pour soudoyer Eurybiade pour qu'il reste, tout en empochant le reste[23]. À partir de ce moment, Thémistocle semble avoir été plus ou moins responsable de l'effort allié dans cette bataille[3].
Pendant trois jours de bataille, la flotte alliée grecque tient tête à la flotte perse beaucoup plus importante, tout en subissant des pertes importantes[24]. Sur le continent, l'armée grecque est battue aux Thermopyles et les Perses s'emparent de la Béotie, puis de l'Attique, rendant la présence de la flotte alliée grecque continue au cap Artémision sans importance, et partent donc[25]. Les femmes et les enfants d'Athènes sont envoyés en sécurité à Trézène, Égine et Salamine[26]. Selon Hérodote, Thémistocle laisse des messages à chaque endroit où la flotte perse peut s'arrêter pour se ravitailler en eau douce, demandant aux Ioniens de la flotte perse de faire défection, ou du moins de ne pas vraiment se battre[27]. Même si cela ne fonctionne pas, Thémistocle a apparemment l'intention de créer de la dissension dans les rangs perses[27].
Bataille de Salamine
Au lendemain des Thermopyles, la Béotie tombe aux mains des Perses qui rasent Thespies et Platées et avancent alors sur Athènes[28]. Les alliés grecs, principalement des Péloponnésiens, préparent la défense de l'isthme de Corinthe[29], abandonnant ainsi Athènes aux Perses[29]. Depuis le cap Artémision, la flotte alliée grecque navigue vers l'île de Salamine où les navires athéniens aident à l'évacuation finale d'Athènes. Les contingents du Péloponnèse souhaitent naviguer vers la côte de l'isthme pour concentrer les forces avec l'armée[30], mais Thémistocle tente de les convaincre de rester dans le détroit de Salamine situé entre l'Attique et l'île de Salamine[31], invoquant les leçons de la bataille de l'Artémision : « en combattant dans un lieu étroit avec un petit nombre de vaisseaux contre un plus grand, nous remporterons, selon toutes les probabilités de la guerre, une grande victoire, parce qu'un détroit nous est autant avantageux que la pleine mer l'est aux ennemis »[32]. Il ajoute « la bataille dans des conditions proches fonctionne à notre avantage »[30]. Après avoir menacé de naviguer avec tout le peuple athénien en exil en Sicile — Athènes, qui possède deux cents navires, fournit près de la moitié des trières dont disposent les Grecs face aux mille deux-cents navires perses[33] - [34] —, il persuade finalement ses autres alliés, dont la sécurité repose après tout sur la marine athénienne, d'accepter son plan[31]. Par conséquent, même après qu'Athènes soit tombée aux mains des soldats de Xerxès Ier qui détruisent la cité[35] et que la marine perse soit arrivée au large de Salamine, la marine alliée grecque reste dans le détroit. Thémistocle semble avoir eu pour objectif de mener une bataille qui pourrait paralyser la marine perse et garantir ainsi la sécurité du Péloponnèse[30].
Pour provoquer cette bataille, Thémistocle utilise un mélange astucieux de subterfuge et de désinformation, exploitant psychologiquement le désir de Xerxès Ier de finir son invasion[36]. Les actions du roi perse indiquent qu'il tient à terminer la conquête de la Grèce en 480 av. J.-C., et pour ce faire, il a besoin d'une victoire décisive sur la flotte alliée[37]. Thémistocle envoie un serviteur, Sicinnos, à Xerxès Ier avec un message proclamant que Thémistocle est « du côté du roi et préfère que vos affaires prévalent, pas les Hellènes »[38]. Thémistocle affirme que les commandants grecs alliés se disputent, que les Péloponnésiens prévoient d'évacuer cette nuit-là et que pour remporter la victoire, tout ce que les Perses doivent faire c'est de bloquer le détroit[38]. En exécutant cette ruse de guerre, Thémistocle semble avoir tenté d'attirer la flotte perse dans le détroit[36]. Le message a également un objectif secondaire, à savoir qu'en cas de défaite des Grecs, les Athéniens puissent recevoir un certain degré de pitié du roi perse[36]. Dans tous les cas, c'est exactement le genre de nouvelles que Xerxès Ier souhaite entendre[36] et la flotte perse est envoyée dans le détroit[39]. Peut-être trop confiante et n'attendant aucune résistance, la marine perse entre dans le détroit[40] pour seulement pour constater que, loin de se désintégrer, la marine alliée grecque est prête pour livrer le combat[41].
Selon Hérodote, après que la marine perse commence ses manœuvres, Aristide arrive au camp allié depuis Égine[42]. Aristide avait été rappelé d'exil avec les autres Athéniens ostracisés sur l'ordre de Thémistocle, afin qu'Athènes puisse être unie contre les Perses[42]. Aristide indique à Thémistocle que la flotte perse a encerclé la flotte alliée grecque, ce qui indique à Thémistocle que les Perses sont tombés dans son piège[43]. Les commandants grecs semblent avoiré également bien pris cette nouvelle plutôt ce qui suggère qu'ils sont dans la confidence de la ruse de Thémistocle[44]. Quoi qu'il en soit, les Grecs se préparent au combat et Thémistocle prononce un discours devant les hommes avant qu'ils n'embarquent sur les navires[45]. Dans la bataille qui suit, le côté exiguë du fin détroit gêne la marine perse beaucoup plus importante et qui se désorganise, et les Alliés grecs en profitent pour remporter une victoire décisive[46].
Salamine est le tournant de la seconde guerre médique et des guerres médiques en général[47]. Bien que la bataille ne met pas mis fin à l'invasion perse, elle assure effectivement que toute la Grèce ne soit pas conquise et permet aux Alliés grecs de passer à l'offensive en 479 av. J.-C.. Un certain nombre d'historiens estiment que la bataille de Salamine est l'une des batailles les plus importantes de l'histoire humaine[48] - [49] - [50]. Étant donné que le plaidoyer de longue date de Thémistocle pour la puissance navale athénienne permet à la flotte alliée de se battre et que son stratagème provoque la victorieuse bataille de Salamine, il n'est probablement pas exagéré de dire, comme le fait Plutarque, que Thémistocle « […] est pensé avoir été l'homme le plus instrumental dans la réalisation du salut de [la Grèce] ».
Automne et hiver des années 480 et 479 av. J.-C.
La victoire alliée à Salamine met fin à la menace immédiate pesant sur la Grèce, et Xerxès Ier retourne en Asie avec le plus gros de ses forces dans la crainte que les Grecs ne piègent son armée en Europe[38]. L'autre partie de son armée est placée sous les ordres de son général Mardonios afin de tenter d'achever la conquête[51]. Mardonios hiverne en Béotie et en Thessalie, et les Athéniens peuvent ainsi retourner dans leur ville, qui a été mise à sac et rasée par les Perses[52]. Pour les Athéniens, et Thémistocle personnellement, l'hiver est éprouvant. Les Péloponnésiens refusent d'accepter de marcher au nord de l'isthme de Corinthe pour combattre l'armée perse et les Athéniens essayent d'infléchir leur position, sans succès[53].
Au cours de l'hiver, les cités-États grecques tiennent une réunion à Corinthe pour célébrer leur succès et décerner des prix pour leurs réalisations[54]. Cependant, peut-être gênés des Athéniens qui soulignent leur rôle à Salamine et demandent une nouvelle action contre les Perses, le prix de l'accomplissement civique est décerné à Égine[53] - [3]. De plus, bien que les amiraux votent tous pour Thémistocle à la deuxième place, ils votent tous pour eux-mêmes à la première place, de sorte que personne ne remporte le prix de l'accomplissement individuel. En réponse, réalisant l'importance de la flotte athénienne pour leur sécurité et cherchant probablement à satisfaire l'ego de Thémistocle, les Spartiates invitent Thémistocle à Sparte[53] - [3]. Là , il reçoit un prix spécial « pour sa sagesse et son intelligence » et les éloges de tous[3] - [55]. De plus, Plutarque rapporte qu'aux prochains Jeux olympiques : « […] Thémistocle ayant paru dans le stade, les spectateurs oublièrent les combattants, et eurent, durant tout le jour, les yeux fixés sur lui : ils le montraient aux étrangers, avec des cris d’admiration et des battements de mains. Thémistocle, dans son ravissement, avoua à ses amis que c’était là une digne récompense des peines qu’il s’était données pour la Grèce »[3].
Après son retour à Athènes en hiver, Plutarque rapporte que Thémistocle fait une proposition à la ville alors que la flotte grecque hiverne à Pagases[3] : « […] Il dit un jour aux Athéniens, en pleine assemblée, qu’il avait un dessein dont l’exécution leur serait avantageuse et salutaire, mais que ce dessein, il ne devait pas le faire connaître au public. Les Athéniens ordonnèrent qu’il le communiquât à Aristide, et qu’il se mît à l’œuvre, si Aristide approuvait. Thémistocle dit à Aristide qu’il avait conçu la pensée de brûler la flotte des Grecs. Aristide rentra dans l’assemblée, et il y déclara que le projet dont Thémistocle méditait l’exécution était à la fois le plus utile et le plus injuste. Les Athéniens ordonnèrent à Thémistocle d’y renoncer »[3].
Printemps et été de l'année 479 av. J.-C.
Comme cela est arrivé à de nombreuses personnalités éminentes de la démocratie athénienne, les concitoyens de Thémistocle deviennent jaloux de son succès et peut-être lassés de sa vantardise[53] - [3]. Il est probable qu'au début de l'année 479 av. J.-C., Thémistocle se voit retirer son commandement et c'est Xanthippe — le père de Périclès — qui commande la flotte athénienne et Aristide les forces terrestres[53]. Bien que Thémistocle soit sans aucun doute politiquement et militairement actif pendant le reste de la campagne, aucune mention de ses activités en 479 av. J.-C. n'est faite dans les sources anciennes[56].
Au cours de l'été de cette année-là , après la réception d'un ultimatum athénien, les Péloponnésiens acceptent finalement de rassembler une armée et de marcher pour affronter Mardonios, qui a envahi l'Attique et détruit Athènes une seconde fois en juin[57]. Lors de la décisive bataille de Platées, les alliés Grecs détruisent l'armée perse — Mardonios y trouvant également la mort[58] —, tandis qu'apparemment le même jour, la marine alliée grecque détruit les restes de la flotte perse lors de la bataille du cap Mycale en Ionie[59]. Cette double victoire complète le triomphe des Grecs et mettent fin à la menace perse contre la Grèce[59].
Reconstruction d'Athènes
Quelle que soit la cause de l'impopularité de Thémistocle en 479 av. J.-C., cela ne dure pas longtemps. Diodore et Plutarque suggèrent qu'il semble avoir connu une période de popularité relativement longue[60].
Au lendemain de l'invasion et de la destruction d'Athènes par les Achéménides, les Athéniens commencent à reconstruire leur ville sous la direction de Thémistocle à l'automne de l'année 479 av. J.-C.. Ils souhaitent restaurer les fortifications d'Athènes mais les Spartiates s'y opposent au motif qu'aucun endroit au nord de l'isthme ne doit pouvoir être potentiellement utilisé par les Perses comme forteresse[61] - [62]. Thémistocle exhorte les citoyens à construire les fortifications le plus rapidement possible, puis se rendit à Sparte en tant qu'ambassadeur pour répondre aux accusations portées par les Spartiates. Là , il leur assure qu'aucun travail de construction n'est en cours et demande l'envoi d'émissaires à Athènes pour le constater par eux-mêmes[62]. Au moment où ces derniers arrivent, les Athéniens ont fini de construire et sont mis devant le fait accompli[63], puis mettent au fer les Spartiates lorsqu'ils se plaignent de la présence des fortifications[62]. Avec le recul, Thémistocle en faisant traîner les discussions en longueur, a donné aux Athéniens suffisamment de temps pour fortifier la ville, et ainsi conjurer toute attaque spartiate visant à empêcher la nouvelle fortification d'Athènes. De plus, les Spartiates sont obligés de rapatrier Thémistocle afin de libérer leurs propres ambassadeurs[64]. Cependant, cet épisode créer un passif qui marque le début de la méfiance spartiate envers Thémistocle.
Pour renforcer les murs de l'Acropole, les Athéniens réutilisent les ruines de l'ancien Parthénon et de l'ancien temple d'Athéna. Le « mur de Thémistocle », entourant la ville basse, est construit pour se défendre contre une nouvelle invasion. Une grande partie de ces efforts de construction est réalisée à l'aide de spolia, les restes des destructions du conflit précédent.
Thémistocle s'emploie dès lors à garantir la sécurité d'Athènes, en poursuivant sa politique maritime et en développant des entreprises plus ambitieuses qui augmentent la position dominante de son État natal[65]. Il étend et fortifie le complexe portuaire du Pirée[65] et « a attaché la ville [d'Athènes] au Pirée et la terre à la mer ». Thémistocle vise probablement à faire d'Athènes la puissance navale dominante de la mer Égée[65]. En effet, Athènes créée en 478 av. J.-C. la suite la Ligue de Délos en 478 av. J.-C., unissant la puissance navale des îles de la mer Égée et de l'Ionie sous la direction athénienne[66]. Thémistocle introduit des allégements fiscaux pour les marchands et les artisans, pour attirer à la fois une main d'œuvre qualifiée et favoriser le commerce dans la ville afin de faire d'Athènes un grand nœud de commerce[67]. Il demande également aux Athéniens de construire vingt trières par an pour s'assurer que leur domination dans les affaires navales se poursuivent[67]. Plutarque rapporte que Thémistocle propose également proposé secrètement de détruire les navires étrangers qui s'échouent dans leur zone d'influence pour assurer une domination navale complète, mais cela est rejeté par Aristide et le conseil d'Athènes.
Ostracisme et mort
Malgré les services rendus à sa patrie, Thémistocle est mis en accusation par ses concitoyens qui, par crainte ou par jalousie[60], prononcent son ostracisme en 471 ou 470[68]. Il se réfugie dans un premier temps à Argos[69], où il fomente des révoltes contre Sparte. Poursuivi par les Athéniens et les Lacédémoniens, il se rend à Corcyre où il exerce le rôle d'arbitre dans une querelle avec Corinthe, puis trouve refuge en Épire chez Admète, le roi des Molosses[70]. Des émissaires venus de Sparte demandent alors l'extradition de Thémistocle et menacent le roi de lui déclarer la guerre en cas de refus[71].
En danger de mort, Thémistocle se réfugie auprès du roi perse Artaxerxès, fils de Xerxès. Il y est comblé d'honneurs et se voit confier le gouvernement de cités grecques d'Anatolie, qu'il gère jusqu'à sa mort à Magnésie en 459. Sa disparition, à 65 ans, est peut-être due à la maladie ou à l'âge, mais Thucydide et Plutarque affirment qu'il est possible qu'il se soit volontairement empoisonné « parce qu'il ne se sentait pas en état d'accomplir les promesses qu'il avait faites au Roi »[72] et pour ne pas avoir à commander une expédition contre les Grecs, ses concitoyens[73].
Postérité
Le nom de Thémistocle est généralement associé à la démocratie[74], au même titre que ceux de Périclès, Éphialtès et Cléon, même si celle-ci n'avait pas encore réellement vu le jour. En effet, pour Thémistocle, Athènes ne pouvait exercer son hégémonie en Grèce, notamment contre Sparte, et se protéger des Perses qu'en développant sa flotte : « sur terre, disait-il, nous ne sommes pas en état de résister même à nos voisins ; au lieu qu’avec des forces maritimes, nous pourrions et repousser les barbares, et commander à la Grèce[75]. » Or, jusque-là , la guerre était le fait d'une élite capable de payer son équipement, les hoplites. Le développement de la flotte par Thémistocle renforce le pouvoir des marins, des hommes du peuple, contre les nobles[76]. C'est là l'embryon d'une forme d'égalité qui suscite l'opposition aristocratique, notamment celle de Cimon, fils de Miltiade. D'après Plutarque, il est reproché à Thémistocle d'avoir arraché aux Athéniens la lance et le bouclier, pour « les réduire au banc et à la rame[75] ».
Doué, hardi, éloquent, avide de gloire et de richesses, fougueux, vaniteux et ambitieux, Thémistocle montre une absence totale de scrupules, mais a toutes les qualités d'un grand homme d'État, avec la capacité de voir à long terme, et le courage de défendre et d'imposer ses idées. Entre autres traits d'humour que lui attribue Plutarque, il y a celui-ci : comme le fils de Thémistocle abusait de la tendresse de sa mère et se servait d'elle pour gouverner son père, Thémistocle remarquait en plaisantant que son fils avait plus de pouvoir qu'aucun Grec. « Athènes commande à la Grèce, je commande aux Athéniens ; ma femme me commande, et mon fils commande à sa mère », disait-il[77]. Mais Thémistocle aime aussi le luxe, et son orgueil tyrannique irrite beaucoup de ses compatriotes : Aristide l'accusa de détournement d'argent public[78].
Thémistocle s'oppose à Cimon, fils de Miltiade, sur la stratégie à employer pour assurer l'hégémonie athénienne, Thémistocle estimant que la principale menace viendrait de Sparte et non des Perses. Ses opinions médisantes sont moquées par le poète lyrique Timocréon de Rhodes, qu'il aurait par ailleurs trahi en ne le rapatriant pas sur Rhodes, malgré paiement, et alors qu'il naviguait en mer Égée à la suite du repli des Perses, après leur défaite à Salamine[79].
Le philosophe Eschine de Sphettos dit de lui dans son Alcibiade qu'il ne pouvait décider que de très grands espoirs de salut pour les Athéniens. D'après Thucydide, Thémistocle et Pausanias furent « les plus illustres des Grecs de leur temps[80] ». L'historien dresse d'ailleurs un portrait élogieux du stratège athénien :
« Thémistocle avait montré, d’une manière certes bien frappante, jusqu’où peut aller le génie de l’homme. À ce titre, en quelque sorte, il a plus qu’un autre des droits à notre admiration. Grâce à une sagacité naturelle, sans avoir préparé son esprit, sans avoir redressé son jugement par aucune étude antérieure ou subséquente, un instant de réflexion lui suffisait pour décider sûrement du présent. Quant aux événements à venir les plus éloignés, il en embrassait toute la série par l’excellence de ses conjectures. Tout ce qui était de son ressort, il le développait avec netteté ; pour les objets dont la pratique lui manquait, il n’était jamais incapable d’en juger sainement. Quelque obscure que parût une affaire, il en discernait avec succès le côté favorable ou contraire ; et pour tout dire en un mot, par les seules forces de la nature et avec peu d’efforts, il excellait à saisir à l’instant même l’à -propos des circonstances. »
— Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, traduction de Jean-Baptiste Gail, I, 138.
Dans la culture
Citations
- Napoléon déclara après sa seconde abdication en 1815 : « Je viens, comme Thémistocle, m'asseoir au foyer du peuple britannique [...] »[81].
Littérature
- Les Grandes Batailles Navales : Salamine, 2019, bande dessinée aux éditions Glénat.
- Thémistocle, roman d'Olivier Delorme, paru en 2021 aux éditions H&O[82].
Films
- La Bataille des Thermopyles, réalisé en 1962 par Rudolph Maté.
- Lawrence d'arabie, réalisé par David Lean, sorti en 1962. Au début du film, le général Murray, après avoir critiqué l’excentricité de Lawrence, conclut : « You don't seem able to perform your present duties properly » (Vous me faites l'effet d'un incapable). Lawrence lui rétorque en citant Thémistocle : « I cannot fiddle, but I can make a great state from a little city » (Je ne sais pas jouer de la lyre, mais je peux faire un grand État d'un petit village). La citation est rapportée en termes très voisins par Plutarque[83].
- 300 : La Naissance d'un empire, réalisé en 2014 par Noam Murro.
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Themistocles » (voir la liste des auteurs).
- Pascal Gauchon, « Quand Athènes régnait sur les flots », Conflits n°2, p. 32, juillet-août-septembre 2014.
- https://www.universalis.fr/encyclopedie/themistocle/
- Plutarque 1853, p. 258-297
- Holland 2005, p. 122
- Holland 2005, p. 126–128
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- Holland 2005, p. 208–211
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- Hérodote, Histoires, VII, 140.
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- Plutarque, Vie de Thémistocle, XXI, 3-7.
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- « Napoléon Ier - « Je viens, comme Thémistocle... », Le Monde,
- « Thémistocle, d'Olivier Delorme : politique, amour et guerre à Athènes », Actualitte.com,
- Plutarque, Vie de Thémistocle, II, 3.
Annexes
Sources antiques
Bibliographie
- Plutarque (trad. Alexis Pierron), Vies des hommes illustres : Thémistocle, Charpentier, , 258-297 p. (lire sur Wikisource).
- Robert Flacelière, « Sur quelques points obscurs de la vie de Thémistocle », Revue des Études Anciennes, t. 55, nos 1-2,‎ , p. 5-28 (lire en ligne).
- John Ma, « Thémistocle entre cité et empire », Métis. Anthropologie des mondes grecs anciens, vol. 12,‎ , p. 269-293 (lire en ligne).
- Georges Méautis, « Thucydide et Thémistocle », L’Antiquité classique, t. 20, no 2,‎ , p. 297-304 (lire en ligne).
- La Véritable Histoire de Thémistocle, recueil de textes antiques réunis et présentés par Jean Haillet, Paris, Les Belles Lettres, 2012. (ISBN 9782251040141).
- (en) Tom Holland, Persian Fire : The First World Empire and the Battle for the West, Londres, Abacus, (ISBN 9780349117171, lire en ligne).
- (en) A. J. Podlecki, The Life of Themistocles : a critical survey of the literary and archaeological evidence, Montréal-Londres, Mc Gill-Queens University Press, .
- (en) J. F. Lazenby, The Defence of Greece 490-479 BC, Aris & Phillips Ltd., (ISBN 978-0-85668-591-0).
- (en) Jeffrey A. Smith, Themistocles : The powerbreaker of Athens, Pen and Sword Military, , 312 p. (ISBN 978-1526790453).
Filmographie
- Au nom d'Athènes, documentaire-fiction de Fabrice Hourlier diffusé sur Arte le 24 novembre 2012.