Scribe dans l'Ăgypte antique
Le scribe (du latin scriba, de scribere, Ă©crire) dĂ©signe dans l'Ăgypte antique un fonctionnaire lettrĂ©, Ă©duquĂ© dans lâart de lâĂ©criture et de lâarithmĂ©tique. OmniprĂ©sent comme administrateur, comptable[1], littĂ©rateur ou Ă©crivain public, il fait fonctionner lâĂtat de Pharaon au sein de sa bureaucratie, de son armĂ©e ou de ses temples. Le scribe royal domine lâadministration centrale. Les scribes supĂ©rieurs font partie de la cour du pharaon, ils ne paient pas dâimpĂŽts et nâont pas dâobligations militaires.
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Organisation
Les scribes sont des fonctionnaires recrutĂ©s et payĂ©s par l'Ătat. Ils interviennent Ă tous les niveaux de la sociĂ©tĂ©, assumant, par dĂ©lĂ©gation du roi, le pouvoir dans tous les domaines : Ă©conomiques, politiques, militaires et religieux. Ă partir des textes, on connaĂźt ainsi :
- le scribe directeur du Trésor,
- le scribe des copies des décrets,
- le scribe des archives,
- le scribe du temple,
- le scribe des offrandes,
- le scribe de la Tablette royale,
- le scribe du bureau de la main-d'Ćuvre,
- le scribe du cadastre,
- le scribe du bétail,
- le scribe du tribunal,
- le scribe des juges,
- le scribe des magistrats,
- le scribe des recrues,
- le scribe des escortes,
- etc.
Comme l'enseignement est uniformisé dans les établissements d'enseignement, les scribes peuvent à tout moment passer d'une branche à l'autre.
Au service de la population, en majoritĂ© analphabĂšte, ils exercent aussi le mĂ©tier d'Ă©crivain public, Ă©tablissant les contrats lĂ©gaux les plus divers, Ă©crivant les lettres sous la dictĂ©e ou les lisant Ă ceux qui ne peuvent le faire eux-mĂȘmes.
Le monde des scribes étant fortement hiérarchisé, pour chaque catégorie on identifie plusieurs grades : directeurs, instructeurs, inspecteurs, assistants...
Formation et attributs symboliques
AssociĂ©e initialement Ă la dĂ©esse Seshat (celle qui Ă©crit ; lit. celle qui est un scribe), la profession de scribe passa sous la protection du dieu Thot, au cours des derniĂšres dynasties. Dâabord recrutĂ© dans lâentourage de la famille de pharaon, le dĂ©veloppement de lâadministration Ă la fin de l'Ancien Empire supposa quâune large caste dâadministrateurs soit formĂ©e et renouvelĂ©e. La position de scribe est hĂ©rĂ©ditaire. Elle se lĂšgue de pĂšre en fils mais suppose une bonne transmission des connaissances, en particulier par une sĂ©rieuse Ă©ducation, dĂšs lâĂąge de cinq ans et pendant une douzaine dâannĂ©es, Ă la grammaire, aux textes classiques, au droit, aux langues, Ă lâhistoire, Ă la gĂ©ographie et la comptabilitĂ©, enseignements donnĂ©s dans une maison de vie, dĂ©pendant du temple, lieu tenant tout Ă fois dâune bibliothĂšque, oĂč lâon conserve les prĂ©cieux papyrus et oĂč savants et lettrĂ©s se retrouvent, et de centre de formation pour les scribes et les prĂȘtres.
Le scribe maĂźtrise les diffĂ©rentes formes de caractĂšres Ă©crits : Ă©criture hiĂ©roglyphique, Ă base de symboles, Ă©criture hiĂ©ratique, Ă forme cursive et logographique, Ă©criture dĂ©motique, de type logo-syllabique et ancĂȘtre du copte (le hiĂ©roglyphique, le dĂ©motique et le grec ancien sont les trois langues de la fameuse pierre de Rosette). MaĂźtre de lâĂ©crit et du savoir, le scribe en a les attributs symboliques. ReprĂ©sentĂ© vĂȘtu simplement dâun pagne, le calame (roseau taillĂ© en pointe) Ă la main, un papyrus ou un ostracon (tesson de poterie) dans lâautre, le scribe exerce une profession respectĂ©e, que le texte cĂ©lĂšbre dit « de l'enseignement de KhĂ©ty » consacre comme lâactivitĂ© la plus noble et honorable dans la sociĂ©tĂ© Ă©gyptienne. Il est dâailleurs remarquable que la reprĂ©sentation de lâunitĂ© monĂ©taire la plus Ă©levĂ©e du royaume soit le hiĂ©roglyphe du scribe. Ă lâĂ©poque tardive, le babouin est lâanimal qui lui est consacrĂ© et qui sert Ă le reprĂ©senter.
Matériel
Le scribe dispose pour Ă©crire :
- d'une palette, soit en bois, soit en ivoire, creusée d'évidements, l'un pour l'encre noire utilisée pour le texte courant, un autre pour l'encre rouge destinée aux titres ou les éléments à mettre en valeur[2] ;
- de calames pour écrire, rangés dans un évidement au centre de la palette ;
- d'un mortier pour réduire en poudre les pigments à encre ;
- d'un godet contenant de l'eau pour humidifier les pinceaux avant de les tremper dans l'encre ;
- de papyrus à découper au couteau aux dimensions souhaitées ;
- d'un couteau pour découper le papyrus et tailler les calames ;
- d'une sacoche en cuir pour ranger le flacon d'eau, les pains de couleur et les gommes-grattoirs Ă papyrus ;
- d'un polissoir à papyrus pour lisser la feuille grattée pour la réutiliser ;
- d'un sceau, symbole de l'autorité, pour sceller les papyrus avec des cachets d'argile qui protÚgent le document des regards en le maintenant serré, et attestent son origine.
Pharaon imitateur de Thot, le dieu créateur du monde par le Verbe
Le savoir et la connaissance, ainsi que le service de lâĂtat, sont vĂ©nĂ©rĂ©s Ă un tel point que pharaon est considĂ©rĂ© lui-mĂȘme comme le premier des scribes, donc le premier des fonctionnaires de son Ătat ; il se fait reprĂ©senter en pagne, dans la modeste tenue rĂšglementaire des scribes. Dâessence divine, le souverain ne fait que se conformer au dieu Thot, crĂ©ateur des langues et de lâĂ©criture, scribe et vizir des dieux.
Représenté par un ibis au plumage blanc et noir ou un babouin, Thot capte la lumiÚre de la lune, dont il régit les cycles, ce qui le fait surnommer « le seigneur du temps ». Un texte d'Edfou relate sa naissance :
« Au sein de l'ocĂ©an primordial apparut la terre Ă©mergĂ©e. Sur celle-ci, les Huit vinrent Ă l'existence. Ils firent apparaĂźtre un lotus d'oĂč sortit RĂȘ, assimilĂ© Ă Shou. Puis il vint un bouton de lotus d'oĂč Ă©mergea une naine, auxiliaire fĂ©minin nĂ©cessaire, que RĂȘ vit et dĂ©sira. De leur union naquit Thot qui crĂ©a le monde par le Verbe. »
Inventeur de lâĂ©criture et du langage, Thot est la « langue d'Atoum » et donc naturellement le patron des scribes. Incarnation de l'intelligence et de la parole, il connaĂźt les formules magiques auxquelles les dieux ne peuvent rĂ©sister. Selon la lĂ©gende, celui capable de dĂ©chiffrer les formules magiques du Livre de Thot peut espĂ©rer surpasser les dieux.
Plusieurs pharaons (SnĂ©frou, ThoutmĂŽsis III, Amenhotep IV/Akhenaton, Horemheb ou SĂ©thi Ier) ont lĂ©guĂ© des Ă©crits, en particulier des Enseignements destinĂ©s Ă leurs successeurs, entre autres le grand papyrus Harris rĂ©digĂ© par RamsĂšs III Ă lâattention de son fils RamsĂšs IV.
Scribe des Archives royales
Parvenu au faĂźte de son art et de la sociĂ©tĂ©, le scribe des Archives royales domine l'administration centrale. Ses compĂ©tences sont Ă©tendues : il coiffe, contrĂŽle et enregistre les actions de toutes les autres institutions. L'ampleur de sa charge souligne, dĂšs les plus hautes Ă©poques, l'importance que l'Ătat accorde Ă l'Ă©crit, c'est le tĂ©moin indispensable de tout ce qui constitue la vie d'un pays dont le gouvernement est fondĂ© sur une connaissance prĂ©cise des personnes, des biens et des situations.
Sous l'Ancien Empire, le scribe des Archives royales, dont on trouve trace Ă partir du rĂšgne de NĂ©ferirkarĂȘ KakaĂŻ (Ve dynastie), est responsable du dĂ©partement des Documents royaux, Ă©galement appelĂ© le « Double Laboratoire ». Ă cette institution se rattachent d'autres services d'archives et de bibliothĂšques.
Le scribe Khououiou, qui vivait sous la Ve dynastie, était à la fois « chargé d'affaires du roi », « scribe des Documents royaux » et « directeur des Scribes ».
Sous la VIe dynastie, DjĂąou, dont on a retrouvĂ© la tombe Ă Abydos, Ă©tait « scribe des Rouleaux divins », « directeur des scribes royaux » et « prĂȘtre lecteur ».
Tombes de scribes dans la vallée des Nobles
- TT7 : Ramosé, serviteur dans la Place de Vérité
- TT17 : Nebamon, médecin du roi Amenhotep II
- TT21 : Ouser, scribe durant le rĂšgne de ThoutmĂŽsis Ier
- TT23 : Thay dit To, scribe royal de MĂ©renptah
- TT38 : DjĂ©serkarĂȘseneb, compteur des grains du grenier d'Amon
- TT49 : NĂ©ferhotep, chef des scribes d'Amon
- TT52 : Nakht, astronome d'Amon
- TT56 : Ouserhat, scribe royal sous le rĂšgne d'Amenhotep II
- TT57 : Khùemhat, dit Mahou, scribe royal, chargé des greniers royaux, sous le rÚgne d'Amenhotep III
- TT65 : Nebamon, scribe du Trésor
- TT69 : Menna, scribe des domaines du seigneur des Deux Terres de Haute et Basse-Ăgypte
- TT74 : Tjanouny, scribe royal, commandant des soldats durant le rĂšgne de ThoutmĂŽsis IV
- TT79 : MenkhĂ©perrĂȘsĂ©neb, scribe des greniers du roi
- TT80 : Thoutnéfer, scribe du trésor
- TT82 : Amenemhat, compteur des grains d'Amon et intendant du vizir Ouseramon
- TT102 : Imhotep, scribe sous le rĂšgne dâAmenhotep III
- TT107 : NĂ©fersekherou, scribe royal au palais de Malqata
- TT136 : « nom inconnu », scribe royal du Seigneur des Deux Terres
- TT147 : Neferrenpet, scribe qui compte le bĂ©tail d'Amon en Haute et Basse-Ăgypte, chef du portail de Karnak
- TT226 : Heqa-Rechou (?), scribe royal, surveillant des nurses du roi
- TT255 : Roy, scribe royal, intendant des domaines d'Horemheb et d'Amon
- TT347 : Hori, scribe
- TT350 : « nom inconnu », scribe
- TT351 : Abaou, scribe de la cavalerie
- TT364 : Amenemheb, scribe des offrandes divines
- TT365 : Néferménou, gardien des perruquiers d'Amon
- TT370 : « nom inconnu », scribe royal
- TT373 : Amenmessou, scribe de l'autel du Seigneur des Deux Terres
- TT374 : Amenemopet, trésorier dans le Ramesséum
- TT387 : MĂ©ryptah, scribe royal de l'autel du Seigneur des Deux Terres
- TT390 : Irtyraou, femme scribe, chef des gardiennes de la divine adoratrice d'Amon
- TT403 : MĂ©rymaĂąt, scribe du temple
- TT406 : Piay, scribe de l'autel du Seigneur des Deux Terres
- TT412 : Kenamon, scribe royal
Représentations de scribes
AprĂšs le pharaon, les scribes sont les personnages les plus reprĂ©sentĂ©s dans la statuaire ou la peinture. Des chefs-dâĆuvre de lâart Ă©gyptien que lâon retrouve au MusĂ©e du Caire, au MusĂ©e du Louvre ou au Neues Museum (Berlin), nous ont Ă©tĂ© lĂ©guĂ©s, montrant lâimportance historique et symbolique des scribes dans lâĂgypte pharaonique.
Le scribe accroupi (Musée du Louvre)
La situation politique
Le scribe accroupi a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© durant les IVe et Ve dynasties. Câest Ă cette Ă©poque que lâAncien Empire est au sommet de sa gloire.
Lors de la IVe dynastie, la construction des pyramides, occupant les paysans durant les crues du Nil, seraient alors une nĂ©cessitĂ© Ă©conomique et politique ; crĂ©ant ainsi un Ătat centralisĂ©.
Ă la Ve dynastie, on abandonne les pyramides monumentales pour privilĂ©gier des tailles plus modestes. Les arts se dĂ©veloppent, les tombes sont de plus en plus complexes, lâarchitecture se dĂ©veloppe dans les temples, les dĂ©corations des temples sont mises en avant et retracent toute la vie du dĂ©funt et souvent dâun rĂšgne.
L'analyse de l'Ćuvre
Le scribe accroupi[3] fut dĂ©couvert Ă Saqqarah en 1850. Fait de calcaire, de cristal de roche, de cuivre et de magnĂ©sie, ce scribe Ă©tait certainement un haut fonctionnaire, un personnage important de son Ă©poque. Il Ă©tait placĂ© dans la chapelle de culte dâune tombe, la statue participait aux cĂ©rĂ©monies et recevait les offrandes pour le dĂ©funt. Sa fonction avait donc un caractĂšre funĂ©raire.
Le scribe est assis et est reprĂ©sentĂ© en train dâĂ©crire sur un rouleau de papyrus, il tient Ă la main droite un pinceau ou un roseau qui aujourdâhui n'est pas apparent. Il porte un pagne comme seul vĂȘtement, qui est le support de ce rouleau.
Son visage est attentif et son regard est vif ; cette partie du corps est trĂšs rĂ©aliste, les os du visage ressortent : surtout ses pommettes et ses joues creuses, les yeux prĂ©sentent beaucoup de dĂ©tails. Les mains sont sculptĂ©es avec un certain souci du dĂ©tail. Sa posture est un peu hiĂ©ratique, son attitude est raide. Il prĂ©sente beaucoup de formes, au niveau du ventre, qui font ressortir son obĂ©sitĂ©. Sa bonne conservation nous permet de voir la polychromie antique ; lâapplication des diffĂ©rentes couleurs de la statue.
La sculpture Ă lâAncien Empire Ă©tait caractĂ©risĂ©e par une attitude assez hiĂ©ratique. Les dĂ©tails sont trĂšs dĂ©veloppĂ©s au niveau du visage ; mais il nâest pas idĂ©alisĂ©, vu son obĂ©sitĂ© ce qui est assez rare Ă cette Ă©poque. Il est en activitĂ© ce qui est rare Ă©galement. Souci du rĂ©alisme, les yeux sont trĂšs dĂ©veloppĂ©s et dĂ©taillĂ©s.
Autres reprĂ©sentations de scribes datant de l'Ăgypte pharaonique
- Figure assise du gouverneur du district de Metjen, -2600 , Saqqarah, granit rose, Neues Museum (Berlin)
- Le scribe Psammetich, sa femme et son fils, -600, bois, Neues Museum (Berlin)
Legs laissés par les scribes
Presque tout ce que nous connaissons de lâĂgypte ancienne a Ă©tĂ© lĂ©guĂ© par les scribes, tant sur la vie et les rĂ©alisations des pharaons, la construction des grands monuments, la vie des classes populaires ou les Ă©vĂ©nements politiques et militaires. Les scribes du monde juif ancien et moderne (sofer, en HĂ©b. ŚĄŚŚ€Śš) sont des docteurs de la foi enseignant la loi de MoĂŻse et lâinterprĂ©tant pour le peuple. Lâimportance du Verbe dans la foi juive, et par extension dans le christianisme et lâhistoire occidentale, Ă travers la RĂ©vĂ©lation de la parole divine et le Livre sacrĂ©, la Bible, qui la contient, pourrait trouver son origine dans la figure du scribe Ă©gyptien et du dieu Thot. Le terme de scribe sâapplique, dans lâEurope mĂ©diĂ©vale, aux officiers des villes, chargĂ©s de travaux de rĂ©daction et soumis Ă lâautoritĂ© du chancelier.
Notes et références
- https://www.universalis.fr/dictionnaire/scribe/
- Dictionnaire amoureux de l'Egypte pharaonique, Pascal Vernus, Place des Ă©diteurs, 2010
- Le scribe accroupi : « L'Ćuvre Ă la loupe », module multimĂ©dia proposĂ© sur le site internet du musĂ©e du Louvre.
Bibliographie
- Pierre Grandet, Bernard Mathieu, Cours d'égyptien hiéroglyphique [détail des éditions]
- ChloĂ© Ragazzoli, Scribes. Les artisans du texte en Ăgypte ancienne, Les Belles Lettres, 2019.
Voir aussi
- Scribe dans le Proche-Orient ancien
- Mandarin (fonctionnaire) en Chine
- Fonctionnaire impérial sous l'Empire romain
- Sofer Sta"m, scribe dans la culture juive