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Religions du Premier Empire bulgare

La religion joua un rĂŽle essentiel dans l’édification du Premier Empire bulgare. Alors que l’aristocratie des boilas proto-Bulgares Ă©tait initialement tengriste (avec la divinitĂ© Tangra), les populations soumises (slaves, grecques, valaques, albanaises
) avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© christianisĂ©es durant l’antiquitĂ© tardive, sous l’Empire romain d'Orient. Parmi les Slaves, certains Ă©taient restĂ©s fidĂšles Ă  la mythologie slave.

La cathédrale Sainte-Sophie, siÚge du Patriarcat médiéval d'Ohrid.

Le christianisme commença Ă  se rĂ©pandre dans la noblesse proto-Bulgare sous le rĂšgne du khan Kroum au dĂ©but du IXe siĂšcle, mais ce ne fut qu’à la fin de ce siĂšcle que le khan Boris Ier se convertit avec tous ses boilas, non sans rĂ©voltes de la part de certains[1]. Boris hĂ©sita entre les formes romaine et byzantine du christianisme cherchant surtout Ă  obtenir la plus grande autonomie possible pour la future Église nationale. Des nĂ©gociations amorcĂ©es avec Rome conduisirent Constantinople Ă  reconnaitre en 870 l’existence d’une Église nationale bulgare (archevĂȘchĂ© de Pliska).

La nouvelle Église avait Ă  sa tĂȘte un archevĂȘque qui dĂ©pendait de Constantinople, ce qui ne satisfaisait pas SimĂ©on Ier, lequel aspirait au titre d’empereur. AprĂšs la bataille d’Anchialos de 917, il convoqua un concile qui Ă©leva l’archevĂȘque LĂ©once au rang de patriarche, dĂ©cision que n’acceptĂšrent les Byzantins que sous le successeur de celui-ci. Lors de la chute finale du Premier Empire bulgare en 1081, le patriarcat fut aboli, son titulaire rĂ©trogradĂ© au rang d’archevĂȘque (entre-temps Ă©tabli Ă  Ohrid), mais conserva une certaine autonomie en Ă©tant placĂ© sous la juridiction personnelle de l’empereur byzantin et non du patriarche de Constantinople.

Sous le rĂšgne de l’empereur Pierre Ier se dĂ©veloppa un christianisme d'inspiration paulicienne, le bogomilisme, qui essaima dans les Balkans et de lĂ  en Italie et en France (patarins, cathares). Il s’agissait d’une version dualiste de la foi, postulant que Dieu avait crĂ©Ă© la lumiĂšre et le monde invisible, spirituel, tandis qu’on devait Ă  Satan les tĂ©nĂšbres et le monde visible, charnel. Leur doctrine les conduisit Ă  rejeter l’État et Ă  prĂȘcher la dĂ©sobĂ©issance civile, ce pourquoi ils furent en butte Ă  la persĂ©cution des autoritĂ©s civiles qui ne purent toutefois Ă©radiquer le mouvement.

La Bulgarie paĂŻenne

Inscription en grec sur pierre portant les mots « kanas bigiom ourtag » (Kanas(u)bigi Omourtag) dans les deux premiÚres lignes (Madara, Bulgarie).

Au cours des deux premiers siĂšcles qui suivirent sa fondation, l’État bulgare demeura paĂŻen : proto-Bulgares et Slaves Ă©taient nombreux Ă  continuer de pratiquer leurs religions traditionnelles, respectivement le tengrisme et la religion slave[2] - [3], comme le confirme une inscription sur pierre: « Kanasubigi Omurtag, divin souverain, [
] offrit des sacrifices Ă  Tangra[4]. Le souverain (khan) jouait un rĂŽle important dans la vie religieuse : il Ă©tait Ă  la fois le grand-prĂȘtre et celui qui accomplissait les rites[5]. Un important sanctuaire dĂ©diĂ© au culte de Tangra existait prĂšs du village moderne de Madara[2]. Nous connaissons quelques rituels tengristes, dĂ©crits par Ignace le Diacre lorsque l'empereur LĂ©on V l'ArmĂ©nien (r. 813-820) et le khan Omourtag (r. 814-831) conclurent en 816 une paix de 30 ans, prĂȘtant serment chacun selon les rites de l’autre. Ainsi, LĂ©on V dut verser l’eau d’un vase par terre, mettre Ă  l’envers une selle sur un cheval, toucher une triple bride, jeter une motte de terre vers le ciel et sacrifier des chiens au cours de la cĂ©rĂ©monie de signature, ce qui suscita les critiques du clergĂ© chrĂ©tien byzantin[6] - [7] - [N 1]. L’eau versĂ©e rappelait que si le serment Ă©tait brisĂ©, le sang coulerait. La selle Ă  l’envers signifiait que celui qui violerait le serment ne pourrait monter son cheval ou en tomberait mort pendant le combat. La triple bride symbolisait l’irrĂ©vocabilitĂ© de l’accord. La motte de terre jetĂ©e au vent rappelait que l’herbe ne repousserait pas dans le pays de celui qui violerait ce serment. Enfin, sacrifier un animal, le couper en deux et prĂȘter serment entre les deux morceaux Ă©tait une pratique courante chez les peuples cavaliers : cela scellait le traitĂ© selon la formule « que je sois coupĂ© en deux si je m’en dĂ©dis »[6].

Les Gromoviti znaci (signes du tonnerre) sont les symboles du dieu slave Péroun. Gravés sur les poutres des maisons dans les sklavinies (joupanats slaves), ils étaient censés protéger de la foudre.

Pour leur part, les Slaves Ă©taient en partie christianisĂ©s, mais Procope signale que certains Ă©taient restĂ©s fidĂšles Ă  leurs propres divinitĂ©s. Le dieu suprĂȘme Ă©tait celui du tonnerre et des Ă©clairs[8] dont nous savons par d’autres sources qu’il se nommait PĂ©roun. Procope note Ă©galement que les Slaves, mĂȘme devenus chrĂ©tiens, vĂ©nĂ©raient les riviĂšres et croyaient aux nymphes[8], croyances qui se retrouvent dans les traditions populaires bulgares contemporaines, comme les samodivas, halas, vilas, roussalkas, dragons slaves et autres. Au cours des sacrifices, les Slaves pratiquaient la divination. Pour les Slaves christianisĂ©s, le culte de PĂ©roun se confondit avec celui du prophĂšte Élie[8].

Omourtag ordonne le massacre des chrétiens (SkylitzÚs : chronique de Madrid).

Dans les Balkans, le christianisme Ă©tait prĂ©sent depuis le IVe siĂšcle, gĂ©nĂ©ralisĂ© au VIe siĂšcle, et commença Ă  se diffuser parmi les Slaves au VIIe siĂšcle et parmi les proto-Bulgares au dĂ©but du IXe siĂšcle. Sa diffusion fut facilitĂ©e par les guerres victorieuses du khan Kroum (r. 803-814)[9]. Son administration comptait de nombreux chrĂ©tiens grecs, slaves, albanais, valaques ou armĂ©niens dont certains Ă©taient mĂȘme assistants du kavhan (sorte de premier ministre) et du ichirgu-boila (sorte de ministre des Affaires Ă©trangĂšres)[10] - [11]. Beaucoup de ces chrĂ©tiens, notamment grecs, maintenaient des liens avec la cour byzantine, ce qui suscitait la mĂ©fiance des boilas tengristes, et se traduisit par une persĂ©cution Ă  grande Ă©chelle des chrĂ©tiens sous les rĂšgles des khans Omourtag et Malamir[12].

Omourtag et sa noblesse voyaient dans ces chrĂ©tiens des agents d’influence byzantins et craignaient que cette religion, dont la hiĂ©rarchie Ă©tait basĂ©e Ă  Constantinople, ne constituĂąt une menace pour l’indĂ©pendance bulgare : il y eut des exĂ©cutions, notamment celles de deux des cinq strategoi qui servaient sous Kroum, de LĂ©on et Jean, mĂ©tropolite d’Odrin et Ă©vĂȘque de Develthos, et d’autres[12] - [13]. La liste des martyrs chrĂ©tiens parvenue jusqu’à nous comporte des noms slaves ou grecs, mais aussi proto-bulgares (Asfer, Kouber)[13]. L’attitude dogmatique de certains chrĂ©tiens envers les paĂŻens Ă©tait considĂ©rĂ©e comme une insulte par l’élite bulgare tengriste. Ainsi Omourtag reprit-il un chrĂ©tien durant un entretien : « N’humiliez pas nos dieux, car grand est leur pouvoir. À preuve, nous qui les adorons, avons pris l’ensemble de ce pays » [les Balkans] « Ă  l’État des Romains »[14]. Toutefois, en dĂ©pit de toutes ces mesures, le christianisme continua Ă  se diffuser jusqu’au sein de la famille du khan[12]. Enravota, l’aĂźnĂ© d’Omourtag, d’abord simplement favorable au christianisme, fut dĂ©shĂ©ritĂ©, Ă  la suite de quoi, n’ayant plus rien Ă  perdre, il se convertit dĂ©finitivement. Ayant refusĂ© d’apostasier, il fut exĂ©cutĂ© sous l’ordre de son frĂšre Malamir vers 833, devenant le premier saint bulgare[15]. L’attitude des dirigeants bulgares Ă  l’endroit de la chrĂ©tientĂ© est illustrĂ©e par l’inscription dite « de Philippe » du khan Pressiyan Ier (r. 836-852) : [
] « Si quelqu’un cherche la vĂ©ritĂ©, Dieu l’observe. Et si quelqu’un ment, Dieu l’observe aussi. Les Bulgares firent beaucoup de bien aux chrĂ©tiens et ceux-ci l’oubliĂšrent. Mais Dieu observe ! »[16].

Conversion au christianisme

Le baptĂȘme de Boris Ier d’aprĂšs la chronique de SkylitzĂšs de Madrid.

En 863, le successeur de Pressiyan Ier, le khan Boris Ier (r. 852-889) dĂ©cida de devenir chrĂ©tien[17]. Les sources ne donnent pas les raisons de cette conversion, mais une Ă©lite bulgare paĂŻenne et persĂ©cutant ses sujets chrĂ©tiens, ne pouvait compter sur leur fidĂ©litĂ© et souffrait d’un dĂ©ficit de reconnaissance politique dans une Europe dĂ©jĂ  profondĂ©ment chrĂ©tienne au IXe siĂšcle[18], tandis que sa conversion pourrait en faire un partenaire frĂ©quentable pour les autres États chrĂ©tiens[18]. Au cours de la mĂȘme pĂ©riode, de sĂ©rieux indices montrent que la Bulgarie entretenait Ă©galement des relations avec le monde musulman, soit directement, soit par le truchement de la Bulgarie de la Volga qui avait adoptĂ© l’islam Ă  cette mĂȘme pĂ©riode ; mais la Bulgarie du Danube Ă©tait trop Ă©loignĂ©e d’un quelconque pays musulman pour en tirer un bĂ©nĂ©fice politique[19]. De plus, en faisant du khan un « autocrate » choisi « par la grĂące de Dieu », le christianisme permettrait au khan de s’élever au-dessus de la noblesse[20] - [21]. Enfin, le christianisme constituait un excellent moyen d’allier l’élite proto-Bulgare et ses sujets chrĂ©tiens en un seul peuple uni par une religion commune[21].

Boris s’enquit donc d’un Ă©ventuel baptĂȘme auprĂšs de Louis II de Germanie en 863 alors que la Bulgarie Ă©tait attaquĂ©e par l'Empire byzantin et que famines et catastrophes naturelles se multipliaient. Il avait conclu une alliance avec les Francs orientaux en 860, estimant que la grande distance entre les deux royaumes limiterait l’influence franque sur la future Église bulgare, alors que la proximitĂ© gĂ©ographique des Byzantins leur permettrait de s’immiscer dans les affaires religieuses bulgares[21]. L’Empire byzantin souhaitait naturellement placer l’Église bulgare sous la juridiction du patriarcat byzantin, espĂ©rant l’utiliser comme levier pour orienter les politiques bulgares en sa faveur et l’empĂȘcher de devenir un outil de la papautĂ©[22]. Au moment oĂč Michel III (r. 842-867) envahit la Bulgarie, l’armĂ©e bulgare Ă©tait dĂ©ployĂ©e au nord-est face Ă  la Grande-Moravie et Boris fut contraint de nĂ©gocier[3] - [21]. La seule exigence byzantine fut que Boris Ier adopte le christianisme sous sa forme byzantine et qu’il accepte le clergĂ© byzantin pour Ă©vangĂ©liser ses boyards[21]. Boris dut se soumettre et fut baptisĂ© en 864, adoptant le nom de son parrain, Michel[3] - [23].

Les postes les plus importants de la nouvelle Église bulgare furent confiĂ©s Ă  des hiĂ©rarques grecs. Conscient des dangers qu’une dĂ©pendance spirituelle pourrait causer Ă  l’indĂ©pendance nationale, Boris prĂ©fĂ©rait assurer l’autonomie de l’Église bulgare en plaçant Ă  sa tĂȘte un patriarche slave[24]. Les Byzantins refusant toute concession sur ce point, Boris Ier se servit de la rivalitĂ© existant dans la pentarchie chrĂ©tienne entre le patriarcat de Constantinople et la papautĂ© de Rome[24] - [25] qui ne reconnaissait ni la pentarchie, ni la juridiction constantinopolitaine sur la Bulgarie et la GrĂšce continentale, car Ă  l’époque justinienne et jusqu’à LĂ©on III l'Isaurien, ces territoires relevaient de l’Église de Rome[26].

Face Ă  l’intransigeace du patriarche Photius de Constantinople, Boris chassa les hiĂ©rarques grecs de Bulgarie et envoya en 866 une dĂ©lĂ©gation Ă  Rome, prĂ©sidĂ©e par l’un de ses parents, le khavan chrĂ©tien Pierre. Boris proposait d’accepter le baptĂȘme selon les rites romains mais le khavan Pierre apportait une liste de cent-quinze questions adressĂ©es au pape Nicolas Ier (r. 858-867) qui concernaient moins des questions de thĂ©ologie que de pratiques (fĂȘtes, jeĂ»nes, langue liturgique
). À son tour, le pape envoya une dĂ©lĂ©gation conduite par deux Ă©vĂȘques pour faciliter les nĂ©gociations et apporter les rĂ©ponses du pape[27]. Toutefois ni le pape Nicolas, ni son successeur Adrien II (r. 867-872) n’étaient prĂȘts Ă  reconnaitre l’existence d’une Église bulgare autonome, de langue slave, ce qui conduisit Ă  l’échec des nĂ©gociations[28]. NĂ©anmoins, les approches bulgares en direction de Rome obligĂšrent les Grecs Ă  se montrer plus conciliants : en 870, le QuatriĂšme Concile de Constantinople reconnut l’une Église bulgare autocĂ©phale, de langue slavonne, siĂ©geant Ă  Preslav, sous l’autoritĂ© spirituelle du patriarche de Constantinople[29] - [30].

L’adoption du christianisme par Boris fut reçue avec hostilitĂ© par une grande partie de sa noblesse tengriste. En 866 Boris Ier dut faire face Ă  une rĂ©bellion massive des boilas de tous les coins du pays. Celle-ci devait toutefois ĂȘtre matĂ©e et cinquante-deux des plus importantes familles boilas furent exĂ©cutĂ©es, femmes et enfants inclus[31] - [32]. Boris abdiqua en 889; son fils ainĂ© et successeur, Vladimir (r. 889-893) tenta bien de restaurer le tengrisme, mais son pĂšre prit les armes contre lui, le dĂ©posa et le fit aveugler[31] selon une pratique byzantine[33].

L’Église orthodoxe bulgare

Saint ClĂ©ment d’Ohrid, premier prĂ©lat de l'Église orthodoxe bulgare.

L’Église bulgare obtint un statut autonome vers 870, sous forme d’un archevĂȘchĂ© sis Ă  Preslav ou DrĂŁstĂŁr[30] - [34]. Le dĂ©cret lui concĂ©dant l’autonomie sous la juridiction ecclĂ©siastique de Constantinople Ă©tait beaucoup plus gĂ©nĂ©reux que ce qui aurait pu ĂȘtre obtenu de Rome[29]. À la suite du QuatriĂšme Concile de Constantinople, le clergĂ© byzantin fut rĂ©admis en Bulgarie et put continuer Ă  prĂȘcher en grec[29] car le grec Ă©tait toujours couramment parlĂ© dans les grandes villes et sur les cĂŽtes. Mais les Slaves Ă©tant majoritaires dans l’intĂ©rieur du pays, en 893 le slavon fut dĂ©clarĂ© langue officielle de l’État et liturgique de l’Église[35].

NĂ©anmoins, le successeur de Boris Ier, SimĂ©on Ier (r. 893-927) souhaitait que l’archevĂȘchĂ© de Preslav devienne un patriarcat Ă©gal Ă  celui de Constantinople, en lien avec son dĂ©sir d’ĂȘtre proclamĂ© empereur. Il se rĂ©fĂ©rait lĂ  encore Ă  l’idĂ©ologie impĂ©riale byzantine selon laquelle un autocrate se devait d’avoir Ă  ses cĂŽtĂ©s un patriarche, et qu’un empire politique Ă©tait indissoluble d’un patriarcat religieux[36]. AprĂšs son triomphe sur les Byzantins Ă  la bataille d'Anchialos (917), l’empereur vaincu Romain Ier LĂ©capĂšne convoqua un concile qui Ă©leva l’archevĂȘque LĂ©once de Bulgarie au rang de patriarche[36]. Les dĂ©cisions de ce concile ne furent pas reconnues par les autres patriarcats de la pentarchie (qui, de ce fait, devenait une « hexarchie »)[37], mais finirent par accepter le successeur de LĂ©once, Dimitri, comme patriarche de Bulgarie en 927[38].

Vers la fin du Xe siĂšcle le patriarcat bulgare comprenait les diocĂšses suivants d’Ohrid, Skopje, Prizren, Strymon en MacĂ©doine ; Butrinte, Drinopolis, Glavinitsa et Himara (aujourd’hui dans le sud de l’Albanie); Custura, Meglenos, PĂ©lagonie, SĂ©rvie, Morovizd, Sta, Voden et Yanina (aujourd’hui dans le nord de la GrĂšce) ; Belgrade, Braničevo, NiĆĄ, RaĆĄ et Srem (aujourd’hui en Serbie) ; Černik, DrĂŁstĂŁr, Lipljan, Pautalia-Velbazhd, Petra, Serdica et d’autres [39] - [40].

Lorsque les Byzantins, en 971, reprirent le contrĂŽle de la partie est de l’empire bulgare, qu’ils avaient perdu en 680 Ă  l’issue de la bataille d'Ongal, le siĂšge du patriarcat fut transfĂ©rĂ© de Preslav Ă  Ohrid, plus Ă  l’ouest[41] - [42]. En 1018, lors de la conquĂȘte finale de la Bulgarie, le patriarcat fut rĂ©trogradĂ© au rang d’archevĂȘchĂ©, tout en conservant une grande partie de ses privilĂšges. Il put conserver la juridiction sur tous les Ă©vĂȘchĂ©s dĂ©jĂ  existants, sa langue liturgique slavonne, son siĂšge d’Ohrid et son titulaire Jean de Debar. De plus, l’archevĂȘchĂ© bulgare se vit concĂ©der un privilĂšge particulier, celui d’ĂȘtre placĂ© directement sous l’autoritĂ© de l’empereur plutĂŽt que sous celle du patriarche ƓcumĂ©nique de Constantinople[43] - [44].

Jean de Rila. FondĂ© par ses disciples, le monastĂšre de Rila, aujourd'hui le plus haut lieu de l'Église et de la culture bulgares.

Pendant cette pĂ©riode, le monachisme se dĂ©veloppa considĂ©rablement et les monastĂšres devinrent rapidement des propriĂ©taires terriens importants avec de nombreux fermiers pour cultiver ces terres[45]. Il devait se dĂ©velopper encore plus sous le rĂšgne de Pierre Ier de mĂȘme que le nombre de ses propriĂ©tĂ©s[46]. Nombreux furent les nobles et membres de la famille impĂ©riale qui, au soir de leur vie, reçurent la tonsure et moururent moines, tels Boris Ier lui-mĂȘme, son frĂšre Doks, Pierre Ier, le ichirgu-boila Mostich, etc.[47]. L’opulence croissante de certains monastĂšres conduisit nombre de moines pieux Ă  prĂȘcher, en rĂ©action, l’ascĂ©tisme et la pauvretĂ©. Parmi eux, Jean de Rila se fit ermite dans les montagnes de Rila oĂč ses vertus lui amenĂšrent rapidement de nombreux disciples [46] qui fondĂšrent le monastĂšre de Rila aprĂšs sa mort. Il prĂȘcha la nĂ©cessitĂ© de vivre de façon harmonieuse et mit l’accent sur la valeur du travail manuel ainsi que la nĂ©cessitĂ© pour les moines de ne jamais aspirer aux richesses matĂ©rielles et au pouvoir[46] - [48]. RĂ©vĂ©rĂ© comme saint de son vivant, il devint aprĂšs sa mort patron du peuple bulgare.

Au Xe siĂšcle le clergĂ© bulgare crĂ©a des liens avec les communautĂ©s chrĂ©tiennes naissantes de la Russi kiĂ©vienne[49]. C’est Ă  partir de la Bulgarie que les petits groupes de chrĂ©tiens ruthĂšnes obtinrent prĂȘtres et textes liturgiques[50]. Lors de l’invasion de la Bulgarie par les troupes du tsar russe Sviatoslav, nombre de ses soldats furent influencĂ©s par le christianisme et en rapportĂšrent les croyances chez eux. Les liens crĂ©Ă©s entre Bulgares et RuthĂšnes jouĂšrent un rĂŽle important dans la christianisation de la Rus' de Kiev[50].

Par ailleurs, l'Ă©criture cyrillique bulgare ancienne et la langue liturgique slavonne restĂšrent aussi en usage dans les pays roumains jusqu'au XVIIIe siĂšcle[51].

Bogomilisme

L’expansion du bogomilisme en Europe.

Sous le rĂšgne de l’empereur Pierre Ier (r. 927-969), apparut une forme de christianisme d’inspiration paulicienne, connue sous le nom de « bogomilisme » dont le nom, selon la lĂ©gende, viendrait de son fondateur, un prĂȘtre connu sous le nom de Bogomil, c’est-Ă -dire « aimĂ© (mil) » de « Dieu (bog) ». Les principales sources sur le bogomilisme en Bulgarie sont une lettre du patriarche ƓcumĂ©nique ThĂ©ophylacte de Constantinople Ă  Pierre Ier vers 940, un traitĂ© du prĂȘtre Cosmas vers 970 et les actes du concile convoquĂ© par l’empereur Boril de Bulgarie en 1211[52]. Les bogomiles Ă©taient dualistes, croyant que Dieu avait eu deux fils, JĂ©sus-Christ et Satan, qui reprĂ©sentaient chacun les principes du Bien et du Mal[53].

Selon leur doctrine, Dieu avait crĂ©Ă© la lumiĂšre et le monde invisible, alors que Satan avait crĂ©Ă© les tĂ©nĂšbres et le monde charnel dont l’Homme[53] - [54]. DĂšs lors, les bogomiles rejetaient le sacrement du mariage, la sexualitĂ© sans reproduction, l’Église, l’Ancien Testament, la Croix et d’autres symboles[55]. Ils formaient une sociĂ©tĂ© Ă  trois niveaux : au sommet, les « perfecti », hommes et femmes qui s’abstenaient de viande, de vin, de toute sexualitĂ© mĂȘme reproductrice, et prĂȘchait la bonne parole[56]. Les deux autres niveaux Ă©taient « les croyants » qui devaient adopter et mettre en pratique la plupart des rĂšgles morales bogomiles et « les auditeurs » qui n’étaient pas obligĂ©s de modifier leurs habitudes de vie, mais encouragĂ©s Ă  y tendre[57]. Cosmas le prĂȘtre les dĂ©crit comme « dociles, modestes et silencieux Ă  l’extĂ©rieur, mais hypocrites et voraces comme les loups Ă  l’intĂ©rieur »[54] - [55].

L’Église orthodoxe bulgare condamna leur enseignement. Les membres de la secte furent persĂ©cutĂ©s par les autoritĂ©s politiques aussi bien que religieuses, car ils prĂȘchaient la dĂ©sobĂ©issance civile considĂ©rant que l’État Ă©tait, comme toute autre chose terrestre, un instrument du diable[54]. En dĂ©pit des efforts Ă©tatiques, les bogomiles ne furent pas Ă©radiquĂ©s mais s’enfuirent des Balkans vers le nord de l’Italie (patarins) et le sud de la France (cathares) oĂč leur doctrine subsista jusqu’au XIVe siĂšcle[53] - [54].

Notes et références

Notes

  1. Selon Louis BrĂ©hier, les deux dirigeants auraient jurĂ© chacun selon ses propres rites. Il estime qu'Ignace le Diacre, hostile envers LĂ©on, aurait essayĂ© de le discrĂ©diter en l'accusant de s'ĂȘtre adonnĂ© Ă  des pratiques paĂŻennes.

Références

  1. Les boyards convertis de force se révoltÚrent en 865 : Boris les réprima dans le sang et fait exécuter 52 familles de boyards, enfants compris.
  2. Angelov et alii (1981) p. 193
  3. Whittow (1996) p. 282
  4. Besheliev (1992) p. 132
  5. Angelov & alii (1981) p. 170
  6. Andreev & Lalkov (1996) p. 58
  7. Fine 1991, p. 106
  8. Andreev & Lalkov (1996) p. 54
  9. Fine (1991) pp. 107-108
  10. Fine (1991) pp. 103-105
  11. Fine (1991) p. 105
  12. Fine (1991) p. 108
  13. Bozhilov & Gyuzelev (1999) p. 147
  14. Bozhilov & Gyuzelev (1999) pp. 147-148
  15. Bozhilov & Gyuzelev (1999) pp. 156-157
  16. Bozhilov & Gyuzelev (1999) p. 159.
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  18. Whittow (1996) p. 280
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  20. New Cambridge Medieval History, vol. 2, (1995) p. 240
  21. Fine (1991) p. 118
  22. Fine (1991) p. 116
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  31. New Cambridge Medieval History, vol. 2, (1995) p. 241
  32. Alain Ducellier, Le Drame de Byzance. IdĂ©al et Ă©chec d'une sociĂ©tĂ© chrĂ©tienne, Hachette LittĂ©rature, collection Pluriel 1998, (ISBN 978-2012788480) (Critique de la Revue des Ă©tudes byzantines) dĂ©crit cette conception byzantine du souverain qui n’est qu’un « servant et lieutenant de Dieu » (áŒÏÎłÎ±ÏƒÏ„áœžÏ‚ Îșα᜶ Î»ÎżÏ‡Î±ÎłáœžÏ‚ Ï„ÎżáżŠ ΘΔοῊ) dont la gouvernance et l’armĂ©e sont placĂ©es « sous Dieu, gĂ©nĂ©ral en chef » : ses dĂ©cisions civiles ou militaires ne sont lĂ©gitimes que si elles suivent le chemin voulu par Dieu. Cette conception implique que si le souverain perd, s’il est « aveugle » comme Vladimir face aux desseins de Dieu, alors c’est lui qui devient un ennemi de Dieu (ÎžÎ”ÎżÎŒÎŹÏ‡ÎżÏ‚), dont il n’a pas su lire les desseins, et un sacrilĂšge (ÎșÎ±ÎžÎżÏƒÎŻÏ‰ÏƒÎčς) : voilĂ  pourquoi les vaincus furent souvent aveuglĂ©s avant d’ĂȘtre contraints de se faire moines, ou d’ĂȘtre exĂ©cutĂ©s.
  33. On pense que le siĂšge de ce patriarcat Ă©tait DrĂŁstĂŁr, l'ancienne Dorostolon byzantine, sur le Danube, et non la capitale politique Preslav : Vassil Zlatarski, (bg) Đ˜ŃŃ‚ĐŸŃ€ĐžŃ ĐœĐ° българсĐșата ЎържаĐČĐ° прДз ŃŃ€Đ”ĐŽĐœĐžŃ‚Đ” ĐČĐ”ĐșĐŸĐČĐ”, Ń‚ĐŸĐŒ I : Đ˜ŃŃ‚ĐŸŃ€ĐžŃ ĐœĐ° ПърĐČĐŸŃ‚ĐŸ българсĐșĐŸ царстĐČĐŸ (« Histoire de l'État bulgare au Moyen Âge », vol. I : « Histoire du premier Empire bulgare », ed. НауĐșĐ° Đž ОзĐșустĐČĐŸ (Nauka i izkustvo), Sofia 1972, OCLC 67080314, pp. 507-508.
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Voir aussi

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