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RMS Aquitania

Le RMS Aquitania est un paquebot transatlantique britannique de la Cunard Line en service de 1914 à 1950. Il est construit dans la lignée du Lusitania et du Mauretania (1907), tout en étant nettement plus grand et luxueux, mais moins rapide. Mis en service fin , il n'a le temps de faire que trois traversées augurant d'un succès encourageant, avant le début de la Première Guerre mondiale. Durant le conflit, le paquebot, d'abord transformé en croiseur auxiliaire sans être utilisé comme tel, sert de transport de troupes et de navire-hôpital, notamment dans le cadre de la bataille des Dardanelles.

Aquitania
illustration de RMS Aquitania
L'Aquitania en 1914.

Type Paquebot transatlantique
Histoire
Chantier naval John Brown & Company, Clydebank, Drapeau du Royaume-Uni Royaume-Uni
Quille posée
Lancement
Mise en service
Statut Démoli en 1950 en Écosse
Équipage
Équipage 972
Caractéristiques techniques
Longueur 274,6 mètres
Maître-bau 29,6 mètres
Tirant d'eau 11m
DĂ©placement 49 430 tonnes
Tonnage 45 647 tjb
Propulsion Turbines à vapeur alimentant 4 hélices
Puissance 60 000 hp
Vitesse 23 nœuds
Caractéristiques commerciales
Pont 10
Passagers 3 230 (1914)
2 200 (1926)
Carrière
Propriétaire Cunard Line
Armateur Cunard Line
Pavillon Drapeau du Royaume-Uni Royaume-Uni
Port d'attache Liverpool
Coût 2 millions de livres sterling

Retrouvant son service d'origine en 1920, il assure le service transatlantique principal de sa compagnie, aux côtés du Mauretania et du Berengaria. L'Aquitania devient un des paquebots les plus populaires de l'Atlantique nord, étant surnommé « The Ship Beautiful » (« navire de beauté ») par les passagers. Sa popularité lui permet de poursuivre son service après la fusion de sa compagnie avec la White Star Line en 1935, tandis que des navires plus récents sont retirés du service car jugés en surplus. Il est alors envisagé de le remplacer par le Queen Elizabeth prévu pour 1940.

Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale lui accorde un sursis de près de dix ans. Il sert en effet de transport de troupes durant tout le conflit, et jusqu'en 1947, parcourt le monde entier. Il est notamment utilisé pour ramener chez eux des soldats canadiens et les familles qu'ils ont fondées en Europe. Il termine sa carrière en transportant des émigrants au Canada, avant que la Commission du Commerce ne le juge hors normes. Le paquebot est retiré du service en 1949 et envoyé à la casse l'année suivante.

L'Aquitania a joui d'une grande popularité durant sa carrière et est l'un des paquebots les plus utilisés des années 1920. Avec sa grande durée de vie (36 ans), il est également le dernier paquebot à quatre cheminées retiré du service, le dernier construit pour la ligne de l'Atlantique Nord et le seul à avoir servi durant les deux conflits mondiaux.

Histoire

Conception et construction

Le lancement de l’Aquitania a lieu le 21 avril 1913.

L'idĂ©e de la conception de l’Aquitania est nĂ©e de la rivalitĂ© entre la White Star Line et la Cunard Line dès 1910. La construction des navires de la classe Olympic (l’Olympic, le Titanic et le Britannic) de la White Star Line concurrence en effet nettement les « lĂ©vriers des mers » de la Cunard, le Lusitania et le Mauretania. Ils mesurent près de 30 mètres de plus, et bien que moins rapides, ils sont beaucoup plus luxueux[1]. Mis en service en 1907, les deux paquebots rapides de la Cunard ont en effet Ă©tĂ© capables d'Ă©tablir de durables records de vitesse que nul ne cherche plus Ă  concurrencer pour deux dĂ©cennies. Les paquebots de la White Star construits en rĂ©ponse ne cherchent pas Ă  s'imposer sur ce terrain et se concentrent donc sur le luxe et la rĂ©gularitĂ©. Qui plus est, en dĂ©pit des records, les jumeaux de la Cunard ne peuvent assurer seuls un roulement rĂ©gulier[2].

L'architecte Arthur Joseph Davis est chargé de concevoir les intérieurs de l'Aquitania.

Afin de remplir ce rĂ´le, les officiels de la compagnie commencent Ă  rĂ©flĂ©chir, dĂ©but 1910, Ă  un troisième navire au profil voisin de ses compagnons de route. Plusieurs projets de plans Ă©voluent progressivement, afin de dĂ©terminer les grands axes de ce que doit ĂŞtre ce paquebot pour lequel une vitesse moyenne de 23 nĹ“uds est prĂ©vue, contre les 25 nĹ“uds de ses prĂ©dĂ©cesseurs. Courant juillet, la compagnie lance un appel d'offres auprès de plusieurs chantiers, avant de choisir John Brown & Company, en Écosse, dĂ©jĂ  constructeurs du Lusitania[3]. Le , le nom « Aquitania Â» est choisi, dans la continuitĂ© de ceux des prĂ©cĂ©dents navires, afin de faire allusion aux provinces romaines de Lusitanie, MaurĂ©tanie et Aquitaine. Une semaine plus tard, le contrat est signĂ©[4].

Les plans du navire sont rĂ©alisĂ©s par l'architecte naval Leonard Peskett[5]. Les plans d'origine Ă©voluent Ă©galement vers un navire nettement plus grand que ses prĂ©dĂ©cesseurs, plus long de 40 mètres. Si son tonnage reste lĂ©gèrement infĂ©rieur Ă  celui de l'Olympic, le dĂ©placement de l'Aquitania est, selon les chiffres, parfois un peu supĂ©rieur. Le navire est donc, et jusqu'en 1936, l'un des plus grands jamais construits au Royaume-Uni[6]. La quille du navire est posĂ©e en et Peskett effectue dans le mĂŞme temps un voyage sur l'Olympic tout juste inaugurĂ© pour en tirer des idĂ©es[6]. Le navire Ă©tant encore en construction lors du naufrage du Titanic, la compagnie et les chantiers mettent l'accent sur la sĂ©curitĂ© du navire, en indiquant que le navire devait, avant mĂŞme le drame, recevoir assez de canots pour toutes les personnes prĂ©sentes Ă  bord et que ses cloisons Ă©tanches lui permettent de flotter avec cinq compartiments inondĂ©s. La double coque servant, le long des chaudières, Ă  abriter le charbon, est notamment mise en avant comme gage de sĂ©curitĂ© supplĂ©mentaire, les publicitĂ©s parlant souvent d'« un navire dans le navire »[7].

L'Aquitania est lancé le dans les chantiers navals John Brown & Co. après son baptême par Alice Stanley, comtesse de Derby. Les treize mois suivants se passent en cale sèche pour la mise en état du navire, notamment l'installation des câblages électriques et la décoration des locaux. Celle-ci est menée par Arthur Joseph Davis, dont l'associé, Charles Mewès, travaille dans le même temps aux géants de la HAPAG (l'Imperator et le Vaterland). Sous la direction de Davis travaille toute une cohorte de décorateurs et d'artisans qui œuvrent aux intérieurs du paquebot[6]. On dénote un certain nombre de dépassements dans les coûts des intérieurs, ainsi qu'une tendance : à l'inverse de ce qui s'était passé pour le Mauretania, le mobilier a coûté plus cher que la décoration elle-même, ce qui indique une simplification des styles architecturaux utilisés[8].

Le paquebot quitte les chantiers le et passe ses essais en mer durant lesquels il réussit à atteindre une vitesse supérieure aux prévisions. Ces essais surpassent les espérances des constructeurs, augurant d'un bon avenir pour le navire. Le , le paquebot atteint la Mersey et reste au port pendant quinze jours, durant lesquels il subit un dernier grand nettoyage et des finitions en préparation de son voyage inaugural[9].

Une mise en service de courte durée

Le capitaine William Turner posant sur la passerelle de l'Aquitania.

Le voyage inaugural de l'Aquitania est prévu le entre Liverpool et New York, sous le commandement du capitaine William Turner, qui se rend célèbre l'année suivante en commandant le Lusitania lors de son torpillage[10]. L'attention est grande : en effet, quinze jours plus tôt, le paquebot allemand Vaterland, plus gros navire au monde, a été mis en service. Dans ces conditions, le voyage inaugural du paquebot britannique prend des allures de compétition pour le prestige national, dans le discours de la presse[11]. Cependant, l'événement est éclipsé par le naufrage de l'Empress of Ireland survenu la veille : ce paquebot a en effet été violemment abordé par un autre navire dans l'estuaire du Saint-Laurent. Plus de mille personnes ont perdu la vie dans le drame[12]. Aucun passager n'annule cependant son voyage sur le paquebot de la Cunard, malgré l'émotion vive suscitée par le naufrage[9].

Pour sa première traversĂ©e, le paquebot embarque Ă  son bord 1 055 passagers, environ le tiers de sa capacitĂ©. Une superstition pousse en effet certaines personnes Ă  Ă©viter les paquebots en voyage inaugural. La traversĂ©e satisfait pleinement l'Ă©quipage et la compagnie : le navire se rĂ©vèle stable et maintient une vitesse moyenne de 23 nĹ“uds, en prenant en considĂ©ration un arrĂŞt de cinq heures dĂ» au brouillard et Ă  la proximitĂ© d'icebergs. Le navire rĂ©ussit brièvement Ă  pousser ses machines, encore en rodage, au-dessus des 25 nĹ“uds. Qui plus est, sa consommation de charbon se rĂ©vèle nettement infĂ©rieure au Lusitania et au Mauretania. Bon nombre de passagers apprĂ©cient le voyage et l'on ne dĂ©note que des incidents mineurs. Au retour, le succès est renouvelĂ©. Ă€ son arrivĂ©e Ă  Liverpool le suivant, le paquebot transporte Ă  son bord 2 649 passagers, un record pour un paquebot britannique quittant New York[13].

Dès l'arrivĂ©e Ă  son port d'attache, le navire subit quelques modifications mineures tenant compte des observations rĂ©alisĂ©es durant la traversĂ©e, chose classique pour les navires rĂ©cemment mis en service[13]. Deux autres allers-retours ont lieu pour la deuxième moitiĂ© de juin et tout le mois de juillet, qui rencontrent un succès croissant. L'architecte Leonard Peskett participe Ă  la deuxième rotation, afin d'observer et rĂ©soudre les dĂ©fauts du paquebot. Ces deux mois se rĂ©vèlent très satisfaisants. En un total de six traversĂ©es, 11 208 passagers ont pris place Ă  bord, soit une moyenne de 1 868 passagers par traversĂ©e. Cette sĂ©rie est alors brusquement interrompue par le dĂ©but de la Première Guerre mondiale : l'Aquitania est retirĂ© du service civil pour six annĂ©es[14].

Première Guerre mondiale

Le HMHS Aquitania, durant son service comme navire-hĂ´pital.

Dès le , l'Aquitania est réquisitionné pour être transformé en croiseur auxiliaire comme cela avait été prévu durant sa conception. Dès le , débarrassé de ses éléments décoratifs et armé de canons, il part en patrouille. Le , il entre en collision avec le paquebot Canadian. Peu après, il semble acquis qu'un navire de cette taille n'est pas adapté à ce genre de mission, par manque de manœuvrabilité, une trop grande consommation de charbon et à cause de sa trop grande taille. Dès le , le navire est désarmé après quelques réparations, et rendu à la Cunard. Inutile au vu du faible trafic maritime, le paquebot est stationné à quai[15].

Au printemps 1915, il est rappelĂ© sous les drapeaux pour servir de transport de troupes en direction du dĂ©troit des Dardanelles. 30 000 hommes sont emmenĂ©s au champ de bataille Ă  son bord entre mai et aoĂ»t[15]. Sa vitesse lui permet d'Ă©chapper Ă  un torpillage durant l'une de ces traversĂ©es, quelques mois seulement après le naufrage du Lusitania[16]. Le bilan de la bataille des Dardanelles empirant, un nouveau rĂ´le est attribuĂ© Ă  l'Aquitania, celui de navire-hĂ´pital. En , le paquebot devient le plus grand navire-hĂ´pital de la guerre (devant le Britannic) avec 4 200 places en temps normal[17]. Le Mauretania suit le mĂŞme parcours[18]. En , il est considĂ©rĂ© que son service n'est plus utile mais il est Ă  nouveau rĂ©quisitionnĂ© pour les mĂŞmes fonctions en juillet. Il ne reprend cependant la route qu'en novembre Ă  la suite d'imbroglios bureaucratiques. Le paquebot stationne ensuite dans le Solent, durant toute l'annĂ©e 1917 : la dĂ©cision de l'Allemagne de ne plus Ă©pargner les navires-hĂ´pitaux en fait une trop belle cible. Ce sont en tout 25 000 blessĂ©s que le navire a rapatriĂ©s durant ses quelques mois de service[19].

Le camouflage du HMT Aquitania durant son service comme transport de troupes.

En 1918, il reprend la mer pour transporter des troupes d’AmĂ©rique du Nord vers le Royaume-Uni et navigue sous un camouflage Dazzle. Il s'agit d'un ensemble de formes gĂ©omĂ©triques destinĂ©es Ă  casser la silhouette du navire et Ă  empĂŞcher son torpillage. Lors d'une traversĂ©e, il embarque jusqu'Ă  8 000 hommes. Ce sont en tout 60 000 hommes qu'il transporte en neuf voyages. Durant cette pĂ©riode, il connaĂ®t un des plus graves accidents de sa carrière, en heurtant l'USS Shaw dont il arrache une partie de la proue. L'accident fait une dizaine de victimes Ă  bord du navire amĂ©ricain[20].

En , il est démis de son service militaire, mais reste au service du gouvernement. C'est à ce titre qu'il assure, en 1919, une liaison austère entre Southampton et New York ; la grande majorité de ses décors d'origine n'ont pas encore été réinstallés[21]. En décembre, il arrive aux chantiers navals Armstrong Whitworth de Newcastle. La combustion au charbon est remplacée par la combustion au mazout, ce qui permet de grandement diminuer le personnel nécessaire au fonctionnement du navire[22]. Les œuvres d'art et les décors d'avant-guerre sont également réinstallés pour redonner au navire un aspect normal[21].

Mutations et adaptations dans les années 1920

L'Aquitania reprend sa carrière civile le , en quittant Liverpool Ă  la suite de sa refonte. Cette mise en service est particulièrement attendue et 2 433 passagers prennent place Ă  bord. La traversĂ©e est une rĂ©ussite : le navire maintient une bonne vitesse tout en prouvant que sa propulsion au mazout est bien plus Ă©conomique que le charbon. Un accident est cependant relevĂ© : l'explosion d'un tuyau tue un chauffeur dans les fonds du navire[23]. Les mois qui suivent sont tout aussi prometteurs, en dĂ©pit d'une grève des stewards en , qui conduit Ă  quelques incidents durant une traversĂ©e[24]. En ce dĂ©but de dĂ©cennie, l'Aquitania est le seul grand paquebot de la Cunard, le Mauretania subissant une refonte Ă  la suite d'un incendie. 1921 est ainsi une annĂ©e exceptionnelle pour le paquebot, qui bat un record avec 60 000 passagers transportĂ©s : aucun de ses concurrents ne parvient Ă  atteindre un tel nombre par la suite[25]. L'annĂ©e suivante, le Mauretania le rejoint, ainsi que le Berengaria, ancien paquebot allemand rĂ©cupĂ©rĂ© comme compensation de dommages de guerre[26]. Formant les « Big Three », ils s'opposent au trio de la White Star Line composĂ© de l’Olympic, de l’Homeric et du Majestic, les deux derniers entrant Ă©galement en service en 1922[27].

Ce dĂ©but de dĂ©cennie est cependant tĂ©moin d'une tendance moins favorable aux grands paquebots. Progressivement avec les restrictions amĂ©ricaines sur l'immigration, le nombre de passagers de troisième classe chute. De plus de 26 000 passagers de troisième classe transportĂ©s par l'Aquitania en 1921, le chiffre s'effondre Ă  8 200 en 1925. L'Ă©quipage, dĂ©jĂ  diminuĂ© par la chauffe au fioul, est encore rĂ©duit Ă  850 hommes (au lieu des 1 200 de dĂ©part). Si les passagers de première et de deuxième classe sont toujours prĂ©sents en masse, le navire accuse donc une certaine perte de revenus[27]. La troisième classe n'est pas la clĂ© de la rentabilitĂ© du paquebot et la compagnie doit s'adapter. La troisième classe devient progressivement « troisième classe touriste » offrant des services convenables Ă  bas prix. En 1926, le navire subit une refonte de grande ampleur, qui amĂ©liore un certain nombre de cabines, tout en rĂ©duisant drastiquement la capacitĂ© en passagers, qui passe de 3 300 Ă  2 200[28].

La période est prospère. Le navire profite notamment de la Prohibition, certains passagers américains profitant de l'alcool servi à bord. À l'exception de quelques violentes tempêtes, le navire ne connaît pas de réel incident. Le , c'est à son bord que le commodore de la compagnie, Sir James Charles, s'effondre, terrassé par une hémorragie interne dont il meurt peu après, alors qu'il assurait son tout dernier commandement[29]. En dépit de ces incidents mineurs, le navire continue à connaître un grand succès et rapporter de juteux bénéfices à la Cunard. En 1929, il subit une nouvelle refonte intensive qui ajoute des salles de bains à de nombreuses cabines de première classe, et repense totalement la troisième classe touriste. La formule se révèle efficace puisque les passagers de cette classe affluent dans les temps qui suivent. Alors que de nouveaux concurrents comme le paquebot allemand Bremen entrent en service et que la Cunard réfléchit à la construction d'un nouveau paquebot, l'Aquitania reste particulièrement populaire après quinze années de service[30].

La crise de 1929 et ses conséquences

Le Queen Mary est le nouveau compagnon de route de l'Aquitania Ă  partir de 1936.

Le krach boursier de 1929 coĂ»te beaucoup aux compagnies maritimes, qui voient leur clientèle diminuer de façon impressionnante et les bĂ©nĂ©fices avec. Afin de supporter le choc, la Cunard se rĂ©signe Ă  diminuer ses tarifs. Dans le mĂŞme temps, pour compenser ses pertes, la compagnie affrète des croisières bon marchĂ© qui se rĂ©vèlent vite très populaires, notamment Ă  bord de l'Aquitania[31]. Un autre problème se prĂ©sente Ă©galement : en 1929 et 1930, les paquebots de la Norddeutscher Lloyd, le Bremen et l'Europa remportent le Ruban bleu et un succès croissant auprès de la clientèle[32]. Ainsi, en 1932, ce dernier transporte presque autant de passagers que le trio de la Cunard rĂ©uni[31]. Ces facteurs rĂ©unis frappent violemment l'Aquitania : de presque 30 000 passagers transportĂ©s en 1929, le nombre chute Ă  13 000 en 1934[33]. Le navire reste cependant très populaire et est le troisième paquebot le plus frĂ©quentĂ© au dĂ©but des annĂ©es 1930, derrière le duo allemand[31].

Afin de maintenir le navire au goût du jour, la compagnie lui fait subir en 1932-1933 une refonte qui lui ajoute notamment une salle de théâtre. Dans le même temps, afin de moderniser sa flotte, la Cunard fait construire le Queen Mary. La crise, cependant, l'empêche de financer seule le paquebot et la compagnie doit fusionner en 1934 avec sa rivale, la White Star Line, pour terminer son navire, qui entre finalement en service en 1936[34]. L'année précédente, le trafic a commencé à reprendre, relançant la carrière de l'Aquitania. Un léger incident trouble cette reprise : le , celui-ci s'échoue près de Thorne Knoll, au large de Southampton, mais est dégagé rapidement et sans dommages par des remorqueurs[10].

La fusion des deux compagnies en 1934 met pourtant le paquebot dans une position délicate, puisque la compagnie nouvellement créée se retrouve avec un surplus de grands paquebots. Les plus anciens, le Mauretania et l'Olympic sont retirés du service aussitôt mais le Majestic, plus récent, semble plus adapté que l'Aquitania vieillissant. Malgré cela, même l'entrée en service du Queen Mary n'envoie pas le vieux paquebot à la ferraille : il est en effet plus économique que ses compagnons de route. Le Majestic est vendu, tandis que le Berengaria complète le trio pour quelque temps[35]. Ce dernier quitte le service en 1938 après une série d'incendies, tandis que les journaux spéculent sur la fin annoncée de l'Aquitania pour 1940, avec l'arrivée du Queen Elizabeth. Dans ces dernières années, les performances du navire restent honorables et continuent à satisfaire la compagnie : la saison 1939 témoigne d'une augmentation de la clientèle fortunée à bord. Cependant, la retraite du navire âgé de 26 ans s'approche : la durée de vie estimée pour un paquebot de l'époque étant de 25 ans[36].

Seconde Guerre mondiale

L’Aquitania durant la Seconde Guerre mondiale.

Dès que la guerre d'Espagne éclate en 1936, des personnalités républicaines espagnoles, telles que le couple d'écrivains Zenobia Camprubí et Juan Ramón Jiménez, peuvent rejoindre le continent américain grâce au paquebot, en partant de Cherbourg[37].

Lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, le , le navire se trouve dans le port de New York, où il attend des ordres aux côtés du Normandie, du Queen Mary et du Queen Elizabeth. Le navire rentre à Southampton puis effectue une nouvelle rotation en civil. Le , la Cunard reçoit pour ordre de maintenir ses plus grands navires au port pour une éventuelle réquisition, qui survient le dans le cas de l'Aquitania[38]. Une dizaine de jours plus tard, le paquebot part en convoi pour Halifax puis ramène un premier contingent de troupes canadiennes. La traversée du retour est troublée par un accident : le paquebot Samaria, mal informé, se retrouve par erreur au milieu du convoi et heurte l'Aquitania, causant des dégâts mineurs[38]. Le paquebot continue à transporter des troupes canadiennes jusqu'en . Il est alors envoyé en cale sèche et la Cunard envisage de le retirer du service. Le gouvernement ne l'entend pas de la sorte, cependant, et le paquebot est à nouveau réquisitionné pour parcourir le monde et récupérer des troupes en Afrique du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande[39].

Dans les annĂ©es suivantes, le navire parcourt le monde — notamment Singapour, Bombay, Rio de Janeiro mais aussi en MĂ©diterranĂ©e — pour emmener des troupes au combat. Transportant en gĂ©nĂ©ral jusqu'Ă  3 000 soldats, il lui arrive en une occasion de se surcharger dangereusement pour transporter 7 000 hommes[40]. Cette activitĂ© est ponctuĂ©e d'Ă©vĂ©nements troublant la routine militaire du navire. Ainsi, en , il rĂ©cupère les survivants du croiseur allemand Kormoran, coulĂ© lors d'une bataille l'opposant au HMAS Sydney, disparu corps et biens[10].

Ă€ la fin du conflit, le navire est chargĂ© de rapatrier de nombreux soldats, que ce soit en Australie ou au Canada[5]. Durant son service militaire, il transporte 380 000 soldats sur 500 000 milles Ă  travers les ocĂ©ans du globe[41].

Fin de carrière et démolition

Représentation colorée de l'Aquitania.

En 1948, le paquebot est rendu Ă  la Cunard - White Star Line et subit une refonte pour lui redonner un Ă©tat adaptĂ© au transport de passagers. Une convention est Ă©tablie entre la compagnie et le gouvernement canadien pour le transport d'immigrants. Le navire est prĂ©parĂ© pour transporter 1 100 migrants, ainsi que 650 passagers de première classe. Dans des conditions parfois assez prĂ©caires — la refonte a Ă©tĂ© rapide et superficielle, pour permettre une rĂ©ponse rapide Ă  la demande — le navire transporte de nombreux passagers en 1948, notamment les femmes que les soldats canadiens ont Ă©pousĂ©es en Europe et leurs enfants. Le contrat est renouvelĂ© pour 1949, les chiffres Ă©tant particulièrement satisfaisants[42].

Fin 1949, il devient cependant évident qu'en dépit de sa popularité (notamment à Halifax), le paquebot est vétuste. Certains récits vont jusqu'à dire qu'un plafond s'est effondré, faisant tomber un piano sur le pont inférieur[5]. Cependant, aucune source d'époque ne confirme ce fait. Le navire n'en reste pas moins en mauvais état de façon générale. En décembre, les inspecteurs du ministère des transports concluent que le navire ne peut poursuivre sa carrière qu'après une importante refonte. La compagnie juge alors que, l'Aquitania ayant trente-cinq ans de carrière, dont dix de plus qu'envisagé à l'origine, la dépense serait inutile[43].

Le paquebot est alors vendu Ă  la dĂ©molition pour 125 000 livres Ă  la British Iron and Steel Corporation et part pour Faslane afin d'y ĂŞtre dĂ©mantelĂ©. Le travail prend près d'un an, troublĂ© par un lĂ©ger incendie en octobre[43]. En trente-cinq annĂ©es de carrière (l'une des plus longues pour un transatlantique), l'Aquitania a transportĂ© plus d'un million de passagers, sur près de trois millions de milles[41].

Caractéristiques

Aspects techniques

L'Aquitania est le dernier des paquebots à quatre cheminées mis en service sur la ligne de l'Atlantique Nord.

Avec 274,6 mètres de long (901 pieds) pour 29,6 mètres de large, l'Aquitania est le plus grand paquebot britannique d'avant-guerre, dĂ©passant de quelques mètres l'Olympic. Ses 45 647 tonneaux en font cependant un navire moins volumineux que son rival[5]. C'est Ă©galement le premier paquebot de la Cunard Ă  dĂ©passer le seuil symbolique des 900 pieds[6]. La concurrence est grande sur cet aspect, Ă  tel point que, lorsque la compagnie allemande HAPAG a vent de la construction du navire, elle fait boulonner un aigle au bout de son propre paquebot en cours d'achèvement, l'Imperator, afin de gagner les quelques mètres destinĂ©s Ă  assurer sa suprĂ©matie sur ce terrain[44].

Du point de vue extérieur, le paquebot reprend, en version agrandie, les grands traits de la silhouette du Mauretania, notamment avec ses quatre cheminées rouges cerclées de noir. L'Aquitania est le douzième et dernier paquebot à quatre cheminées mis en service sur la ligne de l'Atlantique Nord et le dernier à être retiré du service : ce nombre est, à l'époque, symbole de puissance et de vitesse[22]. Contrairement à nombre de navires utilisant quatre cheminées, l'Aquitania n'en arbore aucune factice et toutes servent à rejeter la vapeur des chaudières[45]. La superstructure du navire, peinte en blanc pour contraster avec la coque noire, est particulièrement imposante et l'absence de gaillard d'avant surélevé lui donne, vue de la proue, un aspect trop large par rapport à la coque[46]. Sur la poupe, les ponts supérieurs de la coque et la superstructure sont percés de larges ouvertures au niveau des ponts promenade[47].

Comme ses deux aînés, le paquebot est propulsé par quatre hélices mues par des turbines à vapeur, alimentées par des chaudières à charbon, converties au mazout en 1920. La coque est divisée en compartiments étanches, conçus pour que cinq compartiments consécutifs puissent être inondés simultanément. Sur une longue portion de la coque au niveau des chaufferies, une deuxième peau crée une structure que les constructeurs qualifient de « navire dans le navire ». Servant à entreposer le combustible, elle permet également au navire de rester à flot malgré une éventuelle voie d'eau[48].

Intérieurs et décoration

Le salon de première classe.
Le restaurant style Louis XVI : la salle à manger de première classe.

En 1914 l’Aquitania propose une capacitĂ© de 3 230 passagers (dont 618 de première classe, 614 de deuxième classe et 1 198 de troisième classe). Après sa refonte de 1926, le chiffre est rĂ©duit Ă  610 passagers de première classe, 950 de deuxième classe et 640 de classe « touriste ». Les spĂ©cifications originales mentionnent 972 membres d'Ă©quipage, bien que le navire en transporte parfois près de 1 100 Ă  ses dĂ©buts, et au contraire dans les 800 avec la baisse de l'immigration et le passage Ă  la chauffe au mazout[4].

La décoration de l'Aquitania lui vaut le surnom de « The Ship Beautiful » (« Le navire de beauté »)[17]. Elle est l'œuvre d'Arthur Joseph Davis, notamment à l'origine de l'Hôtel Ritz de Londres avec son associé Charles Mewès (ce dernier s'occupe, pour sa part, de la décoration des paquebots allemands Imperator et Vaterland à la même époque)[6]. La première classe offre de nombreuses salles communes, notamment un grand salon de style palladien, un petit salon, deux jardins d'hiver, deux salons de correspondance et un fumoir de style Restauration[49]. S'y ajoutent une salle à manger de style Louis XVI (nommée, contrairement à l'habitude, « restaurant ») et un grill[50]. S'y ajoutent une piscine et un gymnase. En , au cours de la construction, la compagnie a par ailleurs décidé de retirer les bains turcs initialement prévus, à la différence des paquebots concurrents[51].

Les passagers de deuxième classe disposent d'une salle à manger, de plusieurs salons, d'un fumoir, d'un café véranda et d'un gymnase, installations uniques pour cette classe sur un paquebot britannique. Les passagers de troisième classe, pour leur part, disposent de plusieurs espaces communs et de promenades couvertes, ainsi que de trois salles de bains[49]. Les cabines offrent un grand confort. La première classe comprend notamment huit suites de grand luxe portant le nom de peintres célèbres. Un grand nombre de cabines de première classe disposent de salles de bains, bien que ce ne soit pas la totalité. Les cabines de deuxième classe sont plus spacieuses que la moyenne, destinées à deux, trois ou quatre personnes. En troisième classe, les cabines ne comportent qu'un nombre réduit de couchettes (quatre ou six) contrairement à bien des navires concurrents[6].

Au cours des trente-cinq ans de carrière de l'Aquitania, ses aménagements évoluent, avec, par exemple, l'ajout d'une salle de théâtre et cinéma durant la refonte de 1932-1933[52], ou encore la réorganisation des espaces de classe touriste dans les années 1920, afin de donner un meilleur confort aux passagers les moins fortunés[53].

Notes et références

  1. Olivier le Goff 1998, p. 37
  2. Olivier le Goff 1998, p. 33
  3. Le Mauretania avait pour sa part vu le jour dans les chantiers Swan Hunter and Wigham Richardson.
  4. Mark Chirnside 2008, p. 8
  5. (en) « Aquitania Â», The Great Ocean Liners. ConsultĂ© le 8 juin 2009
  6. Mark Chirnside 2008, p. 13
  7. Mark Chirnside 2008, p. 14
  8. Mark Chirnside 2008, p. 18
  9. Mark Chirnside 2008, p. 19
  10. (en) « Aquitania Â», Maritime Quest. ConsultĂ© le 8 juin 2009
  11. Olivier le Goff 1998, p. 52
  12. Olivier le Goff 1998, p. 28
  13. Mark Chirnside 2008, p. 23
  14. Mark Chirnside 2008, p. 26
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Annexes

Bibliographie

  • (en) Mark Chirnside, RMS « Aquitania », The Ship Beautiful, The History Press, , 96 p. (ISBN 978-0-7524-4444-4)
  • Olivier le Goff, Les Plus Beaux Paquebots du Monde, Paris, Solar, , 143 p. (ISBN 2-263-02799-8)

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