AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

RĂ©volte de Mokrani

La rĂ©volte de Mokrani, aussi appelĂ©e l’insurrection de 1871 en AlgĂ©rie, et appelĂ©e en kabyle Nnfaq [n] Urumi, issu de l’arabe littĂ©ral Ù†ÙÙŰ§Ù‚ Ű§Ù„Ű±ÙˆÙ… « l'insurrection du français »[5] ou « la guerre du français » est la plus importante insurrection contre les forces coloniales françaises depuis le dĂ©but de la conquĂȘte d’Alger en 1830. LancĂ©e le , la rĂ©volte est menĂ©e depuis le massif montagneux des Bibans en Kabylie par le cheikh el-Mokrani et son frĂšre Bou-Mezrag, tous deux rejoints par le cheikh el-Haddad (chef de la confrĂ©rie des Rahmaniyya), et elle soulĂšve environ 250 tribus, soit un tiers de la population de l’AlgĂ©rie.

RĂ©volte de Mokrani
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Carte des territoires touchés par la révolte des Mokrani (en gris)
Informations générales
Date 1871-1872
Lieu Algérie (Kabylie, Hauts Plateaux et région de Cherchell).
Casus belli Révolte de Cheikh Mokrani face à sa perte d'influence sur les tribus de la région et l'avancée de la colonisation sur ses terres.
Issue Victoire française
Changements territoriaux Chute du Royaume des Beni AbbĂšs
Belligérants
Drapeau de la France France (gouvernement de Versailles)Royaume des Beni AbbĂšs
Confrérie de la Rahmaniyya
Tribus kabyles
Paysans algériens[1]
Forces en présence
Armée d'Afrique
Supplétif indigÚnes
86 000 hommes pour la seule armée française
200 000 combattants (pas tous armés)[2]
dont 100 000 cavaliers kabyles.
Pertes
2 686 morts
Centaine de civils décédés[3]
≈ 2000 morts[4]

ConquĂȘte de l'AlgĂ©rie par la France

Cette insurrection, qui a lieu au mĂȘme moment que les insurrections communalistes, est l'une des consĂ©quences de la dĂ©faite militaire française contre l'Allemagne lors de la guerre de 1870 : le gouvernement de Versailles, qui aspire Ă  prendre le contrĂŽle de l'ensemble du territoire qu'il souhaite coloniser, est alors vu comme faible par de nombreux indigĂšnes algĂ©riens. C'est donc l'occasion pour eux de lancer une insurrection pour chasser les Français, dans un contexte de montĂ©e en puissance du pouvoir civil et de la colonisation de peuplement. Violemment rĂ©primĂ©e, la rĂ©volte est un Ă©chec et est suivie par une spoliation accrue des terres et la paupĂ©risation des populations indigĂšnes.

Contexte historique

La famille Mokrani : du prestige à la déchéance

Boumezrag El Mokrani.

Le cheikh Mohammed el-Hadj el-Mokrani (1815-1871) et son frĂšre Bou-Mezrag el-Mokrani, sont issus d’une famille de haut rang : la dynastie hafside de BĂ©jaĂŻa (Bougie-Constantine), dont Ahmed Amokrane, chef des Beni Abbes de 1556 Ă  1596, est le fondateur.

La citadelle de la KalĂąa, dans les Bibans (chaĂźne de montagnes) constituait la capitale du royaume des Beni Abbes.

Dans les annĂ©es 1830, leur pĂšre Ahmed el-Mokrani (mort Ă  Paris en 1853), se retrouve en rivalitĂ© avec un membre Ă©loignĂ© de sa famille pour la succession du trĂŽne des Beni Abbes. Ahmed el-Mokrani est finalement fait chef des Beni Abbes en 1831 et, par une alliance avec les autoritĂ©s françaises, il est reconnu comme Ă©tant le khalife de la rĂ©gion de la Medjana et assure le franchissement des Portes de Fer en 1839. Cependant, dĂšs 1845, cette alliance devient progressivement une soumission (ordonnance royale relative au statut de non alliĂ© de Ahmed el-Mokrani) et jusqu’à la fin de sa vie, il perd progressivement un certain nombre de prĂ©rogatives.

À la mort de son pĂšre, Mohammed el-Hadj el-Mokrani est dĂ©signĂ© par les Bureaux arabes comme son successeur, nĂ©anmoins avec un titre moins prestigieux[6], le titre de bachagha de la Medjana, c’est-Ă -dire de chef de la circonscription. La possession de ce titre moins prestigieux n’est que le dĂ©but d’une longue sĂ©rie d’humiliations[note 1] que subira Mohammed el-Hadj el-Mokrani par les forces coloniales françaises entre 1853 et 1870.

L'Algérie sous Napoléon III

Napoléon III

L’annĂ©e de la reddition de l’émir Abd el-Kader ibn Muhieddine (1808-1883) en 1847 marque la fin de la conquĂȘte par l’armĂ©e française de quasiment tout le nord de l’AlgĂ©rie, sinon sa soumission : Alger en 1830 ; beylik de Constantine en 1836 ; les beyliks d’Oran et du Titteri (MĂ©dĂ©a) en 1847.

Sous le Second Empire, le gĂ©nĂ©ral Jacques-Louis Randon (1795-1871)[7] mĂšne les opĂ©rations de conquĂȘtes de la Kabylie de 1851 Ă  1857[8].

Entre 1866 et 1868, la population algĂ©rienne est frappĂ©e par des catastrophes naturelles et sanitaires, ainsi que par la famine : invasion de sauterelles et annĂ©es de sĂ©cheresse, Ă©pidĂ©mies de cholĂ©ra et du typhus. Au total, prĂšs de 600 000 algĂ©riens sont morts pour cause de famine ou de maladie, soit environ 10% de la population[9] - [2].

Par ailleurs, en AlgĂ©rie de 1830 Ă  1870, le rĂ©gime dit « du sabre »[10] prime. Ce rĂ©gime est un rĂ©gime militaire reposant sur la soumission de l’AlgĂ©rie au gouvernement français et qui possĂšde Ă  sa tĂȘte un Gouverneur gĂ©nĂ©ral, exerçant son autoritĂ© sur le territoire par l’intermĂ©diaire des Bureaux Arabes (crĂ©ation en 1833), et le ministre de la Guerre[11].

Sous la DeuxiĂšme RĂ©publique, ce phĂ©nomĂšne s’accentue puisque le , l’AlgĂ©rie est proclamĂ©e comme Ă©tant « l’AlgĂ©rie française ». Puis un remodelage administratif s’impose : l’arrĂȘtĂ© du divise le territoire en deux, le territoire militaire (sous l’administration des Bureaux Arabes) et le territoire civil, situĂ© au Nord et divisĂ© en trois dĂ©partements : Alger, Constantine et Oran[12].

Le Second Empire est une pĂ©riode pouvant ĂȘtre marquĂ©e en deux temps : de 1852 Ă  1860 la pĂ©riode est autoritaire, et, de 1860 Ă  la fin de l’Empire (1870), NapolĂ©on III Ă©volue vers plus de libĂ©ralisme. Durant son rĂšgne, deux sĂ©natus-consultes sont pris. Le premier, en date du , a pour objectif de dĂ©limiter les territoires de tribus arabes et permettre d’organiser la propriĂ©tĂ© fonciĂšre et individuelle de chaque tribu. Le second sĂ©natus-consulte, en date du , autorise la naturalisation française de musulmans ou de juifs sur demande. De plus, ce sĂ©natus-consulte s’inscrit dans la continuitĂ© d’une politique libĂ©rale : le , dans une lettre Ă  destination du marĂ©chal Mac-Mahon (gouverneur gĂ©nĂ©ral de l’AlgĂ©rie), l’empereur NapolĂ©on III affirme l’idĂ©e selon laquelle l’AlgĂ©rie est fondamentalement un « royaume arabe »[6]. C’est par ailleurs cette nouvelle politique et mentalitĂ© qui va renforcer l’admiration et la fidĂ©litĂ© du cheikh el-Mokrani pour NapolĂ©on III.

NĂ©anmoins, cette politique dĂ©favorisant les colons ne dure pas.  Le , NapolĂ©on III capitule Ă  Sedan Ă  la suite du dĂ©clenchement de la guerre avec la Prusse et est fait prisonnier le [13]. Le , la TroisiĂšme RĂ©publique (1870-1940) est proclamĂ©e. La dĂ©faite française s'accentue le 19 octobre de cette mĂȘme annĂ©e par la capitulation de Bazaine Ă  Metz. Les Prussiens Ă©tablissant le siĂšge de Paris, le gouvernement français est contraint de se rĂ©fugier Ă  Tours. La question algĂ©rienne est dĂ©volue au ministre de la Justice, Adolphe CrĂ©mieux, et non pas, comme de coutume, au ministre de la Guerre.

Durant cette période (à partir de septembre 1870), l'Algérie est en proie à une certaine anarchie, il est évoqué la « Commune d'Alger » : les colons, massivement républicains et hostiles à Napoléon III, profitent de la situation pour faire avancer leurs revendications antimilitaristes ; de facto, ce sont les conseils municipaux et les comités de défense, notamment ceux d'Alger, qui détiennent l'autorité réelle[14].

Leur pression sur le gouvernement aboutit aux six décrets Crémieux du sur l'organisation de l'Algérie, dont le plus connu est celui octroyant la citoyenneté française uniquement aux Juifs indigÚnes.

Origines de l'insurrection

Comportements hostiles des Algériens à la fin du Second Empire

Selon Bernard Droz[15], un mécontentement est perceptible chez certains membres de l'aristocratie guerriÚre kabyle, bien avant la guerre franco-prussienne, en raison de leur perte d'influence et de la diminution de leurs pouvoirs en perpétuelle rivalité avec les autorités françaises coloniales.

Ce mĂ©contentement s’ajoute Ă  l'agitation des masses musulmanes, inquiĂštes de l'avĂšnement du rĂ©gime civil Ă©tabli par Adolphe CrĂ©mieux, mis en place le , et marquant donc la fin du rĂ©gime militaire en application depuis 1830. Ce nouveau rĂ©gime est interprĂ©tĂ© comme une domination accrue des colons sur les AlgĂ©riens, une stratĂ©gie de poursuite de la spoliation des terres et une perte de l'autonomie civile et judiciaire des musulmans au profit de l’administration française[6]. De plus, ce mĂȘme jour, le Gouverneur gĂ©nĂ©ral le marĂ©chal Mac-Mahon dĂ©missionne, remplacĂ© par le gĂ©nĂ©ral Louis Durrieu[16] - [17].

Les prĂ©mices de la rĂ©volte et l’insubordination du cheikh el-Mokrani

Portrait de Mac-Mahon

DĂšs le , le marĂ©chal Mac Mahon, alerte le gouvernement : « Les Kabyles resteront tranquilles aussi longtemps qu’ils ne verront pas la possibilitĂ© de nous chasser de leur pays »[8]. Plusieurs mois avant le dĂ©but de l’insurrection, l’effervescence s’empare des communautĂ©s villageoises qui, malgrĂ© l’interdiction des autoritĂ©s coloniales, Ă©lisent les tijmaain (assemblĂ©es de villages).

Le , le général Durrieu, Gouverneur général de l'Algérie, signale dans son rapport au gouvernement de la Défense nationale : « Un mouvement insurrectionnel, impossible à prévenir et susceptible de devenir général, me paraßt imminent et avec le peu de troupes dont je dispose, je ne saurais prévoir la gravité de ses conséquences »[13].

Une manifestation insurrectionnelle[18] chauffĂ©e par les remous en Kabylie, intervient en janvier 1871, sous la forme de mutineries de spahis, originellement corps de cavalerie traditionnel du dey d’Alger, intĂ©grĂ© aprĂšs la conquĂȘte de l’AlgĂ©rie Ă  l’ArmĂ©e d’Afrique dĂ©pendant de l’autoritĂ© française. Les spahis refusent d'ĂȘtre envoyĂ©s combattre en mĂ©tropole : ils estiment que leur engagement n'est valable que pour servir en AlgĂ©rie[6]. Ces mouvements, d'abord Ă  Moudjebeur, prĂšs de Boghari () et Ă  AĂŻn Guettar (dans l'actuelle commune de Khemissa prĂšs de Souk Ahras) le , atteignent ensuite El Tarf et Bouhadjar[19].

La mutinerie d'Aïn Guettar, qui représente une désertion d'une centaine d'hommes et le meurtre d'un sous-officier, prend une dimension particuliÚre par l'implication de la famille des Rezgui, dont des membres affirment que la France, vaincue par les Prussiens, n'a plus de forces et que l'heure d'une insurrection générale est venue[20]. Cet appel est écouté par les Hanenchas, dont le soulÚvement frappe la campagne (14 colons sont tués) ; Souk Ahras est assiégée du 26 au , puis reprise par une colonne française. Ce soulÚvement est ensuite réprimé par cinq condamnations à mort.

Tous ces dĂ©buts de rĂ©voltes s’inscrivent dans la continuitĂ© de la mentalitĂ© du cheikh el-Mokrani de rompre avec l'autoritĂ© française, puisque en effet, el-Mokrani essaye de dĂ©missionner Ă  trois reprises, mais les militaires lui rĂ©pondent que seul le gouvernement peut accepter celle-ci, puisqu'il ne dĂ©pend plus de l'autoritĂ© militaire. Mokrani rĂ©dige alors deux nouvelles lettres le : une premiĂšre adressĂ©e au gĂ©nĂ©ral Augereau[21] chef d’état-major pour l’AlgĂ©rie, et une seconde adressĂ©e au capitaine Ollivier, officier chargĂ© de la tutelle de Mokrani[22].

« Vous connaissez la cause qui m'Ă©loigne de vous ; je ne puis que vous rĂ©pĂ©ter ce que vous savez dĂ©jĂ  : je ne veux pas ĂȘtre l'agent du gouvernement civil. [
] Je m'apprĂȘte Ă  vous combattre ; que chacun aujourd'hui prenne son fusil. »

— Lettre du cheikh el-Mokrani au capitaine Ollivier, (Jules LIOREL, Races berbùres, Kabylie du Jurjura, 1892, p. 249)

RÎle du décret Crémieux

Décret Crémieux

Louis Rinn[23] (1891), repris par Jules Liorel [22] (1892), affirme que le dĂ©cret CrĂ©mieux du , relatif Ă  la citoyennetĂ© française aux juifs d’AlgĂ©rie, Ă©tendu plus tard Ă  un petit nombre de musulmans, a jouĂ© un rĂŽle dans le dĂ©clenchement de la rĂ©volte du cheikh el-Mokrani. D'aprĂšs Jules Liorel : « M. l’amiral de Gueydon, gouverneur gĂ©nĂ©ral, l’a fort bien dit, ce furent la naturalisation des Juifs et les audaces impunies de la presse radicale qui poussĂšrent les Arabes Ă  se rĂ©volter contre la France »[24].

Du cĂŽtĂ© de la recherche contemporaine, Richard Ayoun conteste que ce dĂ©cret soit la cause de la rĂ©volte, cette « lĂ©gende [ne s'Ă©tant] diffusĂ©e que plus tard », par « opportunisme » politique[25]. De mĂȘme, pour Maxime AĂŻt Kaki[26] (2004), attribuer la rĂ©volte au dĂ©cret CrĂ©mieux est « particuliĂšrement rĂ©pandu dans les milieux antisĂ©mites français ».

Le déroulement de l'insurrection

L'extension de la zone insurgée

Attaque de Bordj Bou Arreridj par les hommes du cheikh El Mokrani — Gravure de LĂ©on Morel-Fatio, L'Illustration, 1871.

Le , date de sa prise en main par Mokrani[22], le cheikh lance six mille hommes Ă  l'assaut de Bordj Bou Arreridj[27].

Le , les troupes françaises reprennent le contrĂŽle de la plaine de la Medjana[note 2] par la colonne Bonvallet[13]. Le mĂȘme jour, le cheikh el-Haddad, chef de la confrĂ©rie des Rahmaniyya, proclame que le ProphĂšte lui est apparu et appelle Ă  la guerre sainte au marchĂ© des Mcisna Ă  Seddouk[22]. AussitĂŽt 150 000 Kabyles se soulĂšvent[28] pour participer Ă  ce qu'ils appellent en berbĂšre Nnfaq [n] Urumi, la « guerre du Français »[5] - [29]. « L’insurrection s’étendit tout le long du littoral, depuis les montagnes qui ferment Ă  l’est la Mitidja jusqu’aux abords de Constantine. Au sud de cette derniĂšre ville, elle se propagea dans la rĂ©gion accidentĂ©e du Belezma ; elle se relia aux mouvements partiels jusqu’alors localisĂ©s vers la frontiĂšre et dans le Sahara oriental Belezma », relate en 1896 Maurice Wahl[30], ancien inspecteur gĂ©nĂ©ral de l’instruction publique aux colonies. Par ailleurs, le fils du cheikh el-Haddad, Aziz, est nommĂ© « Ă©mir des soldats de la guerre sainte » et les khouans (rĂ©seau des affiliĂ©s Ă  la Rahmaniyya) de la Rahmaniyya entrent dans la rĂ©bellion[6].

NĂ©anmoins, contrairement au cheikh al-Haddad, Mokrani espĂ©rait une issue pacifique. Le , par deux lettres adressĂ©es au prĂ©sident de la RĂ©publique française, Adolphe Thiers, al-Mokrani demande des nĂ©gociations, mais le gouvernement de la DĂ©fense nationale refuse. Ainsi, par un engouement populaire et une alliance implicite entre les cheikh al-Haddad et al-Mokrani, les insurgĂ©s progressent vers Alger : le , ils prennent le village de Palestro, 60 km Ă  l'est d'Alger, avant d'atteindre le territoire des AĂŻth AĂŻcha, oĂč ils brĂ»lent le village colonial du Col des BĂ©ni AĂŻcha[31].

En avril, 250 tribus sont soulevées, prÚs du tiers de la population algérienne. L'insurrection est forte de cent mille moudjahidines, mais manquant d'armes de guerre et de coordination, elle lance surtout des opérations ponctuelles et désordonnées[15].

La contre-attaque française

L’autoritĂ© militaire est obligĂ©e de renforcer l'armĂ©e d’Afrique : l’amiral de Gueydon, nommĂ© gouverneur gĂ©nĂ©ral le 1871, en remplacement du Commissaire extraordinaire Alexis Lambert, mobilise 22 000 soldats[2] et met en place un dispositif militaire supĂ©rieur Ă  celui qui avait permis d’asservir la rĂ©gion en 1857.

Les insurgĂ©s qui avancent de Palestro vers Alger sont arrĂȘtĂ©s Ă  l’Alma le ; le [2], Mohammed el-Mokrani meurt au combat prĂšs de l’oued Soufflat[note 3] touchĂ© par le gĂ©nĂ©ral CĂ©rez dans le village d’AĂŻn Bessem[6] : « dans une rencontre avec les troupes du gĂ©nĂ©ral Saussier, il descendit de cheval et, gravissant lentement, la tĂȘte haute, l’escarpement d’un ravin balayĂ© par notre mousqueterie, il reçut la mort, qu’aux dires des tĂ©moins de cette scĂšne Ă©mouvante il cherchait, orgueilleux et fier comme il eut fait du triomphe[27]  », affirme le rapport du gouvernement de la dĂ©fense nationale français sur ces Ă©vĂ©nements.

Le , le gouverneur gĂ©nĂ©ral, l’amiral de Gueydon dĂ©clare l'Ă©tat de siĂšge[32]. Les troupes françaises (vingt colonnes) marchent sur Dellys et DraĂą El Mizan. Le , le fils Aziz al-Haddad se rend et le [33] le cheikh al-Haddad est capturĂ©, aprĂšs la bataille d'Icheriden. L’insurrection ne prend dĂ©finitivement fin qu’aprĂšs la capture de Bou-Mezrag, le [34].

La répression

Affiche administrative (1871). Mise sous séquestre des biens d'El Mokrani.

Au cours des opérations militaires, on compte une centaine de morts chez les Européens et des pertes inconnues chez les civils autochtones[2].

La rĂ©pression pĂ©nale est menĂ©e sous le gouverneur gĂ©nĂ©ral de Gueydon. Elle se traduit par trois sanctions attribuĂ©es aux insurgĂ©s mais Ă©galement Ă  leur famille et plus gĂ©nĂ©ralement aux tribus ayant participĂ© Ă  l’insurrection : la contribution de guerre, la sĂ©questration de biens et terres des tribus et enfin le jugement en Cour d’assise des insurgĂ©s, en effet, l’AlgĂ©rie est française[17]. Plus de 200 Kabyles[35] sont internĂ©s et de nombreuses dĂ©portations ont lieu Ă  Cayenne ou en Nouvelle CalĂ©donie (on parle des « AlgĂ©riens du Pacifique »), dont la plupart ne seront amnistiĂ©s qu’en 1895[36]. Bou-Mezrag al-Mokrani quant Ă  lui, est exilĂ© en Nouvelle CalĂ©donie et condamnĂ© Ă  la peine de mort, mais il sera graciĂ© en 1878 aprĂšs avoir participĂ© Ă  la rĂ©pression de l’insurrection de canaque (kanak)[6].

Concernant la contribution de guerre, les tribus kabyles se voient infliger une contribution s’élevant Ă  environ 36 millions de francs-or. 450 000 hectares de terre sont confisquĂ©s et distribuĂ©s aux nouveaux colons, dont beaucoup sont des rĂ©fugiĂ©s d’Alsace-Lorraine (Ă  la suite de l'annexion allemande), en particulier dans la rĂ©gion de Constantine[35] - [2].

La rĂ©pression et les confiscations sont le rĂ©sultat de l’exil de nombreux kabyles en Tunisie, en Égypte et en Syrie[2].

Plongée dans le dénuement, la population vit durement cette répression, dont la mémoire est transmise par la littérature et la poésie orale.

Au regard de l'histoire, la rĂ©volte de Mokrani reste la « premiĂšre grande insurrection contre la colonisation française »[13], « la plus importante, par son ampleur et son issue tragique, depuis le dĂ©but de la conquĂȘte en 1830 »[35] et le dernier soulĂšvement armĂ© de toute l’AlgĂ©rie avant celui de 1954.

Notes et références

Notes

  1. Voir la page consacrée au cheikh pour le détail des avanies qu'il subit.
  2. À cette date, le bordj de Medjana n'existe pas encore (il date de 1874).
  3. L'oued Soufflat se situe Ă  mi-chemin entre Lakhdaria (Palestro) et Bouira.

Références

  1. Achour Cheurfi, La révolution algérienne (1954-1962): Dictionnaire biographique, Casbah éditions, 2004, 495 pages, p. 144.
  2. Michelle ZANCARINI-FOURNEL, Les luttes et les rĂȘves : Une histoire populaire de la France de 1685 Ă  nos jours, Paris, Éditions La DĂ©couverte, , 995 p. (ISBN 978-2-35522-088-3), chap. 9 (« Les communes, le peuple au pouvoir ? »), p. 375.
  3. http://encyclopedieberbere.revues.org/1410 « Au point de vue militaire, on a sans doute exagĂ©rĂ© l’importance de l’insurrection. La majeure partie de l’AlgĂ©rie refusa de suivre le mouvement et les IndigĂšnes restĂ©s fidĂšles prirent une part importante Ă  la lutte contre les insurgĂ©s. Si ceux-ci totalisĂšrent 200 000 combattants beaucoup n’étaient certainement pas armĂ©s de fusils et, pour l’emporter, la France ne fit intervenir dans ses colonnes que 22 000 hommes y compris les troupes rĂ©guliĂšres indigĂšnes. Si on dĂ©nombra plus de 340 combats, du cĂŽtĂ© français on enregistra 2 686 dĂ©cĂšs dont plus de la moitiĂ© imputables aux maladies. Les pertes civiles s’élevĂšrent Ă  une centaine d’hommes chez les EuropĂ©ens mais ne peuvent ĂȘtre prĂ©cisĂ©es pour les IndigĂšnes. »
  4. « Si les Français perdent 2686 hommes, dont plus de la moitiĂ© par maladies, le chiffre des tuĂ©s algĂ©riens est impossible Ă  estimer, la plus faible des Ă©valuations Ă©tant de 2000 victimes d'exĂ©cutions sommaires ». https://books.google.fr/books?id=7GIEBgAAQBAJ&pg=PA90&dq=%22impossible+%C3%A0+estimer,+la+plus+faible%22&hl=fr&sa=X&ei=aKwuVcC0DY7baqWjgLgK&ved=0CCEQ6AEwAA#v=onepage&q=%22impossible%20%C3%A0%20estimer%2C%20la%20plus%20faible%22&f=false - Catalogue de l’exposition L’AlgĂ©rie Ă  l’ombre des armes, 1830 – 1962.
  5. Jean-Marie DALLET, Dictionnaire kabyle-français, (présentation en ligne), p. 551
  6. Xavier YACONO, « Kabylie : L'insurrection de 1871 », OpenEdition Journals,‎ (lire en ligne)
  7. Yvette KATAN BENSAMOUN, Le Maghreb De l'empire ottoman à la fin de la colonisation française, Editions Belin, , p. 61, chapitre 3
  8. Charles-Robert AGERON, « La politique kabyle sous le Second Empire », PersĂ©e,‎ (lire en ligne)
  9. Yvette KATAN BENSAMOUN, Le Maghreb De l'empire ottoman à la fin de la colonisation française, Editions Belin, , p. 84, chapitre 3
  10. Idir HACHI, « Nnfaq[n]Urumi : le nom kabyle de l’insurrection de 1871 », OpenEdition Journals, no 82,‎ , p. 101-112 (e-ISSN 2253-0738, lire en ligne)
  11. Damien LORCY, « Sous le régime du sabre », sur www.pur-editions.fr, (ISBN 978-2-7535-1467-6)
  12. Yvette KATAN BENSAMOUN, Le Maghreb De l'empire ottoman à la fin de la colonisation française, Editions Belin, , p. 65, chapitre 3
  13. Pierre DARMON, « 1871 : le bachaga Mokrani fait trembler la France », L'Histoire, no 78 (collections),‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  14. Yvette KATAN BENSAMOUN, Le Maghreb De l'empire ottoman à la fin de la colonisation française, Editions Belin, , p. 87, chapitre 4
  15. Bernard DROZ, « Insurrection de 1871: la révolte de Mokrani », dans Jeannine VERDÈS-LEROUX (dir.), L'Algérie et la France, Paris, Robert Laffont 2009, p. 474-475 (ISBN 978-2-221-10946-5).
  16. Yvette KATAN BENSAMOUN, Le Maghreb De l'empire ottoman à la fin de la colonisation française, Editions Belin, , p. 88
  17. Pierre DARMON, « La révolte du bachaga Mokrani », sur https://www.lhistoire.fr,
  18. Charles-AndrĂ© JULIEN, Histoire de l'AlgĂ©rie contemporaine La conquĂȘte et les dĂ©buts de la colonisation (1827-1871), PUF, , p.475-476
  19. Tous ces lieux sont mentionnĂ©s dans l'ouvrage de Charles-AndrĂ© JULIEN, Histoire de l'AlgĂ©rie contemporaine La conquĂȘte et les dĂ©buts de la colonisation (1827-1871), PUF, 1967.
  20. Charles-AndrĂ© Julien, Histoire de l'AlgĂ©rie contemporaine La conquĂȘte et les dĂ©buts de la colonisation (1827-1871), PUF, 1967, p. 476.
  21. Lettre de Mokrani au GĂ©nĂ©ral Augerand, dans le Rapport de M. LĂ©on de La SicotiĂšre au nom de la « Commission d’EnquĂȘte sur les actes du Gouvernement de la DĂ©fense Nationale », Versailles, Cerf et fils, 1875, p. 768.
  22. Jules LIOREL, Races berbĂšres, Kabylie du Jurjura, Paris, (lire en ligne), p. 247-249
  23. « Louis RINN (1838-1905) », sur data.bnf.fr (consulté le )
  24. Jules LIOREL, Races berbĂšres, Kabylie du Jurjura, 1892, p. 243
  25. Richard Ayoun, « Le dĂ©cret CrĂ©mieux et l'insurrection de 1871 en AlgĂ©rie », Revue d'histoire moderne et contemporaine, tome XXXV, Paris, Presses universitaires de France, no 1,‎ (lire en ligne).
  26. Maxime AIT KAKI, De la question berbùre au dilemme kabyle à l'aube du XXIe siùcle, Éditions L'Harmattan, , 317 p. (ISBN 978-2-7475-5728-3, lire en ligne).
  27. Jean JOLLY, Histoire du continent africain : de la prĂ©histoire Ă  1600, vol. 1, Éditions L'Harmattan, , 236 p. (ISBN 978-2-7384-4688-6, prĂ©sentation en ligne).
  28. Phillip C. Naylor, Historical Dictionary of Algeria, Scarecrow Press, , 640 p. (ISBN 978-0-8108-6480-1, présentation en ligne).
  29. Youcef ALLIOUI, , L’Harmattan, 2008, p. 32 (ISBN 978-2-296-04961-1)
  30. Maurice WAHL, La France aux colonies, Paris, Librairies-Imprimeries réunies, .
  31. (en) [Strahan] L[isbeth] G[ooch] (Seguin), Walks in Algiers and Its Surrounding, , 502 p. (lire en ligne), p. 479.
  32. Bulletin officiel du gouvernement général de l'Algérie, vol. 11, Alger, Bouyer, (présentation en ligne).
  33. Pierre DARMON, Un siĂšcle de passions algĂ©riennes : Histoire de l’AlgĂ©rie coloniale (1830-1940), Fayard, , 936 p. (ISBN 978-2-213-65399-0, prĂ©sentation en ligne).
  34. Pierre MONTAGNON, La conquĂȘte de l'AlgĂ©rie : Les germes de la discorde, Éditions Flammarion, , 470 p. (ISBN 978-2-7564-0877-4, prĂ©sentation en ligne).
  35. « Cheikh El Mokrani (1815-1871) Le chef de la Commune kabyle, en guerre contre la colonisation (43) », L'HumanitĂ©,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  36. Léon DEVAMBEZ, « Camp des déportés arabes à la presqu'ile Ducos », Archives nationales d'outremer (consulté le ).

Voir aussi

Bibliographie

Sur l'Algérie
  • Charles-AndrĂ© JULIEN, Histoire de l'AlgĂ©rie contemporaine 1. La conquĂȘte et les dĂ©buts de la colonisation (1830-1871), Paris, PUF, 1964, chapitre IX.
  • Youcef ALLIOUI, La sagesse des oiseaux : Contes Kabyles-Timucuha - Bilingue berbĂšre-français, L’Harmattan, , 216 p. (ISBN 978-2-296-04961-1 et 2-296-04961-3). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • Yvette KATAN BENSAMOUN, Le Maghreb : De l'empire ottoman Ă  la fin de la colonisation française, 2007, Editions Belin, Chapitre 3 et 4
Sur l'insurrection
  • Mouloud GAÏD, Mokrani, Alger, Éditions Andalouses, , 217 p.
  • Tahar OUSSEDIK, Mouvement insurrectionnel de 1871, Alger, ENAG Éditions, , 183 p. (ISBN 9961-62-418-1).
  • Djilali SARI, L'insurrection de 1871, Alger, SNED, , 53 p.
  • Rapport de M. LĂ©on de La SicotiĂšre au nom de la « Commission d’EnquĂȘte sur les actes du Gouvernement de la DĂ©fense Nationale », Versailles, Cerf et fils, 1875.
  • FĂ©lix HUN, Des effets du sĂ©questre chez les Kabyles, Ă©dition autographe, 1872, 38 p.

Articles connexes

Articles externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.