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Pouvoir tampon des couples redox minéraux

Le pouvoir tampon redox définit en pétrologie géochimique un assemblage de minéraux et de composés qui ont pour effet apparent d'astreindre la fugacité d'oxygÚne à dépendre de la température. La fugacité d'oxygÚne correspond à la pression partielle d'oxygÚne mesurée à partir d'un milieu d'évolution minéralogique ou réacteur chimique de synthÚse de pierres ou de roches, maintenu à pression constante[1]. La fugacité d'oxygÚne caractéristique permet d'ordonner ici les couples redox, du plus réducteur au plus oxydant[2].

La connaissance des potentiels des couples d'oxydorĂ©duction minĂ©raux en prĂ©sence ou de maniĂšre Ă©quivalente, la dĂ©termination ou l'estimation des fugacitĂ©s d'oxygĂšne correspondantes, Ă  laquelle une roche se forme ou Ă©volue, peut ĂȘtre cruciale pour interprĂ©ter sa genĂšse et son histoire[3]. Le fer, le soufre et le manganĂšse figurent parmi les Ă©lĂ©ments de la croĂ»te terrestre les plus abondants. Or ils y sont prĂ©sents Ă  diffĂ©rents degrĂ©s d'oxydation. Par exemple, le fer quatriĂšme en abondance peut s'y trouver Ă  l'Ă©tat natif, Ă  l'Ă©tat ferreux (Fe2+) ou ferrique (Fe3+). Le potentiel redox d'une roche dĂ©termine effectivement les proportions relatives de l'Ă©tat d'oxydation des Ă©lĂ©ments dans ces composĂ©s minĂ©raux. Si une roche recĂšle des minĂ©raux constitutifs d'un couple redox Ă  effet tampon, alors la fugacitĂ© d'oxygĂšne Ă  l'Ă©quilibre est dĂ©finie par des courbes ou diagramme d'Ă©quilibre de la fugacitĂ© en fonction de la tempĂ©rature. Les autres roches Ă  partir de minĂ©raux adĂ©quats peuvent ĂȘtre mieux connues, les fugacitĂ©s d'oxygĂšne calculĂ©es et les conditions redox obtenues par comparaison des diagrammes d'Ă©quilibre.

Effet tampon de couples redox bien connu en minéralogie

Diagramme fugacitĂ© d'oxygĂšne en fonction de la tempĂ©rature. AbrĂ©viations anglo-saxonnes : MH = (magnĂ©tite-hĂ©matite) ; NiNiO = (nickel-oxyde de nickel), FMQ = (fayalite-magnetite-quartz) ; WM = (wustite-magnĂ©tite) ; IW = (fer-wustite) ; QIF = (quartz-fer-fayalite). Voici les rĂ©sultats d'Ă©tudes expĂ©rimentales, Ă  une pression constante globale d'1 bar et pour les principaux couples redox minĂ©raux Ă  pouvoir tampon citĂ©s, reprĂ©sentĂ©s par les courbes Logarithme de la fugacitĂ© d'oxygĂšne en fonction de la tempĂ©rature. Les courbes tracĂ©es Ă  partir d'algorithmes proviennent du volume 25, intitulĂ© « Oxide Minerals: Petrologic and Magnetic Significance Â» dirigĂ© par B.R. Frost et Ă©ditĂ© par D.H. Lindsley en 1991 sous l'Ă©gide de Reviews in Mineralogy appartenant Ă  la Mineralogical Society of America.

Pouvoir tampon connu

La pétrologie et la géochimie expérimentales ont permis en laboratoire de développer cette approche de pouvoir tampon, via les mesures de fugacité d'oxygÚne au cours de processus isobare de modélisation expérimentale, le but étant de mieux expliquer la stabilité des minéraux et l'histoire des roches qu'ils constituent par leur assemblage en équilibre. Chacune des courbes du diagramme fugacité-température caractérise une réaction d'oxydoréduction stabilisée par effet tampon. Les pouvoirs tampons des couples redox sont indiqués ci-dessous par ordre décroissant de fugacité d'oxygÚne à une température donnée, soit des conditions de milieu les plus oxydantes au plus réductrices dans la gamme de température. Tant que les minéraux purs ou leurs composés équivalents sont présents dans l'assemblage à pouvoir tampon, les critÚres d'oxydation sont déterminés par la courbe pour cet effet. Pour comprendre l'usage et la pertinence des méthodes expérimentales isobares, il faut savoir que les pressions n'ont qu'une influence trÚs faible sur ces pouvoirs tampons dans les conditions trouvées au sein de la croûte terrestre.

MH magnétite-hématite

4 Fe3O4 + O2 = 6 Fe2O3

NiNiO nickel-oxyde de nickel

2 Ni + O2 = 2 NiO

FMQ fayalite-magnétite-quartz

3 Fe2SiO4 +O2 = 2 Fe3O4 + 3 SiO2

WM wustite-magnétite

3 Fe1-xO + O2 ~ Fe3O4

IW fer-wustite

2(1-x) Fe + O2 = 2 Fe1-xO

QIF quartz-fer-fayalite

2 Fe + SiO2 + O2 = Fe2SiO4

Minéraux, roches types et pouvoir tampon des couples minéraux redox spécifiques

Remarque préalable sur le fer

Le rapport Fe2+ sur Fe3+ au sein d'une roche dĂ©termine en partie l'assemblage de silicates et d'oxydes. Une roche d'une composition chimique donnĂ©e peut contenir du fer parmi ses minĂ©raux, que ce soit dans leurs compositions chimiques globales ou leurs phases minĂ©rales, soit du fer stable Ă  tempĂ©rature et pression de la roche. En milieu oxydant Ă©quilibrĂ© par le tampon redox MH (magnĂ©tite-hĂ©matite), la plupart du fer l'est sous forme Fe3+ et l'hĂ©matite est le minerai le plus favorisĂ© au sein des roches contenant du fer. Le fer peut seulement pĂ©nĂ©trer concrĂštement dans les minĂ©raux tels que l'olivine s'il est Ă  l'Ă©tat Fe2+ ; Fe3+ ne peut rentrer dans le rĂ©seau de la fayalite ou de l'olivine. Les Ă©lĂ©ments dans l'olivine tels que le magnĂ©sium, cependant, stabilisent l'olivine contenant du Fe2+ dans des conditions plus oxydantes que celles requises pour une fayalite stable. Les solutions solides entre magnĂ©tite et ulvöspinelle, dernier membre contenant du titane, Ă©largissent Ă©videmment le domaine de stabilitĂ© de la magnĂ©tite. De mĂȘme, en condition rĂ©ductrice en Ă©quilibre tampon IW (fer-wustite), les minĂ©raux tels que le pyroxĂšne peuvent toujours contenir du Fe3+. La prise en compte du pouvoir tampon redox ne reprĂ©sente en consĂ©quence qu'une façon bien approximative de connaĂźtre les proportions de Fe2+ et Fe3+ dans les minĂ©raux et les roches.

Roches ignées

Les roches magmatiques cristallisent communĂ©ment Ă  des fugacitĂ©s ou pressions partielles d'oxygĂšne plus importantes ou oxydantes que le tampon redox WM (wĂŒstite-magnĂ©tite) et surtout moins rĂ©ductrices que la base zĂ©ro (log 1) soit au-dessus du tampon redox nickel Ni-oxyde de nickel NiO. Ces conditions oxydantes ne sont ainsi pas trĂšs Ă©loignĂ©es du triple Ă©quilibre redox FMQ ou fayalite-magnĂ©tite-quartz. NĂ©anmoins il y a toujours des diffĂ©rences systĂ©matiques qui les relient Ă  une mise en place tectonique, spĂ©cifiquement locale. Les roches ignĂ©es d'origine magmatique prennent place par surgissement au niveau des arcs volcaniques insulaires en montrant des mesures de fugacitĂ© d'oxygĂšne une ou deux unitĂ©s logarithmiques, plus oxydante que le tampon Ni-NiO. Par contraste, les roches basiques, comme les basaltes et les gabbros, en dehors des arcs volcaniques donnent des fugacitĂ©s de l'ordre de grandeur de celles de l'Ă©quilibre FMQ Ă  une unitĂ© logarithmique prĂšs, voire souvent plus faibles, donc plus rĂ©ductrices que ce dernier tampon redox.

Roches sédimentaires

Les conditions oxydantes se rencontrent frĂ©quemment dans les dĂ©pĂŽts sĂ©dimentaires, et se poursuivent au cours de la diagenĂšse de nombreuses roches sĂ©dimentaires. La fugacitĂ© d'oxygĂšne caractĂ©ristique du tampon redox MH magnĂ©tite-hĂ©matite est seulement de l'ordre de 10−70 Ă  25 °C mais cela correspond Ă  0,2 atmosphĂšre de l'atmosphĂšre terrestre, ce qui prouve que ce milieu est bien plus oxydant que celui des magmas. Il ne faut toutefois pas oublier que d'autres environnements sĂ©dimentaires peuvent aussi ĂȘtre relativement rĂ©ducteurs, en particulier celui des shales noirs.

Roches métamorphiques

Les fugacités d'oxygÚne au cours du métamorphisme grimpent à des valeurs plus élevées que celles des milieux magmatiques, parce que les compositions les plus oxydées sont souvent des héritages des dépÎts sédimentaires. De l'hématite quasi-pure est bien présente dans les formations rubanées. Au contraire, du fer et du nickel natif se retrouvent dans certaines serpentinites.

Roches extraterrestres

Au sein des météorites, le couple fer-wustite semble posséder un pouvoir tampon efficace, adéquat pour décrire la fugacité de ce type de systÚme extra-terrestre.

Équilibre redox et soufre

Les minĂ©raux sulfurĂ©s, tels que la pyrite (FeS2) et la pyrrhotite (Fe1-xS), sont prĂ©sents dans de nombreux gisements de minerais. La pyrite et son polymorphe, la marcassite, sont donc importantes dans plusieurs dĂ©pĂŽts de charbon et de shales. Ces minĂ©raux sulfurĂ©s se forment dans des environnements moins rĂ©ducteurs qu'Ă  la surface de la Terre. Une fois en contact avec les eaux de surface oxydantes, les sulfures rĂ©agissent, permettant la formation des sulfates, c'est-Ă -dire le remplacement de l'anion sulfure par l'anion SO42−[4]. Les eaux deviennent acides et chargĂ©es d'une gamme trĂšs variĂ©e d'Ă©lĂ©ments et de composĂ©s, dont certains sont potentiellement trĂšs toxiques. Les implications et consĂ©quences Ă  long terme pour l'ƓcumĂšne sont parfois nocives, notamment concernant les eaux acides d'Ă©vacuation de mines[5].

L'oxydation du soufre en sulfate ou dioxyde de soufre apparaĂźt importante Ă  la suite des Ă©ruptions volcaniques produisant d'abondantes et inhabituelles quantitĂ©s de soufre, telles celles du Pinatubo en 1991 et du El ChichĂłn en 1982. Ces Ă©ruptions rejettent d'Ă©normes quantitĂ©s de gaz sulfurĂ©s ou soufrĂ©s, notamment du dioxyde de soufre, dans l'atmosphĂšre terrestre, influençant la qualitĂ© de l'air et le climat global de la planĂšte. Les magmas peuvent ĂȘtre oxydants, presque deux unitĂ©s logarithmiques au-dessus du tampon redox Ni-NiO. Le sulfate de calcium, l'anhydrite sont prĂ©sents comme phĂ©nocristaux au sein des Ă©jectas libĂ©rĂ©s par l'Ă©ruption. Par contraste, les sulfures contiennent la plupart du soufre des magmas, Ă  l'Ă©tat plus rĂ©duit que l'Ă©quilibre du tampon redox FMQ.

Références

  1. Le traitement modélisateur emprunte à la notion de gaz parfait, la fugacité étant un facteur correctif de la pression.
  2. Elle représente donc indirectement une mesure du potentiel d'oxydo-réduction.
  3. De mĂȘme, l'Ă©tude chimique des phĂ©nomĂšnes d'oxydorĂ©duction en phase sĂšche permet un classement des corps purs ou composĂ©s par pouvoir rĂ©ducteur croissant, ou encore en voie humide, le classement des espĂšces chimiques prĂ©sentes ou apparues en solution. Il reste que de telles approches descriptives, fournisseuses de donnĂ©es quantitatives, ignorent tout facteur cinĂ©tique ou autres phĂ©nomĂšnes de catalyse, de mĂ©ta-Ă©quilibre, d'amorçage rĂ©actif, de facteur d'encombrement local ou de pression microscopique.
  4. Sans rentrer dans le rÎle biochimique des micro-organismes qui véritablement orientent et maßtrisent les transformations chimiques dans ses roches, encore souvent chaudes.
  5. MĂȘme remarque sur les pollutions souvent rĂ©manentes des usines de traitements de mĂ©taux lourds, Ă  commencer par le plomb ou le mercure.

Bibliographie

  • Bernard Bonin, Jean-François Moyen, Magmatisme et roches magmatiques, Sciences de la Terre, Éditeur Dunod, 3e Ă©d. 2011, 320 p. (ISBN 9782100562367). DĂ©finition de la fugacitĂ© d'oxygĂšne et des gaz magmatiques pp 223–224.
  • Donald H. Lindsley (Ă©diteur), Oxide minerals: petrologic and magnetic significance, Mineralogical Society of America Reviews in Mineralogy, vol. 25, 509 p. (1991) (ISBN 0-939950-30-8). D'oĂč provient les courbes du « Diagramme fugacitĂ© d'oxygĂšne en fonction de la tempĂ©rature Â».
  • Bruno Scaillet et Bernard W. Evans, The 15 June 1991 Eruption of Mount Pinatubo. I. Phase Equilibria and Pre-eruption P–T–fO2–fH2O Conditions of the Dacite Magma, Journal of Petrology, vol. 40, p. 381-411 (1999).
  • H.St.C. O'Neill et V. J. Wall, The Olivine—Orthopyroxene—Spinel Oxygen Geobarometer, the Nickel Precipitation Curve, and the Oxygen Fugacity of the Earth's Upper Mantle, Journal of Petrology, vol. 28, issue 6, 1987, p. 1169-1191, DOI 10.1093/petrology/28.6.1169
  • Haggerty, S. E. (1978), The redox state of planetary basalts, Geophys. Res. Lett., 5: 443–446, DOI 10.1029/GL005i006p00443
  • Fabrice Gaillard, ContrĂŽles thermodynamiques et cinĂ©tiques des Ă©tats d'oxydation du fer dans les liquides silicatĂ©s magmatiques : ExpĂ©rimentation, ModĂ©lisation, Applications et simulations, GĂ©ologie appliquĂ©e, universitĂ© d'OrlĂ©ans, 2001, ThĂšse

Pour aller plus loin en pétrologie

Voir aussi

Articles connexes

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