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PolynĂŽme de Tutte

Le polynĂŽme de Tutte, aussi appelĂ© polynĂŽme dichromatique ou polynĂŽme de Tutte–Whitney, est un polynĂŽme invariant de graphes dont les valeurs expriment des propriĂ©tĂ©s d'un graphe. C'est un polynĂŽme en deux variables qui joue un rĂŽle important en thĂ©orie des graphes et en combinatoire. Il est dĂ©fini pour tout graphe non orientĂ© et contient des informations liĂ©es Ă  ses propriĂ©tĂ©s de connexitĂ©.

L'importance de ce polynĂŽme provient des informations qu'il contient sur le graphe . ÉtudiĂ© au dĂ©part dans le cadre de la thĂ©orie algĂ©brique des graphes comme une gĂ©nĂ©ralisation des problĂšmes d'Ă©numĂ©ration liĂ©s Ă  la coloration de graphes, il contient diverses spĂ©cialisations Ă  d'autres disciplines, comme le polynĂŽme de Jones en thĂ©orie des nƓuds, les fonctions de partitions liĂ©es au modĂšle de Potts (en) en physique statistique, le polynĂŽme Ă©numĂ©rateur des poids en thĂ©orie des codes, le polynĂŽme de fiabilitĂ© en thĂ©orie des rĂ©seaux. Tous peuvent ĂȘtre exprimĂ©s comme des spĂ©cialisations du polynĂŽme de Tutte. Il est aussi Ă  la source de divers problĂšmes algorithmiques en informatique thĂ©orique. L'interprĂ©tation combinatoire des polynĂŽmes de Tutte est en Ă©troite relation avec l’énumĂ©ration d'objets combinatoires par des mĂ©thodes de langages formels et sĂ©ries formelles non commutatives[1]

Les polynĂŽmes de Tutte ont plusieurs nom et dĂ©finitions Ă©quivalents. Un polynĂŽme de Tutte est Ă©quivalent au rang polynomial de Whitney, au polynĂŽme dichromatique de Tutte et au random cluster model de Fortuin–Kasteleyn par des transformations simples. C'est essentiellement une sĂ©rie gĂ©nĂ©ratrice comptant les ensembles d'arĂȘtes d'une taille de composantes connexes donnĂ©s, avec une gĂ©nĂ©ralisation naturelle aux matroĂŻdes. C'est Ă©galement l'invariant de graphes le plus gĂ©nĂ©ral dĂ©finissable par une rĂ©currence de type suppression-contraction. Plusieurs livres de thĂ©orie des graphes ou de matroĂŻdes consacrent des chapitres entiers aux polynĂŽmes de Tutte[2] - [3] - [4].

Le polynĂŽme est le polynĂŽme de Tutte du graphe taureau. La ligne rouge indique l'intersection avec le plan , Ă©quivalent au polynĂŽme chromatique.

DĂ©finitions et exemples

DĂ©finitions Ă©quivalentes

Soit un graphe non orientĂ©, avec ensemble de sommets et ensemble d'arĂȘtes . Pour , on note le graphe partiel qui a les mĂȘmes sommets que , et ses arĂȘtes dans .

Definition.- Le polynÎme de Tutte d'un graphe est le polynÎme défini par :

,

oĂč est le nombre de composantes connexes du graphe . L'exposant du deuxiĂšme facteur est le nombre cyclomatique de .

On peut donner une formulation lĂ©gĂšrement diffĂ©rente de la mĂȘme dĂ©finition en posant

,

oĂč est le rang de Whitney du graphe . La fonction gĂ©nĂ©ratrice des rangs de Whitney est dĂ©finie par :

.

Les deux fonctions sont Ă©quivalentes par un simple changement de variables. On a en effet :

.

Le polynÎme dichromatique de Tutte résulte d'une autre transformation simple. On a :

.

Définition originale.- La définition originale de de Tutte est équivalente, mais moins facile à formuler. Pour un graphe connexe , on a

oĂč est le nombre d'arbres couvrants d'« activitĂ© interne » et d' « activitĂ© interne » [5].

Contraction-suppression.- Une troisiĂšme dĂ©finition est par rĂ©currence sur la suppression d'arĂȘtes. La contraction d'arĂȘte d'un graphe produit le graphe obtenu en fusionnant les sommets et et en supprimant l'arĂȘte . On note le graphe oĂč l'on a seulement supprimĂ© l'arĂȘte , sans fusionner ses deux extrĂ©mitĂ©s. Le polynĂŽme de Tutte est dĂ©fini par rĂ©currence par

selon que est boucle un isthme, ou ni l'un ni l'autre, avec la condition initiale

si ne contient pas d'arĂȘte.

Le « random cluster model » de la mécanique statistique dû à Fortuin et Kasteleyn 1972 fournit encore une autre définition équivalente[6] : Le polynÎme

est lié à par la transformation [7] :

Propriétés

Le polynĂŽme de Tutte se factorise pour les composantes connexes : Si est l'union disjointe de graphes et , alors

.

Si est un graphe planaire et si dénote son graphe dual, alors

.

En particulier, le polynĂŽme chromatique d'un graphe planaire est le polynĂŽme de flot de son dual.

Exemples

Deux graphes isomorphes ont mĂȘme polynĂŽme de Tutte, mais la rĂ©ciproque est fausse. Par exemple, le polynĂŽme de Tutte de tout arbre ayant arĂȘtes est .

Un polynĂŽme de Tutte peut ĂȘtre donnĂ© sous forme de table, en prĂ©sentant dans un tableau le coefficient de en ligne et colonne . Par exemple, le polynĂŽme de Tutte du graphe de Petersen, qui est :

est donné par la table suivante :

03684753591
361681716510
12024010515
18017030
17070
11412
56
21
6
1

Un autre exemple, est le polynÎme de Tutte du graphe octaédrique et :

Note historique

L'intĂ©rĂȘt de W. T. Tutte pour la formule de contraction-suppression remonte Ă  ses Ă©tudes undergraduate au Trinity College de Cambridge, motivĂ© par les rectangles parfaits (en) et les arbres couvrants. Il a utilisĂ© souvent la formule dans ses recherches et se demandait « s'il existait d'autres invariants de graphes intĂ©ressants, aussi invariants par isomorphisme, avec des formules semblables »[8]. Ronald M. Foster avait dĂ©jĂ  observĂ© que le polynĂŽme chromatique Ă©tait de cette nature, et Tutte commençait Ă  en dĂ©couvrir d'autres. Il appelait au dĂ©but W-function, et V-function dans le cas de fonctions multiplicatives sur les composantes connexes, les invariants de graphes vĂ©rifiant la formule de contraction-suppression. Tutte Ă©crit : « En jouant avec mes W-functions j'ai obtenu un polynĂŽme en deux variables dont on peut dĂ©duire soit le polynĂŽme chromatique, soit le polynĂŽme de flots, en annulant l'une ou l'autre des variables et en ajustant les signes »[8] Tutte appelle cette fonction la dichromate, parce qu'il la concevait comme une gĂ©nĂ©ralisation du polynĂŽme chromatique Ă  deux variables mais elle est maintenant appelĂ©e polynĂŽme de Tutte. Comme dit Tutte : « Ce n'est pas correct envers Hassler Whitney qui connaissait et utilisait ces coefficients analogues sans leur accoler deux variables ». Il y a une « confusion notable »[9] entre les termes « dichromate » et « dichromatic polynomial », introduit par Tutte dans un autre article, et qui n'en diffĂšre que lĂ©gĂšrement. La gĂ©nĂ©ralisation des polynĂŽmes de Tutte aux matroĂŻdes a Ă©tĂ© publiĂ© en premier par Crapo, mĂȘme si elle figure dĂ©jĂ  dans la thĂšse de Tutte[10].

Indépendamment des recherches en théorie algébrique des graphes, Potts a commencé l'étude des fonctions de partition de certains modÚles de mécanique statistique en 1952. Le travail de Fortuin et Kasteleyn[11] sur les random cluster model (en), est une généralisation du modÚle de Potts, et fournit une expression unifiée qui montre leur relation avec les polynÎmes de Tutte[10].

Spécialisations

En faisant varier les valeurs de , les polynĂŽmes de Tutte prennent des formes qui ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©es pour elles-mĂȘmes dans divers domaines des mathĂ©matiques ou de physique. L'un des attraits des polynĂŽmes de Tutte rĂ©side dans leur propriĂ©tĂ© Ă  fournir un cadre unifiĂ© pour l'analyse de ces quantitĂ©s.

PolynĂŽme chromatique

Le polynĂŽme chromatique dans le plan de Tutte.

Pour , le polynÎme de Tutte se spécialises en le polynÎme chromatique :

oĂč est le nombre de composantes connexes de .

Pour des valeurs entiĂšres de , la valeur du polynĂŽme chromatique est Ă©gale au nombre de colorations du graphe en utilisant couleurs. Clairement ne dĂ©pend pas de l’ensemble de couleurs. Ce qui est moins clair, c'est que c'est la valeur en d'un polynĂŽme Ă  coefficients entiers. Pour voir cela, on observe que :

  1. si G a n sommets et pas d'arĂȘtes, alors .
  2. si G contient une boucle, alors .
  3. si e est une arĂȘte qui n'est pas une boucle, alors

Ces trois conditions permettent de calculer en appliquant une suite de contractions-suppressions, mais elles ne garantissent pas que des sĂ©quences diffĂ©rentes de suppressions et contractions conduisent au mĂȘme rĂ©sultat ; ceci provient du fait que compte des propriĂ©tĂ©s combinatoires, indĂ©pendamment de la rĂ©currence. En particulier,

donne le nombre d'orientations acycliques du graphe.

PolynĂŽme de Jones

PolynĂŽmes de Jones dans le plan de Tutte.

Sur l'hyperbole , le polynĂŽme de Tutte d'un graphe planaire se spĂ©cialise en le polynĂŽme de Jones d'un nƓud alternant associĂ©.

(2,1)

compte le nombre de forĂȘts, c'est-Ă -dire le nombre des sous-ensembles d'arĂȘtes sans cycle.

(1,1)

compte le nombre de forĂȘts couvrantes (c'est le nombre d'ensembles d'arĂȘtes sans cycle et qui ont mĂȘme nombre de composants connexes que G). Si le graphe est connexe, compte le nombre d'arbres couvrants.

(1,2)

compte le nombre de sous-graphes couvrants (ensemble d'arĂȘtes qui ont mĂȘme nombre de composantes connexes que G).

(2,0 )

compte le nombre d'orientations acycliques (en) de G[12] - [13].

(0,2)

compte le nombre d'orientations fortement connexes de G[14].

(0,−2)

Si G est un graphe 4-régulier, alors

compte le nombre d'orientations eulériennes de G. Ici, est le nombre de composantes connexes de G[12].

(3,3)

Si G est un graphe grille de paramÚtres , alors compte le nombre de maniÚre de paver un rectangle de largeur 4m et de hauteur 4n avec des tétrominos[15] - [16].

Si G est un graphe planaire, alors est Ă©gal Ă  la somme des partitions eulĂ©riennes pondĂ©rĂ©es du graphe mĂ©dial de G, oĂč le poids d'une orientation est 2 Ă  la puissance le nombre de points selle de cette orientation (c'est-Ă -dire le nombre de sommets oĂč l'orientation des arĂȘtes incidentes est cycliquement « in, out, in out »)[17].

ModĂšles de Potts et d'Ising

Les fonctions de partition pour le modĂšle d'Ising et pour les modĂšles de Potts Ă  3 et 4 Ă©tats, dans le plan de Tutte..

On considÚre l'hyperbole définie par :

.

Sur cette hyperbole, le polynÎme de Tutte se spécialise en la fonction de partition du modÚle d'Ising étudiée en physique statistique. Plus précisément, le long de l'hyperbole ces deux fonctions sont liées par l'équation[18] :

Le lien avec l'hyperbole vient de ce que

pour tout nombre complexe .

Plus généralement, si on définit, pour tout entier q, l'hyperbole :

,

le polynÎme de Tutte se spécialise en la fonction de partition du modÚle de Potts (en) à q états. Diverses quantités physiques analysées dans le contexte du modÚle de Potts se transposent en des parties spécifiques de .

Correspondances entre le modĂšle de Potts et le plan de Tutte[19]
modĂšle de PottspolynĂŽme de Tutte
Ferromagnétisme Branche positive de
Antiferromagnétisme Branche négative de avec
Haute température Asymptote de pour
Basse temperature ferromagnétique Branche positive de asymptotique en
Température nulle antiferromagnetique q-coloration du graphe, c'est-à-dire .

PolynĂŽme de flot

Le polynĂŽme de flot dans le plan de Tutte.

Au point , le polynÎme de Tutte se spécialise en un polynÎme appelé polynÎme de flot et étudié en combinatoire. Pour un graphe non orienté connexe G et un entier k, un k-flot qui ne s'annule pas (« nowhere-zero flow ») est une affectations de valeurs de « flot » aux arcs d'une orientation arbitraire de G telle que le flot total entrant et le flot total sortant de chaque sommet sont égaux modulo k. Le polynÎme de flot compte le nombre de ces k-flots. Cette valeur est étroitement liée au polynÎme chromatique : en fait, si G est un graphe planaire, le polynÎme chromatique de G est équivalent au polynÎme de flot de son graphe dual par le théorÚme de Tutte suivant :

.

La connexion avec le polynÎme de Tutte est donnée par :

.

PolynÎme de fiabilité

Le polynÎme de fiabilité dans le plan de Tutte.

Pour , le polynĂŽme de Tutte se spĂ©cialise en le polynĂŽme de fiabilitĂ© entre tous points Ă©tudiĂ© en thĂ©orie des rĂ©seaux. Pour un graphe connexe G, on affecte une probabilitĂ© p Ă  la suppression d'une arĂȘte, pour modĂ©liser un rĂ©seau sujet Ă  des pannes alĂ©atoires d'arĂȘtes. Le polynĂŽme de fiabilitĂ© est le polynĂŽme en p qui donne la probabilitĂ© qu'un couple de sommets de G reste connectĂ© aprĂšs des pannes sur les arĂȘtes. Le lien avec le polynĂŽme de Tutte est donnĂ© par :

.

PolynĂŽme dichromatique

Tutte a aussi défini une généralisation en deux variables des polynÎmes chromatiques voisine de ces derniers ; il les appelle polynÎmes dichromatiques. Pour un graphe , c'est le polynÎme

oĂč est le nombre de composantes connexes du graphe partiel . Ce polynĂŽme est reliĂ© au « corank-nullity polynomial » par

Le polynĂŽme dichromatique ne se gĂ©nĂ©ralise pas au matroĂŻdes parce n'est pas une propriĂ©tĂ© de matroĂŻdes : des graphes avec mĂȘme matroĂŻde peuvent avoir un nombre diffĂ©rent de composantes connexes.


PolynĂŽme de Martin

Le polynÎme de Martin d'un graphe orienté 4-régulier a été défini par Pierre Martin in 1977[20]. Il a prouvé que si est un graphe planaire et si est son graphe médial orienté, alors

Algorithmes

Suppression–contraction

L'algorithme de suppression–contraction applique au graphe diamant. Les arĂȘtes rouges sont supprimĂ©es dans l'enfant gauche, contractĂ©es dans l'enfant droit. Le polynĂŽme rĂ©sultant est la somme des monĂŽmes des feuilles, . BasĂ© sur (Welsh et Merino 2000).

La formule de rĂ©currence de suppression–contraction pour le polynĂŽme de Tutte s'Ă©crit :

,

lorsque n'est ni une boucle ni un isthme. Ceci donne immĂ©diatement un algorithme rĂ©cursif pour le calcul du polynĂŽme : choisir une arĂȘte quelconque e et appliquer la formule jusqu'Ă  ce que toutes les arĂȘtes restantes sont soit des boucles, soit des isthmes. Les cas restants sont alors faciles Ă  Ă©valuer.

À un facteur polynomial prĂšs, le temps de calcul t de cet algorithme peut ĂȘtre exprimĂ© en fonction du nombre n de sommets et du nombre m d'arĂȘtes du graphe,

;

cette relation est similaire Ă  celle des nombres de Fibonacci avec pour solution[21] :

L'analyse peut ĂȘtre amĂ©liorĂ©e par un facteur polynomial en le nombre d'arbre couvrants du graphe donnĂ©[22]. Pour des graphes creux, avec ce temps de calcul est en . Pour les graphes rĂ©guliers de degrĂ© k, le nombre d'arbres couvrants peut ĂȘtre bornĂ© par

avec ,

de sorte que l'algorithme de suppression–contraction s'exĂ©cute avec un facteur polynomial de cette borne. On a par exemple[23] :

En pratique, un test d'isomorphisme de graphes est utilisĂ© pour Ă©viter des appels rĂ©cursifs. Cette approche fonctionne bien pour des graphes que sont creux et qui prĂ©sentent beaucoup de symĂ©tries ; l'efficacitĂ© dĂ©pend alors de l'heuristique utilisĂ© pour choisir l'arĂȘte e[22] - [24] - [25]. Le choix de l'arĂȘte Ă  supprimer s'avĂšre primordial[26].

Élimination de Gauss-Jordan

Dans certains cas particuliers, le polynĂŽme de Tutte peut ĂȘtre calculĂ© en temps polynomial parce que l'Ă©limination de Gauss-Jordan permet un calcul efficace des opĂ©rations matricielles comme le dĂ©terminant et le pfaffien. Ces algorithmes constituent eux-mĂȘmes des rĂ©sultats importants en thĂ©orie algĂ©brique des graphes et en mĂ©canique statistique .

est Ă©gal au nombre d'arbres couvrants d'un graphe connexe. Cette valeur peut se calculer en temps polynomial en tant que dĂ©terminant de la sous-matrice principale maximale de la matrice laplacienne de G, un rĂ©sultat ancien de la thĂ©orie algĂ©brique des graphes connu sous le nom de thĂ©orĂšme de Kirchhoff. De façon similaire, la dimension de l'espace Ă  deux cycles de peut ĂȘtre calculĂ© par Ă©limination de Gauss en temps polynomial.

Pour les graphes planaires, la fonction de partition du modĂšle d'Ising, c'est-Ă -dire le polynĂŽme de Tutte sur l'hyperbole , peut ĂȘtre exprimĂ©e comme un pfaffian et calculĂ© de façon efficace au moyen de l'algorithme FKT. Cette idĂ©e a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e par Fisher, Kasteleyn et Temperley pour calculer le nombre de pavages par des dominos pour paver un modĂšle en treillis plan.

MĂ©thode de Monte-Carlo

En utilisant une mĂ©thode de Monte-Carlo par chaĂźnes de Markov, le polynĂŽme de Tutte peut ĂȘtre approximĂ© d'arbitrairement prĂšs sur la branche positive de , qui est aussi la fonction de partition du modĂšle d'Ising ferromagnĂ©tique. Elle exploite le lien Ă©troit entre le modĂšle d'Ising et le problĂšme du comptage des couplages dans un graphe. L'idĂ©e derriĂšre ce cĂ©lĂšbre rĂ©sultat de Jerrum et Sinclair[27] est de dĂ©finir une chaĂźne de Markov dont les Ă©tats sont les couplages du graphe donnĂ©. Les transitions sont dĂ©finies en choisissant alĂ©atoirement des arĂȘtes et en modifiant le couplage en consĂ©quence. La chaĂźne de Markov obtenue est rapidement mĂ©langeante et conduit Ă  des couplages « suffisamment alĂ©atoires » qui peuvent ĂȘtre utilisĂ©es pour rĂ©cupĂ©rer la fonction de partition par un Ă©chantillonnage alĂ©atoire. L'algorithme obtenu est un schĂ©ma d'approximation en temps polynomial (FPRAS).

Complexité algorithmique

Plusieurs problÚmes algorithmiques sont associés aux polynÎmes de Tutte. Le plus direct est le calcul des coefficients du polynÎme de Tutte pour un graphe donné.

Ceci permet l’évaluation du polynĂŽme de Tutte en tout point ; par exemple l'Ă©valuation de Ă©quivaut au calcul du nombre de 3-coloriages de G. Ce problĂšme est #P-complet, mĂȘme restreint Ă  la famille des graphes planaires, de sort que le calcul des coefficients d'un polynĂŽme de Tutte d'un graphe est #P-difficile mĂȘme pour les graphes complets.

Un ensemble de problÚmes appelés de maniÚre abrégée « Tutte » a été étudié ; il s'agit, étant donné un graphe de calculer, pour un couple de nombres complexes , la valeur . La difficulté du problÚme varie avec les coordonnées .

Calcul exact

Le plan de Tutte. À chaque point du plan rĂ©el est associĂ©e la complexitĂ© du calcul de :
● en un point rouge, le calcul est en temps polynomial ;
● sur une courbe bleue, le problĂšme est #P-difficile en gĂ©nĂ©ral, mais polynomial pour les graphes planaires ;
● pour tout point des rĂ©gions blanches, le problĂšme est #P-difficile mĂȘme pour les graphes planaires bipartis.

Si x et y sont tous deux des entiers positifs ou nuls, le problÚme du calcul de est dans la classe #P. Pour des entiers relatifs, le polynÎme de Tutte contient des termes négatifs, ce qui place le problÚme dans la classe de complexité GapP (en), qui est la fermeture par soustraction de la classe #P. Pour prendre en compte des coordonnées rationnelles, on peut définir une classe correspondant à #P[28].

La complexitĂ© algorithmique du calcul exact de se partage en deux classes selon la valeur de . Le problĂšme est #P-difficile sauf si est un point de l'hyperbole ou est l’un des points de l'ensemble suivant (avec ) :

,

auquel cas le calcul est en temps polynomial[29]. Pour les graphes planaires, le problĂšme devient polynomial aussi pour les points sur l'hyperbole , mais reste #P-difficile pour les autres points, mĂȘme pour les graphes planaires bipartis[30]. Dans la conclusion de son article sur la dichotomie pour les graphes planaires[31], Vertigan note que le mĂȘme rĂ©sultat reste valable mĂȘme pour la restriction supplĂ©mentaire aux graphes de degrĂ© au plus trois, Ă  l'exception du point , qui compte les flots « nowhere-zero » pour lequel le polynĂŽme se calcul en temps polynomial.

Ces rĂ©sultats admettent divers cas particuliers intĂ©ressants. Par exemple, le problĂšme du calcul de la fonction de partition du modĂšle d'Ising est #P-difficile en gĂ©nĂ©ral, mĂȘme avec l'algorithme d'Onsager et Fisher de rĂ©solution dans les treillis planaires. De mĂȘme, les polynĂŽmes de Jones sont #P-difficiles Ă  Ă©valuer. Enfin, le calcul du nombre de 4-coloriages d'un graphe planaire est #P-complet, alors que le problĂšme de dĂ©cision est trivial par le thĂ©orĂšme des quatre couleurs. En revanche, compter le nombre de 3-coloriages d'un graphe planaire est #P-complet parce que le problĂšme de dĂ©cision est connu pour ĂȘtre NP-complet.

Approximation

Les points qui possĂšdent un bon algorithme d'approximation sont peu connus. En dehors des points pour lequel le calcul exact peut ĂȘtre fait en temps polynomial, le seul algorithme d'approximation connu pour est l'algorithme FPRAS de Jerrum et Sinclair, qui est valable pour les points sur l'hyperbole d'Ising pour y > 0. Si le graphe donnĂ© est restreint aux instances denses, avec degrĂ© , alors il existe un FPRAS pour x ≄ 1, y ≄ 1[32]. MĂȘme si les rĂ©sultats sont moins complets que pour le calcul exact, on sait que de larges portions du plan sont difficiles Ă  approximer[28].

Annexes

Notes

  1. Courtiel 2014 présente une synthÚse.
  2. BollobĂĄs 1998, chapter 10.
  3. Biggs 1993, chapter 13.
  4. Godsil et Royle 2004, chap. 15.
  5. La dĂ©finition de Tutte est comme suit. On suppose les arĂȘtes du graphe totalement ordonnĂ©es. Une arĂȘte externe (interne) d’un arbre couvrant donnĂ© est active si elle est minimale dans son cycle (cocycle) fondamental. L'activitĂ© interne (ou externe) est le nombre d'arĂȘtes internes ou externes actives. Les ensembles d'arĂȘtes internes ou externes actives d’un arbre couvrant dĂ©pendent de l’ordre total choisi, mais la somme de leurs nombres, sur les arbres couvrants, est indĂ©pendante de l’ordre choisi.
  6. Sokal 2005.
  7. Sokal 2005, eq. (2.26).
  8. Tutte 2004.
  9. Expression de Welsh.
  10. Farr 2007.
  11. Fortuin et Kasteleyn 1972.
  12. Welsh 1999.
  13. Lass 2001.
  14. Las Vergnas 1980.
  15. Korn et Pak 2004.
  16. Korn et Pak 2003 donnent des interprétations combintoires du polynÎme de Tutte en de nombreux autres points.
  17. Las Vergnas 1988.
  18. Welsh 1993, p. 62.
  19. Welsh et Merino 2000.
  20. Martin 1977.
  21. Wilf 1986, p. 46.
  22. Sekine, Imai et Tani 1995.
  23. Chung et Yau 1999, d'aprÚs Björklund et al. 2008.
  24. Haggard, Pearce et Royle 2010.
  25. Pearce, Haggard et Royle 2010.
  26. Monagan 2012.
  27. Jerrum et Sinclair 1993.
  28. Goldberg et Jerrum 2008.
  29. Jaeger, Vertigan et Welsh 1990.
  30. Vertigan et Welsh 1992.
  31. Vertigan 2005.
  32. Pour x ≄ 1 et y = 1, voir Annan 1994. Pour x ≄ 1 et y > 1, voir Alon, Frieze et Welsh 1995.

Références

Livres et monographies
Articles
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  • (en) Alan D. Sokal et Bridget S. Webb, « The multivariate Tutte polynomial (alias Potts model) for graphs and matroids », dans Surveys in Combinatorics, Cambridge University Press, coll. « London Mathematical Society Lecture Note Series » (no 327), (DOI 10.1017/CBO9780511734885.009, arXiv math/0503607), p. 173–226.

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