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Manifestations de 2019-2020 en Iran

Durant la deuxiĂšme quinzaine du mois de , des manifestations ont lieu en Iran. Les manifestants protestent contre l'augmentation du prix du carburant annoncĂ©e par les autoritĂ©s en prenant pour cible la RĂ©publique islamique et ses plus hauts dignitaires. Ce mouvement intervient dans un contexte de crise Ă©conomique, le pays subissant une importante rĂ©cession, alors que de vastes manifestations ont Ă©galement lieu dans des pays voisins, en l'occurrence en Irak et au Liban. AprĂšs une rĂ©pression violente et un arrĂȘt du mouvement, les mensonges des autoritĂ©s iraniennes au sujet du crash du vol 752 Ukraine International Airlines dĂ©clenchent une nouvelle vague de manifestations anti-rĂ©gime en janvier 2020, plus restreintes et mobilisant essentiellement le milieu Ă©tudiant, dans le contexte d'une crise amĂ©ricano-iranienne.

Manifestations de 2019 et 2020 en Iran
Description de l'image 2019 Iranian fuel protests Fars News (1).jpg.
Informations
Date - janvier 2020
Localisation Drapeau de l'Iran Iran
Bilan humain
Morts 208 au moins (selon l'ONU)[1]
230 (selon le gouvernement iranien)[2]
304 au moins (selon Amnesty international)[3]
1 500 (selon Reuters)[4]
Blessés plusieurs milliers en novembre (Amnesty international)
des dizaines en janvier (Amnesty international)
Arrestations plus de 7 000 (Amnesty international et ONU)
environ 500 (autorités iraniennes)

La premiĂšre vague de manifestations est associĂ©e Ă  des Ă©meutes : des membres des forces de l’ordre sont tuĂ©s et de nombreux bĂątiments sont incendiĂ©s. La rĂ©pression est d'une ampleur inĂ©dite sous la RĂ©publique islamique : environ 1 500 personnes sont tuĂ©es selon une enquĂȘte de l'agence Reuters, au moins 304 selon Amnesty International et au moins 208 selon l'ONU ; le nombre des arrestations est d'au moins 7 000 selon Amnesty International et l'ONU. Les autoritĂ©s iraniennes procĂšdent Ă  une coupure de l'accĂšs Ă  internet d'une ampleur Ă©galement inĂ©dite, et accusent les manifestants d'ĂȘtre des agents de l'Ă©tranger. Tous les mĂ©dias, y compris Ă©trangers, se voient interdire de relater les Ă©vĂ©nements. Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, dĂ©nonce notamment « de multiples violations du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ».

Contexte

En Iran, les prix des carburants sont parmi les plus bas au monde en raison de fortes subventions et de la baisse de la valeur du rial[5] - [6]. L'Iran est Ă©galement l'un des plus grands producteurs de pĂ©trole au monde, avec des exportations de plusieurs milliards de dollars chaque annĂ©e[6]. Selon le chercheur Vincent Eiffling, « l’essence est un symbole en Iran, l’un des pays du monde qui consomment le plus de carburant par habitant et qui possĂšde les quatriĂšmes rĂ©serves de pĂ©trole », et considĂ©rĂ© comme « une sorte de droit inaliĂ©nable » par les Iraniens qui « considĂšrent qu’ils doivent pouvoir jouir de cette exploitation »[5]. La surconsommation d'essence pose des problĂšmes pour l’environnement ; TĂ©hĂ©ran s'avĂšre trĂšs polluĂ© notamment Ă  cause de l’utilisation de vieilles voitures[7].

Avec le rĂ©tablissement en 2018 des sanctions Ă©conomiques amĂ©ricaines contre l'Iran, accrues notamment depuis , l'Ă©conomie iranienne subit un net ralentissement : la rĂ©cession est de -9,5 % dans le pays en 2019 d’aprĂšs le Fonds monĂ©taire international (FMI), l'inflation est de l’ordre de 40 % selon les chiffres officiels iraniens, la valeur du rial est tombĂ©e Ă  son plus bas historique, le pouvoir d'achat en trĂšs forte baisse, le taux de chĂŽmage est de 12,5 % selon les autoritĂ©s mais plus probablement au-dessus de 20 %, et les investisseurs Ă©trangers tendent Ă  retirer leurs capitaux[5] - [8] - [6] - [7] - [4]. Ces sanctions ont fait tomber la vente de pĂ©trole Ă  300 000 ou 600 000 barils par jour — selon les sources — au lieu d'un peu plus de 2 millions en 2018, alors que l’État a besoin d'en exporter un million et demi[5] - [8] - [7]. En outre, la capacitĂ© de raffinage de l'Iran est limitĂ©e et les sanctions ont rendu difficile l’achat de piĂšces de rechange pour les usines pĂ©troliĂšres[6]. Dans ce contexte, la popularitĂ© du prĂ©sident Hassan Rohani est en chute libre[7]. Des millions de jeunes Iraniens, particuliĂšrement touchĂ©s par le chĂŽmage, mettent en cause la mauvaise gestion Ă©conomique et la corruption des autoritĂ©s : le guide suprĂȘme Ali Khamenei et d'autres responsables ont appelĂ© le pouvoir judiciaire Ă  intensifier sa lutte contre la corruption[4].

Par ailleurs, une partie des Iraniens jugent trop onĂ©reuse la politique Ă©trangĂšre interventionniste de leur pays, notamment en Syrie, en Irak et au Liban : selon Vincent Eiffling, celle-ci coĂ»te « des centaines de millions de dollars chaque annĂ©e »[5]. Au mĂȘme moment ont cours des manifestations en Irak et au Liban, oĂč les manifestants s'opposent notamment Ă  l'ingĂ©rence iranienne[5] - [9]. Selon Nader Nouri, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la Fondation d'Études pour le Moyen-Orient (FEMO), la rĂ©volte irakienne — « dans le pays voisin le plus proche, historiquement et culturellement, de l'Iran » — est indissociable des manifestations en Iran : « On assiste dans les deux pays Ă  l'Ă©mergence d'un front commun contre un ennemi commun. Le contexte et les revendications sont presque identiques »[9].

Au-delĂ  du Moyen-Orient, l'Iran rejoint une trentaine de pays secouĂ©s par des contestations depuis la fin de l'annĂ©e 2018, qui tendent Ă  s’ancrer dans la durĂ©e[10]. À l'instar de l'Iran, ces mouvements sont souvent dĂ©clenchĂ©s par l’augmentation du prix de produits ou de services de premiĂšre nĂ©cessitĂ© : comme en Iran, l’essence en France et en Équateur ; le pain au Soudan ; le ticket de mĂ©tro au Chili ; les appels tĂ©lĂ©phoniques en ligne au Liban[10]. Ces mouvements ont Ă©galement en commun d'« ĂȘtre nĂ©s de dĂ©cisions gouvernementales apparemment anodines, qui se sont avĂ©rĂ©es ĂȘtre la goutte d’eau qui a fait dĂ©border des sociĂ©tĂ©s de plus en plus inĂ©galitaires, avec le sentiment partagĂ© par de nombreux citoyens d’une perte de contrĂŽle dĂ©mocratique »[10].

Manifestations de novembre 2019

Annonce de la hausse du prix de l'essence

Les manifestations commencent dans la soirĂ©e du Ă  Ahvaz, aprĂšs que le Haut Conseil de coordination Ă©conomique — composĂ© du prĂ©sident de la RĂ©publique, du prĂ©sident du Parlement et du chef de l'autoritĂ© judiciaire — a annoncĂ© une augmentation de 50 % Ă  1 500 toumans (11 centimes d'euros) pour les 60 premiers litres d'essence achetĂ©s chaque mois, mais de 300 % pour les litres suivants, soit 22 centimes d’euros. Le salaire minimum en Iran Ă©quivaut Ă  85 euros par mois et le salaire moyen Ă  environ 220 euros par mois[11] - [12].

Le gouvernement affirme vouloir ainsi dĂ©gager des aides d’un montant de 300 000 milliards de rials, soit environ 2,3 milliards d’euros, pour les 18 Ă  20 millions de familles dans le besoin, selon des chiffres officiels, et non Ă  combler le dĂ©ficit budgĂ©taire[12] - [13]. La baisse des subventions Ă  l'essence a Ă©tĂ© recommandĂ©e par les grands organismes internationaux et Ă©conomistes libĂ©raux[7]. La hausse du prix doit aussi « permettre de limiter la contrebande d’essence avec les pays limitrophes, qui Ă©tait encouragĂ©e par la diffĂ©rence entre les prix de l’essence dans ces pays et en Iran », et faciliter les exportations d'essence en limitant la consommation interne[7].

Selon la chercheuse Azadeh Kian, « il y a bien une rĂ©serve importante de devises mais elle sert Ă  financer les groupes pro-iraniens Ă  l’extĂ©rieur, les proxies, et non le bien-ĂȘtre de la population. Les caisses sont donc de plus en plus vides. Le gouvernement ayant de moins en moins de moyens, il va devoir emprunter cinq milliards de dollars Ă  la Russie »[8]. Selon le chercheur Ali Fathollah-Nejad, spĂ©cialiste de l’Iran au Brookings Doha Center, « le moment choisi laisse Ă  penser que l’État a agi par contrainte et par urgence face Ă  un budget extrĂȘmement serrĂ©, qui aurait compromis sa capacitĂ© de payer ses employĂ©s, y compris ses organes de sĂ©curitĂ©, au cours des prochains mois »[8]. Pour Nader Nouri, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la Fondation d'Études pour le Moyen-Orient (FEMO), « piocher dans la poche d'un peuple reste la seule solution malgrĂ© tous les risques qu'une mesure aussi cruelle reprĂ©sente », le rĂ©gime excluant une baisse sensible des « budgets allouĂ©s aux centres liĂ©s au pouvoir » ainsi qu'Ă  « ses programmes agressifs de missiles balistiques et ses milices, que le guide suprĂȘme considĂšre comme les piliers de la survie de la thĂ©ocratie »[9].

Manifestations et Ă©meutes

Manifestants Ă  Isfahan.

Les manifestations Ă©clatent quelques heures aprĂšs l'annonce gouvernementale[6]. Les manifestations ont lieu dans plus de 100 villes[4] - [9], dont la capitale TĂ©hĂ©ran Ă  partir du [4], et rassemblent entre 120 000 et 200 000 personnes selon le ministre iranien de l'IntĂ©rieur[14] - [15]. Une quarantaine sont concernĂ©es par les Ă©meutes[12]. Les Iraniens les plus pauvres ne croient pas Ă  l'annonce des autoritĂ©s selon laquelle la hausse du prix de l'essence servira Ă  leur apporter des aides financiĂšres : Jonathan Piron, historien et politologue, rappelle qu'en 2011, le prĂ©sident Mahmoud Ahmadinejad avait revu Ă  la baisse les subsides accordĂ©s sur le prix de l’essence sans engendrer de manifestations « car il avait trouvĂ© des compensations sans attendre un dĂ©lai »[7] - [13].

Si la majoritĂ© des dĂ©filĂ©s semblent avoir Ă©tĂ© pacifiques selon Amnesty International, des manifestants mĂšnent des actions extrĂȘmement dures[8] - [16]. Des rapports se contredisent sur la prĂ©sence ou non d'une ou de plusieurs personnes armĂ©es parmi les manifestants[15]. Le rĂ©gime confirme la mort de quatre membres des forces de l’ordre[8]. De nombreux bĂątiments sont attaquĂ©s et en proie aux flammes dans l'ensemble du pays, dont plus de 700 banques selon un recensement officiel, plus de 140 sites gouvernementaux, 50 bases des forces bassidjis (milices au service de la rĂ©pression interne), des postes de police, des centaines de vĂ©hicules appartenant aux forces de sĂ©curitĂ©, des dizaines d’immeubles, de centres commerciaux et de stations-service[8] - [12] - [17] - [9] - [4]. Neuf hozeh elmieh (Ă©tablissements supĂ©rieurs d’enseignement des sciences religieuses) ont brĂ»lĂ©[8] - [18]. Des axes routiers sont bloquĂ©s[17] - [6].

Le Guide suprĂȘme Ali Khamenei est pris pour cible par les manifestants.

Comme lors des manifestations de 2017-2018, les manifestants ciblent la RĂ©publique islamique dans sa totalitĂ©, aussi bien les radicaux que les rĂ©formistes, le prĂ©sident Hassan Rohani que le Guide suprĂȘme Ali Khamenei, alors que la loi interdit de le critiquer[8] - [9]. Dans tout le pays, des portraits reprĂ©sentant Ali Khamenei sont brĂ»lĂ©s ou dĂ©truits[8]. Une statue de l’ayatollah Rouhollah Khomeini, dĂ©funt fondateur de la rĂ©publique islamique, est dĂ©truite[4]. Parmi les slogans : « Ni Gaza, ni le Liban, ma vie seulement pour l’Iran », « mort Ă  Rohani », « mort au dictateur »[12], « ils vivent comme des rois, les gens deviennent pauvres »[4]. De nombreux manifestants demandent le retour de Reza Pahlavi, fils aĂźnĂ© du dernier chah, en exil aux États-Unis[12] - [4].

Le , Hassan Rohani se fĂ©licite d'avoir mis un terme Ă  la contestation[19]. Le , les manifestations « semblent terminĂ©es » selon le journaliste Jean-Pierre Perrin, bien que « quelques foyers perdurent, semble-t-il, Ă  Chiraz, Javanroud (dans le Kurdistan d’Iran), dans les quartiers majoritairement arabes de Khorramshahr et Ahwaz, sans parler du bazar de la grande ville kurde de Kermanshah qui a Ă©tĂ© incendiĂ© dans la nuit de vendredi »[8].

Selon Nader Nouri, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la Fondation d'Études pour le Moyen-Orient (FEMO), « le soulĂšvement de novembre 2019 est bien plus vaste et intense que celui de 2017-2018 notamment vu sa rapiditĂ© et le potentiel explosif qu'il a rĂ©vĂ©lĂ© »[9].

Coupure de l'accÚs à internet et interdiction de couverture aux médias

En rĂ©action, les autoritĂ©s iraniennes interdisent rapidement l'accĂšs Ă  internet, officiellement pour rendre le pays impermĂ©able Ă  toute ingĂ©rence extĂ©rieure[19]. Le degrĂ© de connexion du pays au Web mondial tombe au plus bas Ă  4 %[8]. La manƓuvre est facilitĂ©e par le fait qu’il n’existe en Iran que deux voies d’accĂšs Ă  l’Internet global et qu’elles sont l’une et l’autre sous le contrĂŽle du gouvernement[8]. Jason Rezaian, ancien correspondant en Iran du Washington Post, indique que « les autoritĂ©s iraniennes ont rĂ©pondu [aux sanctions commerciales amĂ©ricaines] en dĂ©veloppant leur propre Internet domestique (connu sous le nom de National Information Network (en)). Le NIN est, entre autres, devenu la porte d’entrĂ©e par laquelle les Iraniens ont accĂšs aux rĂ©seaux extĂ©rieurs »[20]. Selon le journaliste Jean-Pierre Perrin, ce « couvre-feu numĂ©rique » permet aussi d’éviter que les manifestations nourrissent celles en cours en Irak, dont les participants dĂ©noncent les agissements de TĂ©hĂ©ran dans la rĂ©gion[8]. Selon la chercheuse Azadeh Kian, « il n’y a pas d’alliance entre les diffĂ©rents groupes sociaux, car il n’existe pas d’organisation politique ou syndicale. C’est donc Internet qui fait le lien, et dĂšs lors qu’il est coupĂ©, les liens le sont Ă©galement »[8].

Tous les mĂ©dias, y compris Ă©trangers, se voient interdire de relater les Ă©vĂ©nements[8]. Les images des violences sont rares et proviennent exclusivement de la tĂ©lĂ©vision d'État iranienne[19].

AprÚs une dizaine de jours de coupure, l'accÚs à internet est progressivement rétabli à partir du [21]. L'ampleur de la coupure est inédite dans le pays : selon Ershad Alijani, journaliste spécialiste de l'Iran, « Internet a déjà été ralenti ou partiellement coupé au moment de manifestations en Iran, notamment en 2009, mais jamais avec une telle ampleur et à une échelle géographique aussi vaste »[21]. Les pertes économiques associées à cette coupure sont estimées à 3 milliards de dollars, touchant en particulier les entreprises d'import-export, le commerce en ligne, les agences de voyages et les start-up[21]. Amir Nazemy, vice-ministre iranien des Communications, indique alors travailler sur un projet de loi qui permettrait une coupure plus concertée et moins brutale[21]. Les courants plus conservateurs appellent, eux, à améliorer l'efficacité du réseau national d'information, uniquement accessible aux services étatiques, aux sites d'information locaux et aux applications validées par le gouvernement[21].

Le , l'accĂšs au rĂ©seau international est de nouveau fortement restreint dans le pays, et mĂȘme coupĂ© dans certaines provinces, alors que certaines familles des victimes des manifestations de novembre ont appelĂ© Ă  des rassemblements pour commĂ©morer leurs mĂ©moires, conformĂ©ment Ă  la tradition iraniennes qui consiste Ă  commĂ©morer des dĂ©funts le 40e jour de l'anniversaire de leur mort[18]. Des personnes ayant appelĂ© Ă  ces rassemblements sont arrĂȘtĂ©es, Ă©tant accusĂ©es de participer Ă  des projets contre-rĂ©volutionnaires selon l’agence Mehr, proche des conservateurs[18].

Répression létale

Le rĂ©gime ayant anticipĂ© les manifestations, « les forces de sĂ©curitĂ©, le ministĂšre du Renseignement, l'appareil judiciaire et autres structures sĂ©curitaires dans diffĂ©rentes villes et provinces ont Ă©tĂ© mis en Ă©tat d'alerte cinq jours avant l'annonce de la hausse du prix de l'essence »[9]. Les autoritĂ©s dĂ©ploient leur arsenal lĂ©tal Ă  un rythme beaucoup plus rapide que lors des manifestations des annĂ©es prĂ©cĂ©dentes[4]. Nader Nouri, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la Fondation d'Études pour le Moyen-Orient (FEMO), estime cependant que « la rĂ©action de la population Ă  travers le pays s'est rĂ©vĂ©lĂ©e beaucoup plus explosive que celle attendue par les autoritĂ©s »[9]. Selon l'enquĂȘte de l'agence Reuters, le guide suprĂȘme Ali Khamenei rassemble, aprĂšs les premiers jours de manifestations, ses plus hauts responsables de la sĂ©curitĂ© et du gouvernement, dont le prĂ©sident Hassan Rohani : il dĂ©clare que « la RĂ©publique islamique est en danger » et donne l'ordre de « faire tout ce qu'il faut » pour « arrĂȘter » les manifestants[4]. Un reportage du Ă  la tĂ©lĂ©vision publique iranienne confirme que les forces de sĂ©curitĂ© ont tuĂ© des citoyens, affirmant que « certains Ă©meutiers ont Ă©tĂ© tuĂ©s lors d'affrontements »[4].

Les autoritĂ©s iraniennes dĂ©mentent l'usage d'armes Ă  feu en direction des manifestants par les forces de l'ordre, rapportĂ© par des vidĂ©os[16]. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme indique avoir « reçu des images qui semblent montrer les forces de sĂ©curitĂ© en train de tirer sur des manifestants non armĂ©s par derriĂšre alors qu’ils s’enfuyaient », tandis que d’autres personnes auraient Ă©tĂ© directement touchĂ©es au visage et dans les organes vitaux, ce qui dĂ©montrerait que les forces de l'ordre ont tirĂ© « pour tuer »[1]. D'aprĂšs des tĂ©moignages recueillis par Amnesty International et corroborĂ©s par des vidĂ©os, des snipers ont tirĂ© sur la foule depuis les toits de bĂątiments et, dans un cas, Ă  partir d'un hĂ©licoptĂšre[16]. Le Ă  Bandar-e Mahchahr, dans le Khouzistan, entre 40 et 100 personnes sont massacrĂ©es par des Gardiens de la rĂ©volution islamique ; des chars patrouillent Ă©galement dans la ville, pour la premiĂšre fois depuis la guerre Iran-Irak (1980-1988)[22]. Un responsable de la sĂ©curitĂ© qualifie d'« exagĂ©rĂ©es et fausses » les informations sur les actions des forces de l'ordre Ă  Mahshahr, et affirme que celles-ci ont dĂ©fendu « les gens et les installations Ă©nergĂ©tiques du pays dans la ville contre le sabotage par des ennemis et des Ă©meutiers »[4].

Selon le chercheur Thierry Coville, « le degrĂ© de violence et la rĂ©pression atteints aujourd’hui sont inĂ©dits dans le pays, et sont beaucoup plus Ă©levĂ©s que lors des Ă©meutes de 2017 ou des manifestations de 2009 »[7]. Le Monde Ă©voque une rĂ©pression « inĂ©dit[e] par sa violence et sa rapiditĂ© »[17], Mediapart des affrontements « d’une violence extraordinaire qui est allĂ©e croissant »[8]. Des ONG Ă©voquent des violences meurtriĂšres sans prĂ©cĂ©dent depuis l'avĂšnement de la RĂ©publique islamique en 1979[14]. Selon une enquĂȘte de l'agence Reuters publiĂ©e le , qui s'appuie sur les dĂ©clarations de trois responsables du ministĂšre iranien de l’IntĂ©rieur, le nombre de morts s'Ă©lĂšve Ă  environ 1 500, dont au moins 17 adolescents, environ 400 femmes et quelques membres des forces de sĂ©curitĂ© et de police[4]. Le dĂ©partement d'État amĂ©ricain, citĂ© par Reuters, Ă©value le nombre de morts Ă  plusieurs centaines d'Iraniens, voire plus d'un millier[4]. Selon le dĂ©compte rĂ©alisĂ© Ă  la mi- par Amnesty International, le nombre de morts est d'au moins 304[3] - [14]. DĂ©but , le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme dĂ©compte au moins 208 personnes tuĂ©es, dont 13 femmes et 12 enfants, le « bilan rĂ©el » Ă©tant probablement « supĂ©rieur »[1]. Les autoritĂ©s iraniennes ne confirment officiellement que la mort de cinq personnes, quatre membres des forces de l'ordre tuĂ©s par des « Ă©meutiers », et un civil ; au-delĂ , elles ne donnent aucun bilan officiel et rejettent les chiffres donnĂ©s par d'autres instances, les qualifiant de « spĂ©culatifs »[21] - [3] - [4]. Un porte-parole du Conseil suprĂȘme de sĂ©curitĂ© nationale iranien qualifie le bilan de l'agence Reuters de « fake news »[4]. Le parlementaire iranien Mostafa Kavakebian (en) affirme que des responsables officiels de la sĂ©curitĂ© ont fait Ă©tat au Parlement de 170 morts parmi les manifestants[23]. Amnesty International Ă©voque par ailleurs « des milliers » de blessĂ©s[24].

Discours des autorités

Le président Hassan Rohani adopte, comme les autres dignitaires du régime, un discours véhément à l'égard des manifestants.

Les autoritĂ©s iraniennes accusent les manifestants d'ĂȘtre des agents de l'Ă©tranger, et mettent principalement en cause les États-Unis, IsraĂ«l et l'Arabie saoudite[19] - [25] - [4]. Ali Khamenei dĂ©crit les troubles comme l'Ɠuvre d'une « conspiration trĂšs dangereuse »[4], se fĂ©licite d'avoir « repoussĂ© l'ennemi » et assure que « les actions rĂ©centes Ă©taient un problĂšme de sĂ©curitĂ©, pas du peuple »[16]. Hassan Rohani met en cause des « anarchistes » ayant « agi conformĂ©ment Ă  un complot conduit par les forces rĂ©actionnaires de la rĂ©gion : les sionistes et les AmĂ©ricains »[19]. Thierry Coville relĂšve qu'il reprend ainsi « le discours des ultras [...], ce qui est assez surprenant dans la mesure oĂč il avait dit en 2017 qu’il fallait Ă©couter les manifestants ». Il perçoit cependant « une logique claire dans sa dĂ©marche : Ă  la suite de sa perte de popularitĂ©, il durcit son discours et se rapproche du guide pour chercher des appuis. Il souhaite maintenir une unitĂ© dans un rĂ©gime qui se pense en situation de quasi-guerre avec les États-Unis. Tout ceci illustre bien que ce sont les ultras qui sont Ă  la manƓuvre »[7]. Le procureur gĂ©nĂ©ral Mohammad Jafar Montazeri (en) accuse les manifestants d'avoir des « racines Ă  l'Ă©tranger »[19] - [6]. Le commandant des pasdaran pour le Grand TĂ©hĂ©ran accuse « certains Ă  l’intĂ©rieur et Ă  l’extĂ©rieur » du pays de vouloir « faire Ă  TĂ©hĂ©ran ce qu’ils font Ă  Bagdad et Beyrouth », en allusion aux manifestations en cours au Liban et en Irak[8]. Le , l’Agence de presse de la RĂ©publique islamique rapporte l’arrestation de huit personnes « liĂ©es Ă  la CIA »[25].

Arrestations, aveux forcés et répression judiciaire

Selon Amnesty International et l'ONU, le nombre d'arrestations s'Ă©lĂšve Ă  au moins 7 000, rĂ©parties dans 28 des 31 provinces iraniennes, conduisant Ă  une surcharge des centres de dĂ©tention[3] - [1]. Ce chiffre est dĂ©menti par l'autoritĂ© judiciaire iranienne[14] ; les autoritĂ©s annoncent l'arrestation d'environ 500 personnes, dont 180 « meneurs »[21]. Ali Shamkhani, secrĂ©taire du Conseil suprĂȘme de la sĂ©curitĂ© nationale, affirme que « chaque Ă©meutier, oĂč qu’il se trouve en Iran, sera identifiĂ© et puni »[8]. Des « juges spĂ©ciaux » viennent renforcer ceux des tribunaux rĂ©volutionnaires pour condamner la centaine de « leaders » qui, selon le gĂ©nĂ©ral Farzan Esmaili, seront jugĂ©s « selon les instructions du Guide suprĂȘme »[8].

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme indique avoir reçu de nombreuses informations faisant Ă©tat de mauvais traitements contre des personnes arrĂȘtĂ©es, notamment des aveux forcĂ©s[15]. Selon Amnesty International, « les tĂ©moignages Ă©prouvants de tĂ©moins » laissent penser que « les autoritĂ©s iraniennes, presque immĂ©diatement aprĂšs avoir massacrĂ© des centaines de personnes [...] ont mis en Ɠuvre une rĂ©pression Ă  grande Ă©chelle conçue pour inspirer Ă  tous la peur de parler ouvertement de ce qui s'est passĂ© »[3]. Hassan Rohani annonce que les « aveux » de « ceux qui ont pris part Ă  ces incidents de maniĂšre organisĂ©e » seraient diffusĂ©s Ă  la tĂ©lĂ©vision, et que le public pourrait alors dĂ©couvrir ce qu'ils « prĂ©paraient depuis plus de deux ans », jusqu'Ă  ce que « leurs maĂźtres Ă  l'Ă©tranger » leur donnent le signal d'agir[14]. DĂšs le , l'Islamic Republic of Iran Broadcasting (radio et tĂ©lĂ©vision d'État) a recours Ă  la diffusion de faux aveux obtenus par la force, en insistant sur la traĂźtrise des femmes[26].

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme se dit Ă©galement prĂ©occupĂ© par des informations faisant Ă©tat d'intimidations visant des journalistes et des membres de familles de journalistes iraniens travaillant pour des chaĂźnes de presse basĂ©es en dehors de l'Iran, qui auraient Ă©tĂ© convoquĂ©s et menacĂ©s de reprĂ©sailles par des responsables du renseignement[15]. Mohammad Mosaed, journaliste du quotidien Sharq, est arrĂȘtĂ© et conduit vers une destination inconnue aprĂšs avoir lancĂ© un message sur Twitter[8].

En juillet 2020, alors que trois jeunes hommes, Amir Hossein Moradi, Said Tamjidi et Mohammad Rajabi, sont condamnĂ©s Ă  mort pour avoir pris part aux manifestations de novembre 2019, la plus grande campagne virtuelle jamais menĂ©e par des Iraniens est menĂ©e sur les rĂ©seaux sociaux Twitter et Instagram Ă  travers le hashtag « Ne les exĂ©cutez pas » — utilisĂ© plus de 8 millions de fois sur Twitter —, dans le but d'empĂȘcher leur exĂ©cution. Y prennent part des athlĂštes tels que le footballeur Mohammad Mazaheri, des politiques, des universitaires, ainsi que des stars du cinĂ©ma comme le rĂ©alisateur Asghar Farhadi. Moins de 24 heures aprĂšs le lancement du mouvement, les avocats des condamnĂ©s obtiennent le droit de consulter, pour la premiĂšre fois, leur dossier[27].

Tentatives d’apaisement

DĂ©but , le Guide suprĂȘme Ali Khamenei approuve des mesures d'apaisement visant Ă  apporter des compensations financiĂšres aux familles ou aux proches de certaines des victimes des manifestations en donnant Ă  ces derniĂšres le statut de martyr, ce qui assure aux familles des avantages financiers, ainsi que des facilitĂ©s Ă  l'embauche et Ă  l'accĂšs aux universitĂ©s. La mesure s'accompagne d'un changement d'attitude dans la dĂ©signation des manifestants, passant de la fermetĂ© Ă  une certaine conciliation avec ceux n'ayant provoquĂ© que des dommages lĂ©gers[28]. Le prĂ©sident Hassan Rohani plaide quant Ă  lui pour la libĂ©ration des « innocents » et de ceux qui ont seulement commis « des dĂ©lits »[14].

RĂ©actions internationales

Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, et Josep Borrell, haut représentant de l'Union pour les affaires étrangÚres et la politique de sécurité, dénoncent les violations des droits de l'homme commises par les autorités iraniennes.

En réaction, Israël frappe des dizaines de cibles appartenant notamment au corps des Gardiens de la révolution islamique, dans la continuité des plus de 200 frappes menées contre les forces iraniennes en Syrie depuis plusieurs mois[7].

DĂ©but , Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, dĂ©nonce « de multiples violations du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que l'Iran a ratifiĂ© et est obligĂ© de respecter », et appelle les autoritĂ©s iraniennes Ă  « entreprendre des enquĂȘtes rapides, indĂ©pendantes et impartiales sur toutes les violations qui ont eu lieu, y compris le meurtre de manifestants et les dĂ©cĂšs et mauvais traitements signalĂ©s en dĂ©tention »[15]. Elle se dit « extrĂȘmement prĂ©occupĂ©e » par le « traitement physique » des personnes arrĂȘtĂ©es, « les violations de leur droit Ă  un procĂšs Ă©quitable et la possibilitĂ© qu’un nombre important d’entre elles soient accusĂ©es d’infractions passibles de la peine de mort, outre les conditions dans lesquelles elles sont dĂ©tenues »[1].

Josep Borrell, haut reprĂ©sentant de l'Union pour les affaires Ă©trangĂšres et la politique de sĂ©curitĂ©, met en cause « la rĂ©action disproportionnĂ©e des forces de sĂ©curitĂ© iraniennes aux rĂ©centes manifestations »[29]. Il exhorte les autoritĂ©s iraniennes « Ă  garantir des enquĂȘtes transparentes et crĂ©dibles afin de clarifier le nombre de morts et de personnes arrĂȘtĂ©es et Ă  garantir une procĂ©dure rĂ©guliĂšre Ă  tous les dĂ©tenus », ainsi qu'Ă  libĂ©rer immĂ©diatement « tous les manifestants non violents actuellement dĂ©tenus »[29] - [23]. Il dĂ©nonce enfin la coupure Ă  internet comme « une violation manifeste de la libertĂ© d'expression »[29].

Sur Twitter, Donald Trump, prĂ©sident des États-Unis, accuse le rĂ©gime iranien de vouloir cacher une rĂ©pression violente : « L'Iran est devenu si instable que le rĂ©gime a coupĂ© tout le systĂšme Internet pour que le grand peuple iranien ne puisse pas parler de l'Ă©norme violence qui se passe dans le pays »[19]. Le secrĂ©taire d’État amĂ©ricain, Mike Pompeo, demande aux Iraniens d’envoyer aux États-Unis « leurs vidĂ©os, photos et informations sur la rĂ©pression [
] contre les manifestants »[20].

Le , le gouvernement français exprime, par la voix d'AgnĂšs Von Der MĂŒhll, porte-parole du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, « sa profonde prĂ©occupation face aux informations faisant Ă©tat de la mort de nombreux manifestants », et appelle l'Iran Ă  « respecter ses obligations internationales en matiĂšre de droits humains »[30].

Reprise des manifestations en janvier 2020

Manifestations en réaction à l'assassinat de Qassem Soleimani

Manifestation d'hommage Ă  Qassem Soleimani.

L'assassinat du gĂ©nĂ©ral iranien Qassem Soleimani en , sur ordre du prĂ©sident des États-Unis Donald Trump, dĂ©clenche des manifestations d'hommage Ă  Soleimani et d'hostilitĂ© aux États-Unis et Ă  IsraĂ«l. L'Orient-Le Jour souligne que « ces images tranchent avec celles des manifestants qui brĂ»laient des portraits de l’ayatollah Ali Khamenei et de l’ancien commandant de la force al-Qods au cours de la derniĂšre vague de manifestations. Elles tranchent Ă©galement avec les slogans phares qui appelaient Ă  la fin de l’interventionnisme iranien dans la rĂ©gion »[31]. Selon Mahnaz Shirali, sociologue spĂ©cialiste de l’Iran, « au dĂ©part, beaucoup d’Iraniens ont exprimĂ© leur bonheur Ă  l’annonce de la mort de Soleimani. Mais trĂšs vite, 24 heures aprĂšs, les gens sont retombĂ©s dans la peur, en se demandant ce qui pourrait bien se passer aprĂšs »[31].

Mots d'ordre et profil des manifestants

Photographie d'un réacteur détruit
Photographie montrant l'Ă©pave du vol 752 avec un reste d'un moteur au premier plan.

Quelques jours plus tard, les mensonges du rĂ©gime au sujet du crash du vol 752 Ukraine International Airlines — qui entraĂźne la mort de 176 passagers et membres d’équipage, majoritairement iraniens ou d’origine iranienne, aprĂšs avoir Ă©tĂ© abattu par erreur par les Gardiens de la rĂ©volution — soulĂšvent une nouvelle vague de manifestations[32] - [33]. La premiĂšre d'entre elles a lieu le Ă  l’universitĂ© Amir-Kabir de TĂ©hĂ©ran, Ă  l'issue d’une veillĂ©e de recueillement d'Ă©tudiants ; le mouvement se propage ensuite Ă  une dizaine de villes les jours suivants[33] - [34], dont Ispahan, Racht, Chiraz, Tabriz et Kerman[35]. Les manifestations sont cependant concentrĂ©es Ă  TĂ©hĂ©ran[36]. Les manifestations du premier weekend rĂ©unissent des milliers d’Iraniens[37]. Les manifestants sont essentiellement des Ă©tudiants et font partie de la classe moyenne[38] - [35].

Les manifestants rĂ©clament des poursuites contre les responsables Ă  l'origine du drame[39], tandis qu'Ali Rabiei (en), porte-parole du gouvernement, dĂ©ment tout mensonge[40]. Jonathan Piron, historien, souligne que l'accusation de mensonge « est extrĂȘmement grave dans la culture perse »[38]. Les Gardiens de la rĂ©volution se voient Ă©galement reprocher leur incompĂ©tence[35]. Des slogans hostiles Ă  la RĂ©publique islamique et au Guide suprĂȘme, tels que « Mort au dictateur », sont de nouveau entonnĂ©s[32] - [33] - [38]. Fait extrĂȘmement rare, la tĂ©lĂ©vision d’État fait mention de la premiĂšre manifestation Ă  l’antenne, et relĂšve que les Ă©tudiants ont scandĂ© des « slogans antirĂ©gime »[34]. Des affiches du Guide suprĂȘme Ali Khamenei sont dĂ©chirĂ©es et piĂ©tinĂ©es[35]. Sur les rĂ©seaux sociaux, des images montrent des manifestants contournant des drapeaux amĂ©ricains placĂ©s au sol au lieu de les piĂ©tiner[41].

Nombre d'Iraniens qui se gardaient habituellement de critiquer le rĂ©gime, expriment leur indignation sur Instagram[35]. De nombreuses personnalitĂ©s comme l'athlĂšte Kimia Alizadeh, ainsi que des comĂ©diennes, acteurs, musiciens et rĂ©alisateurs, ayant fait toute leur carriĂšre sous la RĂ©publique islamique, critiquent vivement les autoritĂ©s ; plus d’une quarantaine d’entre elles annoncent leur boycott du Festival du film de Fajr[35].

Pour expliquer les divergences avec les prĂ©cĂ©dentes manifestations d'hommage Ă  Qassem Soleimani, Jonathan Piron invite Ă  ne pas « regarder la population iranienne comme un bloc monolithique » : « Les dĂ©filĂ©s autour du cercueil de Soleimani ont mĂȘlĂ© toutes sortes de motivations : la pression sociale pour certains, le soutien Ă  la RĂ©publique islamique pour d’autres, le nationalisme et l’attachement Ă  la figure du gĂ©nĂ©ral pour d’autres encore. Certaines personnes peuvent donc avoir participĂ© aux premiĂšres marches et se retrouver aujourd’hui Ă  scander des slogans hostiles au rĂ©gime »[38]. Selon la sociologue Azadeh Kian, « l’unitĂ© Ă©tait seulement de façade » et « les problĂšmes Ă©conomiques qui ont poussĂ© Ă  maintes reprises la population dans la rue, ces derniĂšres annĂ©es, n’ont pas disparu »[38].

RĂ©pression

Les forces de l'ordre rĂ©pondent de nouveau de maniĂšre violente[32] mais dans une moindre mesure qu'en novembre, ce qui s'explique par le fait que les manifestations se limitent davantage Ă  une catĂ©gorie de la population[41] - [35]. Alors que le chef de la police de TĂ©hĂ©ran, Hossein Rahimi, dĂ©ment avoir fait ouvrir le feu, des vidĂ©os amateurs circulant sur les rĂ©seaux sociaux montrent des manifestants ensanglantĂ©s et font clairement entendre des coups de feu[33] ; cinq d'entre elles, authentifiĂ©es et gĂ©olocalisĂ©es par France 24, montrent trois femmes griĂšvement blessĂ©es et des policiers en train d'utiliser des fusils ou carabines Ă  plomb au cours d’une manifestation[37]. Amnesty International indique que des dizaines de manifestants auraient Ă©tĂ© blessĂ©s « dans le cadre d’un usage illĂ©gal de la force » par les forces de sĂ©curitĂ© iraniennes, composĂ©es d’unitĂ©s spĂ©ciales, de miliciens Basij et d’agents vĂȘtus en civil[37]. Selon l'ONG, ces derniĂšres font usage non pas d'armes lĂ©tales comme en novembre mais de projectiles tirĂ©s par des fusils Ă  air comprimĂ© qui ne sont pas destinĂ©s Ă  tuer, mais peuvent causer des blessures[37]. Amnesty International Ă©voque Ă©galement l'usage de gaz lacrymogĂšne et de spray au poivre[42]. Selon le journaliste Jean-Pierre Perrin, « les matraquages, les arrestations se multiplient, certes, mais, semble-t-il, il y a peu de tirs Ă  balles rĂ©elles »[35]. Selon le chercheur Reza Moini, la rĂ©pression s’exerce sur les familles des victimes iraniennes du crash qui, en venant chercher les corps de leurs proches, doivent « remplir un questionnaire » et s’engager Ă  ce que les veillĂ©es de deuil ne se transforment pas en manifestations[35].

Discours des autorités

Dans une adresse Ă  la nation diffusĂ©e Ă  la tĂ©lĂ©vision le , le prĂ©sident Hassan Rohani joue l’apaisement, invoquant la nĂ©cessaire « unitĂ© nationale » et la « rĂ©conciliation »[42]. Lors de son prĂȘche du , le Guide suprĂȘme Ali Khamenei laisse entendre que les manifestations anti-pouvoir ne sont pas reprĂ©sentatives de l'ensemble du peuple iranien[36]. AprĂšs le prĂȘche, la tĂ©lĂ©vision d'État diffuse des images de rassemblements de soutien au pouvoir et aux forces armĂ©es dans des villes de province[36]. Jean-Pierre Perrin souligne que « face Ă  la montĂ©e des accusations, le pouvoir fait bloc au point que l’on ne voit plus trĂšs bien qui sont les rĂ©formateurs et les « oussoulgariyan » (« principalistes », nom de la plus importante faction radicale), la plupart des premiers s’alignant sur les positions des Gardiens de la rĂ©volution »[35].

RĂ©actions internationales

Photographie d'un réacteur détruit
Comme lors de la premiĂšre vague de manifestations, Donald Trump (ici, annonçant le retrait amĂ©ricain de l'Accord de Vienne sur le nuclĂ©aire iranien) est l'un des rares chefs d'État Ă  s'exprimer Ă  ce sujet en janvier 2020.

Le prĂ©sident des États-Unis Donald Trump met en garde les autoritĂ©s iraniennes contre de nouvelles exactions, et exprime son soutien au peuple iranien[39] - [34]. Alors que l’ambassadeur du Royaume-Uni en Iran est briĂšvement arrĂȘtĂ©, Dominic Raab, ministre britannique des Affaires Ă©trangĂšres, dĂ©nonce « une violation flagrante de la lĂ©gislation internationale »[34].

Références

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Articles connexes

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