Mahmoud al-Werfalli
Mahmoud Mustafa Busayf al-Werfalli, né le [n 1] et mort le à Benghazi, est un militaire libyen.
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Surnom | Le boucher de Haftar[1] |
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Naissance | |
DĂ©cĂšs | Benghazi (Libye) |
Origine | Libyen |
AllĂ©geance | Jamahiriya arabe libyenne (2000-2011) Conseil national de transition (2011) Ătat de Libye (2011-2014) Gouvernement de la Chambre des reprĂ©sentants (2014-2021) |
Arme | Brigade al-Saiqa (en) Armée de libération nationale (2011) Armée nationale libyenne (2014-2021) |
Grade | Commandant puis Lieutenant-colonel |
Conflits | PremiĂšre guerre civile libyenne DeuxiĂšme guerre civile libyenne |
Faits d'armes | Bataille de Benghazi (2014-2017) |
Il est connu pour ĂȘtre apparu dans huit vidĂ©os publiĂ©es entre et filmant des exĂ©cutions sommaires et extra-judiciaires d'individus dĂ©sarmĂ©s et dĂ©tenus. On l'y voit abattre lui-mĂȘme les hommes ou donner des ordres en ce sens. La mise en scĂšne ainsi que la diffusion par un organe de la brigade chargĂ© spĂ©cifiquement des mĂ©dias rappelle les pratiques de l'Etat islamique. Les faits, qualifiĂ©s de crime de guerre commis durant le conflit en Libye (premiĂšre et deuxiĂšme guerre civile), font l'objet de poursuites par la Cour pĂ©nale internationale. Pour la premiĂšre fois, la Procureure appuie ses demandes de mandat d'arrĂȘt principalement sur des preuves issues de publications sur les rĂ©seaux sociaux, c'est-Ă -dire collectĂ©es en open source.
Biographie
CarriĂšre militaire
Mahmoud al-Werfalli est membre des Ouarfalla[4], tribu fidĂšle Ă Mouammar Kadhafi et dans laquelle de nombreux membres des forces de sĂ©curitĂ© de l'ex chef d'Ătat sont recrutĂ©s[5]. Il commence sa carriĂšre dans les forces armĂ©es de la Jamahiriya arabe libyenne en aprĂšs avoir obtenu son diplĂŽme dans une acadĂ©mie militaire du pays[4].
DÚs , dans le contexte de la premiÚre guerre civile libyenne, l'unité d'élite al-Saiqa (en) fait défection des forces réguliÚres, opérant désormais sous le commandement du Colonel Wanis Bukhmada. De son cÎté, al-Werfalli attend la mort de Kadhafi pour rejoindre les rangs de ce groupe rebelle[6].
Lors de l'opération Dignity lancée le [7] par l'Armée nationale libyenne (autoproclamée et sous la direction du maréchal Khalifa Haftar), l'unité al-Saiqa participe aux combats, notamment contre le Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi. Les hostilités, afin de contrÎler Benghazi, durent au moins jusqu'en [8].
Entre et , l'unitĂ© rĂ©alise sept vidĂ©os filmant des exĂ©cutions d'individus dĂ©sarmĂ©s. Elles sont publiĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux[9] - [10] - [11] afin d'accroĂźtre l'effet sur la population[12]. Dans l'une d'entre elles, Mahmoud al-Werfalli abat lui-mĂȘme trois personnes contre un mur tandis que dans d'autres, il est prĂ©sent au cĂŽtĂ© de ses subordonnĂ©s[13]. Les corps sont retrouvĂ©s postĂ©rieurement dans des dĂ©charges[14]. Des similitudes avec Daech sont relevĂ©es. D'une part, selon StĂ©phanie Maupas, correspondante pour Le Monde, la mise en scĂšne s'en « inspire directement » : dans la derniĂšre vidĂ©o datĂ©e du , dix-huit condamnĂ©s, vĂȘtus d'une tenue orange, encapuchonnĂ©s, les mains liĂ©es dans le dos et agenouillĂ©s, sont abattus Ă bout portant aprĂšs le prononcĂ© de la sentence[15]. D'autre part, The Irish Times rappelle qu'entre et , l'organisation met en ligne des vidĂ©os d'exĂ©cution d'otages occidentaux rĂ©alisĂ©es, pareillement, par une branche chargĂ©e des mĂ©dias[14]. Certains lieux sont identifiĂ©s par Bellingcat grĂące notamment Ă la gĂ©olocalisation[16] - [11] Ce travail du collectif de chercheurs et journalistes permet aussi de confirmer la date de la derniĂšre exĂ©cution puisque les images satellites font apparaĂźtre de nouvelles tĂąches de sang s'Ă©chappant des cadavres[17]. La plateforme Youtube est contrainte de s'excuser aprĂšs la suppression « par erreur » de trois vidĂ©os du collectif[18]. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme documente les faits et demande une enquĂȘte approfondie[19] - [20].
Lancement de mandats d'arrĂȘt
Un mandat d'arrĂȘt est dĂ©livrĂ© Ă son encontre le par la Cour pĂ©nale internationale[21]. Celui-ci vise les charges de crime de guerre par meurtre commis dans un contexte de conflit armĂ© non international[n 2]. Mahmoud al-Werfalli, en qualitĂ© de « commandant rĂ©gional [...] semble ĂȘtre directement responsable du meurtre au total de 33 personnes Ă Benghazi ou dans les environs, entre le 3 juin 2016 ou avant cette date et le 17 juillet 2017 ou vers cette date, soit en les tuant personnellement, soit en ordonnant leur exĂ©cution ». Les juges prĂ©cisent que « les exĂ©cutions ont Ă©tĂ© exceptionnellement cruelles, dĂ©shumanisantes et dĂ©gradantes »[22].
Le , un porte-parole des forces d'Ă©lite de l'ArmĂ©e nationale libyenne dĂ©clare refuser d'exĂ©cuter la dĂ©cision de la Cour en considĂ©rant que celle-ci « aurait mieux fait de dĂ©livrer des mandats d'arrĂȘts contre ceux qui ont tuĂ© des enfants, des femmes et qui ont dĂ©capitĂ© des soldats libyens Ă Benghazi » ; de son cĂŽtĂ©, Mahmoud al-Werfalli estime n'avoir fait qu'appliquer la « peine de mort » contre des « terroristes »[23]. Finalement, deux jours plus tard, un communiquĂ© de l'ArmĂ©e nationale libyenne annonce qu'al-Werfalli a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©, qu'il fait l'objet d'une enquĂȘte et que les autoritĂ©s sont disposĂ©es Ă coopĂ©rer concernant le dĂ©roulement et le rĂ©sultat de l'affaire[24] - [25]. Cette arrestation, sous pression de la communautĂ© internationale, est de courte durĂ©e : en effet, le gradĂ© libyen dispose du soutien des Sahawat (groupes de civils armĂ©s) et de la mouvance salafiste de l'est du pays ; les protestations Ă Benghazi entraĂźnent ainsi sa libĂ©ration[26]. En , le marĂ©chal Haftar dĂ©clare, en outre, au Corriere della Sera que s'il a effectivement donnĂ© l'ordre de d'arrĂȘter Mahmoud al-Werfalli, il n'existerait, selon lui, aucune preuve contre son commandant[27].
Fin , une nouvelle vidĂ©o circule dans laquelle une exĂ©cution extrajudiciaire de dix personnes est filmĂ©e devant une mosquĂ©e : l'homme abattant les dĂ©tenus d'une balle dans la tĂȘte est prĂ©sentĂ© comme Ă©tant Mahmoud al-Werfalli[28]. Cet acte aurait Ă©tĂ© commis en reprĂ©sailles Ă un attentat perpĂ©trĂ© quelque temps auparavant et ayant fait trente-quatre morts[29] - [30]. DĂšs le lendemain, la Mission d'appui des Nations unies en Libye, sur son compte Twitter, « exige [s]a remise immĂ©diate [...] Ă la CPI »[31]. Dans une vidĂ©o publiĂ©e le , le suspect annonce qu'il se rend au poste de police militaire de la ville de Marj « pour complĂ©ter les enquĂȘtes » de la juridiction internationale[32] - [33]. Le , une source militaire affirme qu'al-Werfalli a Ă©tĂ© libĂ©rĂ©[34] - [30] ; Interpol Ă©met alors une notice rouge Ă son nom[2] - [35]. Ă l'occasion d'un rapport datĂ© de , Fatou Bensouda soutient qu'il y a « urgence » Ă arrĂȘter le suspect et que le Conseil de sĂ©curitĂ© doit veiller Ă ce que la Libye exĂ©cute son obligation de coopĂ©rer[36]. En juillet de la mĂȘme annĂ©e, la Cour dĂ©livre un second mandat d'arrĂȘt Ă l'encontre du militaire s'agissant des nouveaux faits[37].
à l'été , Mahmoud al-Werfalli est promu lieutenant-colonel[38], action vivement critiquée par la Procureure de la CPI[39].
Analyses et caractéristiques de l'affaire
Jean-Pierre Filiu considÚre dans un billet publié sur son blog[40] :
« Le cas de Werfalli ne saurait demeurer une exception, il devrait au contraire constituer un prĂ©cĂ©dent de justice enfin rendue Ă lâencontre de tant de responsables dâexactions en Libye. Au-delĂ du devenir de Werfalli, câest bien la question de lâimpunitĂ© pour les bourreaux qui est ainsi posĂ©e, surtout quand leurs crimes les rabaissent au niveau des jihadistes quâils prĂ©tendent combattre. On ne le rĂ©pĂštera jamais assez : cette question ne concerne pas que la Libye. »
Le dossier se caractĂ©rise par deux particularitĂ©s : d'abord, la responsabilitĂ© individuelle d'un supĂ©rieur militaire, parfois difficile Ă Ă©tablir en droit international pĂ©nal, apparaĂźt ici, au contraire, limpide[11] ; ensuite, la CPI s'appuie et principalement sur des preuves dites open source pour dĂ©livrer les mandats d'arrĂȘt : en l'espĂšce, des vidĂ©os et leur transcription, ainsi que des messages, le tout diffusĂ© sur les rĂ©seaux sociaux par les commanditaires eux-mĂȘmes ou des personnes qui ont un lien avec la brigade[17]. L'affaire a des points communs avec celle du malien al-Mahdi jugĂ© pour la destruction de biens Ă caractĂšre religieux et historique Ă Tombouctou puisque l'Accusation avait recueilli, Ă l'Ă©poque, des vidĂ©os le montrant en train de commettre les actes et d'ordonner Ă ses subordonnĂ©s d'en faire de mĂȘme. Toutefois, elle s'en Ă©carte puisque plaidant coupable, ces preuves ne sont pas mobilisĂ©es au cours du procĂšs. La spĂ©cificitĂ© et la notabilitĂ© du cas al-Werfalli rĂ©side donc dans le fait que si les vidĂ©os n'avaient pas Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©es recevables, il n'y aurait pas eu de lancement de procĂ©dure judiciaire[41].
Emma Irving, assistant professor Ă la Leiden Law School (en), note que ce mode de preuve pose de nouveaux dĂ©fis Ă la justice pĂ©nale internationale sur le plan de la vĂ©rifiabilitĂ©[18] (heure, date et localisation concrĂštes ; non altĂ©ration du support). Selon la chercheuse, l'affaire al-Werfalli illustre, en toute hypothĂšse, la façon dont la Cour s'adapte face aux Ă©volutions des conflits contemporains, en particulier l'articulation entre cette forme de criminalitĂ© et les nouvelles technologies de communication, la situation libyenne n'Ă©tant pas isolĂ©e sur ce point comme le dĂ©montrent la Syrie et le YĂ©men[42]. Le poids accordĂ© Ă ces Ă©lĂ©ments de preuve, en fonction du stade de la procĂ©dure, est aussi questionnĂ© : en effet, si l'Ă©mission d'un mandat d'arrĂȘt repose sur le standard « des motifs raisonnables de croire », la culpabilitĂ© doit ĂȘtre Ă©tablie « au-delĂ de tout doute raisonnable »[n 3] - [14]. Le deuxiĂšme mandat d'arrĂȘt apporte des informations concernant l'Ă©valuation de la fiabilitĂ© et de l'authenticitĂ© des documents en open source : les juges citent un « rapport d'experts [...] Ă©tabli par un institut indĂ©pendant rĂ©putĂ© » ayant conclu Ă l'absence « de traces de falsification ou de manipulation » corroborĂ© par des preuves de nature testimoniale[43].
Sanctions Ă©conomiques
En , Mahmoud al-Werfalli est placĂ© par le gouvernement amĂ©ricain sur une liste d'individus faisant l'objet de sanctions Ă©conomiques[44] - [45]. En , l'Union europĂ©enne fait de mĂȘme[3].
Annonce de décÚs
Selon une source sécuritaire, il est abattu, en compagnie de son cousin, le par des hommes armés qui ouvrent le feu sur leur voiture dans le centre de Benghazi[39]. L'attaque aurait été organisée par le clan Haftar, Mahmoud al-Werfalli « s'opposa[nt] frontalement à l'autorité du maréchal » à plusieurs reprises[1].
Voir aussi
Liens externes
- « Affaire Al-Werfalli (ICC-01/11-01/17) », sur Cour pénale internationale (consulté le )
- Documentation relative aux sept incidents visĂ©s par le premier mandat d'arrĂȘt de la Cour pĂ©nale internationale : (en) Christiaan Triebert, « Geolocating Libya's Social Media Executioner », sur Bellingcat, (consultĂ© le )
- (en) Human Rights Watch, « Libya: Threat of Tripoli Fighting Raises Atrocity Concerns â Hiftar's Forces, Rival Militias Have History of Abuses » [archive], (consultĂ© le )
Notes et références
Notes
- Le lieu de naissance est incertain. Selon Interpol : Benghazi[2] ; selon lâUnion europĂ©enne : ouest libyen ou Bani Walid[3].
- Article 8(2)(c)(i) du Statut de Rome : violation grave de l'article 3 commun aux Conventions de GenÚve si l'acte est « commis à l'encontre de personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou par toute autre cause [...] ».
- Articles 58(1)(a) et 66(3) du Statut de Rome.
Références
- Jacques Deveaux, « Libye : flambée de violence à Benghazi alors que le pays recherche son unité », sur Franceinfo, (consulté le )
- Interpol, Notice rouge (Al-Werfalli, Mahmoud, Mustafa Busay) (consulté le )
- Conseil de l'Union europĂ©enne, « RĂšglement d'exĂ©cution (UE) 2020/1309 mettant en Ćuvre lâarticle 21, paragraphe 2, du rĂšglement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye », sur EUR-Lex (JOUE L305 I), (consultĂ© le )
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- AFP, « Libye: Mahmoud al-Werfalli, recherché par la CPI, abattu à Benghazi », sur Le Figaro, (consulté le )
- Jean-Pierre Filiu, « LâimpunitĂ© dâun bourreau libyen », sur Un si Proche Orient, (consultĂ© le )
- (en) Lindsay Freeman, « Part. I, Ch. 3 â Prosecuting Atrocity Crimes with Open Source Evidence: Lessons from the International Criminal Court », dans Murray et al. 2020, p. 56-57
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