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Madame Claude

Fernande Grudet, dite Madame Claude, née le à Angers et morte le à Nice, est une proxénète française. Dans les années 1960-1970, elle est à la tête d'un réseau de prostitution qui a pour clients des dignitaires de différents gouvernements, des diplomates et des hauts fonctionnaires.

Madame Claude
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Biographie
Naissance
Décès
(Ă  92 ans)
Nice
Nom de naissance
Fernande Joséphine Grudet
Nationalité
Activité

Son surnom est devenu une antonomase dans la langue française (aussi utilisée dans la langue anglaise sous la forme de « Madam ») pour désigner un proxénète de la prostitution « de luxe ».

Biographie

Jeunesse et formation

Fernande Joséphine Grudet a des origines modestes[1] : son père tient un café rue Diderot à Angers et vend des sandwiches à la gare pour subvenir aux besoins de sa famille[2]. Du couple Grudet naissent deux filles : Joséphine, la première fille, qui meurt en 1924, à l'âge de 19 ans, puis Fernande le 6 juillet 1923[3]. Elle est élève à l'institution Jeanne-d'Arc puis à l'Immaculée-Conception d'Angers[4]. Le père décède à l'hôpital à 58 ans, le , d'un cancer du larynx[4].

Dans les biographies qui lui sont consacrées ou dans ses mémoires, les affabulations et incertitudes sont légion. Elle s'invente des origines bourgeoises, un père industriel, avoir reçu une éducation très stricte chez les sœurs Visitandines, un père résistant mort pendant l'Occupation, une fille conçue avec un résistant mort en déportation et qui est élevée par sa grand-mère en province, un passé de résistante déportée au camp de concentration nazi de Ravensbrück où elle aurait sauvé, grâce à un médecin du camp tombé sous son charme, Geneviève de Gaulle[5]. Aucune de ces histoires n'est avérée.

Prostitution et proxénétisme

Mère célibataire, elle s’installe à Paris et prend le pseudonyme de Claude, genre indéterminé qui manifeste peut-être une manière de neutralité sexuelle[5]. Elle raconte plus tard avoir fréquenté les milieux du banditisme (notamment Pierre Loutrel) et s'être prostituée[4].

L'immeuble où elle réside, rue de Marignan à Paris.

Elle monte, à la fin des années 1950, une entreprise de prostitution de luxe qu'elle anime par téléphone (alors un luxe[3]) depuis son appartement de la rue de Marignan. Les prestations sont réservées à une élite disposant de moyens financiers importants : hommes politiques, hauts fonctionnaires et artistes[6].

Elle engage des femmes âgĂ©es entre 20 et 35 ans, avec un minimum d'Ă©ducation, « avec de jolis gestes » et d'une certaine taille, et leur permet une formation intellectuelle supplĂ©mentaire et d'amĂ©liorer leur connaissance des bonnes manières[3]. Une hygiène irrĂ©prochable et la proscription des drogues fait Ă©galement partie des prĂ©requis[3]. Recrutant au Crazy Horse, Chez RĂ©gine ou chez Castel, son groupe comprend des mannequins et des apprenties actrices. Son adjointe, Catherine Vergitti, se charge du repĂ©rage des candidates potentielles[3]. Les prostituĂ©es officient dans une maison close situĂ©e au 32 rue de Boulainvilliers dans le 16e arrondissement de Paris[4]. Les jeunes femmes qu'elle prostitue « se vendent pour 10 000 ou 15 000 francs la nuit (1 500 Ă  2 300 euros) »[7]. Pendant vingt ans, Madame Claude règne sur un groupe de cinq cents prostituĂ©es, les fait habiller par de grands couturiers et recourir systĂ©matiquement Ă  la chirurgie esthĂ©tique[1] - [3]. Elle-mĂŞme fait appel Ă  ces traitements chirurgicaux, subissant plusieurs opĂ©rations de visage ; elle juge son physique laid, alors qu'elle est dotĂ©e d'un rĂ©el charisme[3].

« Claude rĂ©glait toutes les factures, Dior, Vuitton, les coiffeurs, les mĂ©decins, et les filles devaient ensuite travailler pour la rembourser », explique l'actrice Françoise Fabian qui a interprĂ©tĂ© la mère maquerelle en 1977 : « C'Ă©tait de la servitude sexuelle dans laquelle Claude prenait 30 % au passage. Elle aurait pu prendre plus, mais elle disait que les filles l'auraient trahie si elle l'avait fait »[8]. Madame Claude rĂ©fute le terme de proxĂ©nĂ©tisme : elle prĂ©tend d'ailleurs n'avoir jamais forcĂ© ses « filles » Ă  monnayer leurs charmes, et se vante que plusieurs de ses protĂ©gĂ©es aient fait des mariages intĂ©ressants grâce Ă  son entreprise[3]. Ă€ la fin de la formation de ses recrues, Madame Claude les envoie pour ĂŞtre « testĂ©es » par un ami, rĂ´le longtemps tenu par Jacques Quoirez, frère de Françoise Sagan[3].

Sans jamais révéler le nom de ses clients, elle laissait volontiers les journalistes lui attribuer telle ou telle pratique, son aura grandissant d'autant. Différentes personnalités politiques auraient fait partie de sa clientèle, comme le président américain John F. Kennedy, le ministre israélien Moshe Dayan, l'industriel italien Giovanni Agnelli, le guide libyen Mouammar Kadhafi ou le roi Hussein de Jordanie[3]. Elle s'est liée avec des personnages d'origines les plus diverses, parmi lesquels Marlon Brando ou encore le neveu du roi Farouk, le milliardaire égyptien Ibrahimi[8].

Madame Claude bénéficie à l'époque de la clémence de la police, en particulier parce qu'elle fait des comptes rendus réguliers à la brigade mondaine, au SDECE[9] et aux Renseignements généraux, qui complètent leurs « notes blanches » avec les pratiques sexuelles du client concerné. Méprisant les hommes, elle ne considérait pas mieux les femmes, et ne voyait dans le sexe tarifé qu'un moyen de domination[3]. Si certaines l'ont considérée à l'époque comme une icône féministe, ayant atteint les sommets de l'échelle sociale dans un monde strictement masculin, son avocat Francis Szpiner la juge au contraire très traditionnaliste[3], et Françoise Fabian comme « quelqu’un d’assez terrifiant [...] prétentieuse et complètement mythomane »[3].

La mansuĂ©tude politique disparaĂ®t avec l’arrivĂ©e de ValĂ©ry Giscard d'Estaing au pouvoir et de Michel Poniatowski Ă  la tĂŞte du ministère de l'IntĂ©rieur ; Giscard suppose que Madame Claude a tentĂ© de le piĂ©ger en lui envoyant une de ses recrues[3]. Ă€ partir de 1976, le juge Jean-Louis Bruguière entreprend de dĂ©manteler le rĂ©seau. Ne dĂ©clarant pas ses 30 % de prĂ©lèvement sur les honoraires de ses prostituĂ©es, Madame Claude est poursuivie par le fisc, qui lui rĂ©clame onze millions de francs, ses gains mensuels Ă©tant estimĂ©s Ă  70 000 francs, auxquels s'ajoutent les cadeaux en nature : bijoux, fourrures, automobiles[10]. Madame Claude est condamnĂ©e Ă  dix mois de prison avec sursis, et 11 millions de francs d'amende[3]. Mais elle Ă©pouse un citoyen suisse pour obtenir sa nationalitĂ©, puis s’enfuit aux États-Unis en [1].

Aux États-Unis, elle prend le nom de Claude Tolmatcheff et ouvre une pâtisserie en Californie, mais fait faillite[3]. Afin d'obtenir la carte verte, elle se remarie avec un barman homosexuel, ouvre un restaurant, Le Canard, et se fait appeler Claude Cook[9]. Elle est finalement dénoncée aux services de l'immigration. Persuadée qu'il y a prescription en ce qui concerne ses ennuis fiscaux, elle revient en France. Elle vit dans une ancienne bergerie (rachetée à l'ancien ministre Olivier Guichard) à Cajarc dans le Lot[6]. Mais elle est arrêtée le [3] (ou 1986[6]) et purge une peine de un an et demi de prison[6]. À sa sortie de prison, elle devient vendeuse de jeans dans une boutique de la rue Dauphine. En 1991, elle tente de monter un nouveau réseau de prostitution, sous un faux nom[3], avec une douzaine de prostituées dans un appartement du quartier du Marais[9]. Son réseau est à nouveau démantelé et elle est arrêtée par la commissaire Martine Monteil, qui dirige alors la brigade de répression du proxénétisme[3].

Poursuivie par la justice pour proxénétisme aggravé en 1992, malgré la défense de Me Francis Szpiner, elle est condamnée à six mois de prison ferme, trente mois avec sursis[3] et un million de francs d'amende. Elle fait appel, mais la chambre de la Cour d'appel de Paris confirme la condamnation le , à trois ans d'emprisonnement dont trente mois avec sursis, à cinq ans d'interdiction de séjour et autant de privation des droits civiques[11]. Entre-temps, elle accorde à TF1, dans une émission spéciale « Les confessions de Madame Claude », sa première interview (par Isabelle Morini-Bosc) à la télévision[3]. Elle est incarcérée à Fleury-Mérogis[1] pendant dix mois. À sa sortie, elle s'installe dans la Beauce.

À partir de 2000, Fernande Grudet vit en recluse dans un petit appartement sur la Côte d'Azur. Elle tente de revoir sa fille, en vain. Elle subit un accident vasculaire cérébral en 2013 et meurt en 2015 à l'hôpital des Sources de Nice[1] - [9].

EnquĂŞtes et adaptations

L'histoire de Madame Claude et de son réseau a inspiré des auteurs et des cinéastes.

  • Le livre d'Élisabeth AntĂ©bi et Anne Florentin, Les Filles de Madame Claude, publiĂ© en , est le premier du genre Ă  retracer l'ascension de Madame Claude et la vie quotidienne de ses « pensionnaires ». Les deux auteures ont intĂ©grĂ© le processus de recrutement des pensionnaires pour rĂ©diger l'ouvrage. AntĂ©bi a Ă©tĂ© menacĂ©e d'ĂŞtre dĂ©figurĂ©e pour l'avoir Ă©crit[3].
  • Le film Le TĂ©lĂ©phone rose (1975) d'Édouard Molinaro lui fait rĂ©fĂ©rence.
  • Sa vie a Ă©tĂ© adaptĂ©e dans le film Madame Claude par le rĂ©alisateur Just Jaeckin en 1977 avec Françoise Fabian dans le rĂ´le-titre. Selon Jaeckin, Madame Claude tint Ă  ce que le rĂ©alisateur essaie une de ses recrues avant de faire le film, et lui en envoya une correspondant Ă  ses goĂ»ts[3]. Une suite, intitulĂ©e Madame Claude 2, est rĂ©alisĂ©e par François Mimet en 1981, avec Alexandra Stewart cette fois.
  • Elle est un personnage non visible du film Le Professionnel (1981) de Georges Lautner, passant un coup de tĂ©lĂ©phone Ă  Doris Frederiksen (54e minute).
  • Une sĂ©rie d'ouvrages Ă©rotiques est Ă©ditĂ©e dans les annĂ©es 1980 dans la collection « Les dossiers secrets de Madame Claude » (Ă©ditions E1).
  • En 2010, un Ă©pisode de l'Ă©mission de France 2 Un jour, un destin, intitulĂ© Madame Claude : sexe, mensonges et secrets d’État, retrace la vie de Madame Claude.
  • En 2021, le film français Madame Claude de Sylvie Verheyde retrace sa vie, avec Karole Rocher pour l'incarner ; elle est reprĂ©sentĂ©e Ă  la fois comme une « proxĂ©nète dure et intraitable, mais aussi comme une sorte d’icĂ´ne fĂ©ministe, femme dĂ©limitant son territoire et affirmant son indĂ©pendance dans un monde d’hommes qu’elle se plaisait Ă  dominer »[3].
  • En 2022, un Ă©pisode inĂ©dit de la sĂ©rie Les Petits Meurtres d'Agatha Christie est diffusĂ©. L'enquĂŞte se base sur le meurtre de Madame Maude, qui est une gĂ©rante d'un rĂ©seau international de prostitution dans les annĂ©es 1970. Cet Ă©pisode, initialement nommĂ© « Le meurtre de madame Maude », a Ă©tĂ© remplacĂ© au dernier moment par le titre « Quand les souris dansent ». Le scĂ©nariste de l'Ă©pisode a dĂ©clarĂ© publiquement s'ĂŞtre librement inspirĂ© de la vie de Madame Claude pour Ă©crire l'Ă©pisode.

Autobiographies

  • Jacques Quoirez, « AllĂ´, oui » ou Les mĂ©moires de madame Claude, Stock, , 148 p. (ISBN 2-234-00282-6)RĂ©digĂ© Ă  partir d'entretiens de l'auteur avec Madame Claude
  • Claude Grudet, Le meilleur, c'est l'autre, Balland, , 223 p. (ISBN 2-7158-0577-2)
  • Claude Grudet, Madam : roman vĂ©cu, Michel Lafon, , 304 p. (ISBN 2-84098-033-9)Dans cette « histoire de Madame Claude par Madame Claude » largement fantasmĂ©e, celle-ci s'invente une famille, trois frères (elle n'en avait pas) Ă©levĂ©s chez les jĂ©suites, un père ingĂ©nieur (alors qu'il Ă©tait ouvrier) et raconte qu'elle a Ă©tĂ© dĂ©portĂ©e durant la guerre, alors que son nom n'apparaĂ®t dans aucun camp de concentration.

Notes et références

  1. Caroline Desorbay, « Mais qui était Madame Claude ? », sur lavenir.net, .
  2. Cancès 2014, p. 47
  3. Vanessa Schneider et Samuel Blumenfeld, « La vraie histoire de Madame Claude : loin du joli conte licencieux, une pourvoyeuse du sexe impitoyable », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. Meriem Lay, Madame Claude, sexe, mensonges et secrets d'État, documentaire diffusé sur France 2, le 7 octobre 2011.
  5. Serge Koster, Le sexe et l'argent, Melville, , p. 77
  6. Pascale Robert-Diard, « Mort de Madame Claude : "Deux choses marchent dans la vie, la bouffe et le sexe. Je n’étais pas douée pour la cuisine" », sur Le Monde, (consulté le ).
  7. « Cinq choses à savoir sur Madame Claude, la célèbre proxénète », lexpress.fr, 23 décembre 2015.
  8. Mathieu Olivier, « Sexe sans frontières : Kadhafi et Kennedy dans la même maison close parisienne ? », sur jeuneafrique.com, (consulté le )
  9. Dany Jucaud, « Madame Claude, Madame 30 % Â», Paris Match, semaine du 31 dĂ©cembre au 6 janvier 2015, pages 32-35.
  10. Willemin 2009, p. 221
  11. Willemin 2009, p. 224

Annexes

Bibliographie

  • Elizabeth AntĂ©bi et Anne Florentin, Les Filles de Madame Claude : un empire qui ne tient qu'Ă  un fil, Presses Pocket, , 154 p. (ISBN 2-266-01013-1)
  • VĂ©ronique Willemin, La Mondaine: Histoire et archives de la police des mĹ“urs, HoĂ«beke, , 338 p. (ISBN 978-2-842-30359-4)
  • Claude Cancès, L'ancien patron du 36 quai des Orfèvres raconte la brigade mondaine : Sexe, pouvoir, argent..., Pygmalion, , 250 p. (ISBN 978-2-756-41064-7)
  • Patricia Tourancheau, Le 36 : histoires de poulets, d'indics et de tueurs en sĂ©rie, Seuil, , 352 p. (ISBN 978-2-02-135653-3)
  • Patricia Herszman, Call-girl du Tout-Paris: Confessions d'une « fille » de Madame Claude, Nouveau Monde Editions, , 320 p. (ISBN 978-2-380-94188-3)
  • Erwan L'ÉlĂ©ouet, Madame Claude, le parfum du secret, Fayard, , 288 p. (ISBN 978-2-213-72059-3)

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