Learned Hand
Billings Learned Hand (nĂ© le Ă Albany (New York) et mort le Ă New York), habituellement simplement nommĂ© Learned Hand, Ă©tait un cĂ©lĂšbre juge amĂ©ricain et un dĂ©fenseur actif de la libertĂ© d'expression. DiplĂŽmĂ© d'Harvard, on se souvient de lui surtout pour avoir appliquĂ© un raisonnement Ă©conomique Ă la Tort Law (loi amĂ©ricaine Ă©quivalent au dĂ©lit civil). Hand est considĂ©rĂ© comme l'un des juristes amĂ©ricains les plus influents du XXe siĂšcle, bien que n'ayant pas servi Ă la Cour suprĂȘme.
Juge Ă la Cour d'appel des Ătats-Unis pour le deuxiĂšme circuit (d) | |
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Juge Ă la Cour d'appel des Ătats-Unis pour le deuxiĂšme circuit (d) | |
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Juge Ă la Cour de district des Ătats-Unis pour le district sud de New York (d) | |
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Naissance | |
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DĂ©cĂšs |
(Ă 89 ans) New York |
Nom de naissance |
Billings Learned Hand |
Nationalité | |
Formation |
Faculté de droit de Harvard Harvard College Albany Academy (en) |
Activités | |
PĂšre |
Samuel Hand (en) |
MĂšre |
Lydia Coit Hand (d) |
Enfant |
Constance Hood (d) |
Partis politiques | |
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Membre de |
Académie américaine des arts et des sciences Phi Beta Kappa American Law Institute (en) |
Il servit à la cour d'appel du deuxiÚme circuit, siégeant à New York, de 1924 à 1951[1].
Origine et jeunesse
Learned Hand naĂźt Ă Albany (New York) le au sein dâune famille de juristes. Son grand-pĂšre maternel, Billings Peck Learned ainsi que son pĂšre, Samuel Hand, Ă©taient tous les deux avocats. Son cousin, Augustus Noble Hand, Ă©tait Ă©galement un juriste important du XXiĂšme siĂšcle[1].
La famille Hand, issue de lâimmigration anglaise du XVIIe siĂšcle, Ă©tait une famille aisĂ©e et respectable de lâĂtat de New York[2]. Elle Ă©tait Ă©galement active au sein du parti DĂ©mocrate, son pĂšre Ă©tant mĂȘme conseiller de certains gouverneurs.
LâannĂ©e 1886 est marquĂ©e par le dĂ©cĂšs de son pĂšre, Samuel Hand, atteint dâun cancer de la langue. Hand devient alors le seul hĂ©ritier masculin de la famille et subit beaucoup de pressions de la part de sa mĂšre. Cette pression sâaccompagne de lourdes responsabilitĂ©s familiales et Ă©ducatives. On peut dire que Learned Hand vivra pendant de nombreuses annĂ©es dans lâombre du succĂšs de son pĂšre, ce qui pourrait expliquer en partie son caractĂšre, dĂ©crit comme introverti et anxieux[1].
On retrouve chez Learned Hand lâimportance de la valeur du travail, notamment inculquĂ©e par sa mĂšre - Lydia Hand - qui lui transmettra les principes de la culture religieuse protestante et son âĂ©thique du travailâ[1]. Cette Ă©thique se retrouvera tout au long de sa carriĂšre. Bien que Learned ait admis que la religion lâait Ă©normĂ©ment aidĂ© lors du dĂ©cĂšs de son pĂšre (il Ă©crira notamment ces mots Ă son ami et cousin Augustus Noble Hand: âIf you could imagine one half the comfort my religion has given to me in this terrible loss, you would see that Christ never forsakes those who cling to himâ)[1], Learned se rĂ©vĂ©lera plutĂŽt ĂȘtre agnostique et adogmatique[1].
En 1902, Learned Hand épouse Frances Fincke, une jeune femme décrite comme intelligente et indépendante, rencontrée au Québec dix-huit mois plus tÎt. Ils auront ensemble 3 filles: Mary Deshon (1905), Frances (1907), et Constance (1909)[1].
Learned Hand et sa femme financeront la New School, originellement la New School for Social Research[1]. Il sâagit dâune universitĂ© dĂ©diĂ©e aux sciences sociales. Elle a Ă©tĂ© fondĂ©e notamment par Herbert Croly et John Dewey[3]. Eleanor Roosevelt y sera diplĂŽmĂ©e.
Hand est un pĂšre et mari anxieux et perfectionniste, tout en Ă©tant souvent absorbĂ© par son travail. Les Hand vivant assez loin de New York oĂč Learned Hand pratique le droit en tant qu'avocat puis en tant que juge, la famille est souvent sĂ©parĂ©e ce qui provoquera certaines tensions dans leur mariage, ainsi quâun sentiment de culpabilitĂ© chez Hand[1].
Certains auteurs voient un parallĂšle important entre l'abnĂ©gation judiciaire et personnelle de Hand au point de comparer le besoin dâindĂ©pendance de sa femme Ă lâindĂ©pendance que Hand accordera toujours aux autres branches gouvernementales, signe de son judicial restraint[4].
Formation Ă Harvard
Learned Hand entre Ă Harvard en 1889 pour Ă©tudier la philosophie et lâĂ©conomie au Harvard College. Il y sera notamment influencĂ© par William James, Josiah Royce et George Santayana quâil considĂšre comme âthe most shining stars of Harvardâ[1].
On retrouve lâinfluence de James dans la conception philosophique de Learned Hand. Cette philosophie est fondĂ©e sur un scepticisme marquĂ© ainsi qu'un pragmatisme fort.
Une fois son Bachelor of Arts en poche, son entourage et la tradition familiale le poussent vers le droit alors quâil pensait sâorienter vers la philosophie[1].
Il entre donc Ă la Harvard Law School de 1893 Ă 1895. Il y suivra les enseignements de Christopher Langdell, doyen de lâĂ©cole innovant dans lâĂ©tude du droit en promouvant la âcasebook method â[5] - assez proche in fine de la conception philosophique et de lâapproche du droit de Hand, Samuel Willison, John Chipman Gray, James Barr Ames ainsi que James Bradley Thayer. Ce dernier lui enseigna notamment le droit constitutionnel et le droit de la preuve. Hand disait de lui quâil Ă©tait âthe teacher who counted most to meâ. Thayer propose âto imbue us with a scepticism about the wisdom of setting up courts as the final arbiters of social conflicts, [a skepticism] which many of [us] always retainedâ, une philosophie trĂšs alignĂ©e avec celle dont Hand sâĂ©tait inspirĂ© en suivant William James.
Theodore Roosevelt, Louis Brandeis, Felix Frankfurter et Learned Hand font partie des figures qui ont publiquement annoncĂ© quâils adhĂ©raient Ă lâapproche constitutionnelle de Thayer[6] - [1].
DĂšs son passage Ă Harvard, on peut donc retrouver les sources du âjudicial restraintâ qui sera si souvent une pierre angulaire de la philosophie juridique de Learned Hand. Câest Ă©galement Ă Harvard que Hand dĂ©veloppera sa sensibilitĂ© par rapport Ă la tradition juridique, entre un respect fidĂšle mais Ă©galement une conscience que cette tradition doit ĂȘtre utilisĂ©e de maniĂšre flexible, voire crĂ©ative. On dit de Hand qu'il est un "artisan du droit"[7] - [4].
Notons que Learned Hand nâa pas simplement adoptĂ© la doctrine de Thayer (qui nâĂ©tait plus complĂštement adaptĂ©e au contexte Ă©conomique et social au moment oĂč Hand Ă©tait juge) mais a tentĂ© dâĂ©largir les idĂ©es de Thayer et de les utiliser comme outil politique pour faire progresser ses idĂ©aux[1].
LâarrivĂ©e Ă Harvard fut assez difficile pour Learned Hand. Il a du mal avec lâidĂ©e que les Ă©tudiants doivent se ranger en fonction de leur classe sociale qui dĂ©termine leur statut social et leur appartenance aux groupes sociaux dâHarvard[1]. Il se concentre au dĂ©but principalement sur ses Ă©tudes et ne sâinvestit pas dans la vie sociale Ă©tudiante - notamment car il est rejetĂ© par les groupes qui lâintĂ©ressent le plus (dont le Porcellian Club)[1]. Il est gĂ©nĂ©ralement dĂ©crit comme un âsocial outsiderâ, rempli de doute et dâanxiĂ©tĂ©.
Ă partir de sa deuxiĂšme annĂ©e, ses relations sociales se dĂ©veloppent. Il rejoint le Hasty Pudding Club en 1892 ainsi que âThe Harvard Advocateâ dont il deviendra mĂȘme le prĂ©sident.
LâarrivĂ©e de Hand Ă la Harvard Law School marque Ă©galement son entrĂ©e dans 3 associations:
- La société Phi Beta Kappa en 1895[6].
- Sa participation au Pow-Wow Club, un club de simulation de procĂšs et de plaidoiries[1].
- Sa participation Ă la Harvard Law Review, dont il fut mĂȘme le rĂ©dacteur en chef en 1894 et dont faisait Ă©galement partie son ami Felix Frankfurter[1].
Ces investissements et accomplissements constituent une grande source de fiertĂ© pour Learned Hand, ainsi quâune source non nĂ©gligeable de rencontres et de brassages dâidĂ©es[1].
Les rencontres que Learned Hand aura faites à Harvard et dans les différentes associations dont il a fait partie auront un impact considérable sur sa philosophie et son approche juridique.
Ătapes de sa carriĂšre
Ă sa sortie de la FacultĂ© de droit dâHarvard, Learned Hand commence sa carriĂšre juridique par la profession dâavocat Ă Albany en 1896 dans le cabinet dâun de ses oncle Matthew Hale, avant de se tourner vers New-York en [1].
En 1909, il est nommĂ© par le PrĂ©sident en fonction William Howard Taft Ă lâĂąge de 37 ans juge Ă la Federal District Court de New-York[1]. Il y travaille sur des affaires relevant de nombreux domaines du droit, mais est surtout confrontĂ© Ă des affaires de droit commercial et des faillites[1].
Il est reconnu pour ses qualitĂ©s rĂ©dactionnelles et la clartĂ© de ses raisonnements. Il sâillustre notamment par ses opinions Ă©crites en matiĂšre de libertĂ© dâexpression durant la PremiĂšre Guerre mondiale, en proposant une interprĂ©tation extensive du Premier Amendement de la Constitution des Ătats-Unis[8].
Cette reconnaissance par ses pairs se traduit par sa nomination Ă Federal Court of Appeals du Second Circuit, en 1924 par le PrĂ©sident Calvin Coolidge. Il acquiert alors une vĂ©ritable notoriĂ©tĂ© nationale, en donnant des confĂ©rences Ă travers tout le pays[9]. Il est Ă©galement interviewĂ© sur les ondes de CBS avec Felix Frankfurter sur les difficultĂ©s de lâinterprĂ©tation des lois et sur lâart de juger[1].
En , il devient juge en chef du Second Circuit dans les faits, car le titre ne sera crĂ©Ă© officiellement quâen 1948.
Il siĂšgera au sein de la Federal Court of Appeals jusquâĂ sa demi-retraite en 1951 et sa mort en 1961[10].
Les occasions manquĂ©es de nomination Ă la Cour SuprĂȘme
Hand est considĂ©rĂ© comme lâun des juges les plus influents de lâhistoire Ă©tasunienne, bien quâil nâait jamais Ă©tĂ© juge Ă la Cour SuprĂȘme. Il a pourtant Ă©tĂ© plusieurs fois pressenti comme potentiel candidat Ă une telle nomination. La premiĂšre occasion sâest prĂ©sentĂ©e en 1930, lorsque le PrĂ©sident Herbert Hoover devait nommer un nouveau juge. MalgrĂ© le soutien de Felix Frankfurter, le PrĂ©sident ne nomma pas Hand en raison de son passĂ© politique en faveur de Theodore Roosevelt en 1912[2].
La seconde occasion se prĂ©senta en 1942. Une fois de plus soutenu par Felix Frankfurter, Franklin D. Roosevelt refuse de le nommer, nâĂ©tant pas certain du futur comportement de Learned Hand au sein de la Cour SuprĂȘme[6]. La position du PrĂ©sident doit ĂȘtre comprise dans un contexte oĂč la Cour SuprĂȘme des Etats-Unis avait fait preuve dâun activisme judiciaire important, une pĂ©riode appelĂ©e lâĂšre Lochner. Franklin D. Roosevelt, qui a avait vu bon nombre de lĂ©gislations du New Deal annulĂ©es par la Cour SuprĂȘme, voulait alors nommer un juge en qui il pouvait faire confiance.
Learned Hand a exprimĂ© plus tard son regret de ne pas avoir Ă©tĂ© nommĂ© Ă la Cour SuprĂȘme[11].
Seconde Guerre mondiale
Lorsque la guerre Ă©clate en Europe, Hand adopte une position anti-isolationniste, quoiquâil ne le dĂ©clare pas ouvertement en raison de sa fonction de juge[1]. Il prononce toutefois un cĂ©lĂšbre discours en 1944 lors de lâĂ©vĂšnement «I am an American Day», qui cĂ©lĂšbre la naturalisation des nouveaux amĂ©ricains. Cette allocution, qui sera dĂ©clamĂ©e devant plus dâun million de personnes[1], restera comme un des textes les plus connus de Hand, dâautant que plusieurs journaux comme le New-York Times publieront le discours dans les jours suivants[1]. Il Ă©crit notamment :
âWhat then is the spirit of liberty? I cannot define it; I can only tell you my own faith. The spirit of liberty is the spirit which is not too sure that it is right ; the spirit of liberty is the spirit which seeks to understand the minds of other men and women; the spirit of liberty is the spirit which weighs their interests alongside its own without bias; the spirit of liberty remembers that not even a sparrow falls to earth unheeded; the spirit of liberty is the spirit of Him who, near two thousand years ago, taught mankind that lesson it has never learned, but has never quite forgotten; that there may be a kingdom where the least shall be heard and considered side by side with the greatest.â[12]
Fin de carriĂšre
En 1947, Learned Hand a 75 ans. NommĂ© Chief Judge en 1948 de la Cour dâAppel du Second Circuit, il continuera Ă exercer sa fonction jusquâen 1961, annĂ©e de sa mort[10]. Pendant la pĂ©riode du Maccarthysme, Hand sâoppose Ă la politique menĂ©e, bien quâil prenne garde de ne pas sâexprimer publiquement Ă ce propos. Il a nĂ©anmoins lâoccasion de juger quelques affaires concernant des personnes accusĂ©es de communisme.
Dans United States v. Coplon[13], Hand et sa Cour renverse une condamnation dâune communiste ayant commis des vols au DĂ©partement de la DĂ©fense en raison des manquements aux droits de la dĂ©fense de lâaccusĂ©e[13]. Cette dĂ©cision lui vaudra des menaces de la part des dĂ©fenseurs du Maccarthysme, dâautant que lâaffaire Coplon est lâun des procĂšs les plus suivis de lâAprĂšs-Guerre[1].
A lâinverse, dans lâaffaire Dennis oĂč le juge Hand et sa Cour confirment la condamnation de lâaccusĂ©, câest lâautre camp du Maccarthysme qui lui envoie des menaces[1].
Il critique la Warren Court et de la dĂ©cision de la Cour SuprĂȘme dans Brown v. Board of education car elle fait preuve dâactivisme judiciaire. MĂ©compris sur les motifs de sa critique, il reçoit le soutien des conservateurs et des sĂ©grĂ©gationnistes, qui ont utilisĂ© les confĂ©rences donnĂ©es par Hand pour soutenir que la Cour SuprĂȘme agissait comme lĂ©gislateur. Hand se dĂ©solidarise et distingue bien le principe dâĂȘtre contre le fait que la cour lĂ©gifĂšre et un soutien Ă la doctrine sĂ©grĂ©gationniste[1].
Positions juridiques
La retenue judiciaire ou le judicial restraint
DĂšs la publication de sa premiĂšre contribution Ă la Harvard Law Review intitulĂ©e âDue Process of Law and the Eight-Hours Dayâ[14], Hand sâest toujours placĂ© en faveur de la retenue judiciaire. DâaprĂšs ce concept, opposĂ© Ă lâactivisme judiciaire dont fait preuve la Cour SuprĂȘme depuis le dĂ©but de lâĂšre Lochner, le juge doit limiter lâexercice de son propre pouvoir lorsquâune question de constitutionnalitĂ© est soulevĂ©e dans une affaire. En effet, sur une pĂ©riode sâĂ©talant de 1897 Ă 1937, la Cour SuprĂȘme des Etats-Unis a rĂ©guliĂšrement Ă©cartĂ© des lois Ă portĂ©e Ă©conomique et sociale car elles les estimaient contraires Ă la Constitution.
D'aprĂšs les adeptes de la retenue judiciaire, le juge doit sâabstenir dâinvalider un acte du pouvoir lĂ©gislatif, Ă moins dâĂȘtre confrontĂ© Ă une inconstitutionnalitĂ© flagrante, les juges n'ayant pas la lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique pour sâopposer aux lois du CongrĂšs.
Learned Hand militera en faveur de ce concept en prĂ©cisant sa portĂ©e. Alors quâil Ă©tait que juge de premiĂšre instance, il estimera que âit is not desirable for a lower court to embrace the exhilarating opportunity of anticipating a doctrine which may be in the womb of time, but whose birth is distantâ[15]. Ainsi, il prĂ©cise que le rĂŽle des Cours infĂ©rieures est de suivre les prĂ©cĂ©dents Ă©noncĂ©s en la matiĂšre. Cependant, le juge reste libre de critiquer la loi dans une opinion Ă©crite en marge de lâarrĂȘt[16].
Son choix de la retenue judiciaire vient notamment de son enseignement avec Thayer Ă Harvard et s'est renforcĂ© en mĂȘme temps que son opposition Ă la position conservatrice de la Cour SuprĂȘme en matiĂšre de rĂ©gulation fĂ©dĂ©rale de lâĂ©conomie[1].
Parmi les défenseurs de ce concept, on compte également Felix Frankfurter[17] ou Oliver Wendell Holmes[18].
La liberté d'expression
Learned Hand a, dĂšs ses premiĂšres annĂ©es de juge, favorisĂ© une conception protectrice de la libertĂ© dâexpression, protĂ©gĂ©e par le Premier Amendement de la Constitution des Ătats-Unis. En 1917, dans un arrĂȘt Masses Publishing Co. v. Patten[19], il Ă©crit une opinion qui sera suivie par la Cour SuprĂȘme bien des annĂ©es plus tard, en 1960 (Brandenburg v. Ohio[20]). Il estime notamment quâun journal ou un article ne peut ĂȘtre interdit que si lâauteur enjoint clairement le lectorat Ă violer la loi. En temps de guerre, ce jugement sera renversĂ© par la Cour dâAppel.
Il adopte aussi une position opposĂ©e Ă la censure, lorsquâil autorise la publication dâun livre de James Joyce accusĂ© de contenir des obscĂ©nitĂ©s[21].
Enfin, en 1950, pendant la pĂ©riode dite du Maccarthysme, le juge Hand rend une opinion cĂ©lĂšbre qui lui vaudra des menaces de mort[1] dans l'affaire Dennis v. United States[22]. EugĂšne Dennis (SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Communist Party prĂŽnant des rĂ©formes socialistes) est condamnĂ© pour violation du Smith Act de 1940 (une loi rendant illĂ©gal tout acte qui viserait Ă contester le gouvernement). Ce dernier invoque le premier amendement et son droit Ă la libertĂ© dâexpression. Hand confirmera la lĂ©galitĂ© du Smith Act de 1940 estimant quâil ne relevait pas de son rĂŽle de juge de limiter un acte du CongrĂšs. Pour contrĂŽler la lĂ©galitĂ© de cet acte, Hand adaptera le âclear and present danger testâ dĂ©veloppĂ© par Oliver W. Holmes quelques annĂ©es auparavant. Hand confirmera alors la condamnation dâEugĂšne Dennis, car les appels de celui-ci Ă renverser violemment le gouvernement constitue un grave et probable danger qui justifie la limitation du droit Ă la libertĂ© dâexpression. Il sâagit dâune nouvelle illustration de la retenue judiciaire de Learned Hand - dĂ©cision qui sera par ailleurs confirmĂ©e par la Cour SuprĂȘme dans Dennis v. United States[22].
Le New Deal de Roosevelt
Ătant juge Ă la Cour dâAppel du Second Circuit de New-York, de nombreuses lois du New Deal sont soumises Ă son jugement. Ses raisonnements sont scrutĂ©s de prĂšs tant par les politiciens que les juristes, car la notoriĂ©tĂ© de Hand est maintenant acquise.
Les nĆuds constitutionnels que le juge Hand doit dĂ©nouer portent souvent sur la question des pouvoirs du CongrĂšs pour rĂ©gler le commerce entre les Ătats. En effet, les pouvoirs du CongrĂšs en matiĂšre commerciale sont limitĂ©s par lâarticle I, section 8, clause 3 de la Constitution (â[The US Congress shall have the power] to regulate Commerce with foreign Nations, and among the several States, and with the Indian Tribesâ). Ainsi, dans plusieurs affaires, telles que United States v. Schechter[23] ou Borella v. Borden Co.[24], le point central du litige est de savoir si les lĂ©gislations sociales prises dans le cadre du New Deal respectent bien la Constitution[25]. Câest le cas lorsque les rĂšgles litigieuses touchent bien des commerces qui effectuent des Ă©changes de biens entre Ătats des Ătats-Unis.
Learned Hand a beaucoup appliquĂ© sa position de retenue judiciaire et nâa pas voulu aller Ă lâencontre du lĂ©gislateur. Ainsi, lorsque le Fair Labor Standart Act et le National Labor Relation Act[26] - [27], deux lĂ©gislations Ă caractĂšre social importantes pour le New Deal de Roosevelt[1], font lâobjet dâun litige devant la Cour dâAppel du Second Circuit, Hand privilĂ©gie une interprĂ©tation tĂ©lĂ©ologique et justifie lâapplication des lois. Il Ă©crit notamment : âIt would as much defeat the purpose of the act . . . to deprive such workmen of its protection when they chance to be employed by a different employer, as when they are employed by the employer of the cutters and stitchersâ[28].
Lors de la soumission au CongrĂšs du Judiciary Reorganization Bill en 1937 par Roosevelt afin de rĂ©organiser la Cour SuprĂȘme, Learned Hand a adoptĂ© une position mesurĂ©e. Alors que les supporters et les opposants de Franklin Roosevelt se dĂ©chirent sur la question, Hand estime quant Ă lui que la rĂ©action de Roosevelt est une consĂ©quence logique de lâarrogance dont a fait preuve la Cour SuprĂȘme, en Ă©cartant quasi-systĂ©matiquement les lois du New Deal.
Dâun point de vue plus personnel, Hand a adoptĂ© une position publique neutre vis-Ă -vis des lois du New Deal. En 1932, il vote pour Herbert Hoover, sans grande conviction toutefois[29]. Il soutient Franklin D. Roosevelt pour les 3 Ă©lections suivantes. Hand Ă©tait favorable au progrĂšs social, tout en restant critique des lois du New Deal, en ce quâelles reprĂ©sentaient un danger pour les libertĂ©s individuelles[1]. Il sâest nĂ©anmoins fermement opposĂ© au comportement de la Cour SuprĂȘme, qui a Ă©cartĂ© de nombreuses lois du New Deal[6].
Concept de droit privé développés par Learned Hand
Il s'agit d'une formule de droit de responsabilitĂ© permettant dâĂ©tablir si le propriĂ©taire dâune chose est tenue Ă une obligation de diligence Ă lâĂ©gard des tiers. Si le coĂ»t des prĂ©cautions Ă prendre pour Ă©viter le dommage est infĂ©rieur au coĂ»t du dommage, le propriĂ©taire sera tenu de les prendre. Cette formule, basĂ©e sur le thĂ©orĂšme de Coase, vise une allocation optimale des ressources en Ă©vitant au propriĂ©taire des coĂ»ts exorbitants non-nĂ©cessaires[30]. On y voit lĂ lâinfluence du courant juridique Law and economics.
Engagement politique
Venant dâune famille dĂ©mocrate, ce fut un choc pour cette derniĂšre lorsque Hand, en 1898, choisit de voter pour Theodore Roosevelt, un RĂ©publicain, en tant que gouverneur de New York et, encore plus, lorsquâil sâinscrivit sur les listes RĂ©publicaines pour les Ă©lections prĂ©sidentielles de 1900[1].
En 1912, bien que Theodore Roosevelt ait un certain appui lors des primaires, ce fut le candidat William Taft qui fut choisi pour reprĂ©senter le parti aux Ă©lections prĂ©sidentielles. Roosevelt fut alors trĂšs en colĂšre et dĂ©cida de crĂ©er son propre parti, le Progressive Party, que rejoignit Learned Hand. Le parti proposait une vision progressiste et semblait enfin convenir Ă Hand dâun point de vue idĂ©ologique, aprĂšs ses nombreuses hĂ©sitations politiques.
Hand prend alors part publiquement Ă la campagne Bull Moose de Roosevelt en 1912[1]. Il lui apporte son soutien en tant que juge mais Ă©galement en tant quâauteur et journaliste.
Il écrira de nombreux éditoriaux (anonymement) pour le journal The New Republic[1], connu pour ses positions progressistes ainsi que pour The Outlook[1], le journal de Theodore Roosevelt. Hand va également le soutenir dans sa volonté de légiférer en faveur des plus démunis (syndicats, travailleurs, femmes et enfants) et du contrÎle des grandes corporations, alors que Républicains et Démocrates prÎnaient une politique non-interventionniste.
Cependant, lorsque ce fut Ă son tour de faire campagne lorsque le Progressive Party le nomina pour le role de « Chief Judge of New York Court of Appeals »[6], Hand ne parvint pas Ă sây faire ce qui lâamena Ă perdre les Ă©lections et Ă amĂšrement regretter de sâĂȘtre prĂ©senter[2] ; âI was a judge and a judge has no business to mess into such thingsâ[1].
Câest au cours de la PremiĂšre Guerre mondiale que la courte carriĂšre politique de Hand prend fin. En effet, il dĂ©cide alors de ne plus se mĂȘler publiquement de politique et de se concentrer sur son mĂ©tier de juge[1]. Hand considĂšre que la politique et le mĂ©tier de juge ne font pas bon mĂ©nage, et il ne parvient plus Ă se trouver dans le Progressive Party. Orphelin politiquement, Hand refusera toujours de se qualifier de libĂ©ral ou de conservateur, jugeant mĂȘme que la politique de parti Ă©tait incompatible non seulement avec son rĂŽle de juge, mais Ă©galement avec son objectivitĂ© philosophique[31].
En 1923, Learned Hand rejoint les fondateurs du American Law Institute[32]. Il sâagit dâune organisation indĂ©pendante aux Ătats-Unis qui a pour but de produire des travaux universitaires afin de clarifier, moderniser et amĂ©liorer le droit positif. LâAmerican Law Institute occupera une place trĂšs importante dans la vie et le travail de Hand et il y verra une forme de reconnaissance de son travail en tant que juge, reconnaissance quâil ne parvenait plus Ă trouver dans un engagement politique quelquâil soit[1].
Philosophie du droit
GrĂące Ă lâenseignement de ses professeurs, Ă Harvard et tout au long de sa carriĂšre judiciaire, Hand a dĂ©veloppĂ© une certaine conception du droit et de la maniĂšre de juger, reposant sur deux piliers principaux: le scepticisme moral et le pragmatisme.
Le scepticisme moral
Le scepticisme moral est un courant de pensĂ©e impliquant que la connaissance morale est impossible et quâil ne peut donc ĂȘtre avancĂ© que telle chose sera toujours juste ou que telle chose sera toujours moralement obligatoire.
On retrouve dans ce mouvement, notamment repris aux Ătats-Unis par Oliver Wendell Holmes, un rejet du droit naturel[1] mais aussi dâun absolutisme de la vĂ©ritĂ©, position Ă©galement propre au pragmatisme. Learned Hand a suivi cette philosophie et sera considĂ©rĂ© comme un relativiste, estimant que les valeurs morales ne sont que le produit de leur temps, et avant tout une « affaire de goĂ»t »[6]. Câest justement ce relativisme, ce scepticisme moral, qui lâamena Ă questionner les dĂ©cisions de la Cour SuprĂȘme[6].
Le pragmatisme
Le second pilier philosophique de Hand est le pragmatisme, un courant de pensĂ©e qui sâest dĂ©veloppĂ© aux Ătats-Unis et fut hissĂ© au pouvoir avec lâadministration Roosevelt. Les philosophes William James, John Dewey et Charles Sanders Pierce en sont les reprĂ©sentants les plus connus. Ce dernier est Ă l'origine de l'article fondateur du mouvement intitulĂ© âHow to Make our Ideas Clearâ publiĂ© en 1878[33].
La conception pragmatique de la vĂ©ritĂ© va Ă lâencontre de notre tendance Ă vouloir tout unifier et systĂ©matiser[34]. Les philosophes pragmatiques vont jusquâĂ critiquer les systĂšmes de croyances qui ne peuvent ĂȘtre quâun moyen pour les ĂȘtres humains de maintenir la cohĂ©sion gĂ©nĂ©rale de leur systĂšme de pensĂ©e. William James, qui fut le professeur de Hand Ă Harvard, en est un des plus grands reprĂ©sentants[6]. On retrouve donc Ă©galement chez Learned Hand un rejet du lĂ©galisme pur et dur et une vision holistique de la loi - ce qui est aussi proche de lâenseignement reçu par Thayer[4].
On peut Ă©galement lire cette conception dans la philosophie juridique de Hand quant Ă son approche du Bill of Rights amĂ©ricain[6]. Hand le considĂ©rait non comme une loi absolue ou comme un pilier intangible, mais plutĂŽt comme quelques principes quâil pouvait ĂȘtre prudent et judicieux de suivre ou dâobserver afin de respecter au mieux la volontĂ© constitutionnelle[35]. De mĂȘme, il est important de re-contextualiser et prendre avec recul toute dĂ©cision en analysant ses consĂ©quences pratiques.
Les lois Ă©taient aux yeux de Learned Hand autant de compromis trouvĂ©s dans la rĂ©solution de conflits dâintĂ©rĂȘts. En effet, le courant pragmatique offre une vision du droit comme se construisant dans un contexte de lutte permanente entre des intĂ©rĂȘts et des opinions diffĂ©rents, traduits dans le discours du droit positif par les moyens de lâargumentation judiciaire. Il permet ainsi de mettre en Ă©vidence les rapports de force et abus de pouvoir en jeu dans la pratique du droit.
L'art de juger
L'American Legal Realism part du principe que tout juge est susceptible de crĂ©er du droit et que la source dâinspiration crĂ©atrice des juges dĂ©pend non seulement des prĂ©cĂ©dents mais Ă©galement de leur expĂ©rience passĂ©e et leur formation juridique[36]. Tout juge porte un bagage Ă©ducatif et politique, de sorte que son expĂ©rience influence le processus de dĂ©cision des affaires qui lui sont soumises.
Ă plusieurs reprises, Hand s'est positionnĂ© vis-Ă -vis du mouvement rĂ©aliste. S'il acceptait les principales hypothĂšses du courant, il considĂ©rait toutefois que la neutralitĂ© et l'objectivitĂ© du juge restaient atteignables. Trois Ă©lĂ©ments de sa philosophie juridique permettraient au juge dâatteindre cette objectivitĂ© :
- Le scepticisme : Hand considĂ©rait qu'un juge devait toujours ĂȘtre prĂȘt Ă remettre en question ses propres hypothĂšses. Cette position l'a conduit Ă soumettre ses propres prĂ©misses Ă un examen minutieux et Ă toujours Ă©noncer clairement les fondements de ses dĂ©cisions.
- La retenue judiciaire : Les conflits entre le bien et le mal ne concernent pas le pouvoir judiciaire et doivent ĂȘtre laissĂ©s Ă l'apprĂ©ciation du processus dĂ©mocratique afin que l'indĂ©pendance du pouvoir judiciaire soit prĂ©servĂ©e.
- Le dĂ©tachement : « Judge as though it werenât your fight ».
Learned Hand a montré qu'en réalité, le juge se retrouve toujours face à un dilemme. En effet, d'une part, pour maintenir son autorité et son pouvoir, il doit se tourner vers l'autorité (suivant le principe de la stare decisis) afin que ses décisions soient efficaces. D'autre part, la loi doit répondre aux besoins actuels de la société et le juge doit composer avec les aspirations de son temps. L'art du grand juge serait, selon Hand, celui qui consiste à trouver un équilibre entre les deux[37].
Influence
Au cours de sa carriĂšre, Learned Hand a rĂ©digĂ© plus de 4000 arrĂȘts et avis qui ont souvent Ă©tĂ© applaudis pour leur clartĂ© et leur prĂ©cision[8]. Aujourdâhui encore, Learned Hand est le juge le plus citĂ© dans les avis de la Cour SuprĂȘme. Il a notamment influencĂ© les jugements relatifs Ă lâobscĂ©nitĂ© - son opinion selon laquelle les Ćuvres littĂ©raires doivent ĂȘtre jugĂ©es dans leur ensemble et par rapport Ă leur lectorat visĂ© est dĂ©sormais acceptĂ©e en Droit AmĂ©ricain. Lâavocat et professeur de droit Archibald Cox disait que âLes opinions du juge Hand ont eu une influence significative tant en cassant les restrictions imposĂ©es par le littĂ©ralisme pur de la tradition conservatrice quâen montrant Ă©galement utiliser avec sympathie et empathie les informations fournies par les processus lĂ©gislatifs et administratifsâ[6].
Learned Hand a Ă©galement eu un impact considĂ©rable dans le domaine du droit des affaires, notamment Ă la suite du procĂšs United States v. Carroll Towing Co.[38] dans lequel Hand utilise une nouvelle formule pour dĂ©terminer la responsabilitĂ© en cas de nĂ©gligence[30]. Toujours dans ce domaine, Hand a fortement influencĂ© lâĂ©volution de lâimpĂŽt sur les sociĂ©tĂ©s ainsi que le droit de la concurrence. De plus, ses dĂ©cisions sur les brevets, les droits dâauteur et le droit maritime ont fortement contribuĂ© Ă lâĂ©volution de ces lois dans ces domaines respectifs[2].
En tant que cofondateur de lâAmerican Law Institute, Hand a Ă©galement travaillĂ© Ă dĂ©velopper lâinfluence des Restatements of the Law[1] permettant dâaffiner et de peaufiner les codes civils dans de nombreux Ătats des Ătats-Unis â et ce dans de nombreux domaines. Une des recommandations de lâAmerican Law Institute a Ă©tĂ© de dĂ©criminaliser lâadultĂšre et lâhomosexualitĂ©, ce qui amena Learned Hand Ă faire la couverture de lâĂ©dition de Juillet- du magazine de la Mattachine Society Review[39] (le magazine dâune des plus grandes organisations en faveur des droits des homosexuels de lâĂ©poque).
Hand a Ă©galement gagnĂ© en popularitĂ© auprĂšs du public grĂące Ă son travail littĂ©raire dont la clartĂ© et la force de raisonnement a Ă©tĂ© louĂ©e par de nombreuses personnes, notamment par le Washington Post Ă lâoccasion du 75Ăšme anniversaire de Hand[6].
Nâayant jamais siĂ©gĂ© Ă la Cour SuprĂȘme, Hand a rĂ©ussi Ă ne pas trop se mĂȘler directement Ă la vie politique â ce qui lui permit dâĂ©voluer sans ĂȘtre perpĂ©tuellement scrutĂ© et analysĂ©. Câest sans doute pour cela, dâaprĂšs le sociologue Marvin Schick, que les gens nâont pas toujours relevĂ© les contradictions dans sa philosophie juridique[2]. En effet, bien que libĂ©ral, il a toujours plaidĂ© pour le judicial restraint dans lâinterprĂ©tation de la Constitution et il a toujours vu lâĂ©volution des libertĂ©s individuelles comme Ă©tant une responsabilitĂ© du pouvoir politique et non judiciaire[2].
Notes et références
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