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Felix Frankfurter

Felix Frankfurter ( Ă  Vienne (Autriche-Hongrie) - Ă  Washington) Ă©tait un juriste, avocat, professeur, homme politique et juge amĂ©ricain siĂ©geant Ă  la Cour suprĂȘme des États-Unis. Originaire de New York, il Ă©tudia au City College of New York, avant de brillantes Ă©tudes Ă  Harvard. Il fut nommĂ© Ă  la Cour suprĂȘme des États-Unis par Franklin Delano Roosevelt le 30 janvier 1939, exerçant cette fonction jusqu'au 28 aoĂ»t 1962. Il fut professeur de droit Ă  la FacultĂ© de droit de Harvard, et conseilla Roosevelt pour de nombreuses mesures du New Deal. Il est connu comme Ă©tant un progressiste, protecteur des libertĂ©s civiles, puis fervent dĂ©fenseur de la retenue judiciaire de la Cour.

Felix Frankfurter
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
(Ă  82 ans)
Washington
SĂ©pulture
Nationalité
Formation
Activités
Conjoint
Marion Denman Frankfurter (d) (de Ă  )

Jeunesse et famille

Felix est nĂ© de parents juifs (Emma et Leopold Frankfurter) Ă   Vienne (Autriche) le 15 novembre 1882, et a cinq frĂšres et sƓurs[1]. Son pĂšre, venant d’une famille de rabbins sur plusieurs gĂ©nĂ©rations, abandonna ses Ă©tudes de rabbinat afin de devenir un homme d’affaires. La famille de Felix immigra aux États-Unis en aoĂ»t 1894, aprĂšs l’échec des affaires de son pĂšre [2]. Ils s’installĂšrent Ă  New York , dans un quartier juif-allemand de la Lower East Side de Manhattan[3]. Felix ne parlait alors pas anglais, qu’il aurait appris en 6 semaines[2] - [4]. Lors de son arrivĂ©e aux États-Unis, il Ă©tudia dans une Ă©cole publique de New-York (P.S. 25). Il passait tout son temps libre Ă  lire des journaux sur la politique et les affaires courantes au Cooper Union (un Ă©tablissement d’enseignement supĂ©rieur privĂ©)[5].

Frankfurter n’était pas pratiquant du judaĂŻsme. Il se dĂ©finissait comme agnostique [6] et voyait la religion comme un accident de naissance (“accident of birth")[7].

Mariage

Marion Denman, femme de Felix Frankfurter

Il se marie le 20 dĂ©cembre 1919 avec Marion Denman, lors d’une cĂ©rĂ©monie menĂ©e par Benjamin N. Cardozo[8] - [9]. Marion Ă©tait une Ă©tudiante du Smith College, membre de la sociĂ©tĂ© Phi Beta Kappa et fille d’un pasteur congrĂ©gationnel du Massachusetts[10] - [11].

Ils se rencontrent en 1913 tandis que Frankfurter habitait Ă  Washington avec Walter Lippmann dans une maison surnommĂ©e House of Truth. Cette maison Ă©tait un lieu de rencontres et de rĂ©flexions politiques, dans laquelle de nombreux avocats, journalistes et politiciens progressistes (dont Oliver W. Holmes, Louis Brandeis, et beaucoup d’autres) se rĂ©unissaient pour discuter entre 1911 et 1920[12].

Marion n’étant pas juive, la mĂšre de Felix s’opposait Ă  leur mariage, ce qui causa de grandes tensions dans leur relation[13].

De plus, leur relation fut marquĂ©e par la tendance de Felix Ă  dominer ceux qui l’entourent, ainsi que par la santĂ© fragile de Marion, rĂ©sultant en de nombreuses dĂ©pressions [10]. Ils n’auront pas d’enfants[9].

Éducation

Une fois diplĂŽmĂ© de l’école publique, n’ayant ni les moyens ni de bourse universitaire pour Ă©tudier Ă  la Horace Mann School (en), FĂ©lix Frankfurter s’inscrivit pour Ă©tudier le droit au City College de New York , oĂč il apprit la discipline de travail et les qualitĂ©s d’orateur[14]. Il y obtint son diplĂŽme en 1902 avec les honneurs[15], et rejoignit la cĂ©lĂšbre fraternitĂ© Phi Beta Kappa[16] - [17].

Frankfurter planifiait de poursuivre ses Ă©tudes en droit Ă  l'universitĂ© Columbia , quand la proposition d’un ami d’aller dĂ©penser l’argent de l’inscription Ă  Coney Island changea le cours de sa vie. En effet, il est Ă  la place admis Ă  la facultĂ© de droit de Harvard en 1903 [18], oĂč il excella, terminant ses Ă©tudes en 1906 avec une des meilleures moyennes depuis Louis Brandeis [19]. Durant ses Ă©tudes, il fut rĂ©dacteur en chef de la  Harvard Law Review[20].

DĂ©but de carriĂšre

MalgrĂ© ses rĂ©sultats acadĂ©miques exceptionnels, Frankfurter Ă©prouva des difficultĂ©s Ă  trouver un travail, Ă©tant juif dans une pĂ©riode fort antisĂ©mite. Il est nĂ©anmoins engagĂ© en 1906 chez Hornblower, Byrne, Miller & Potter, un cabinet d’avocats rĂ©putĂ© de New York, qui n’avait jamais engagĂ© de juifs auparavant[21] - [22].

Peu aprĂšs, il accepta une offre pour travailler aux cĂŽtĂ©s d’Henry Stimson , Procureur des États-Unis pour le District de New-York [23] - [24]. Frankfurter travailla pour Stimson durant 7 annĂ©es consĂ©cutives : il le suit lorsqu’il retourne travailler en cabinet privĂ© en 1909, dirige sa campagne pour le poste de gouverneur de New-York (qu’il n’obtiendra pas), et en 1911, lorsque Stimson devient secrĂ©taire Ă  la guerre sous William Taft, il nomme Frankfurter comme juriste au bureau des Affaires Insulaires [25] - [26]. Son travail chez Stimson influença grandement Frankfurter. D’une part, cela lui permit de s’intĂ©grer au monde de Washington et de rencontrer des personnes importantes telles que ThĂ©odore Roosevelt [27]. D’autre part, Stimson forgea sa vision du procĂšs pĂ©nal, notamment l’importance de respecter les garanties procĂ©durales des suspects[28].


En 1912, alors que Theodore Roosevelt se prĂ©sente aux Ă©lections face Ă  William Taft et Woodrow Wilson, Frankfurter se trouve tiraillĂ© entre sa loyautĂ© pour Stimson et Taft, et ses convictions politiques en faveur de Roosevelt. Il hĂ©sita Ă  quitter son travail pour rejoindre la campagne de Roosevelt, mais abandonna l’idĂ©e[29]. Lorsque l’administration Wilson remplace Taft en 1913, Stimson retourne en cabinet privĂ© Ă  New-York et Frankfurter ne le suit pas[30].


PremiĂšre Guerre mondiale

Quand les États-Unis entrent en guerre en 1917, Frankfurter est appelĂ© Ă  Washington par le SecrĂ©taire de la guerre[31]. Il est d’abord envoyĂ© en mission en Europe, dans le cadre du dĂ©tachement de la Turquie des pouvoirs centraux [32].

À son retour d’Europe, Frankfurter est nommĂ© secrĂ©taire et avocat Ă  la Mediation Commission du prĂ©sident Wilson [33]. Il est chargĂ© de rĂ©gler les problĂšmes concernant les grĂšves des travailleurs, qui empĂȘchent la production des matiĂšres premiĂšres utiles Ă  la poursuite de la guerre[34]. Au sein de cette institution, FĂ©lix s’est dĂ©couvert des qualitĂ©s de dĂ©fenseur public des causes impopulaires et a pris conscience de l’importance d’une procĂ©dure judiciaire rĂ©guliĂšre[35]. Notamment, il Ă©crivit un rapport demandant un nouveau procĂšs dans le cadre de l’affaire Mooney, un organisateur syndical accusĂ© d’avoir placĂ© une bombe lors d’une parade en 1916 et condamnĂ© Ă  mort sur base d’un faux tĂ©moignage[36]. Il a Ă©galement enquĂȘtĂ© et critiquĂ© la dĂ©portation des mineurs de Brisbee (en) , ce qui lui a attirĂ© les foudres de Theodore Roosevelt[37]. Son implication dans ces affaires lui confĂšrera une rĂ©putation de radical[38].


Une annĂ©e plus tard, il fut Ă©lu prĂ©sident du War Labor Policies Board (en) du ministĂšre du travail[39]. Un de ses objectifs Ă©tait d’assurer une charge de travail de 8 heures au maximum pour les travailleurs[40]. Parmi les membres du Board se trouve Franklin D. Roosevelt , de qui FĂ©lix se rapprocha, crĂ©ant une forte relation[41].

Frankfurter dĂ©veloppa Ă©galement une grande amitiĂ© avec Louis Brandeis [42]. EncouragĂ© par ce dernier, Frankfurter s’engagea dans le mouvement Sioniste. En 1919, il reprĂ©senta l’Organisation sioniste amĂ©ricaine Ă  la ConfĂ©rence de paix de Paris, comme porte-parole de Brandeis[43],dans le but d’élaborer les termes du mandat pour un État juif en Palestine [44] - [45]. Il arrĂȘta sa participation active dans le mouvement en 1921, en mĂȘme temps que Brandeis[46].

Défenseur des libertés civiles

Lors de sa carriĂšre, Frankfurter s’est attirĂ© une rĂ©putation de dĂ©fenseur des droits et libertĂ©s civiles, mais Ă©galement d’extrĂ©miste radical. Avec l’aide de Zechariah Chafee (en), il empĂȘcha la dĂ©portation de 20 Ă©trangers lors des Palmer Raids. Il participa Ă©galement Ă  l’élaboration d’un rapport sur les pratiques illĂ©gales du DĂ©partement de la justice des États-Unis[11].

En 1920, il aida Roger Baldwin Ă  fonder l’Union amĂ©ricaine pour les libertĂ©s civiles (ACLU)[47] - [48], une organisation luttant pour les droits fondamentaux des amĂ©ricains. Convaincu que les abus de police de l’époque mettaient en pĂ©ril l’idĂ©al de libertĂ© et de dĂ©mocratie des États-Unis, Frankfurter rejoignit l’ACLU [48] - [49].

En 1920, Sacco et Vanzetti, deux Italiens immigrĂ©s anarchistes, furent condamnĂ©s Ă  mort pour des faits de cambriolage et meurtres. Frankfurter soutint les appels Ă  un nouveau procĂšs, argumentant que celui-ci Ă©tait criblĂ© de violations constitutionnelles[50]. Dans un article de l’Atlantic Montly [51]publiĂ© en 1927, il affirma que les accusĂ©s ont Ă©tĂ© condamnĂ©s sans rĂ©elle preuve et sur base de prĂ©jugĂ©s politiques Ă  l’encontre des immigrants, dans la peur du communisme[51]. D’aprĂšs Frankfurter, les preuves penchaient vers la culpabilitĂ© du gang Morelli[51]. Il critiqua les procĂ©dures abusives auxquelles le procureur eut recours [52]et soutient que l’accusation rĂ©sultait d’une collusion entre le Procureur du District et le ministĂšre de la justice pour se dĂ©barrasser de deux radicaux communistes[51]. Il convainquit ainsi de nombreuses personnes de l’injustice commise [50], mais les deux hommes furent tout de mĂȘme exĂ©cutĂ©s, Ă  son grand dĂ©sarroi[52]. Il en publia Ă©galement un livre en 1927, The Case of Sacco and Vanzetti: A Critical Analysis for Lawyers and Laymen.

Protection des travailleurs

TrĂšs actif dans les projets libĂ©raux, il aida Ă  fonder et contribua souvent au magazine progressiste the New Republic [53] - [54]. Il Ă©crivit notamment des articles contre l’usage des injonctions de travail, qui empĂȘchaient les grĂšves de travailleurs[54] - [55]. Il siĂ©gea Ă©galement au ComitĂ© consultatif national de l’Union AmĂ©ricaine pour les libertĂ©s civiles et continua Ă  plaider la cause des travailleurs[56]. Il collabora notamment avec la National Consumers League pour laquelle il plaida plusieurs affaires importantes devant la Cour SuprĂȘme, dont Bunting v. Oregon (1917) oĂč il dĂ©fendit une loi prĂ©voyant un maximum de dix heures de travail par jour [57] - [58].

Des annĂ©es 1910 au dĂ©but des annĂ©es 1930, Frankfurter Ă©tait frustrĂ© par les dĂ©cisions des tribunaux (tant fĂ©dĂ©rales qu’étatiques) invalidant les lois en faveur des travailleurs[59]. En effet, il critiquait les dĂ©cisions de l’ùre Lochner annulant les lois organisant le travail sur base de la protection constitutionnelle de la libertĂ© contractuelle et de la clause du “due process” (5e et 14e Amendements)[60] - [61]. Frankfurter plaidait pour une interprĂ©tation plus flexible de la Constitution[61]. Selon lui, les juges devraient se baser sur les faits qui sous-tendent la lĂ©gislation pour juger de la raisonnabilitĂ© de l’action lĂ©gislative[62] - [63]. Louis Brandeis convertit Frankfurter Ă  sa mĂ©thode de prĂ©paration des cas (“Brandeis’s brief method”), utilisĂ©e avec succĂšs dans Muller v Oregon (en), qui consiste Ă  rĂ©colter de nombreuses donnĂ©es factuelles et Ă  argumenter un cas sur cette base. AprĂšs la nomination de Brandeis Ă  la Cour SuprĂȘme, Frankfurter rĂ©-argumenta l’affaire Bunting v Oregon (en) en utilisant cette mĂ©thode[64] - [58] - [63]. Lors des dĂ©bats quant Ă  la nomination de Brandeis Ă  la Cour SuprĂȘme, Frankfurter fut l’un de ses plus proches alliĂ©s, menant la campagne du New Republic en sa faveur[65] - [66].

Professeur Ă  Harvard

En 1913, Frankfurter eut l’opportunitĂ© d’ĂȘtre engagĂ© comme professeur Ă  Harvard. Plusieurs de ses connaissances lui dĂ©conseillĂšrent d’accepter, considĂ©rant qu’il Ă©tait destinĂ© au service public, et qu’une carriĂšre acadĂ©mique l’empĂȘcherait de rester au cƓur des affaires politiques. NĂ©anmoins, Frankfurter accepta le poste, espĂ©rant ainsi se trouver au centre du mouvement libĂ©ral[67] - [68]. En effet, Ă  cette pĂ©riode, Frankfurter jugeait important le rĂŽle de l’expert scientifique, qui Ă©tudie la sociĂ©tĂ© Ă  travers les faits et partage ensuite ses conclusions avec le public afin d’amener les changements nĂ©cessaires[69].

A l’occasion du 25Ăšme anniversaire de la Harvard Law Review en 1913, Frankfurter prononça un discours intitulĂ© “The Zeitgeist and the Judiciary”[70]. Selon lui, tous les responsables politiques, y compris les juges, doivent, lorsqu’ils crĂ©ent ou appliquent une loi, prendre en considĂ©ration le Zeitgeist (ou l’Esprit du temps), qui se manifeste dans les conditions de vie actuelles et l’opinion publique dominante[70] - [71]. Le lĂ©gislateur doit lĂ©gifĂ©rer de maniĂšre expĂ©rimentale et adopter des politiques et lois flexibles aux Ă©volutions, permettant de prendre en compte le Zeitgeist [72]. Ainsi, le gouvernement joue un rĂŽle actif [73]. Les juges, quant Ă  eux, doivent avoir Ă©gard aux circonstances qui ont menĂ© Ă  l’adoption des lois sociales et Ă©conomiques auxquelles ils sont confrontĂ©s [74] - [75]. Ces faits et conditions de vie priment sur les principes immuables [75]. Ainsi, selon Frankfurter, la Constitution est formulĂ©e en termes vagues afin de s’adapter aux Ă©volutions, et n’a pas pour but de limiter l’expĂ©rimentation par le lĂ©gislateur[76].


En 1917, Frankfurter prit congé de sa position à Harvard pendant deux ans (voir ci-dessus section 4 : premiÚre guerre mondiale).

DĂšs 1921, il se vit confier une position de chaire Ă  la FacultĂ© de droit de Harvard, d’oĂč il mena plusieurs combats contre  le prĂ©sident de la facultĂ© A. Lawrence Lowell en faveur des minoritĂ©s oppressĂ©es, l’empĂȘchant notamment de restreindre le nombre d’étudiants juifs pouvant rejoindre la facultĂ©[77].

Sa mĂ©thode d'enseignement semble trĂšs Ă©litiste[56]. Partisan de la mĂ©thode socratique, il enseignait sous forme de dĂ©bat [78] - [79]. Il plaçait aux premiers rangs ses plus brillants Ă©lĂšves, avec lesquels il jugeait le dialogue plus intĂ©ressant, laissant les autres Ă©lĂšves Ă  l’écart[79] - [80]. Certaines de ses classes Ă©taient rĂ©servĂ©es uniquement aux plus brillants Ă©lĂšves[79]. Pour Frankfurter, Harvard reprĂ©sentait un idĂ©al de mĂ©ritocratie, Ă©tant un lieu dans lequel c’est la performance acadĂ©mique, et non les origines, qui importe[4].


Frankfurter estimait que son devoir en tant que professeur Ă©tait de guider ses plus brillants Ă©lĂšves vers le service public, car cela constituerait le moyen le plus efficace d’introduire de nouvelles idĂ©es au sein du gouvernement[81]. L’un de ses plus grands succĂšs fut d'ailleurs d’avoir formĂ© de nombreux Ă©tudiants brillants d’Harvard, qui se sont ensuite lancĂ©s sur la scĂšne politique (voir ci-dessous section 8: implications dans le New Deal)[82]. Il recommandait ses Ă©lĂšves Ă  bon nombre de ses contacts Ă  New York et Washington. Entre autres, il sĂ©lectionna parmi ses plus talentueux Ă©lĂšves les clercs pour des juges tel qu’Olivier W. Holmes. , Louis Brandeis ainsi que Benjamin N. Cardozo[83] - [84]. Ce fut le cas de Thomas Corcoran, son Ă©lĂšve au milieu des annĂ©es 1920, qui devint clerc auprĂšs de O.W. Holmes[85]. L’influence de Frankfurter allait jusqu’au point de forcer certains Ă©lĂšves Ă  accepter des postes dont ils ne souhaitaient pas. Il exprimait son mĂ©contentement et s’écartait de ceux qui ne suivaient pas ses envies [86] - [84]. Il refusa par exemple d’aider Thomas Corcoran Ă  cause de leurs diffĂ©rences philosophiques, et fut en conflit avec Adolf Berle, qui ne voulait pas de Frankfurter comme mentor [87].


Frankfurter adhĂ©rait Ă  l’approche sociologique de Roscoe Pound, doyen de la facultĂ© de droit d’Harvard, percevant le droit comme un outil d’amĂ©lioration sociale qui doit ĂȘtre appliquĂ© Ă  la rĂ©alitĂ© [68] - [75]. En 1922, Frankfurter et Pound dirigĂšrent ensemble une Ă©tude sur la mĂ©diatisation des crimes Ă  Cleveland [88]. Ils arrivĂšrent Ă  la conclusion que la vague de criminalitĂ© rapportĂ©e par les mĂ©dias n’était qu’une fiction fabriquĂ©e par la presse, entrainant d’importantes consĂ©quences sur l’administration de la justice, tels une augmentation des erreurs judiciaires et des verdicts plus sĂ©vĂšres[83].


Il devint membre de l’AcadĂ©mie amĂ©ricaine des arts et des sciences en 1932 [89]. De 1933 Ă  1934, il obtint une place Ă  l’UniversitĂ© d’Oxford en tant qu’Eastman Professor[90].

Implications dans le New Deal

Bien qu’il n’ait pas eu de position officielle dans l’administration de Franklin D. Roosevelt, Frankfurter fut l’un des architectes intellectuels du New Deal[91]. En plus d’ĂȘtre membre du Brain Trust, le groupe d'experts entourant Franklin Roosevelt, il fut l’un des plus proches conseillers informels du prĂ©sident. DĂ©jĂ  en 1928, Roosevelt, alors gouverneur de New-York, cherchait Ă  obtenir les conseils politiques de Frankfurter [52]. Une fois Ă©lu prĂ©sident, Roosevelt demandait et recevait de nombreux conseils de la part de Frankfurter, qui lui envoyait notamment des propositions de lois, des brouillons de discours, et des plans d’actions [92]. Frankfurter habita mĂȘme Ă  la Maison Blanche durant l’étĂ© 1935 afin de prĂ©parer sa rĂ©Ă©lection [93].


Quand Franklin D. Roosevelt fut Ă©lu en 1932, Frankfurter l’aida Ă  nommer de nombreuses personnes Ă  l’administration du New Deal, connues sous le nom de “Felix’s Happy Hot Dogs” [94] - [95]. Nombre de ses anciens Ă©tudiants talentueux et protĂ©gĂ©s se retrouvĂšrent ainsi Ă  Washington[96]. Ceux-ci incluent entre autres James Landis, Dean Acheson, Thomas Corcoran, Benjamin Cohen et Alger et Donald Hiss, Charles Wyzanski, Paul Freund [97] - [98]. Par exemple, Frankfurter convainquit Roosevelt de confier certaines responsabilitĂ©s Ă  Thomas Corcoran, qui rĂ©digea le Securities Exchange Act avec Benjamin Cohen [99], fit engager James Landis Ă  la Securities and Exchange Commission et Dave Ginsburg dans le Securities and Exchange Commission’s General Counsel’s Office [100]. En janvier 1939, le magazine Time comptait 125 Happy Hot Dogs Ă  Washington, et faisait rĂ©fĂ©rence Ă  un “one-man, unofficial, unpaid employment agency”[101]. Frankfurter remplit ainsi les diffĂ©rents niveaux de l’administration de ses connaissances, lui permettant de se crĂ©er un rĂ©seau d’influence et de se tenir au courant des dĂ©veloppements Ă  Washington tout en Ă©tant absent de la scĂšne [100] - [102].

Si certains considĂšrent Frankfurter comme un manipulateur tirant les ficelles de l’administration dans l’ombre pour se crĂ©er un empire de pouvoir personnel, l’étendue exacte de son influence reste contestĂ©e[103]. Frankfurter, bien que niant toute forme de contrĂŽle sur ses protĂ©gĂ©s, Ă©tait constamment en contact avec ceux-ci, leur faisant des suggestions et critiquant ceux en dĂ©saccord avec lui[104].


En 1931, Roosevelt demanda Ă  Frankfurter de participer Ă  la commission de rĂ©forme du systĂšme judiciaire New-Yorkais, mais ce dernier dĂ©clina, prĂ©fĂ©rant aider de maniĂšre consultative sans faire partie de la commission [105]. Un an plus tard, il refusa Ă©galement un siĂšge Ă  la Cour SuprĂȘme du Massachusetts, et un poste en tant que procureur de l’Etat (Solicitor general) en 1933 [96] - [106] - [107]. De plus, il prĂ©fĂ©rait avoir une influence gĂ©nĂ©rale plutĂŽt qu’un rĂŽle formel et un poste spĂ©cifique dans l’administration[108].


Progressiste et partisan de l’idĂ©ologie libĂ©rale de Brandeis, hostile envers les larges entreprises et en faveur d’un marchĂ© Ă©conomique dĂ©centralisĂ©, Frankfurter prĂŽnait une idĂ©ologie en conflit avec le programme du premier New Deal [109]. Il avait d’ailleurs une mauvaise relation avec Adolf. A. Berle, un des conseillers de Roosevelt du premier New Deal[110]. À partir de 1933, il tenta d’influencer l’administration d’adopter l’idĂ©ologie de Brandeis [111]. AprĂšs avoir rencontrĂ© l’économiste John M. Keynes  lors de son annĂ©e en Angleterre, Frankfurter encouragea Ă©galement l’adoption de la thĂ©orie KeynĂ©sienne pour justifier les dĂ©penses du gouvernement [112].

Il fut impliqué dans la rédaction de certaines lois clés du New Deal tel que le Securities Act (1933)[113] - [114], le Norris-LaGuaradia Act (en) (1932)[115], le Securities Exchange Act (1934) ainsi que le Public Utility Holding Company Act(1935)[93].


Quand Roosevelt entreprit son Court-packing plan en 1937, prĂ©voyant d’augmenter le nombre de juges Ă  la Cour SuprĂȘme afin de contrer l’hostilitĂ© de la Cour Ă  l’égard du New Deal, Felix le soutint en privĂ©, donnant des conseils pour la campagne. Toutefois, il ne commenta pas publiquement le programme[94] - [116], ce silence Ă©tant critiquĂ© par ses proches[117]. Il semblerait que Frankfurter n’était pas d’accord avec ce plan, qu’il considĂ©rait comme une attaque politique Ă©vidente envers la Cour, mais sa loyautĂ© envers Roosevelt justifiait sa participation Ă  cette campagne [118] - [119]. Toutefois, son avis sur la question n’est pas connu avec certitude [120]. Dans tous les cas, Frankfurter Ă©tait mĂ©content des dĂ©cisions de la Cour SuprĂȘme des annĂ©es 1920 et 1930 contrecarrant les efforts lĂ©gislatifs du New Deal [26] - [99].

Rencontre avec Jan Karski

Durant la Seconde Guerre mondiale, le 5 juillet 1943, il rencontre Ă  l'ambassade de Pologne Ă  Washington Jan Karski, rĂ©sistant polonais et courrier de l'Armia Krajowa, l'armĂ©e intĂ©rieure polonaise. Celui-ci l'informe de la destruction des Juifs d'Europe[121]. Bien que Juif lui-mĂȘme, Frankfurter, qui avait quelques mois auparavant rĂ©agi de façon cavaliĂšre Ă  des rĂ©cits d'atrocitĂ©s nazies qui lui Ă©taient prĂ©sentĂ©s par Nahum Goldmann (il avait immĂ©diatement parlĂ© d'autre chose[122]) dit, aprĂšs avoir Ă©coutĂ© l'histoire de Karski : « Monsieur Karski, un homme comme moi parlant Ă  un homme comme vous doit ĂȘtre tout Ă  fait franc. Je dois donc vous dire que je suis incapable de vous croire. » L'ambassadeur polonais ayant protestĂ© contre ce qu'il perçoit comme une accusation de mensonge et un outrage au gouvernement polonais en exil, Frankfurter rĂ©pond : « M. l'ambassadeur, je n'ai pas dit que ce jeune homme mentait. J'ai dit que je suis incapable de le croire. Ce n'est pas la mĂȘme chose. » (« Mr. Ambassador, I did not say this young man is lying. I said I am unable to believe him. There is a difference[123] - [124]. »).

Wood et Jankowski, biographes de Karski, conjecturent que c'est Ă  cause de l'incrĂ©dulitĂ© de Frankfurter que Karski, comme cela semble bien rĂ©sulter des archives et de ses propres souvenirs, Ă©vita de mentionner ses constatations oculaires dans les entretiens qu'il eut par la suite avec des reprĂ©sentants du gouvernement amĂ©ricain. Il observe par exemple ce silence au cours d'une audience qui lui est accordĂ©e le 28 juillet 1943 par le prĂ©sident Franklin Delano Roosevelt et oĂč il Ă©voque les atrocitĂ©s nazies contre les Juifs sans se prĂ©senter comme tĂ©moin direct.

Juge Ă  la Cour SuprĂȘme

Dean Acheson (à gauche) et Felix Frankfurter (à droite) lors de l'audition devant le Comité judiciaire du Sénat.

Roosevelt nomma Frankfurter Ă  la Cour SuprĂȘme en 1939, aprĂšs le dĂ©cĂšs de Benjamin Cardozo, Ă  ce qui deviendrait le “siĂšge-juif” de la Cour SuprĂȘme (jewish seat)[125]. Avant sa nomination, Frankfurter fut auditionnĂ© en personne devant le ComitĂ© judiciaire du SĂ©nat, accompagnĂ© par Dean Acheson[126]. Il fut le premier candidat Ă  la Cour SuprĂȘme Ă  s’y faire interroger en personne Ă  l’exception de Harlan Stone en 1925, et ce n’est qu’aprĂšs son audition que cela deviendra une pratique[127] - [128].

Beaucoup s’opposĂšrent Ă  sa nomination, critiquant son origine Ă©trangĂšre, son rĂŽle en tant que conseiller de Roosevelt, et l’accusant d’ĂȘtre liĂ© au mouvement communiste, notamment dĂ» Ă  son implication dans l’affaire Sacco et Vanzetti et son adhĂ©sion au comitĂ© national de l’ACLU[129]. MalgrĂ© cette opposition, le ComitĂ© et SĂ©nat confirmĂšrent sa nomination Ă  l’unanimitĂ©[130].

Cour SuprĂȘme sous la prĂ©sidence de Earl Warren (qui se trouve au milieu). Felix Frankfurter se trouve le plus Ă  gauche


Frankfurter ne peut ĂȘtre qualifiĂ© prĂ©cisĂ©ment ni de juge libĂ©ral, ni de juge conservateur. Toutefois, la clartĂ© et la force intellectuelle de ses opinions ont fait de lui un des juges les plus respectĂ©s de la Cour SuprĂȘme [26] - [131]. Beaucoup s’attendirent Ă  ce que Frankfurter devienne le leader intellectuel de la Cour SuprĂȘme [11] - [132]. NĂ©anmoins, en pleine pĂ©riode d’activisme judiciaire en faveur des droits civils, Frankfurter devint le principal partisan de la retenue judiciaire, Ă  la dĂ©ception de nombreuses personnes[11] - [131].


Son influence sur ses collĂšgues Ă©tait d’autant plus rĂ©duite de par sa personnalitĂ© difficile. En effet, il aliĂ©na plusieurs de ses collĂšgues par son arrogance, ses critiques excessives et son hostilitĂ© envers l’opposition[133].

Philosophie de retenue judiciaire

En tant que juge, Frankfurter fut un fervent dĂ©fenseur de la retenue judiciaire et de la sĂ©paration des pouvoirs, estimant que la Cour ne doit pas interfĂ©rer avec le rĂŽle du lĂ©gislateur[61]. Selon lui, le rĂŽle de la Cour se limite Ă  vĂ©rifier si le lĂ©gislateur a agi sur une base raisonnable[134]. Cette philosophie provenait de sa foi en un processus dĂ©mocratique, qu’il considĂ©rait ĂȘtre le meilleur moyen pour obtenir des changements constitutionnels [135]. DĂ©jĂ  avant d’ĂȘtre juge, il partageait la thĂ©orie de James B. Thayer (en) selon laquelle la Cour ne doit pas invalider une dĂ©cision raisonnable prise par le lĂ©gislateur [136]. De plus, ses conversations avec ses amis et mentors Holmes et Brandeis, promoteurs de la nĂ©cessitĂ© de retenue judiciaire quant aux rĂ©formes Ă©conomiques [94], façonnĂšrent son rĂŽle en tant que juge[94]. Dans ses opinions judiciaires et confĂ©rences, Frankfurter invoquait constamment l’opinion d’Oliver W. Holmes comme preuve de la force de son raisonnement[137]. Il a retenu son approche, sa philosophie et voyait aussi le droit comme un instrument sociĂ©tal [138].


La question Ă©tait donc de savoir si, une fois Ă  la Cour, Frankfurter allait suivre sa position juridique radicale de son dĂ©but de carriĂšre, ou la philosophie de retenue judiciaire [139]. TrĂšs tĂŽt, il Ă©tablit qu’il Ă©tait prĂȘt Ă  abandonner ses vues libĂ©rales radicales en faveur de la dĂ©fĂ©rence au lĂ©gislateur[139]. Ceci fut mis en Ă©vidence dans deux cas concernant le refus du salut au drapeau amĂ©ricain par des enfants tĂ©moins de JĂ©hovah. Dans Minersville v. Gobitis [140] en 1940, Frankfurter Ă©crivit l’opinion de la majoritĂ© maintenant cette expulsion. MalgrĂ© l’argument selon lequel l’obligation violait les droits du premier amendement, forçant un groupe Ă  agir contre leur religion, la majoritĂ© estima que le patriotisme devrait ĂȘtre encouragĂ© en temps de guerre[139]. Ainsi, selon Frankfurter, le lĂ©gislateur avait un intĂ©rĂȘt lĂ©gitime Ă  agir, ce qui suffit pour ĂȘtre constitutionnel[140] - [141]. En 1943, aprĂšs nombreuses attaques contre les tĂ©moins de JĂ©hovah rĂ©sultant de la dĂ©cision [142], la Cour renversa cette dĂ©cision dans l’affaire West Virginia State Board of Education v. Barnette (en), jugeant qu’un État ne peut obliger les enfants Ă  saluer le drapeau[143]. Cependant, Frankfurter rendit une opinion dissidente [143], dans laquelle il argumenta que les opinions personnelles des juges ne peuvent transparaĂźtre dans leurs dĂ©cisions. Bien qu’il fasse lui-mĂȘme partie d’une minoritĂ© persĂ©cutĂ©e, son opinion personnelle sur la loi ne pouvait pas modifier son interprĂ©tation [143] - [144]. Il insista sur la notion de retenue judiciaire, selon laquelle c’est au lĂ©gislateur qu’incombe la dĂ©cision, la Cour ne devant intervenir que lorsque la dĂ©cision du lĂ©gislateur n’est pas raisonnable [143] - [145]. Enfin, selon lui toutes les provisions de la Constitution doivent ĂȘtre traitĂ©es de la mĂȘme maniĂšre par la Cour et aucune ne lui permet de lĂ©gifĂ©rer[143] - [146]. Dans cet arrĂȘt s’opposent la vision absolutiste du juge Jackson selon laquelle la Cour doit donner une protection constitutionnelle absolue au premier amendement, et l’approche de Frankfurter qui balance les intĂ©rĂȘts opposĂ©s, rejetant tout principe absolu[147]. Ces deux opinions peuvent ĂȘtre vues comme Ă©tant liĂ©es Ă  son amour pour la patrie, et l’idĂ©al de citoyennetĂ© qu’il portait envers ce pays qui l’a accueilli [148].


Son application de la retenue judiciaire le fit paraĂźtre comme un juge conservateur, Ă  la dĂ©ception de ceux qui s’attendaient Ă  un nouveau juge libĂ©ral [149]. Il fut critiquĂ© comme restant trop bloquĂ© dans sa philosophie de retenue judiciaire, Ă©tant prĂȘt Ă  dĂ©fĂ©rer au pouvoir lĂ©gislatif mĂȘme dans des cas impliquant les libertĂ©s civiles, sans faire de distinction entre les questions Ă©conomiques et celles concernant les droits civils [150].

Autres affaires importantes

Dans le courant des annĂ©es 1951, dans le contexte de la guerre froide et de la peur du communisme, la Cour dut se prononcer sur la condamnation de leaders du parti communiste sous le Smith Act de 1951, accusĂ©s d’avoir tenu des propos encourageant Ă  renverser le gouvernement. Dans l’affaire Dennis v United States (en) [151], Frankfurter Ă©mit une opinion concurrente Ă  la dĂ©cision de maintenir les condamnations. Bien que n’étant pas personnellement d’accord avec les condamnations sous le Smith Act, qu’il considĂ©rait comme dangereuses pour les critiques honnĂȘtes du gouvernement, il soutint Ă  nouveau l’idĂ©e que la Cour ne doit agir qu’en cas d’action dĂ©raisonnable par le lĂ©gislateur [152]. Il rĂ©itĂ©ra son opinion selon laquelle la libertĂ© d’expression n’est pas sujette Ă  une protection judiciaire plus renforcĂ©e que d'autres droits. Selon lui, il faut contrebalancer la nĂ©cessitĂ© de sĂ©curitĂ© nationale avec la libertĂ© d’expression, et la responsabilitĂ© de faire cette balance revient d’abord au lĂ©gislateur, et pas Ă  la Cour [151]  [153].

Jugement de l'affaire Brown II de 1955

Frankfurter fit partie des juges ayant rendu le verdict unanime des affaires notoires Brown v Board of Education en 1954[154] et Brown II en 1955 [155] dĂ©clarant la sĂ©grĂ©gation raciale dans les Ă©coles publiques inconstitutionnelle. Il avait proposĂ© de retarder la dĂ©cision afin que la Cour prĂ©sente un front uni Ă  l’égard de cette question[156]. Il Ă©vita que la Cour entende des cas de sĂ©grĂ©gation dans les Ă©coles durant l’annĂ©e 1951, de peur que cela ne devienne un sujet de dĂ©bat politique pour l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 1952[157]. Mais en 1952 il plaida pour le rĂ©examen des affaires concernant la sĂ©grĂ©gation scolaire. Il a fallu attendre la mort du prĂ©sident de la Cour SuprĂȘme Fred Vinson en 1953, pour que la Cour puisse revoir sa position sur ces affaires[158]. Avant que ces affaires ne soient mises en lumiĂšre par la Cour SuprĂȘme, Frankfurter Ă©tait dĂ©jĂ  d’avis que le pays ne pouvait ĂȘtre divisĂ© en deux parties, le nord non-soumis Ă  la sĂ©grĂ©gation des afro-amĂ©ricains contrairement au sud du pays. C’est entre autres pour que le pays soit Ă  nouveau unifiĂ© qu’il plaidera contre la sĂ©grĂ©gation des États du sud[159].

Dans son brouillon de dĂ©cret du 8 avril 1955 pour la mise en Ɠuvre de Brown II, Frankfurter demanda de mettre en place un systĂšme de dĂ©sĂ©grĂ©gation et utilisa la formule “with all deliberate speed” (Ă  un rythme appropriĂ©), par aprĂšs suivie par Warren dans la dĂ©cision majoritaire [160]. Cette formule visait Ă  assurer une dĂ©sĂ©grĂ©gation rapide avec une mise en Ɠuvre flexible de maniĂšre graduelle, mais elle crĂ©a en pratique une brĂšche utilisĂ©e par les Ă©coles du sud pour continuer Ă  retarder et Ă©viter le respect de l’arrĂȘt[160] - [161]. NĂ©anmoins, si la Cour avait ordonnĂ© une dĂ©sĂ©grĂ©gation immĂ©diate, il n’y aurait pas eu de dĂ©cision unanime[162].

Frankfurter continua ce combat contre la ségrégation en devenant membre de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People)[163], une association à but non lucratif qui lutte pour les libertés fondamentales des personnes de couleur et contre la ségrégation raciale[164].

Également partisan du fĂ©dĂ©ralisme, Frankfurter introduisit la doctrine de l’abstention (en) dans l’affaire Pullman. (en)[165]. Il Ă©tablit que les tribunaux fĂ©dĂ©raux doivent se dĂ©clarer incompĂ©tents face Ă  une question constitutionnelle lorsque l'affaire implique une question de droit Ă©tatique non tranchĂ©e, dont la rĂ©solution pourrait Ă©liminer la nĂ©cessitĂ© de trancher la question constitutionnelle[166].


Dans le dernier opinion de sa carriĂšre dans l’affaire Baker v Carr (1962) (en)[167], sur la question de savoir si le 14Ăšme amendement peut ĂȘtre utilisĂ© afin de forcer les Etats Ă  dessiner leur districts de maniĂšre Ă©galitaire pour les Ă©lecteurs, Frankfurter estima que la Cour ne pouvait pas dĂ©cider de tels cas car il s’agissait de questions politiques[168] - [169]. Dans une prĂ©cĂ©dente affaire (Colegrove v Green (en)), la majoritĂ© s’était en effet dĂ©clarĂ©e incompĂ©tente en ce qui concerne les questions de composition de district. Mais dans Baker, la majoritĂ© confirma la recevabilitĂ© de ce cas. Frankfurter Ă©mit une opinion dissidente, estimant que cet opinion majoritaire mettait en danger le systĂšme fĂ©dĂ©ral en crĂ©ant une tension entre les Etats fĂ©dĂ©rĂ©s et l’Etat fĂ©dĂ©ral [170] - [168]. Cependant, dans Gomillion v. Lightfoot (en), un cas concernant la rĂ©partition des districts qui affectait le droit de vote des noirs, Frankfurter, Ă©crivant pour la majoritĂ©, refusa d’appliquer la jurisprudence Colegrove. Selon lui, l’affaire sortait du champ politique et devenait une question constitutionnelle car la Constitution mentionnait directement le suffrage des personnes de couleur[171].

Relation avec les juges

Au dĂ©but de sa carriĂšre en tant que juge Ă  la Cour suprĂȘme des États-Unis il mit en Ɠuvre sa stratĂ©gie de la personalia, qui consiste Ă  manipuler et flatter les personnes qui l’entourent afin d’aboutir Ă  ses fins [172]. Cependant, il se montrait trĂšs hostile et fermĂ© Ă  toute discussion dĂšs qu’une personne osait montrer son dĂ©saccord sur un sujet qu’il considĂ©rait ĂȘtre de son domaine d’expertise[173]. TrĂšs vaniteux, il critiquait excessivement ses collĂšgues Ă  la Cour, comme ce fut le cas avec Hugo Black et William O. Douglas [174]. De plus, il se comportait comme un professeur qui Ă©duque ses collĂšgues, leur donnant parfois des exposĂ©s de cinquante minutes[175].


Frankfurter et les juges Black et Douglas avaient une vision fort divergente quant Ă  la Constitution. PremiĂšrement, tandis que Frankfurter Ă©tait partisan de la retenue judiciaire, Black et Douglas Ă©taient dĂ©fenseurs d’un activisme judiciaire[176]. De plus, Frankfurter rejetait la doctrine de libertĂ©s privilĂ©giĂ©es dĂ©veloppĂ©e par Hugo Black, qui accorde une protection plus forte aux droits du premier Amendement, et plus particuliĂšrement Ă  la libertĂ© d’expression, par rapport aux autres droits protĂ©gĂ©s constitutionnellement [177]. Au contraire, Frankfurter appliquait le mĂȘme test de constitutionnalitĂ© quelle que soit la disposition invoquĂ©e [177]. Ils Ă©taient Ă©galement en dĂ©saccord concernant le quatorziĂšme Amendement et la doctrine d'incorporation [178]: Black avançait la notion que le quatorziĂšme Amendement incorporait toutes les protections de la DĂ©claration des droits (Bill of Rights) lesquelles s’appliquaient donc aux États, tandis que Frankfurter optait pour une incorporation sĂ©lective de certaines libertĂ©s uniquement lorsque les mesures Ă©tatiques « choquaient la conscience »[179] - [178].


Dans les annĂ©es 1941-1942, Frankfurter a fait de la Cour suprĂȘme des États-Unis une institution complĂštement divisĂ©e dans laquelle les opinions des juges divergeaient [180].

MalgrĂ© une recommandation du doyen d’Harvard et ses rĂ©sultats acadĂ©miques impeccables, Frankfurter refusa d’accorder un poste de clerc Ă  Ruth Bader Ginsburg en 1960, mal Ă  l’aise Ă  l’idĂ©e d’engager une femme [181].

En 1962, il dĂ©missionna de son poste de juge aprĂšs une crise cardiaque, d’autant plus que ses opinions Ă©taient de moins en moins suivies [182].

Fin de vie

La fin de sa vie fut marquĂ©e par la maladie et par l’obsession de l’image qu’il laisserait aprĂšs sa mort. Il transmit tout son savoir Ă  ses protĂ©gĂ©s en façonnant l’histoire pour qu’il n’en ressorte que du positif [183]. Il rassembla autour de lui des personnes adeptes de ses opinions afin de leur demander de raconter ses exploits[184].

En 1963,  John F. Kennedy lui dĂ©cerna la mĂ©daille prĂ©sidentielle de la LibertĂ©. La mĂȘme annĂ©e, il reçut la mĂ©daille de l’American Bar Association (en)[185].

Il mourut en 1965 d’une insuffisance cardiaque[186]. Il est enterrĂ© au cimetiĂšre de Mount Auburn Ă  Cambridge au Massachusetts[187].

Publications et ouvrages

FĂ©lix Frankfurter Ă©crivit de nombreux livres et articles durant sa carriĂšre, entre autres:

  • “Hours of Labor and Realism in Constitutional Law” en 1916.
  • “The case of Sacco & Vanzetti” en 1927.
  •  â€œA selection of cases under the Interstate Commerce Act” aussi en 1927.
  • “The business of the Supreme Court: a study in the Federal Judicial System” (en) publiĂ© en 1928, contenant des travaux de Frankfurter et de James Landis portant sur le rĂŽle des cours fĂ©dĂ©rales.
  • “The Labor injunction”, Ă©crit avec Nathan Greene en 1930, qui servira d’analyse pour la mise en place du Norris-LaGuardia Act, une loi fĂ©dĂ©rale contre les injonctions de travail[188]
  • “The public and its Government” en 1930, regroupant les textes de quatre confĂ©rences sur la citoyennetĂ© qui se sont dĂ©roulĂ©es Ă  l’universitĂ© de Yale.
  • “Mr. Justice Holmes and the Supreme Court” en 1938
  • “Felix Frankfurter Reminisces: recorded in Talks with Harlan B. Phillips” en 1960.

Notes et références

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  124. Interview de Karski par Claude Lanzmann en octobre 1978, transcription de l'interview, p. 60-61, en ligne sur le site de l'United States Holocaust Memorial Museum. Contrairement au récit de Wood et Jankowski, Karski place ici la conversation avec Frankfurter aprÚs l'audience de Roosevelt, il dit que la scÚne se passa dans la matinée (entre breakfast et lunch) et il donne l'impression qu'à aucun moment, ce jour-là, Frankfurter ne fut en compagnie d'autres invités.
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