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Le Matin des magiciens

Le Matin des magiciens, introduction au réalisme fantastique est un livre de Louis Pauwels et Jacques Bergier publié en octobre 1960 aux éditions Gallimard dans la « collection blanche ». Le courant du « réalisme fantastique » annoncé par le titre secondaire fut aussi celui de Planète, lancée l'année suivante par les mêmes auteurs. Grand succès de librairie à son époque, l'ouvrage connaît encore une influence majeure chez les références de ladite « pyramidologie », les courants contemporains de l'occultisme, ou encore la vague d'interprétations sur le mysticisme nazi qui a suivi.

Le Matin des magiciens
Auteur Louis Pauwels
Jacques Bergier
Pays Drapeau de la France France
Genre Essai
Éditeur Gallimard
Collection Blanche
Date de parution [1]
Nombre de pages 513

Présentation

Cet ouvrage de plus de 500 pages dans son édition originale se présente comme un récit, « parfois légende et parfois exact », consacré à « des domaines de la connaissance à peine explorés »[2] « aux frontières de la science et de la tradition ». Son contenu aborde des thèmes aussi divers que l'alchimie, les sociétés secrètes, les civilisations disparues, les récurrences insolites, les religions et les sciences occultes ou l'ésotérisme. Il repose sur des témoignages anciens (comme les manuscrits de la mer Morte), des recherches et des livres d'auteurs reconnus ou méconnus[3], des articles de revues spécialisées et des ouvrages de science-fiction[4] ou de littérature fantastique[5]. Ce livre, véritable phénomène éditorial, vendu à un million d’exemplaires, a remis au goût du jour le réalisme fantastique, inspiré la revue Planète, et la collection L’Aventure mystérieuse, où Jacques Bergier publiera plusieurs ouvrages.

Le projet

Ce projet vient de la rencontre entre le journaliste et écrivain Louis Pauwels[6], et l'ingénieur chimiste Jacques Bergier, passionné par toutes sortes de mystères[7], tous les deux mis en relation par René Alleau[8]. La rencontre des deux hommes entraine un travail intellectuel qui démarre avec la traduction en français de l'ouvrage de Charles Fort en 1955, Le Livre des damnés dans la collection « Lumières interdites » des éditions des Deux Rives[8]. Suivra une traduction d'un recueil de nouvelles de Lovecraft, intitulé Démons et Merveilles.

Louis Pauwels et Jacques Bergier envisagent par la suite l'écriture d'un ouvrage « consacré aux faits rejetés par la science »[8]. La mise en forme du livre nécessite cinq années de travail, sur la base d'une volumineuse documentation, entreposée chez un imprimeur à Paris[9] - [10]. Les auteurs se rencontrent lors de réunions dominicales au domicile de Louis Pauwels, où ce dernier prend en note les échanges avec Jacques Bergier[10]. L'objectif des auteurs est alors d'éveiller la curiosité du public : « il y aura sans doute beaucoup de bêtises dans notre livre, répétons-le, mais il importe assez peu, si ce livre suscite quelques vocations et, dans une certaine mesure, prépare des voies plus larges à la recherche »[11].

Principaux thèmes et organisation du livre

Le thème central de ce livre repose sur l'idée qu'une quantité de connaissances scientifiques et techniques, dont certaines proviennent de civilisations extraterrestres, ont été tenues secrètes pendant de grandes périodes de l'histoire, et que l'homme est appelé à devenir un surhomme. Pour les auteurs, le fantastique n'est pas « l’apparition de l’impossible » mais « une manifestation des lois naturelles » quand elles ne sont pas « filtrées par le voile du sommeil intellectuel, par les habitudes, les préjugés, les conformismes »[12].

Le contenu de l'ouvrage est très hétérogène, mélangeant des textes autobiographiques, des nouvelles de science-fiction, des théories scientifiques et des textes à « prétention historique et prospective »[13].

Le Matin des magiciens se compose de trois parties :

  • « Le futur antĂ©rieur », qui critique le « scientisme » du XIXe siècle et Ă©voque l'idĂ©e d'une « sociĂ©tĂ© internationale et secrète, groupant des hommes intellectuellement très avancĂ©s », sociĂ©tĂ© qui se formerait d'elle-mĂŞme, et aborde le thème des civilisations disparues et de l'alchimie.
  • « Quelques annĂ©es dans l’ailleurs absolu », qui s'attache Ă  dĂ©montrer les origines occultes du nazisme et la contribution de l'Ă©sotĂ©risme Ă  des thĂ©ories scientifiques, dans le but de donner un exemple d'application des mĂ©thodes du rĂ©alisme fantastique. Il Ă©voque longuement la cosmogonie glaciaire de Hans Hörbiger et les thĂ©ories de la Terre creuse.
  • « L’homme, cet infini », consacrĂ©e aux capacitĂ©s mentales de l'homme, Ă  la parapsychologie, Ă  la tĂ©lĂ©pathie, Ă  « l’esprit magique » et aux « mutants ».
  • Le livre contient une version raccourcie d'Un cantique pour Leibowitz de Walter M. Miller, rĂ©cit post-apocalyptique nuclĂ©aire, l'extrait d'une nouvelle d'Arthur Machen et la retranscription d'une confĂ©rence de RenĂ© Alleau, ingĂ©nieur français ayant publiĂ© des ouvrages traitant des sciences occultes et de l'alchimie.

Si le contenu de l'ouvrage est très hétérogène de par les textes rassemblés et sa structure même, le sociologue Damien Karbovnik estime que l'argumentation des auteurs sert «une finalité bien précise », avec notamment la préface qui « constitue le nœud théorique du livre »[13]. Selon Louis Pauwels et Jacques Bergier, la réalité du monde est partagée entre une dimension visible et une dimension invisible, dont il est possible de comprendre l'intrication grâce à l'imagination, « entendue dans le sens d'une intuition aiguë guidée par les coïncidences entre science et ésotérisme »[13].

RĂ©ception et critiques

Éditions françaises

L'ouvrage de Louis Pauwels et de Jacques Bergier est publié par Gallimard, dans la célèbre « collection Blanche » de littérature française. Si les éditions Gallimard ont déjà, au préalable, publié des auteurs traitant d'ésotérisme (tel que René Guénon et Raymond Abellio), Le Matin des magiciens trouve sa place dans une prestigieuse collection littéraire, assurant de fait « une visibilité et une respectabilité »[14] au livre et à ses auteurs. Ces derniers ne sont pas inconnus du milieu littéraire parisien : Louis Pauwels a publié plusieurs romans, dont un aux éditions Gallimard, tout comme Jacques Bergier qui fut publié chez le même éditeur en 1951[15]. L'imposant manuscrit de mille pages[16] aurait impressionné Jean Paulhan, portant un intérêt certain pour l'ésotérisme, particulièrement à Louis-Claude de Saint-Martin[14].

À la surprise des auteurs eux-mêmes, le livre rencontre un large succès : l'ouvrage est réimprimé, puis réédité à plusieurs reprises[17]. Véritable phénomène de librairie, 100 000 exemplaires sont vendus la première année de sa parution[13]. Suit une édition en 1965 dans la collection Le Livre de poche. Le Matin des magiciens reparaît avec une nouvelle présentation aux éditions Gallimard en 1975, avant d'être publié en format poche chez Folio, où il est toujours disponible[18]. Le nombre d'exemplaires vendus en langue française du Matin des magiciens est estimé à ce jour à 1 million d'exemplaires[17].

Éditions étrangères

L'ouvrage est traduit en espagnol en 1961, en allemand en 1962 et en anglais en 1963 sous le titre The Dawn of Magic[13]. Republié en livre de poche en 1968 par les éditions Avon Books et présenté comme un bestseller de la contre-culture, l'éditeur annonce 500 000 ventes pour sa quatrième impression en 1972[19].

Polémiques

Le succès du livre déclencha une vague éditoriale qui contribua à populariser les thèmes de l’ouvrage[20]. Soutenus par certains, dont le sociologue Edgar Morin qui publie des articles favorables dans Le Monde, vitupérés par l’Union rationaliste qui les attaque dans l'ouvrage collectif Le Crépuscule des magiciens[21], les auteurs du Matin des magiciens poursuivent leur mouvement, qu'ils qualifient de « réalisme fantastique », avec, comme principal organe, la revue Planète.

Selon l'historien Stéphane François, l'ouvrage a joué un rôle non négligeable dans la propagation du « mythe des rapports privilégiés entre le national-socialisme et le monde des occultistes »[20] en « tir[ant] du néant mythes et traditions, voire [en] les cré[ant] de toutes pièces »[20].

Influences

Le Matin des magiciens, phénomène sociologique non négligeable, a revivifié la mode de l'imaginaire, l'irrationnel et l'étrange, déjà en partie revalorisés par les premiers surréalistes à partir des années 1920, mais dans une optique sensiblement différente. Louis Pauwels et Jacques Bergier ont « contribué à redéfinir les notions d'"ésotérisme" ou d'"occultisme" en les faisant évoluer vers d'autres notions, comme celles de "parasciences" ou de "pseudoscience" »[22].

Ce mouvement a été largement exploité par le journaliste suisse Erich von Däniken qui, en 1968, développe la théorie des anciens astronautes. Cette même année, Jacques Bergier apparaît sous le crayon d'Hergé dans Vol 714 pour Sydney, album où Tintin se trouve confronté à des traces d'une civilisation très ancienne apparemment d'origine extra-terrestre.

Le groupe Martin Circus s'en inspire, en 1969, dans sa chanson Le Matin des magiciens[23].

L'aventure du réalisme fantastique

« Ce que nous voudrions, si nous disposions un jour de quelque argent, arraché ici ou là, c'est de créer et animer une sorte d'institut où les études, à peine amorcées dans ce livre, seraient poursuivies. Je souhaite que ces pages nous y aident, si elles ont quelques valeurs »

— Louis Pauwels, Le Matin des magiciens

Dès l'introduction du Matin des magiciens, Louis Pauwels évoque la volonté des auteurs de poursuivre le travail débuté avec ce livre. Les deux auteurs fondent en 1961 la revue Planète, qui connaitra un succès tout aussi important.

Notes et références

  1. Catalogue du fonds Gallimard, collection Blanche, en ligne.
  2. Présentation de la première édition du livre.
  3. Comme l'anthropologue américain Loren Eiseley, le biologiste J. B. S. Haldane ou le paléontologue jésuite Teilhard de Chardin.
  4. Notamment John Buchan, Howard P. Lovecraft et Arthur C. Clarke, dont la nouvelle Les neuf milliards de noms de Dieu sert d'illustration aux auteurs.
  5. Comme Jorge Luis Borges et mĂŞme Maupassant
  6. qui vient alors de publier un ouvrage consacré à Gurdjieff
  7. et préfacier de la traduction française de l'ouvrage de Charles Hoy Fort, un écrivain américain qui enquêtait sur les phénomènes inexpliqués
  8. Lagrange 2005, p. 65.
  9. inventoriée en 2007 à la Bibliothèque nationale de France dans le Fonds Pauwels
  10. Lagrange 2005, p. 68.
  11. Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le Matin des magiciens, p.199
  12. Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le Matin des magiciens, p.13
  13. Damien Karbovnik, « L’échec d’une « religion » New Age : l’exemple des Ateliers Planète », Revue de l’histoire des religions, no 238,‎ , p. 515–545 (ISSN 0035-1423, DOI 10.4000/rhr.11278, lire en ligne, consulté le )
  14. Lagrange 2005, p. 67.
  15. Jacques Bergier et Pierre de Latil, Visa pour demain, Paris, Gallimard, coll. « L'Air du temps », , 309 p. (BNF 32352396)
  16. VĂ©raldi 1989, p. 201.
  17. Pierre Lagrange, « L'occultisme, une étrange passion française », Revue du Crieur, vol. 5, no 3,‎ , p. 120 (ISSN 2428-4068 et 2649-7565, DOI 10.3917/crieu.005.0120, lire en ligne, consulté le )
  18. Lagrange 2005, p. 70-71.
  19. Lagrange 2005, p. 71.
  20. Stéphane François, Au-delà du Matin des magiciens: l’extrême droite et l’ésotérisme, tempspresents.com, 19 octobre 2010.
  21. Notamment Yves Galifret avec d'autres auteurs, dans Le Crépuscule des Magiciens. Le réalisme fantastique contre la culture, éd. de l'Union rationaliste, 1965.
  22. Lagrange 2016, p. 128.
  23. Extrait d'une émission télévisée dans laquelle Martin Circus interprète la chanson (site de l'INA).

Annexes

Bibliographie

  • Claire Besson, DorothĂ©e Chaoui-Derieux et Bruno Desachy, « Bonne fouille ne saurait mentir ? », Terrain, no 57 « Mentir »,‎ , p. 48-65 (DOI 10.4000/terrain.14315, lire en ligne).
  • StĂ©phane François, Le nazisme revisitĂ© : l'occultisme contre l'histoire, Paris, Berg international, , 123 p. (ISBN 978-2-917191-08-8, prĂ©sentation en ligne), [prĂ©sentation en ligne].
  • StĂ©phane François et Emmanuel Kreis (prĂ©f. Jean-Bruno Renard, postface Jean-Pierre Laurant), Le complot cosmique : thĂ©orie du complot, ovnis, thĂ©osophie et extrĂ©misme politique, Milan / Paris, Archè, coll. « Histoire et mĂ©tahistoire » (no 4), , 109 p. (ISBN 978-88-7252-299-8, prĂ©sentation en ligne).
  • StĂ©phane François (prĂ©f. Johann Chapoutot), L'occultisme nazi : entre la SS et l'Ă©sotĂ©risme, Paris, CNRS Éditions, , 230 p. (ISBN 978-2-271-13135-5)
  • Nicholas Goodrick-Clarke (trad. de l'anglais par Patrick Jauffrineau et Bernard Dubant, prĂ©f. Rohan Butler), Les racines occultistes du nazisme : les aryosophistes en Autriche et en Allemagne, 1830-1935 [« The Occult Roots of Nazism : The Ariosophists of Austria and Germany, 1890-1935 »], Puiseaux, Pardès, coll. « Rix », , XI-343 p. (ISBN 2-86714-069-2, prĂ©sentation en ligne)
    Réédition : Nicholas Goodrick-Clarke (trad. Armand Seguin), Les racines occultes du nazisme : les sectes secrètes aryennes et leur influence sur l'idéologie nazie [« The Occult Roots of Nazism : Secret Aryan Cults and their Influence on Nazi Ideology »], Rosières-en-Haye, Camion blanc, coll. « Camion noir » (no CN41), , 507 p. (ISBN 978-2-35779-054-4).
  • Pierre Lagrange, « Renaissance d'un Ă©sotĂ©risme occidental (1945-1960) », dans Claudie Voisenat et Pierre Lagrange (dir.) (prĂ©f. Daniel Fabre), L'Ă©sotĂ©risme contemporain et ses lecteurs : entre savoirs, croyances et fictions, Paris, Bibliothèque publique d'information, Centre Pompidou, coll. « Études et recherche / Bibliothèque publique d'information », , 407 p. (ISBN 2-84246-092-8, lire en ligne), p. 45-96.
  • Pierre Lagrange, « L’occultisme, une Ă©trange passion française : L’histoire du Matin des magiciens, bestseller des annĂ©es 1960 », Revue du Crieur, no 5,‎ , p. 120-131 (DOI https://doi.org/10.3917/crieu.005.0120, lire en ligne)
  • Roger Lapointe, « Des mutants parmi nous », Revue europĂ©enne des sciences sociales, Genève, Librairie Droz, t. 28, no 87 « Les intellectuels : dĂ©clin ou essor : VIe colloque annuel du groupe d'Ă©tude « Pratiques sociales et thĂ©ories » »,‎ , p. 75-88 (JSTOR 40369892).
  • Michel Meurger, Lovecraft et la S.-F., vol. 1, Amiens, Encrage, coll. « Travaux », , 190 p. (ISBN 2-906389-31-5, prĂ©sentation en ligne sur le site NooSFere), « "Anticipation rĂ©trograde" : primitivisme et occultisme dans la rĂ©ception lovecraftienne en France de 1953 Ă  1957 », p. 13-40.
  • Gabriel VĂ©raldi, Pauwels ou le malentendu, Paris, Grasset, , 369 p. (ISBN 2-246-39901-7)

Articles connexes

Liens externes

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