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RĂ©alisme fantastique

Le réalisme fantastique est un mouvement de contre-culture des années 1960, relayé par la revue Planète. Il se présente comme un courant de pensée et de recherche à vocation scientifique, ayant pour objet l'étude de domaines considérés comme exclus à tort par la science officielle : phénomènes paranormaux, alchimie, civilisations disparues, etc. Ses adeptes estiment parfois que le cerveau humain disposerait de pouvoirs sous-exploités, et que l'humanité a peut-être établi des contacts avec des extraterrestres, notamment sous d'anciennes civilisations disparues.

Un courant de pensée

L'acte fondateur du réalisme fantastique fut le livre de Jacques Bergier et Louis Pauwels intitulé Le Matin des magiciens, publié en octobre 1960. C'est dans la préface de cet ouvrage qu'en apparaît le nom[1]. À l'origine de ce courant, l'ingénieur chimiste et écrivain doté d'une grande culture Jacques Bergier se posait en héritier intellectuel de Charles Hoy Fort, qui avait entrepris de recenser et d'expliquer divers phénomènes inexpliqués, et dont il a préfacé l'édition française du Livre des damnés. Bergier réussit à gagner à sa cause le journaliste Louis Pauwels (futur directeur du Figaro Magazine), qu'il a rencontré en 1954 et qui venait de publier un livre consacré au penseur ésotérique Georges Gurdjieff.

Contrairement aux auteurs classiques qui s'orientaient vers une approche fantastique du récit comme Balzac[2] - [3], Maupassant, Goethe ou E.T.A. Hoffmann, les théoriciens du « réalisme fantastique » s'attachaient à démontrer l'influence du surréel sur le réel et non à l'illustrer par le biais de fictions. Dans leur ouvrage fondateur, Pauwels et Bergier soulignaient d'ailleurs que le terme « fantastique » devait être compris avec une autre définition : « On définit généralement le fantastique comme une violation des lois naturelles, comme l’apparition de l’impossible. Pour nous, ce n’est pas cela du tout. Le fantastique est une manifestation des lois naturelles, un effet du contact avec la réalité quand celle-ci est perçue directement et non pas filtrée par le voile du sommeil intellectuel, par les habitudes, les préjugés, les conformismes. »[4]

Les idées du réalisme fantastique sont inspirées par de nombreux auteurs cités dans Le Matin des magiciens : penseurs ésotériques ou mystiques et essayistes (Georges Ivanovitch Gurdjieff, Charles Hoy Fort, Pierre Teilhard de Chardin), personnalités scientifiques (l'anthropologue Loren Eiseley, le biologiste J. B. S. Haldane), écrivains de science-fiction (John Buchan, H. P. Lovecraft, Arthur C. Clarke, Walter M. Miller), conteurs (Jorge Luis Borges), etc.

Si le sociologue Jean-Bruno Renard n'établit pas un lien direct entre le réalisme fantastique et le New Age[5], le philosophe Wouter Hanegraaff et le sociologue Damien Karbovnik y voient une certaine mitoyenneté[6] - [7].

La revue Planète

Le succès inattendu et rapide du Matin des magiciens[8] incita ses auteurs Ă  crĂ©er en mars 1961 une revue consacrĂ©e entièrement au rĂ©alisme fantastique : la revue Planète, qui dĂ©passera les 100 000 exemplaires par numĂ©ro.

La publication de cette revue va créer l'environnement favorable à l'émergence d'un mouvement culturel regroupant d'autres auteurs et des artistes comme Pierre Clayette, Monasterio, Triffez, Jean Gourmelin et Claude Verlinde. D'autres peintres sont revendiqués par les tenants du réalisme fantastique, comme Carel Willink[9] ou Escher[10].

La revue Planète met par ailleurs en avant plusieurs artistes qu'elle assimile au mouvement du réalisme fantastique, comme Soulages, Pierre-Yves Trémois et Pierre Clayette ainsi que des photographes comme Édouard Boubat ou Lucien Clergue. En , le peintre Mathieu publie dans la revue un article intitulé « Je vous rejoins ». En 1973, les éditions OPTA publient un livre d’art consacré aux peintres du réalisme fantastique[11] et en 1980, Jean-Louis M. Monod fait paraître Du surréel au fantastique - 13 peintres européens contemporains[12], un recueil de textes sur ces artistes, publiés auparavant dans Brès, l'édition néerlandaise de Planète entre 1973 et 1980.

Pour prolonger l'effet de mouvement et rallier le public aux idées du réalisme fantastique, Bergier et Pauwels imaginèrent les « Conférences Planète », qui se déroulaient à travers la France, dans différents pays d'Europe, au Québec et au Mexique et jusqu'en Argentine, avec la participation de J.L. Borges. Des « Dîners-débats Planète », des séjours culturels et des séries de spectacles furent aussi lancés sous l'égide de la revue.

Notes et références

  1. « Nous avons découvert un point de vue nouveau et riche en possibilités (…) du côté de l’ultra-conscience et de la veille supérieure. Nous avons baptisé l’école à laquelle nous nous sommes mis le réalisme fantastique. », Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le Matin des magiciens, p. 21
  2. « Balzac regroupait sous le terme « philosophique » un système d'idées mêlant : l'ésotérisme, l'occultisme, les facultés visionnaires, l'intuition prophétique, l'action métapsychique dont il pousse l'effet dans le sens du réalisme fantastique, nous serions presque tentés de dire : de la science-fiction ». Raymond Abellio, préface à Louis Lambert (volume comprenant également Les Proscrits, Jésus-Christ en Flandre), p. 8, Gallimard, Folio Classique, 1980.
  3. « La poétique balzacienne relève d’une sorte de réalisme fantastique dont Dickens a de son côté donné des exemples comparables ». Histoire et roman dans Les Paysans de Balzac, par Pierre Macherey, in Socio-critique, édition dirigée par Claude Duchet, Nathan, 1979, p. 137-146
  4. Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le Matin des magiciens, p. 13
  5. Jean-Bruno Renard, « Le Mouvement Planète : un épisode important de l'histoire culturelle française », Politica Hermetica, no 10,‎ , p. 152-174
  6. (en) Wouter J. Hanegraaff, New Age religion and Western culture : esotericism in the mirror of secular thought, E.J. Brill, (ISBN 90-04-10695-2, 978-90-04-10695-6 et 90-04-10696-0, OCLC 156299505)
  7. Damien Karbovnik, « L’échec d’une « religion » New Age : l’exemple des Ateliers Planète », Revue de l’histoire des religions, no 238,‎ , p. 515–545 (ISSN 0035-1423, DOI 10.4000/rhr.11278, lire en ligne, consulté le )
  8. Ventes francophones cumulĂ©es : 2 000 000 d'exemplaires
  9. Planète, no 3, 1962
  10. Planète, no 8, p. 61
  11. Le réalisme fantastique, 40 peintres européens de l'imaginaire
  12. Jean-Louis M. Monod (préface de Marcel Schneider), Du surréel au fantastique - 13 peintres européens contemporains, éd. Alain Lefeuvre (Nice)

Voir aussi

Bibliographie

  • Politica Hermetica, no 10, 1996, p. 152 Ă  174 (Ă©d. L'Ă‚ge de l'Homme). Article du sociologue Jean-Bruno Renard, « Le mouvement Planète : un Ă©pisode important de l'histoire culturelle française ».
  • Fiction no 104, . Article de Sartene G. : « RĂ©alisme fantastique ou fantastique idĂ©alisme ? (Ă  propos de Planète) ».
  • Brès no 85, Nov.-, « Du surrĂ©el au fantastique… Pessimisme ou optimisme ? » (Wachters wat is er van de nacht ?)
  • Arts et Spectacles, hebdomadaire du 27/02/1963. Article de Jean d'Ormesson : « Voici le temps des mystificateurs ».
  • Yves Galifret et al., Le crĂ©puscule des Magiciens. Le rĂ©alisme fantastique contre la culture, Ă©d. de l'Union Rationaliste, 1965.
  • Mircea Eliade, « Modes culturelles et histoire des religions ». Article de 1965, repris lors d'un cours Ă  l'universitĂ© de Chicago en 1967, et dans Occultisme, sorcellerie et modes culturelles, Ă©d. Gallimard, 1978.
  • Michel Winock, Chronique des annĂ©es soixante, Ă©d. du Seuil, 1987, p. 74 Ă  77: « Le phĂ©nomène Planète ».
  • Claire Besson, DorothĂ©e Chaoui-Derieux et Bruno Desachy, « Bonne fouille ne saurait mentir ? », Terrain, no 57 « Mentir »,‎ , p. 48-65 (DOI 10.4000/terrain.14315, lire en ligne).
  • Nicholas Goodrick-Clarke (trad. de l'anglais par Patrick Jauffrineau et Bernard Dubant, prĂ©f. Rohan Butler), Les racines occultes du nazisme : les aryosophistes en Autriche et en Allemagne, 1830-1935 [« The Occult Roots of Nazism : The Ariosophists of Austria and Germany, 1890-1935 »], Puiseaux, Pardès, coll. « Rix », , XI-343 p. (ISBN 2-86714-069-2, prĂ©sentation en ligne).
    Réédition : Nicholas Goodrick-Clarke (trad. de l'anglais par Armand Seguin), Les racines occultes du nazisme : les sectes secrètes aryennes et leur influence sur l'idéologie nazie [« The Occult Roots of Nazism : Secret Aryan Cults and their Influence on Nazi Ideology »], Rosières-en-Haye, Camion blanc, coll. « Camion noir » (no CN41), , 507 p. (ISBN 978-2-35779-054-4).
  • Pierre Lagrange, « Renaissance d'un Ă©sotĂ©risme occidental (1945-1960) », dans Claudie Voisenat et Pierre Lagrange (dir.) (prĂ©f. Daniel Fabre), L'Ă©sotĂ©risme contemporain et ses lecteurs : entre savoirs, croyances et fictions, Paris, Bibliothèque publique d'information, Centre Pompidou, coll. « Études et recherche / Bibliothèque publique d'information », , 407 p. (ISBN 2-84246-092-8, lire en ligne), p. 45-96.
  • Roger Lapointe, « Des mutants parmi nous », Revue europĂ©enne des sciences sociales, Genève, Librairie Droz, t. 28, no 87 « Les intellectuels : dĂ©clin ou essor : VIe colloque annuel du groupe d'Ă©tude « Pratiques sociales et thĂ©ories » »,‎ , p. 75-88 (JSTOR 40369892).
  • Michel Meurger, Lovecraft et la S.-F., vol. 1, Amiens, Encrage, coll. « Travaux », , 190 p. (ISBN 2-906389-31-5, prĂ©sentation en ligne sur le site NooSFere), « "Anticipation rĂ©trograde" : primitivisme et occultisme dans la rĂ©ception lovecraftienne en France de 1953 Ă  1957 », p. 13-40.
  • Isabelle Gourmelin, L'expression artistique du rĂ©alisme fantastique au sein de Planète, revue des annĂ©es soixante, projet de thèse prĂ©sentĂ© pour l'annĂ©e de D.E.A. en Histoire de l'Art sous la direction de Madame JosĂ© Vovelle, UniversitĂ© de Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne, .
  • GrĂ©gory Gutierez, Le discours du rĂ©alisme fantastique : la revue Planète MĂ©moire de MaĂ®trise de Lettres Modernes SpĂ©cialisĂ©es, UniversitĂ© Sorbonne - Paris IV, UFR de Langue Française, 1997-1998, 133 p

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