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Mysticisme nazi

Le mysticisme nazi (ou Ă©sotĂ©risme nazi) recouvre l'ensemble des doctrines fleurissant en Allemagne avant, pendant et aprĂšs le rĂ©gime nazi et mĂȘlant le pangermanisme et l'aryanisme Ă  des doctrines Ă©sotĂ©riques. Elles s'inspirent de thĂ©ories dĂ©veloppĂ©es en Allemagne Ă  partir du dĂ©but du XIXe siĂšcle.

Symbole du « Soleil noir » ornant le sol de la « salle des ObergruppenfĂŒhrer » au chĂąteau de Wewelsburg, Westphalie.

Ce courant quasi religieux consiste en la combinaison du pangermanisme et du racisme allemand avec l'occultisme, l'ésotérisme et le paranormal en une philosophie de l'histoire qui est un messianisme sécularisé. Le nazisme se veut non seulement une idéologie politique mais aussi une vision globale du monde.

L'établissement du lien entre ésotérisme et nazisme peut se faire sur plusieurs plans :

  • celui de l'histoire, bien que ces aspects idĂ©ologiques soient considĂ©rĂ©s comme secondaires par rapport aux aspects politiques du nazisme ;
  • celui de la religion et de l'histoire des mouvements religieux, en particulier pour savoir si le nazisme participe ou s'oppose au christianisme[1] ;
  • celui des arts et de la littĂ©rature, dans la mesure oĂč le mĂ©lange du nazisme et de l'Ă©sotĂ©risme a une forte charge Ă©motionnelle (fascination du mal, goĂ»t du mystĂšre rĂ©vĂ©lĂ©, goĂ»t pour le paranormal) et un fort potentiel romanesque dont les thĂšmes servent couramment de base Ă  des Ɠuvres de fiction.

Une grande partie de la littérature concernant les liens entre occultisme ou mysticisme et idéologie national-socialiste tient ainsi le plus souvent de la littérature à sensation sans bases historiques sérieuses, genre littéraire qui a connu un succÚs éditorial important depuis Le Matin des magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier (1960).

Vue d’ensemble

Histoire

Le mysticisme nazi est un mouvement initiatique völkisch qui plonge ses racines tant dans les doctrines de la SociĂ©tĂ© ThulĂ© et de la SociĂ©tĂ© thĂ©osophique que dans les idĂ©es d'Arthur de Gobineau. Guido von List et Jörg Lanz von Liebenfels en furent d’importantes figures prĂ©coces, et des Ă©vĂ©nements signifiants aprĂšs la Seconde Guerre mondiale furent la fondation de l'Artgemeinschaft par JĂŒrgen Rieger et celle de l’Armanen-Orden en 1976 par Adolf Schleipfer. Daniel Gasman montre l'influence qu'exerça le monisme d'Ernst Haeckel sur le nazisme.

Selon certains, Hitler lui-mĂȘme semble avoir portĂ© un certain intĂ©rĂȘt pour l'occultisme nazi. Pour d'autres, Hitler n’avait que mĂ©pris pour les occultistes et prĂ©fĂ©rait l’activisme politique auprĂšs des masses. Cependant, les thĂ©ories occultistes vont directement et fortement influencer le cercle intĂ©rieur des idĂ©ologues nazis. En particulier, Heinrich Himmler et la SS, Alfred Rosenberg (le « philosophe » officiel du nazisme), Rudolf Hess (dauphin d'Hitler avant sa fuite de 1941), Richard Walther DarrĂ© (thĂ©oricien du nazisme rural), sont connus pour s’ĂȘtre intĂ©ressĂ©s au mysticisme et au paranormal.

L’hitlĂ©risme Ă©sotĂ©rique est centrĂ© sur les mythologies paĂŻennes (nordique notamment) prĂ©-chrĂ©tiennes, et l'inclusion d'une figure mythifiĂ©e d'Adolf Hitler dans l'Ă©cheveau de ces mythologies.

Le rĂŽle jouĂ© par le mysticisme dans le dĂ©veloppement du nazisme et ses idĂ©aux fut identifiĂ© par des Ă©trangers au moins dĂšs 1940, avec la publication des Occult Causes of the Present War (« Causes Occultes de la Guerre Actuelle ») de Lewis Spence. À ce propos, Spence identifia prĂ©cisĂ©ment un sous-courant paĂŻen dans le nazisme (qu’il imputait en grande partie Ă  Alfred Rosenberg), bien que certaines de ses autres conclusions - telles que la connexion du nazisme avec les Illuminati, et l’assimilation du paganisme au satanisme - soient peut-ĂȘtre moins crĂ©dibles.

Croyances centrales

Des thĂšmes comme l’origine de la race aryenne, les Teutons en gĂ©nĂ©ral, et les peuples germaniques en particulier, ainsi que la prĂ©sumĂ©e supĂ©rioritĂ© des soi-disant Aryens sur les autres races, et ce que ces derniers prĂ©tendaient au sujet de leurs racines, sont autant de concepts clefs.

Diverses localisations, tel que l’Atlantide, ThulĂ©, l’HyperborĂ©e, Shambhala et d’autres sont suggĂ©rĂ©es comme le foyer de la sociĂ©tĂ© originelle des surhommes.

Une autre croyance clef est que cette Herrenrasse (race supĂ©rieure) a Ă©tĂ© affaiblie par le mĂ©tissage avec ce qu’ils voient comme des untermensch ou races infĂ©rieures.

Les racines occultistes du nazisme

Une floraison de thĂ©ories et organisations mĂȘlant occultisme et racisme germanique "aryen" ont prĂ©parĂ© la voie au nazisme au dĂ©but du XXe siĂšcle. Les thĂ©ories dĂ©veloppĂ©es seront au cƓur de l'idĂ©ologie nazie, en particulier chez Alfred Rosenberg (le "philosophe" du parti) et Himmler et la SS.

L'armanisme de Guido List (1902)

L’armanisme est une thĂ©orie dĂ©veloppĂ©e par le pangermaniste Guido List, dit « Guido von List » (1848-1919), Ă©crivain occultiste (Ă  partir de 1902) soutenu par les thĂ©osophes viennois, qui rĂ©alise pour la premiĂšre fois la fusion de l’occultisme et de l’idĂ©ologie pangermaniste. Les thĂ©osophes apportent en particulier l’idĂ©e de la succession de 5 races dans l’histoire mondiale : races astrale, hyperborĂ©enne (ayant vĂ©cu aux pĂŽles et disparue), lĂ©murienne (ayant vĂ©cu sur une Ăźle disparue dans l’OcĂ©an Indien), atlante et aryenne. Des traditions racontent qu' Helena Blavatsky, fondatrice de la thĂ©osophie en 1875, aurait Ă©tĂ© initiĂ©e en Gobi par l’élite sacerdotale cachĂ©e d’anciennes races (la SS enverra plus tard une mission Ă  leur recherche en Gobi).

La théorie

L’armanisme postule que l’Allemagne antique Ă©tait une civilisation supĂ©rieure dont la religion originelle, comprenant renaissance et dĂ©terminisme karmiques, s’exprimait sous deux formes : une forme exotĂ©rique (accessible Ă  tous) qui Ă©tait le wotanisme et une forme Ă©sotĂ©rique (rĂ©servĂ©e Ă  des initiĂ©s) qui Ă©tait l’armanisme. Les "Armanen" Ă©taient, dans cette thĂ©orie, un lĂ©gendaire groupe de prĂȘtres-rois de l’ancienne nation ario-germanique, adorateurs du dieu-soleil.

La romanisation et la christianisation de l’Allemagne (par Charlemagne en particulier) auraient obligĂ© l’Armanisme Ă  se cacher pour se perpĂ©tuer Ă  travers des organisations (guildes, sainte-Vehme, Templiers, rose-croix et franc-maçonnerie
), textes et lĂ©gendes (Eddas, Graal..), symboles architecturaux et hĂ©raldiques, etc.

List rĂ©clame donc en 1911 le retour Ă  l’ñge d’or traditionnel de l’Allemagne, soit la formation d’un empire germanique, racialement « pur », et de religion armaniste.

Organisations et influences armanistes

  • Guido von List fonde la SociĂ©tĂ© List (1908) puis l’Ordre supĂ©rieur des Armanen (1911), qui se veut l’élite de la SociĂ©tĂ© List.

L’armanisme influencera des organisations politiques pangermanistes, en particulier :

  • Le journal Hammer (1902), puis les Groupes de la renaissance germanique (1908), puis le Reichshammerbund (1912).
  • Le Germanen Orden (1912), issu de la « Loge Wotan » d’un groupe Hammer et dirigĂ© par Hermann Pohl.
  • Rudolf Glauer, dit Rudolf von Sebottendorf (1875-1945), aventurier passionnĂ© d’ésotĂ©risme et d’astrologie, ayant notamment vĂ©cu en Orient, devient le chef du Germanen Orden en BaviĂšre, qu’il transforme en 1918 en SociĂ©tĂ© de ThulĂ© (« CrĂ©Ă©e Ă  Munich au tournant de l’annĂ©e 1917, 1918, (la SociĂ©tĂ© de ThulĂ©) Ă©tait l’incarnation du Germanen Orden fondĂ© Ă  Leipzig en 1912 afin de regrouper divers petits groupes et organisations antisĂ©mites », explique l'historien Ian Kershaw[2].
  • Sous le rĂ©gime nazi, les organisations de Guido List seront cependant interdites (en 1942), probablement pour ne pas interfĂ©rer avec la doctrine occultiste "officielle" de la SS.

Les historiens américains Jackson Spielvogel et David Redles, pourtant partisans d'accorder une place aux théories occultistes dans la formation du nazisme, précisent qu'une relation directe et personnelle entre Hitler et la Société Guido von List durant ses années à Vienne en 1907-1913 « n'a pas été définitivement établi »[3].

L'ariosophie de Lanz-Liebenfels (1905)

L'ariosophie (ou thĂ©ozoologie ou aryo-christianisme) est une thĂ©orie dĂ©veloppĂ©e par Jörg Lanz von Liebenfels (1874-1954), moine cistercien dĂ©froquĂ© (en 1893) qui a quittĂ© l’église (en 1899). L'ariosophie constitue une fusion du christianisme et du racisme germanique. La thĂ©orie est publiĂ©e en 1905, dans le manifeste Theozoologie oder die Kunde von den Sodoms-Äfflingen und dem Götter-Elektron (« ThĂ©ozoologie ou la Tradition des Singes Sodomites et des Électrons des Dieux »). Lanz appela d'abord sa doctrine thĂ©ozoologie (insistant sur son caractĂšre "scientifique") et aryo-christianisme (sur son caractĂšre religieux), avant d'opter dans les annĂ©es 1920 pour le label d'ariosophie (connaissance Ă©sotĂ©rique au sujet des Aryens), forgĂ© en 1915, que la postĂ©ritĂ© retiendra.

Certains auteurs, en particulier le spécialiste Nicholas Goodrick-Clarke (en 1985), utilisent le terme "ariosophie" de maniÚre assez générique pour décrire toutes les théories occulto-aryanistes, y compris l'armanisme de Guido List.

La théorie

L’ariosophie postule que la « race aryenne pure » descendrait d’entitĂ©s divines interstellaires s’engendrant par l'Ă©lectricitĂ©. Mais les aryens auraient « fautĂ© » avec des singes, donnant naissance Ă  des races humaines plus ou moins « pures » ayant perdu leurs pouvoirs originels (il s'agit d'une reprise raciste de l'histoire biblique de la chute originelle). Comme une grande partie de la propagande mystique nazie, le livre de Lanz-Liebenfels s’appuie sur quelques images racoleuses dĂ©nonçant le viol de femmes blanches par des hommes ethniquement « infĂ©rieurs » et sexuellement actifs. Selon cette thĂ©orie, l’église catholique aurait ensuite trahi sa mission de rappeler la « gnose sexo-raciste » du Christ. Le mythe du Graal est rĂ©interprĂ©tĂ© comme la quĂȘte du sang pur des aryens. Lanz annonce la rĂ©surrection de la gnose sexo-raciste : les aryens retrouvant, par la sĂ©lection, leur « puretĂ© » raciale et donc leur pouvoirs divins qui leur permettront d’établir un État aryen mondial (le « troisiĂšme Ăąge »). Lanz prĂŽnait la castration massive des « singoĂŻdes » et autres mĂąles « infĂ©rieurs ».

Organisations et influences de l'ariosophie

L’ariosophie s’est directement exprimĂ©e Ă  travers :

  • La revue Ostara (1905-1913), qui connut un grand succĂšs. Elle utilisait le symbole de la croix gammĂ©e.
  • L'Ordre du nouveau temple ou Ordre des nouveaux templiers (1907-1942), qui aurait comptĂ© 300 membres dont Guido List et le musicien Strindberg. Il est dissous en 1942.
  • Le Lumen Club (Vienne, 1932-1942), qui sera une pĂ©piniĂšre pour le parti nazi en Autriche jusqu’en 1938. Il est dissous en 1942.
  • Un groupe Ă  Berlin parfois appelĂ© Cercle Swastika. L'Ă©diteur de Lanz, Herbert Reichstein, le transforme en institut (1925), puis SociĂ©tĂ© Ariosophique (1926). En 1928, elle est rebaptisĂ©e Neue Kalandsgesellschaft ou NKG (Guido List utilisait le terme Kaland pour dĂ©signer une loge secrĂšte) pour unir la SociĂ©tĂ© aryosophique issue des idĂ©es de Lanz et les armanistes de List. Elle devient l'Ariosophische Kulturzentrale (1931). Elle ouvre une Ă©cole ariosophique Ă  Pressbaum (cours sur les runes, les biorythmes, le yoga et la Cabbale. La SociĂ©tĂ© aryosophique comptait parmi ses membres Schwartz-Bostunicht (anthroposophe proche de Rudolf Steiner, le chef de la thĂ©osophie-anthroposophie en Allemagne, puis proche d'Alfred Rosenberg, professeur et colonel SS), Wehrmann (astrologue, fondateur de la SA de Pforzheim).

Le psychologue autrichien catholique antinazi Wilfried Daim (de) a mis en avant dÚs 1957 une influence de Lanz sur Hitler (Der Mann, der Hitler die Ideen gab, 1957). Daim affirme que Lanz a rencontré Hitler en juillet 1909 (sur la foi d'un témoignage de Lanz à Daim en 1951) et qu'il lisait (en 1910), la revue Ostara (revue) (sur la foi d'un témoignage de Josef Greiner, un ami d'Hitler à l'époque).

Lanz a affirmé plusieurs fois qu'Hitler était influencé par son mouvement[3]. La bibliothÚque personnelle de Hitler contenait un livre de Lanz et un livre portant la dédicace : "An Adolf Hitler, meinem lieben Armanenbruder."[4]

Certains historiens de référence reprennent l'idée que Hitler lisait Ostara, tel l'historien allemand Joachim Fest[5].

D'autres historiens relativisent cependant l'influence de Lanz sur Hitler telle que mise en avant par Wilfried Daim (de) : l'historien américain Richard Weikart (California State Univ) rapporte ainsi en 2001 la position de l'historienne autrichienne Brigitte Hamann (université de Vienne) : « L'approche de Hamann est de bon sens, admettant qu'Hitler est susceptible d'avoir lu la revue de Lanz Ostara, mais estimant que le racisme aryen de Hitler porte encore plus la marque de Guido von List »[6].

La Société de Thulé (1918-1925)

EmblÚme de la société Thulé, 1919.

ThulĂ© Ă©tait un nom mythique issu de l'AntiquitĂ© grecque, dĂ©signant une Ăźle du grand nord habitĂ©e, selon la lĂ©gende, par le peuple des HyperborĂ©ens. Le terme rĂ©apparut en Allemagne, notamment au XVIIIe siĂšcle dans des poĂšmes de Goethe, et fut rĂ©cupĂ©rĂ© autour de 1900 par la foisonnante nĂ©buleuse völkisch, qui mĂȘlait pangermanisme et foi en la suprĂ©matie aryenne. ThulĂ© Ă©tait pour eux une sorte d'Atlantide du Nord, et ses habitants un peuple supĂ©rieur dont les descendants auraient Ă©tĂ© les Aryens[7].

En 1915, Hermann Pohl fut rejoint par Rudolf Glauer, aussi connu sous le nom de Rudolf von Sebottendorf, qui vint en Allemagne avec un passeport turc et Ă©tait un adepte de la mĂ©ditation soufie et de l’astrologie. Glauer est connu pour avoir Ă©tĂ© un admirateur du pangermaniste Guido von List et du farouchement antisĂ©mite Lanz von Liebenfels (admirateur de Emanuel Swedenborg et de Jakob Lorber). C'Ă©tait un homme riche (la source de cette fortune est inconnue) et il devint en 1918 le grand maĂźtre de la branche bavaroise du Germanenorden (inspirĂ© par l'armanisme de Guido List), qu'il transforma la mĂȘme annĂ©e en SociĂ©tĂ© ThulĂ© avec l’aval de Pohl.

C’est la SociĂ©tĂ© de ThulĂ© qui prĂ©side en 1919 Ă  la formation du Parti ouvrier allemand DAP, le parti nazi. La sociĂ©tĂ© de ThulĂ© sera la pĂ©piniĂšre de plusieurs futurs chefs du mouvement puis du rĂ©gime nazi (Ian Kershaw cite notamment Gottfried Feder, Karl Harrer, Hans Frank et Rudolf Hess[8]. Si un certain nombre des adeptes de la SociĂ©tĂ© ThulĂ© Ă©taient des membres haut placĂ©s du Parti nazi, Hitler lui-mĂȘme n'en devint jamais membre. Toutefois, c'est un membre de la SociĂ©tĂ© ThulĂ©, le dentiste Dr Friedrich Krohn, qui choisit le symbole du svastika pour le Parti nazi.

Mais derriĂšre ce nom mystique, la SociĂ©tĂ© de ThulĂ© n’avait Ă  peu prĂšs rien d’une organisation occulte. Elle s'apparentait davantage Ă  un groupe militant d’extrĂȘme droite[7]. Ses membres (environ 200), explique le politologue StĂ©phane François, prĂ©fĂ©raient tenir des confĂ©rences et lutter contre les communistes plutĂŽt que de pratiquer des rituels magiques : « Dans les faits, c’était moins une sociĂ©tĂ© secrĂšte ou Ă©sotĂ©rique qu’un groupe paramilitaire nĂ© dans le chaos de la fin de la Grande Guerre, antirĂ©publicain, antisĂ©mite, anticommuniste et plutĂŽt composĂ© d’aristocrates, comme il y en avait beaucoup dans l’Allemagne de l’époque. Certains membres avaient certes un attrait pour l’ésotĂ©risme völkisch [
] Mais cela relevait du folklore, et n’avait rien d’exceptionnel dans ce genre de milieu. »[7]

Les organisations de Gorsleben (années 1920)

Rudolf John Gorsleben (mort en 1930) Ă©tait membre de la SociĂ©tĂ© de ThulĂ©, de la SociĂ©tĂ© ariosophique (1928) et de l’Ordre du nouveau temple (Ordo novi templi). Il Ă©tait aussi responsable du grand rival du parti nazi en Allemagne du sud, le Deutsch Völkiser S&T. Il promeut les idĂ©es d’aryo-christianisme.

Rudolf John Gorselben va fonder :

  • Le journal LibertĂ© allemande (1920), auquel a participĂ© l’anthropologue raciste Hans GĂŒnther.
  • La SociĂ©tĂ© Edda ou Eddagesellschaft (1925) et son journal Hagal qui fait la promotion d’une religion arienne, de la mythologie paĂŻenne, de l’astrologie et de l’occultisme. Parmi les membres de la SociĂ©tĂ© Edda se trouve l’épouse du gĂ©nĂ©ral Ludendorff. La SociĂ©tĂ© Edda est Ă©galement proche du groupe occultiste de Karl Maria Wiligut (1866-1946), qui avait dĂ©veloppĂ© sa propre thĂ©orie occulto-raciste et influencera Himmler.

La "théorie"

Karl Maria Wiligut proclamait que la religion germanique de l'Irminisme, avait Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e en 12 500 av. J.-C. pour adorer le dieu germanique "Krist"[9]. Le christianisme actuel n'aurait Ă©tĂ© qu'un vol de cette tradition germanique. L'Irminisme aurait Ă©tĂ© battu par une religion schismatique, le Wotanisme. L'Ă©glise catholique, les juifs, la franc-maçonnerie n'auraient cessĂ© Ă  leur tour d'Ă©touffer la tradition irministe.

Influence sur le nazisme

Karl Maria Wiligut aura une grande influence sur Himmler. Il sera responsable de la section d'Histoire ancienne de l'institut de recherche de la SS, le RuSHA (Ă  ne pas confondre avec le RSHA).

L'ésotérisme et le régime nazi

L'avis des historiens

Si Adolf Hitler a globalement eu une attitude relativement prudente, voire distante, avec les thĂ©ories occultistes, il allĂ©gua cependant avoir vĂ©cu un « Ă©veil spirituel » sur le front pendant la PremiĂšre Guerre mondiale, en particulier lorsqu’il fut temporairement rendu aveugle par une attaque ennemie au gaz.

L'historien amĂ©ricain Richard Weikart (California State university) synthĂ©tise en 2001 la position de plusieurs historiens de rĂ©fĂ©rence concernant l'attitude de Hitler face Ă  l'occultisme. Selon Weikart, « Hitler avait peu ou pas d'intĂ©rĂȘt pour les enseignements ou expĂ©riences mystiques et surnaturels. En privĂ©, il mĂ©prisait les tentatives de Himmler de faire revivre les anciens rites paĂŻens allemands. Alan Bullock, dans l'une des meilleures biographies savantes d'Hitler prĂ©cĂ©dant celle de Kershaw, est probablement proche de la vĂ©ritĂ© en qualifiant Hitler de matĂ©rialiste qui repoussait toute croyance en quelque chose de surnaturel, en dĂ©pit de sa vague rhĂ©torique sur la Providence. »[10].

L'idĂ©e d'un Hitler occultiste vient en partie des conversations prĂȘtĂ©es Ă  Hitler par Hermann Rauschning et publiĂ©s en 1939 (Hermann Rauschning, Hitler Speaks, London, 1939). Les Ă©crits de Rauschning ont Ă©tĂ© trĂšs critiquĂ©s par les historiens qui estiment impossible de dĂ©mĂȘler le faux du vrai.

Himmler et les rites SS

Le fondateur de l’hitlĂ©risme Ă©sotĂ©rique fut Heinrich Himmler, qui Ă©tait fascinĂ© plus que n’importe quel autre officiel du TroisiĂšme Reich (dont Hitler) par le racialisme aryen (et pas seulement germanique) et par l’Odinisme germanique. Himmler a prĂ©tendu s’ĂȘtre considĂ©rĂ© lui-mĂȘme comme le successeur spirituel ou mĂȘme la rĂ©incarnation de Heinrich (ou Henri) Ier dit l’Oiseleur, duc de Saxe et roi germanique au Xe siĂšcle. Il mit au point des rites SS en l’honneur du vieux roi et rapporta les ossements de ce dernier dans la crypte de la cathĂ©drale de Quedlinburg. Himmler eut mĂȘme ses quartiers personnels amĂ©nagĂ©s au chĂąteau de Wewelsburg, dĂ©corĂ© en l’honneur de celui-ci.

L'Ahnenerbe
EmblĂšme de l'Ahnenerbe.

L'Ahnenerbe est un institut de recherches pluridisciplinaire, créé par Heinrich Himmler, Herman Wirth et Walther Darré le . Il est intégré aux SS en janvier 1939. L'institut a pour objet d'études « la sphÚre, l'esprit, les hauts faits et le patrimoine de la race indo-européenne nordique » avec comme outils notamment la recherche archéologique, l'anthropologie raciale et d'autres disciplines.

En compĂ©tition avec Alfred Rosenberg, l'Ahnenerbe se donne en particulier pour but de donner Ă  la prĂ©histoire germanique une aura Ă©gale aux antiquitĂ©s grĂ©co-romaine[11]. La particularitĂ© de cet institut est qu'il associait scientifiques de renom et auteurs völkisch, recherches archĂ©ologiques scientifiques et spĂ©culations aryanistes. Himmler nomma aussi Ă  des grades Ă©levĂ©s plusieurs occultistes, nĂ©o-paĂŻens et racistes, les aryosophes dont certains, comme Karl Maria Wiligut ou Otto Rahn, ont jouĂ© un rĂŽle important dans l’élaboration aprĂšs guerre du mythe de l'« occultisme nazi »[12].

Néanmoins, si Wiligut est impliqué dans le développement des rituels SS, dÚs août 1939, il doit quitter l'organisation, car il est de plus en plus démasqué comme charlatan, en plus de ses abus de drogue et d'alcool. De surcroit, Hitler s'était alors publiquement opposé à l'occultisme. Himmler, cependant, ne cessera pas complÚtement toute relation avec lui[13]

Alfred Rosenberg et la tentation d'une religion paĂŻenne

Le principal théoricien nazi se situant dans une ligne mystique est le philosophe Alfred Rosenberg. Selon l'historien Lionel Richard, « il prÎne la constitution d'une religion nouvelle articulée sur une identité collective allemande finalement refondée artificiellement, appuyée sur la "pureté naturelle du sang" et sur une "renaissance germanico-nordique." »[14].

Selon Lionel Richard, « sous le TroisiĂšme Reich, Ă  l'instigation de Rosenberg et d'autres dirigeants, comme le ministre de l'agriculture Walter DarrĂ© ou le chef SS Heinrich Himmler, les nazis se sont essayĂ©s Ă  cette "religion nouvelle". »[14] Elle s'est notamment exprimĂ©e Ă  travers un calendrier de cĂ©rĂ©monies (prise du pouvoir le 30 janvier, mĂ©morial des HĂ©ros en mars, anniversaire du chef et "communion" ou "confirmation" des jeunesses hitlĂ©riennes le 20 avril, fĂȘte du Travail le premier mai, solstice d'Ă©tĂ© le 21 juin, fĂȘte des moissons en octobre, commĂ©moration des "martyrs" du putsch de 1923, solstice d'hiver Ă  NoĂ«l), tonalitĂ© prophĂ©tiques de discours de Hitler, diffusion de la photo du FĂŒhrer et de Mein Kampf aux nouveaux mariĂ©s, salut Heil Hitler.

Cependant Hitler lui-mĂȘme ne se serait jamais dĂ©clarĂ© lui-mĂȘme publiquement en faveur de ce culte, « trop prĂ©occupĂ© de ne pas liguer contre lui l'ensemble des chrĂ©tiens. » selon l'historien Lionel Richard[15]. Et Lionel Richard d'estimer que, au total, le nĂ©opaganisme n'a jouĂ© qu'un rĂŽle marginal au sein du rĂ©gime nazi.

La répression des sociétés occultistes par les nazis

L'attitude du régime nazi présente quelques ambiguïtés dans ses relations avec les théories occulto-aryennes, tolérées chez certains (Himmler et la SS) et non chez d'autres.

Le cas Artur Dinter (1927)

En 1927, Hitler rĂ©voqua de sa fonction au sein du parti nazi le Gauleiter de Thuringe, Artur Dinter, parce que ce dernier voulait trop Ă©riger en religion la puretĂ© raciale aryenne. En 1928, Dinter fut finalement chassĂ© du parti lorsqu’il s’opposa publiquement Ă  Hitler au sujet de cette dĂ©cision.)

Suppression de sociétés occultistes (1942)

Le parti Nazi dĂ©couragea activement certaines sociĂ©tĂ©s secrĂštes Ă©sotĂ©riques, voire interna et parfois exĂ©cuta un certain nombre de mystiques de haut rang en Europe, francs-maçons surtout. Hitler voudra plus tard rejeter et tourner ouvertement en ridicule nombre de mystiques allemands, en particulier les adeptes de la franc-maçonnerie, de la thĂ©osophie et de l’anthroposophie[16].

Mysticisme et nazisme aprĂšs 1945

Aspect religieux : l’hitlĂ©risme Ă©sotĂ©rique

L'hitlérisme ésotérique est un courant voulant faire d'Hitler et du nazisme une religion et non un simple courant politique. Il tirerait son origine du mysticisme développé par Himmler et la SS (lire plus haut).

Savitri Devi

Savitri Devi, une essayiste franco-britannique, fut le premier porte-drapeau d'un nazisme Ă©sotĂ©rique aprĂšs-guerre. S'Ă©tant mariĂ©e Ă  un brahmane et ayant vĂ©cu plusieurs annĂ©es en Inde, elle relia certains aspects de l'idĂ©ologie nazie Ă  des notions tirĂ©es de l'hindouisme. Pour elle, le svastika est un symbole particuliĂšrement important dans la mesure oĂč il reprĂ©sente l’unitĂ© aryenne entre les Hindous et les Germains.

Pour Stéphane François, sa vision de l'Histoire constitue une forme de « néonazisme hétérodoxe »[17], elle serait une « aryo-nazie », qui intégrant le nazisme dans un élargissement de la vision cyclique hindoue de l'histoire, fait d'Adolf Hitler le dixiÚme avatar de Vishnou nommé Kalki[18], ayant pour mission de mettre fin à l'ùge de fer, le XXe siÚcle, afin de permettre l'avÚnement d'un nouvel ùge d'or[19].

Elle deviendra par la suite un auteur « culte » dans les milieux militant de l'« occultisme nazi ».

Miguel Serrano

Miguel Serrano, ambassadeur chilien en Inde, 1957.

La figure majeure suivante de l'hitlérisme ésotérique est Miguel Serrano, un diplomate chilien qui joua un rÎle important dans l'élaboration, aprÚs la Seconde Guerre mondiale d'un ésotérisme nazi.

Devenu antisĂ©mite Ă  la suite de la lecture du faux Les Protocoles des Sages de Sion, il adhĂ©ra Ă  des spĂ©culations « Ă©sotĂ©rico-völkisch » apportĂ©es par un immigrĂ© allemand arrivĂ© au Chili au dĂ©but du XXe siĂšcle. En 1953, il est nommĂ© ambassadeur en Inde oĂč il reste en poste jusqu'en 1962. il profite de ce sĂ©jour pour rencontrer des gourous et pour s'initier au yoga. LimogĂ© en 1970 par le prĂ©sident Salvador Allende, il Ă©crivit une trilogie, dont Adolf Hitler. El Ultimo AvatĂąra, dĂ©diĂ© « À la gloire du FĂŒhrer, Adolf Hitler », une somme de 600 pages, peut ĂȘtre considĂ©rĂ©, selon StĂ©phane François, comme son « testament philosophique »[20].

Son concept d'« hitlĂ©risme Ă©sotĂ©rique », qui dĂ©veloppe les spĂ©culations sur l'« histoire mystĂ©rieuse » faisant du nazisme une sociĂ©tĂ© secrĂšte mises Ă  la mode dans les annĂ©es soixante par la publication du Matin des magiciens, forme un bricolage mythologique qui mĂȘle Ă©sotĂ©risme, nĂ©opaganisme druidique et germano-scandinave, spĂ©culations völkisch, Cathares, gnosticisme antique, Templiers et Graal, ovnis[20]


Selon Serrano, Adolf Hitler se serait Ă©chappĂ© de Berlin en 1945 grĂące Ă  une soucoupe volante avant de se rĂ©fugier au sein d'une base secrĂšte nazie dans l'Antarctique. À l'instar de l'Ă©diteur nĂ©gationniste germano-canadien Ernst ZĂŒndel, le Chilien construit un discours mĂȘlant le thĂšme de l'« Ă©sotĂ©risme nazi » et celui des ovnis[21]. Ainsi, ces « soucoupes volantes seraient une arme secrĂšte de nazis cachĂ©e et l'avenir serait Ă  une nouvelle race d'hommes nommĂ©e la « race galactique » »[20].

Dans les années quatre-vingt, Miguel Serrano « va devenir une figure importante de jeunes générations du néonazisme » trouvant un public dans les marges hétérodoxes s'intéressant à l'occultisme, au satanisme et aux soucoupes volantes et au-delà de ces milieux, tout un lectorat évoluant aux marges du New Age[20].

Aspect politique : le mysticisme dans le néo-nazisme

Le nĂ©onazisme moderne a des liens avec l’ÁsatrĂș, autant qu’avec le National Socialist Black Metal. Des influences mystiques apparaissent souvent dans la musique nazie moderne, en particulier Ă  travers des rĂ©fĂ©rences aux artefacts comme la Sainte Lance. D’autre part, des groupes et organisations nĂ©opaĂŻennes du nord de l’Europe ont clairement dĂ©clarĂ© que d’éventuels liens de l’ÁsatrĂș avec le NĂ©onazisme ne doivent certainement pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme une caractĂ©ristique de leurs adhĂ©rents. Des organisations telles que les Theods, l’ÁsatrĂșarfĂ©lagiĂ°, et le ViĂ°artrĂșar sont connues pour leur refus formel d’une telle Ă©tiquette.

Enjeux

Les précurseurs de l'interprétation occultiste (années 1950-1960)

Les historiens américains Jackson Spielvogel (Pennsylvania State University) et David Redles (Cuyahoga Community College in Cleveland, Ohio) font remonter, à la date de 1997, les recherches sur les sources occultistes du nazisme aux auteurs suivants[3] :

  • Joachim Besser dans les annĂ©es 1950 (Joachim Besser, Der Okkultismus stand Pate, in Archiv der unabhĂ€ngigen Gesellschaft zur Pflege junger Wissenschaft und Kunst, Peine, 1949, et Die Vorgeschichte des National-sozialismus im neuem Licht, in Die Pforte 2, 1950) ;
  • l'historien germano-amĂ©ricain George L. Mosse au dĂ©but des annĂ©es 1960 (The Mystical Origins of National Socialism, in Journal of the History of Ideas no 22, janvier-mars 1961, et The Crisis of German Ideology, New York, 1964) ;
  • ils citent aussi (en note) le psychologue catholique antinazi Wilfried Daim (Der Mann, der Hitler die Ideen gab, Munich, 1958).

ThÚses plus récentes en faveur de l'interprétation occultiste

Spielvogel et Redles notent en 1997 que quelques historiens plus récents - Jeffrey Goldstein (On Racism and Anti-Semitism in Occultism and Nazism, Yad Vashem Studies 13, 1979) et James Webb (The Occult Establishment, LaSalle, IL, 1976) - « ont mis l'accent sur l'importance de l'occultisme en général dans l'apparition de l'idéologie nazie »[3].

Spielvogel et Redles soutiennent pour leur part en 1997 que « la philosophie raciale occulte ou ésotérique peut, en effet, avoir été l'une des sources majeure de l'idéologie raciale de Hitler »[3].

La position de l'histoire universitaire

Les historiens américains Jackson Spielvogel and David Redles estiment que la voie ouverte par Joachim Besser et George Mosse « n'a pas couramment été poursuivie par les historiens universitaires » et que « les histoires classiques du TroisiÚme Reich semblent se contenter de répéter une litanie bien établie de personnes et de mouvements qui auraient influencé la pensée d'Hitler ». Ils estiment notamment (en note de leur article de 1997) que la grande production d'ouvrages peu argumentés à destination du grand public sur le sujet a pu faire fuir les historiens reconnus[3].

Les historiens appuient traditionnellement la naissance du nazisme sur des éléments d'ordre politique ou socio-économique. L'historien britannique de référence du nazisme Ian Kershaw (British Academy) accorde ainsi dans ses ouvrages une place trÚs limitée aux questions de l'occultisme.

L'historien français Pierre Ayçoberry (université de Strasbourg) résume dans la critique d'un livre de l'historien Robert A. Pois, La religion de la nature et le national-socialisme la position majoritaire de l'histoire scientifique pour qui ces éléments sont « des élucubrations sans conséquences, le paravent d'ambitions personnelles ou des impostures »[22].

Pour StĂ©phane François, « il est rĂ©ducteur d’assimiler le national-socialisme Ă  une idĂ©ologie d’essence occultiste »[23].

Littérature sensationnaliste et pseudo-scientifique

« Pseudoscience in Naziland », essai de Willy Ley, paru dans le magazine de science-fiction Astounding, . Illustration de B. Tiedeman.

L'historien britannique Nicholas Goodrick-Clarke (université d'Exeter), rare spécialiste de la question (The Occult Roots of Nazism, 1985 ; Black Sun: Aryan Cults, Esoteric Nazism, and the Politics of Identity), souligne l'importante littérature concernant l'ésotérisme nazi, qui relÚve souvent d'une fascination postérieure et de la recherche d'importantes ventes par des auteurs à sensation.

Il met en avant des caractĂ©ristiques de cette littĂ©rature : 1) une ignorance complĂšte des sources primaires, 2) la rĂ©pĂ©tition d'affirmations inexactes et d'« affirmations extravagantes », sans essai de confirmer les faits, mĂȘme les plus audacieux. Dans son livre Les Racines occultes du nazisme, il dĂ©monte ainsi Bevor Hitler kam (1933) de Rudolf von Sebottendorf, Le Matin des magiciens (1960) de Louis Pauwels et Jacques Bergier, The Spear of Destiny (1972) de Trevor Ravenscroft, Les mystiques du soleil (1971) de Michel-Jean Angbert et Occult Reich (1974) de James Herbert Brennan.

Parmi tous les livres traitant de l'occultisme du national-socialisme, il mentionne comme seuls ouvrages sérieux à l'époque de parution Urania's children de Ellic Howe et The Occult Establishment de James Webb.

StĂ©phane François souligne le rĂŽle jouĂ© par Le Matin des magiciens dans la propagation du « mythe des rapports privilĂ©giĂ©s entre le national-socialisme et le monde des occultistes. »[23]. Selon lui, l'ouvrage serait parvenu « Ă  tirer du nĂ©ant mythes et traditions, voire Ă  les crĂ©er de toutes piĂšces. »[23] Son succĂšs dĂ©clencha une vague Ă©ditoriale qui contribua Ă  populariser des thĂšmes de l’ouvrage[23].

Autour de la position catholique

Pour l'historien français Lionel Richard, si l'Église reconnaĂźt une responsabilitĂ© dans l'antijudaĂŻsme d'une minoritĂ© de chrĂ©tiens, elle utilise le paganisme du national-socialisme (« le gĂ©nocide serait "le fruit d'un rĂ©gime tout Ă  fait nĂ©o-paĂŻen" ») pour rĂ©cuser toute responsabilitĂ© dans l'antisĂ©mitisme ayant cours officiel sous le TroisiĂšme Reich, qui aurait eu ses racines « en dehors du christianisme »[24]. La mise en avant du paganisme au sein du nazisme permettrait ainsi de rĂ©duire la part de responsabilitĂ© des Ă©glises chrĂ©tiennes.

NĂ©anmoins, les sociĂ©tĂ©s antiques rĂ©ellement « paĂŻennes », comme celles de l'Inde, n'ont jamais Ă©tĂ© antisĂ©mites, antijudaĂŻques, et ont eu des communautĂ©s juives qui n'ont jamais connu la moindre persĂ©cution de la part des « PaĂŻens », et ont prospĂ©rĂ© sans exclusion particuliĂšre (contrairement Ă  ce qui se passe dans le monde chrĂ©tien voyant dans les Juifs, Judas, l'assassin de JĂ©sus). Parler de pseudo-paganisme concernant le nazisme est plus juste, d'autant que Hitler se rĂ©fĂ©rait au christianisme en terme Ă©logieux dans nombreux de ses discours, voyant dans le christianisme un ennemi naturel du judaĂŻsme, selon la mĂȘme logique que celle du Ku Klux Klan ; l'occultisme nazi est dans les faits proche du Ku Klux Klan, qui en est le prototype selon Robert Paxton dans son ouvrage Le Fascisme en action, autant par son idĂ©ologie haineuse, raciste, xĂ©nophobe, eugĂ©niste et antisĂ©mite, que par son folklore festif (brĂ»ler des croix ; le Ku Klux Klan existe toujours aux États-Unis, et peut utiliser des symboles nazis dans ses rĂ©unions).

StĂ©phane François rappelle Ă©galement qu'une partie des dirigeants nationaux-socialistes se moquait ouvertement du paganisme de Himmler et que d'autres n’avaient que faire de ces thĂ©matiques[25]. Cette idĂ©e d’un paganisme intrinsĂšque au nazisme viendrait de diffĂ©rents milieux : celui du catholicisme allemand, de protestants et enfin, de la prĂ©sence dans le parti nazi et en particulier dans la SS, de militants paĂŻens. Il explique ainsi que certaines structures paĂŻennes prĂ©existant au TroisiĂšme Reich vont avoir une reprĂ©sentativitĂ© plus grande sous le rĂ©gime nazi, avant d’ĂȘtre dans un second temps « mises au pas » comme le reste de la sociĂ©tĂ© allemande[25].

ÉsotĂ©risme nazi dans la fiction

Le mythe de l'Ă©sotĂ©risme nazi naĂźt rĂ©ellement avec la parution du Matin des magiciens, en 1960. À la suite de ce livre, le grand public se passionna pour cette thĂ©matique, ce qui engendra une forte demande comblĂ©e par une quantitĂ© de livres trĂšs bon marchĂ©, publiĂ©s principalement entre 1964 et la fin des annĂ©es 1970[26].

Parmi les ouvrages les plus connus et les plus traduits, StĂ©phane François cite ceux de Trevor Ravenscroft, The Spear of Destiny : The occult power behind the spear which pierced the side of Christ (1973), de RenĂ© Alleau, Hitler et les sociĂ©tĂ©s secrĂštes (1969), de Jean-Michel Angebert, Hitler et la tradition cathare (1971), de Robert Ambelain, Les arcanes noirs de l’hitlĂ©risme (1984)[26].

Cette littérature a pour conséquence de diffuser largement le thÚme de l'« occultisme nazi » dans la culture populaire. Elle suscite une multitude de romans, de livres historiques ou pseudo-historiques et devient sujets de films, le cas le plus connu étant celui des aventures d'Indiana Jones (dans Les Aventuriers de l'arche perdue et Indiana Jones et la DerniÚre Croisade sortis respectivement en 1981 et en 1989). Le thÚme trouve également un large écho dans la bande dessinée, puis dans les jeux vidéo[26].

La sĂ©rie de jeux vidĂ©o Wolfenstein a comme Ă©lĂ©ment central les reliques technologiques de la sociĂ©tĂ© mystique Da'at Yichud (hĂ©breu : Ś“ŚąŚȘ Ś™Ś™Ś—Ś•Ś“), que le IIIe Reich aurait utilisĂ© pour accĂ©der a un statut de « superpuissance technologique » lui permettant de dominer la majoritĂ© de l'Occident[27].

Notes et références

  1. Lire par exemple Marie-France James, Les PrĂ©curseurs de l'Ere du Verseau, MontrĂ©al-Paris, Éd. Paulines et Mediaspaul, 1985, 191 p., qui lie Ă©sotĂ©risme, nazisme et New Age.
  2. Kershaw 1999, p. 218.
  3. Jackson Spielvogel (Pennsylvania State University) and David Redles (Cuyahoga Community College in Cleveland, Ohio), Hitler's Racial Ideology : Content and Occult Sources, Museum of tolerance online-The Simon Wiesenthal Center, annual 3, chapitre 9, 1997
  4. Robert G. L. Waite, Adolf Hitler's Anti-Sernitism : A Study in History and Psychoanalysis in The Psychoanalytic Interpretation of History, ed. Benjamin Wolsman, New York, 1971), p. 197 cité par Spielvogel et Redles.
  5. Joachim Fest, Les Maßtres du IIIe Reich, 1963 et Grasset, 1965. Fest écrit : "Cette confusion entre "livres" et "brochures" est caractéristique, car il s'agissait en fait, selon toute vraisemblance, de brochures de bas étage, fort répandues, que le fondateur de l'"aryosophie", Jörg Lanz von Liebenfels, intitulait : Ostara."
  6. Richard Weikart (California state university), The Roots of Hitler's Evil, in Books and Culture : A Christian Review, mars-avril 2001, pages 18-21. Weikart Ă©crit : Because it was so widespread it's impossible to point to any one racial thinker, such as Adolf Lanz von Liebenfels, as The Man Who Gave Hitler His Ideas, as Wilfried Daim has argued. Hamann's approach is commonsensical, admitting that Hitler likely read Lanz's periodical, Ostara, but asserting that Hitler's Aryan racism bears even more the stamp of Guido von List, the mystical writer who first introduced the swastika into Aryan racist circles.
  7. VOLKER SAUX, Nazis et occultisme : aux sources d'un fantasme, geo.fr, 15 juin 2016
  8. Ian Kershaw, ouvrage à préciser.
  9. Bill Yenne, chap. 8 « Le pĂšre confesseur de l'ordre nouveau », dans Himmler et l'ordre noir : Les origines occultes de la SS, Éditions du Camion blanc (lire en ligne).
  10. Richard Weikart, 'The Roots of Hitler's Evil, in Books and Culture : A Christian Review, mars-avril 2001, pages 18-21
  11. François 2015, p. 47.
  12. StĂ©phane François, De l’occultisme et du nazisme, tempspresents.com, 3 juillet 2015
  13. (en) Peter Longerich (trad. de l'allemand), Heinrich Himmler, Oxford England New York, Oxford University Press, , 832 p. (ISBN 978-0-19-959232-6, OCLC 753384415, lire en ligne), p. 295.
  14. Lionel Richard, Nazisme et Barbarie, page 158
  15. Idem, page 160.
  16. Arnaud De la Croix, Hitler et la Franc-Maçonnerie, Paris, Tallandier, 2014.
  17. François 2015, p. 78.
  18. François 2015, p. 79.
  19. François 2015, p. 75.
  20. Stéphane François,Miguel Serrano, un diplomate entre pensée völkisch et « lunatic fringe », Les cahiers psychologie politique, numéro 19, août 2011
  21. François et Kreis 2010, p. 39.
  22. Pierre Ayçoberry, « Robert A. Pois, La religion de la nature et le national-socialisme (compte-rendu) », Annales d'Histoire, vol. 50, no 3,‎ , p. 708-709 (lire en ligne).
  23. StĂ©phane François, Au-delĂ  du Matin des magiciens: l’extrĂȘme droite et l’ésotĂ©risme, tempspresents.com, 19 octobre 2010.
  24. Lionel Richard, Nazisme et Barbarie, Ed. Complexe, 2006, chapitre VI, p. 145.
  25. Actualités Les mystÚres du nazisme : Interview de Stéphane François, lahorde.samizdat.net, 17 février 2015.
  26. StĂ©phane François, L’ésotĂ©risme nazi. Entre pensĂ©e völkisch et phantasme, tempspresents.com, 18 janvier 2014.
  27. (en) « Da'at Yichud », sur Wolfenstein Wiki (consulté le ).

1. ↑ Erich Halik (Claude Schweikhart) - 'Um Krone und Gipfel der Welt", Mensch und Schicksal 6, no. 10 (1 August 1952) p. 3–5

Voir aussi

Études et essais en français

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  • StĂ©phane François, Les mystĂšres du nazisme : aux sources d'un fantasme contemporain, Paris, Presses universitaires de France, , 195 p. (ISBN 978-2-13-062457-8, prĂ©sentation en ligne).
  • StĂ©phane François et Emmanuel Kreis (prĂ©f. Jean-Bruno Renard, postface Jean-Pierre Laurant), Le complot cosmique : thĂ©orie du complot, ovnis, thĂ©osophie et extrĂ©misme politique, Milan / Paris, Éditions ArchĂš, coll. « Histoire et mĂ©tahistoire » (no 4), , 109 p. (ISBN 978-88-7252-299-8, prĂ©sentation en ligne).
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  • (de) Claus-Ekkehard BĂ€rsch, Die politische Religion des Nationalsozialismus : Die religiösen Dimensionen der NS-Ideologie in den Schriften von Dietrich Eckart, Joseph Goebbels, Alfred Rosenberg und Adolf Hitler, Munich, Fink, 2002.
  • (de) Hans-JĂŒrgen Lange, Weisthor : Karl-Maria Willigut. Himmlers Rasputin und seine Erben, UhlstĂ€dt-Kirchhasel, Arun-Verlag, , 319 p.
  • (de) Julian Strube, « Die Erfindung des esoterischen Nationalsozialismus im Zeichen der Schwarzen Sonne », Zeitschrift fĂŒr Religionswissenschaft, vol. 20, no 2,‎ , p. 223-268 (DOI 10.1515/zfr-2012-0009).
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Essais et Ă©tudes sur les fictions exploitant le thĂšme

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  • (en) Mary Baine Campbell, « Finding the Grail : Fascist Aesthetics and Mysterious Objects », dans Debra N. Mancoff (dir.), King Arthur's Modern Return, New York / Londres, Routledge, coll. « Garland Reference Library of the Humanities », (1re Ă©d. 1998), 264 p. (ISBN 978-1-1380-0167-1), p. 213-226.
  • StĂ©phane François, « un exemple de contre-culture nazie : le cycle thulĂ©en de Wilhelm Landing », dans CĂ©cilia Fernandez et Olivier Hanse (dir.), À contre-courant / Gegen den Strom : rĂ©sistances souterraines Ă  l'autoritĂ© et construction de contrecultures dans les pays germanophones au XXe siĂšcle, Peter Lang, coll. « Convergences » (no 81), , 346 p. (ISBN 978-3-0343-1493-0).
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  • Michel Meurger, « Le Nazisme, « revanche des mondes perdus » ? », Nous les MartiensINFINI, no 19,‎ , p. 30-39.
  • (en) Manfred Nagl, « SF, Occult Sciences, and Nazi Myths », Science Fiction Studies, Greencastle (Indiana), SF-TH Inc, vol. 1, no 3,‎ , p. 185-197 (JSTOR 4238861).
  • (en) Peder Roberts, « The White (Supremacist) Continent : Antarctica and Fantasies of Nazi Survival », dans Peder Roberts, Lize-MariĂ© van der Watt et Adrian Howkins (dir.), Antarctica and the Humanities, Londres, Palgrave Macmillan, coll. « Palgrave Studies in the History of Science and Technology », , XXV-312 p. (ISBN 978-1-137-54574-9), p. 105-124.
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  • (en) James J. Ward, « Utterly without Redeeming Social Value ? “Nazi Science” beyond Exploitation Cinema », dans Daniel H. Magilow, Elizabeth Bridges, Kristin T. Vander Lugt (dir.), Nazisploitation ! The Nazi Image in Low-Brow Cinema and Culture, Continuum Publishing Corporation, , 336 p. (ISBN 978-1-4411-8359-0), p. 92-112.
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Historiographie militante, littérature sensationnaliste et ouvrages pseudo-scientifiques

  • (de) Rudolf von Sebottendorf, Bevor Hitler kam [Avant qu'Hitler ne vienne], 1933, lire en ligne.
  • Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le Matin des magiciens, 1960.
  • Michel-Jean Angbert, Les mystiques du soleil, 1971.
  • Trevor Ravenscroft, The Spear of Destiny [La Lance du destin], 1972.
  • James Herbert Brennan, Occult Reich, 1974.
  • Peter Levenda, L'Alliance infernale, Une histoire de l'implication nazie dans l'occulte, Éditions du Camion noir, (ISBN 978-2-910196-77-6)
  • Jean-Claude FrĂšre, Nazisme et sociĂ©tĂ©s secrĂštes, Paris, Culture, art, loisirs, coll. « Histoire des personnages mystĂ©rieux et des sociĂ©tĂ©s secrĂštes », 1974, 287 p., prĂ©sentation en ligne. Antoine Faivre Ă©voque un ouvrage « fort hĂątivement composĂ©. »
  • Sidney D. Kirkpatrick (en), Hitler's Holy Relics : A True Story of Nazi Plunder and the Race to Recover the Crown Jewels of the Holy Roman Empire (pub. 2010), (ISBN 978-1-4165-9062-0). Traduit en français en 2012, (ISBN 978-2-266-23026-1), Le Cherche midi / Presses Pocket.
  • Christopher Hale, Himmler's Crusade : The Nazi Expedition to Find the Origins of the Aryan Race, Wiley 2003. (ISBN 0-471-26292-7).
  • Stephen Cook, Heinrich Himmler's Camelot : Pictorial/documentary: The Wewelsburg Ideological Center of the SS, 1934-1945, Kressmann-Backmeyer, 1999.
  • (en) Wulf SchwarzwĂ€ller, The unknown Hitler : his private life & fortune, Bethesda, Md, National Press Books, coll. « Zenith edition », , 1re Ă©d., 240 p. (ISBN 978-0-915765-63-8, OCLC 954887748) ; Berkeley Books, 1990.
  • Lewis Spence, Occult Causes of the Present War, 1940, Rider and Co, London.
  • Arnaud de la Croix, La religion d'Hitler, Bruxelles, Éditions Racine, coll. « L'Histoire et ses mystĂšres », , 211 p. (ISBN 978-2-87386-923-6).
  • Marie-France James, Les prĂ©curseurs de l'Ăšre du Verseau, MontrĂ©al / Paris, Éditions Paulines / MĂ©diaspaul, coll. « Notre temps » (no 29), , 191 p. (ISBN 2-89039-975-3, prĂ©sentation en ligne).
  • Ernesto MilĂĄ (en) (trad. Bernard Dubant), Nazisme et Ă©sotĂ©risme [« Nazismo y esoterismo »], Puiseaux, Éditions PardĂšs, coll. « Rix », , 137 p. (ISBN 2-86714-078-1).
  • Ernesto MilĂĄ (en) (trad. de l'espagnol), Occultisme et national-socialisme : rĂ©alitĂ©s et fictions, Nantes, Ars Magna, coll. « Sonnenwende », , 149 p. (ISBN 978-2-912164-92-6).
  • Christian Bouchet, Karl Maria Wiligut : le Raspoutine d'Himmler, Lucan, Avatar Ă©ditions, coll. « Sonnenwende » (no 2), , 95 p. (ISBN 978-0-9555132-2-0, lire en ligne).
  • Pierre Lunel, Les magiciens fous de Hitler : enquĂȘte sur la fascination des nazis pour l'occulte, Paris, First Ă©ditions, , 479 p. (ISBN 978-2-7540-7558-9).
  • Stephen E. Flowers et Michael Moynihan (trad. de l'anglais par SĂ©bastien Raizer), Karl Maria Wiligut : le roi secret [« The Secret King : The Myth and Reality of Nazi Occultism »], RosiĂšres-en-Haye, Camion blanc, coll. « Camion noir », , 217 p. (ISBN 978-2-910196-73-8).
  • (en) Dusty Sklar, The Nazis and the Occult, Dorset Press, 1977.

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