Guérison de l'autisme
La guérison de l'autisme, au sens médical, est peu probable au regard des connaissances de l'autisme et de ses facteurs de causalité, voire, est un mythe. L'autisme ne répond pas à la définition d'une maladie dont un traitement curatif pourrait supprimer à la fois les causes et les manifestations. Les réponses thérapeutiques portent sur la réduction des situations de handicap rencontrées par les personnes diagnostiquées comme autistes. Malgré l'absence de preuve d'une possibilité de guérir l'autisme, quelques personnes autistes et leurs proches assurent avoir « guéri ». Dans un contexte de recherche de remÚdes, quelques thérapeutes et psychanalystes, ainsi que des figures controversées comme le Pr Luc Montagnier, revendiquent de pouvoir guérir l'autisme mais sans en apporter de preuves, ce qui assimile ces déclarations à du charlatanisme.
Entre 3 et 25 % des personnes ayant reçu un diagnostic liĂ© Ă l'autisme durant leur enfance ne rĂ©pondent plus aux critĂšres de ce mĂȘme diagnostic Ă l'Ăąge adulte, majoritairement parmi celles qui n'ont pas de handicap mental associĂ©. Ce constat peut recouvrir plusieurs rĂ©alitĂ©s, et ne permet pas de dĂ©finir les adultes qui ne rĂ©pondent plus aux critĂšres diagnostiques de l'autisme comme Ă©tant « guĂ©ris ».
La focalisation sur une hypothĂ©tique guĂ©rison de l'autisme dans le futur influence les financements et les prioritĂ©s des politiques de santĂ©, tout en constituant un dĂ©bat Ă©thique auquel prennent part des adultes autistes, des proches de personnes autistes et des professionnels de la santĂ©. La majoritĂ© des adultes autistes s'opposent Ă l'idĂ©e selon laquelle l'autisme devrait ĂȘtre prĂ©venu ou guĂ©ri, mettant en avant le respect de leur identitĂ© et la prĂ©servation d'une culture autiste. Les parents d'enfants autistes soutiennent au contraire majoritairement la recherche d'un traitement curatif, sur la base du respect de la libertĂ© individuelle et de la recherche du bien-ĂȘtre.
DĂ©finition
Les notions de « guérison » et de « traitement » de l'autisme sont à la fois complexes et controversées[2] - [3].
L'autisme n'est pas défini sur la base d'une cause identifiée, mais sur celle d'un ensemble de critÚres ou symptÎmes communs aux personnes diagnostiquées, et qui pourraient avoir des causes diverses[4] - [5]. Ces symptÎmes, incluant des comportements répétitifs et une communication atypique, sont plus ou moins handicapants selon les individus[5]. Les manifestations de l'autisme sont d'origine neuro-développementales, comme spécifié dans les classifications CIM-10, DSM-5 (2013)[6] et CIM-11 (2018)[7]. Les causes de l'autisme sont majoritairement génétiques[8] (plus de 140 gÚnes impliqués, d'aprÚs l'institut Pasteur (2019), créant une forte héritabilité[A 1]) et de façon secondaire environnementales, les vaccins ayant été mis hors de cause par de solides études[8].
Si le consensus scientifique actuel autour de l'autisme le définit comme « présent à la naissance » et « à vie », de nouvelles découvertes pourraient en suggérer une vision plus dynamique, et conduire à de nouvelles critiques de la notion de guérison[9].
ProblÚmes posés par la notion de maladie
Carole Tardif et le Dr Bruno Gepner dans leur ouvrage de rĂ©fĂ©rence L'autisme (2019)[4], le Centre Ressources Autisme d'Ăle de France (2022)[10] et la plate-forme Autisme Info Service (2022)[11] en France, ainsi que la FĂ©dĂ©ration quĂ©bĂ©coise de l'autisme (2016)[A 2] et le Pr Laurent Mottron (2004)[12] au QuĂ©bec, dĂ©clarent que « l'autisme n'est pas une maladie », en accord avec la majoritĂ© des personnes concernĂ©es qui s'expriment Ă ce sujet[3]. La sociologue Brigitte Chamak souligne (en 2009) que « lâidentitĂ© des personnes autistes se construit actuellement dans le cadre dâune rĂ©sistance Ă la dĂ©finition de lâautisme comme une maladie », mais que le trouble du spectre de l'autisme reste rĂ©fĂ©rencĂ© parmi la Classification internationale des maladies (CIM), publiĂ©e par l'Organisation mondiale de la santĂ©[13]. De nombreux professionnels de santĂ© le prĂ©sentent comme une maladie[3], par exemple la Pr de pĂ©dopsychiatrie française Catherine BarthĂ©lĂ©my[14] et la Dr en psychologie Uta Frith, qui souligne cependant que l'autisme n'est pas une maladie dĂ©gĂ©nĂ©rative, et que de nombreuses personnes autistes amĂ©liorent leurs capacitĂ©s de compensation du handicap Ă l'Ăąge adulte[15].
Définition d'une guérison de l'autisme
Une autre difficultĂ©, en plus de la dĂ©finition de l'autisme lui-mĂȘme, rĂ©side donc dans la dĂ©finition d'une « guĂ©rison de l'autisme »[16]. Il est frĂ©quent de confondre la guĂ©rison de l'autisme avec l'indiffĂ©renciation (perçue de l'extĂ©rieur) entre les personnes autistes et les personnes non-autistes, mais la guĂ©rison et l'indiffĂ©renciation sont deux notions diffĂ©rentes[16]. L'une implique la suppression de toutes les caractĂ©ristiques qui font qu'une personne est autiste, alors que l'autre induit un masquage ou une absence de perception de ces caractĂ©ristiques, sans impliquer leur suppression effective[16]. Brigitte Harrison et Lise St-Charles notent que des intervenants en thĂ©rapie demandent aux enfants de faire disparaĂźtre leurs « manifestations autistiques », et revendiquent ensuite fallacieusement d'avoir guĂ©ri ces enfants[17].
L'Organisation mondiale de la santĂ© (OMS) et l'institut Pasteur spĂ©cifient qu'il n'existe aucun traitement curatif de l'autisme (notamment mĂ©dicamenteux) reconnu comme efficace, les rĂ©ponses mĂ©dicales portant sur des interventions pour aider les personnes diagnostiquĂ©es comme autistes Ă compenser leur situation de handicap, Ă travers une « prise en charge uniquement symptomatique (ce sont les symptĂŽmes qui sont traitĂ©s et non les origines des troubles) »[18] - [19]. De mĂȘme, Frith estime que « l'autisme ne disparaĂźt pas »[15] et qu'aucune mĂ©thode expĂ©rimentĂ©e jusqu'alors (2010) n'a permis de guĂ©rison[20]. Elle souligne aussi l'abandon de la notion d'autisme infantile, qui suggĂ©rait Ă tort que l'autisme disparaitrait ou guĂ©rirait chez les adultes[21]. Catherine BarthĂ©lĂ©my Ă©crit en 2012 que « nous sommes malheureusement dans l'incapacitĂ© de guĂ©rir l'autisme, un patient avec autisme le sera sa vie durant »[14].
Pertes du diagnostic
Il existe un faisceau d'études qui concluent qu'une part significative (environ 10 %) des enfants diagnostiqués comme autistes ne rencontrent plus les critÚres du diagnostic d'autisme à l'ùge adulte[22] - [23]. Le pédopsychiatre Michel Lemay estime en 2004 qu'il pourrait exister des cas trÚs rares et isolés de guérison de l'autisme, mais les facteurs qui la provoquent restent inconnus et non-reproductibles[24].
En 2008, Molly Helt et ses collĂšgues dĂ©terminent qu'entre 3 et 25 % des enfants diagnostiquĂ©s dans le champ de l'autisme sont dans ce cas[25]. Ce groupe de chercheurs identifie, parmi les facteurs prĂ©dictifs de cette Ă©volution vers la perte du diagnostic, une intelligence Ă©levĂ©e, un langage rĂ©ceptif, une imitation verbale et motrice, et un dĂ©veloppement moteur, mais pas la « gravitĂ© globale des symptĂŽmes »[25]. En , une Ă©tude de l'UniversitĂ© du Connecticut dĂ©termine que 34 jeunes qui avaient reçu un diagnostic fiable reliĂ© au champ de l'autisme durant l'enfance ont par la suite quittĂ© les critĂšres diagnostiques[2]. InterrogĂ©e dans la presse, la chercheuse Deborah Fein explique qu'il reste impossible de prĂ©voir comment se dĂ©velopperont les enfants ; en particulier, l'application de l'Analyse appliquĂ©e du comportement (ABA) n'est guĂšre prĂ©dictive, deux enfants suivant un mĂȘme protocole d'ABA pouvant connaĂźtre des trajectoires dĂ©veloppementales totalement diffĂ©rentes[P 1]. En , une Ă©tude du Weill Cornell Medical College, menĂ©e sur 85 enfants diagnostiquĂ©s dans le champ de l'autisme et suivis pendant 20 ans, montre que 9 % de ces enfants ne rencontrent plus les critĂšres diagnostiques Ă l'Ăąge adulte, la plupart du temps parmi ceux qui ont Ă©tĂ© diagnostiquĂ©s sans handicap mental associĂ©[26].
Traitements alternatifs et « guérison » de nos jours
Les psychiatres et psychanalystes Ă l'origine des premiĂšres descriptions de l'autisme, ainsi que ceux qui exercent en France, l'ont longtemps reliĂ© au champ des psychoses, en soutenant sa curabilitĂ© et en dĂ©crivant chez les enfants autistes une « folie » rĂ©versible[6]. Bruno Bettelheim croyait ainsi que la prise en charge institutionnelle pouvait guĂ©rir l'autisme, ce qui s'est rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre faux[27] - [28]. D'aprĂšs les psychanalystes Patrick Landman et Denys Ribas, la plupart des psychanalystes modernes ne prĂ©tendent plus que la psychanalyse permet de guĂ©rir l'autisme[29]. La sociologue française Florence Vallade souligne cette Ă©volution Ă travers les reprĂ©sentations de l'autisme dans la presse en France, dans laquelle l'approche de la psychiatrie psychanalytique a Ă©tĂ© progressivement prĂ©sentĂ©e comme ne permettant pas une « vraie guĂ©rison », tandis que la notion de handicap, perçu comme dĂ©finitif, implique que si l'autisme nâest pas guĂ©rissable, les personnes concernĂ©es sont nĂ©anmoins rĂ©Ă©ducables[30].
L'approche psychologique et comportementale de l'autisme est peu invasive envers les personnes concernĂ©es, au contraire de l'approche biomĂ©dicale, qui est aussi la plus susceptible de dĂ©boucher un jour sur une guĂ©rison[31]. Selon l'institut Pasteur (2019), « la gravitĂ© de certains symptĂŽmes pourrait ĂȘtre rĂ©duite, mĂȘme chez lâadulte », ce qui justifie la conduite d'essais thĂ©rapeutiques sur l'autisme[19]. Le point de vue biomĂ©dical sur l'autisme veut qu'il s'agisse d'un handicap ou d'une maladie qui entraĂźne des dĂ©ficiences, et soutient la dĂ©tection prĂ©coce, la prĂ©vention, l'amĂ©lioration des traitements et finalement la guĂ©rison de l'autisme[32]. Dans les discours des tenants de cette approche, l'autisme est dĂ©crit comme une tragĂ©die ou comme une Ă©nigme qui doit ĂȘtre rĂ©solue, souvent via le recours Ă un vocabulaire martial, en parlant de « combattre la maladie » qui « prend les enfants en otage »[32]. La journaliste Olivia Cattan note que les termes « flĂ©au » et « Ă©pidĂ©mie » sont employĂ©s pour caractĂ©riser l'autisme dans de grands mĂ©dias en français[3].
Florence Vallade souligne le rĂŽle de la presse en France dans l'entretien d'une croyance en la possibilitĂ© de guĂ©rir l'autisme, dans la mesure oĂč des expressions telles que « dĂ©veloppement normal » et « enfants ne se distinguant plus des autres enfants » y sont rĂ©guliĂšrement vĂ©hiculĂ©es, et « invitent Ă penser par glissement sĂ©mantique quâune guĂ©rison est possible »[30].
Personnalités et groupes qui prétendent pouvoir guérir l'autisme
D'aprÚs Lemay, « toute personne ou tout regroupement affirmant à l'heure actuelle qu'on peut « guérir l'autisme » est dans l'illusion ou dans le charlatanisme »[24]. L'absence officielle de traitement curatif de l'autisme suscite une demande, particuliÚrement lorsque les parents d'un enfant nouvellement diagnostiqué comme autiste sont à la recherche de réponses médicales, n'en trouvent pas et se tournent vers des thérapies alternatives douteuses et/ou dangereuses[34] - [35]. Des enfants autistes sont alors exposés à ces pseudo-traitements vendus par des charlatans, au prétexte de les guérir[36]. D'aprÚs le New Scientist, la plupart de ces pseudo-thérapies relÚvent du domaine biomédical, ou « biomed »[37].
D'aprĂšs la sociologue française Lise Demailly, en France Ă la fin des annĂ©es 2010, deux catĂ©gories de personnes impliquĂ©es dans le champ de l'autisme continuent de soutenir qu'il serait guĂ©rissable au sens mĂ©dical[38]. Il s'agit, d'une part, de partisans de l'approche psychodynamique, tels que les membres de l'association PRĂAUT (PrĂ©vention autisme), entre autres Marie Allione[38] - [39]. La psychanalyste Marie-Christine Laznik, thĂ©oricienne de PRĂAUT, revendique ainsi avoir « Ă©vitĂ© un autisme syndromique » Ă un bĂ©bĂ© de trois mois[40], et Ă un autre de deux mois, dont le frĂšre est autiste[41], grĂące Ă des « soins » guidĂ©s par la psychanalyse. Les partisans de la thĂ©orie causale infectieuse (Luc Montagnier, Corinne Skorupka, LorĂšne Amet...) soutiennent Ă©galement la possibilitĂ© d'une guĂ©rison de l'autisme au sens mĂ©dical, en estimant que guĂ©rir l'infection sous-jacente revient Ă guĂ©rir l'autisme[38]. Les promesses de guĂ©rison sont portĂ©es par quelques personnalitĂ©s marginalisĂ©es parmi la communautĂ© scientifique, notamment par le Pr Luc Montagnier, qui est Ă l'origine de la crĂ©ation de l'association Chronimed et de l'affaire Chronimed[T 1] - [P 2] - [36] - [P 3]. Certains hypnothĂ©rapeutes[42] et promoteurs de rĂ©gimes alimentaires spĂ©ciaux promettent aussi aux parents de guĂ©rir l'autisme de leurs enfants. Sur les rĂ©seaux sociaux, des charlatans sĂ©vissent sur des groupes de discussion et exposent ces promesses Ă des parents d'enfants autistes ou Ă des adultes autistes[36]. La promesse de guĂ©rison peut ĂȘtre conditionnĂ©e au suivi strict des protocoles proposĂ©s, qui se rĂ©vĂšlent trĂšs onĂ©reux[43] - [44].
L'association AutismOne a longtemps gardĂ© sur son site web un lien vers un article prĂ©tendant que l'homĂ©opathe Kerri Rivera (pasteure de la pseudo-Ăglise Genesis II Church of Health and Healing[P 4]) a guĂ©ri 38 enfants autistes en dix mois avec le supplĂ©ment alimentaire minĂ©ral miraculeux, un dĂ©rivĂ© de l'eau de Javel[45].
Aux Ătats-Unis, au moins deux associations soutiennent ou ont soutenu la recherche d'un traitement mĂ©dical de l'autisme : Defeat Autism Now! (DAN), et Cure Autism Now (CAN, qui a depuis fusionnĂ© avec Autism Speaks)[46]. En Chine, plusieurs mĂ©decins partisans de l'acupuncture soutiennent qu'elle permettrait de guĂ©rir l'autisme[47], des conclusions qui ne sont pas retenues par la collaboration Cochrane[48].
Témoignages de « guérison »
Des parents ou proches de personnes autistes tĂ©moignent rĂ©guliĂšrement, dans la presse[P 5] - [P 6] ou dans des ouvrages[T 2] - [T 3] - [T 4], d'avoir « guĂ©ri » leurs enfants de l'autisme, parfois en promouvant des mĂ©thodes supposĂ©es amener ce rĂ©sultat, telles que la mĂ©thode Son-Rise [T 5] et la mĂ©thode des 3i[P 7]. La QuĂ©bĂ©coise Nathalie Champoux explique avoir « guĂ©ri » ses enfants aprĂšs avoir fait la requĂȘte par mots-clĂ© « guĂ©rir » et « autisme » dans un moteur de recherche, et appliquĂ© les protocoles biomĂ©dicaux proposĂ©s en rĂ©ponse Ă cette requĂȘte[49]. Le journaliste anglais Rupert Isaacson affirme dans un ouvrage Ă succĂšs et un film documentaire (2007 et 2009) que l'Ă©quithĂ©rapie et le chamanisme ont guĂ©ri son fils autiste, des allĂ©gations qui ne reposent sur aucune preuve[44].
L'Ă©crivain amĂ©ricain Sean Barron, sans promouvoir une thĂ©rapie en particulier, se dĂ©clare guĂ©ri de l'autisme et a Ă©crit son autobiographie[50]. L'anthropologue Jean-Marie Vidal juge « le terme de guĂ©rison » comme « appropriĂ© pour qualifier cette Ă©volution »[50]. Il estime que l'indice le plus parlant est que la plupart des personnes qui le rencontrent Ă l'Ăąge adulte « doutent des symptĂŽmes autistiques que Sean a pourtant montrĂ©s Ă partir dâun an, avant dâĂȘtre diagnostiquĂ© autiste Ă lâĂąge de quatre ans et confirmĂ© tel Ă plusieurs moments de son enfance et de son adolescence »[50]. Barron est devenu journaliste, et dĂ©clare que son travail sollicite des compĂ©tences dans les rapports avec autrui, ajoutant que « les bĂ©nĂ©fices quâil y trouve valent largement la perte de la mĂ©moire exceptionnelle des nombres, dates et listes de noms quâil montrait dans son enfance », lorsqu'il Ă©tait diagnostiquĂ© comme autiste[50].
Réponses aux allégations charlatanesques
En mars 2019, le groupe Amazon retire de la vente deux ouvrages publiés en anglais qui promettent une guérison de l'autisme via des pseudo-traitements invasifs, sous la pression associative de la société civile : Healing the Symptoms Known as Autism (« Guérir les symptÎmes connus comme l'autisme ») et Fight Autism and Win (« combattre l'autisme et gagner »)[51]. En France, l'animatrice Marina CarrÚre d'Encausse, qui présente Le Magazine de la santé, déclare (en 2020) qu'elle ne relaie pas les allégations de ceux qui prétendent guérir l'autisme, afin de ne pas leur faire de publicité[52].
Débat éthique autour du « traitement » et de la « guérison »
La premiÚre prise de position historique contre la guérison de l'autisme est initiée par le manifeste de Jim Sinclair, un adulte militant, en 1993[53] - [54] :
« [Q]uand les parents disent : "Je voudrais que mon enfant n'ait pas d'autisme", ce qu'ils disent vraiment c'est : "Je voudrais que l'enfant autiste que j'ai n'existe pas. Je voudrais avoir à la place un enfant différent (non autiste)". C'est ce que nous entendons quand vous vous lamentez sur notre existence et que vous priez pour notre guérison. »
â Jim Sinclair, Ne nous pleurez pas[A 3]
Cette position se dĂ©veloppe sous l'impulsion d'un militantisme parti du monde anglo-saxon, notamment Ă travers l'organisation dâĂ©vĂ©nements entre adultes autistes, dont le but est de cĂ©lĂ©brer leur mode de vie plutĂŽt que l'arrivĂ©e prochaine d'un remĂšde[55]. Si l'idĂ©e mĂȘme de refuser un remĂšde Ă une condition qui crĂ©Ă©e un handicap peut sembler dĂ©raisonnable, le psychologue Richard Dean l'explique par une rĂ©action aux faits d'exclusion et de rejet auxquels les personnes autistes font face durant leur vie[56]. Les recherches de guĂ©rison de l'autisme, y compris in-utero, envoient un message selon lequel une personne autiste ne peut ĂȘtre ni acceptĂ©e ni aimĂ©e en Ă©tant autiste[57]. Une tension majeure dĂ©coule ainsi des reprĂ©sentations de l'autisme et de la question de sa guĂ©rison[32] - [58]. Selon Alicia Broderick et Ari Ne'eman, la rhĂ©torique qui prĂ©sente l'autisme comme une maladie Ă guĂ©rir Ă©mane essentiellement de personnes qui ne sont pas autistes[59].
Les dĂ©saccords entre les personnes autistes, les parents et les professionnels de santĂ©, sur la question de savoir si l'autisme doit ĂȘtre guĂ©ri ou traitĂ©, dĂ©pendent de la conception de l'autisme que l'on adopte et des personnes qui s'expriment : les expĂ©riences des personnes diagnostiquĂ©es comme autistes incluent aussi celles de personnes qui en souffrent, et celles qui ne peuvent pas communiquer leur point de vue verbalement[9]. Le dĂ©bat autour de la guĂ©rison est aussi Ă©troitement liĂ© Ă la recherche d'une sociĂ©tĂ© plus inclusive, et aux reprĂ©sentations de l'autisme[60].
Questions Ă©thiques
D'aprĂšs le Dr en psychologie Simon Baron-Cohen, il existe (en 2009) un dĂ©but de dĂ©bat Ă©thique autour de la question de savoir si les connaissances scientifiques de l'autisme doivent ĂȘtre mobilisĂ©es pour le prĂ©venir ou le guĂ©rir[46]. La sociologue Nancy Bagatell souligne (en 2010) que l'Ă©mergence de ce dĂ©bat dĂ©coule de l'opposition d'adultes autistes Ă l'interprĂ©tation biomĂ©dicale de leur condition, qu'ils considĂšrent comme une diffĂ©rence neurologique et non comme une maladie Ă traiter[61].
La possibilitĂ© de guĂ©rir l'autisme soulĂšve ainsi de nombreuses questions bioĂ©thiques[62], mettant en jeu les notions de libertĂ© individuelle, d'identitĂ© personnelle, d'affectation des ressources, de culture et de bien-ĂȘtre[63]. D'aprĂšs l'Ă©tude de R. Eric Barnes et Helen McCabe publiĂ©e en 2012 autour de cette question, il existe des arguments plausibles Ă la fois pour et contre la guĂ©rison de l'autisme[64]. Les deux arguments valables pour refuser la guĂ©rison de l'autisme sont celui de la disparition des talents permis par l'autisme et celui de l'exclusion et de la maltraitance des personnes autistes qui refuseraient d'ĂȘtre guĂ©ries (ou dont les parents auraient refusĂ© le dĂ©pistage prĂ©natal) ; les deux arguments valables pour accepter un traitement de l'autisme sont celui de l'augmentation de la qualitĂ© de vie et celui du respect de la libertĂ© individuelle[64].
Liberté individuelle
S'il est moralement dĂ©fendable de rejeter l'application d'un remĂšde Ă l'autisme Ă soi-mĂȘme, l'arrĂȘt de toutes les recherches de remĂšdes Ă l'autisme, impliquant ainsi de rendre un remĂšde Ă©ventuel indisponible pour l'ensemble de la population autiste, constitue un dĂ©bat beaucoup plus complexe Ă©thiquement, comme cela est illustrĂ© dans le domaine de la surditĂ© avec le mouvement de la culture sourde et la question des implants cochlĂ©aires posĂ©s aprĂšs la naissance[65] - [66]. Comme le rĂ©sument Barnes et McCabe, les partisans d'un remĂšde Ă l'autisme estiment souhaitable de donner un accĂšs Ă un traitement qui pourrait diminuer considĂ©rablement le nombre de personnes autistes dans le monde, voire Ă©liminer totalement ce groupe, tandis que ceux qui refusent la recherche d'un traitement prĂ©fĂšrent que les personnes autistes n'aient pas le choix de vivre avec ou sans autisme[67].
Une partie des personnes autistes ne seraient pas en possibilitĂ© de choisir par elles-mĂȘmes de guĂ©rir ou non de l'autisme, dans la mesure oĂč elles ont un responsable lĂ©gal ou un tuteur qui prend ces dĂ©cisions Ă leur place[16].
Identité et diversité
Les adultes autistes qui militent contre la guĂ©rison soulignent que l'autisme est vĂ©cu comme une partie fondamentale de leur identitĂ©, et non comme quelque chose qu'ils ont ; si leur autisme est Ă©liminĂ©, ils ne seront plus les mĂȘmes personnes[61] - [68] - [53]. La guĂ©rison de l'autisme est parfois comparĂ©e Ă un « meurtre d'identitĂ© », ou Ă un meurtre sans mort physique[69]. Pour Baron-Cohen, les autistes effectuent des choix de vie naturellement diffĂ©rents de ceux des non-autistes, et devraient Ă ce titre bĂ©nĂ©ficier du respect de leurs choix et de leur intĂ©gritĂ©[70].
Pour la Dr Deborah R. Barnbaum et pour Barnes et McCabe, il n'y a aucune raison de supposer qu'une personne adulte et mature puisse subir un changement de personnalitĂ©[71] ou un changement dans ses souvenirs, ses goĂ»ts ou ses dĂ©sirs aprĂšs une guĂ©rison Ă©ventuelle de son autisme[69]. Barnes et McCabe estiment que l'argument de la destruction de l'identitĂ© est peu plausible, dans la mesure oĂč il faudrait que la guĂ©rison Ă©ventuelle s'accompagne d'une compromission du cerveau de la personne[69].
L'argument de la diversitĂ© gĂ©nĂ©tique est parfois mis en avant, mais il ne rĂ©pond pas Ă la question de savoir si la guĂ©rison de l'autisme serait une bonne ou une mauvaise chose, dans la mesure oĂč une diversitĂ© gĂ©nĂ©tique peut ĂȘtre bĂ©nĂ©fique ou bien nĂ©faste Ă un individu[72]. Il en est de mĂȘme pour la question de savoir si la prĂ©sence d'un enfant autiste est bĂ©nĂ©fique ou nĂ©faste aux autres membres de sa famille[73].
Affectation des ressources
Pour le sociologue australien Matthew Bennett et son Ă©quipe, le « mythe de l'autisme pouvant ĂȘtre guĂ©ri », qui dĂ©coule du modĂšle mĂ©dical du handicap, a des effets nĂ©gatifs sur l'existence des personnes autistes, dans la mesure oĂč d'importants investissements et efforts de recherche portent sur la recherche d'hypothĂ©tiques « remĂšdes », plutĂŽt que sur le financement d'aides Ă la scolarisation et Ă la professionnalisation des personnes autistes qui, dans ce contexte, ne peuvent rĂ©aliser leur plein potentiel[74]. Banes et McCanes notent que si un traitement de l'autisme est rendu disponible pour l'ensemble de la population, la diminution du nombre de personnes autistes qui s'ensuivrait entraĂźnerait probablement une diminution conjointe des services et des amĂ©nagements inclusifs qui leur sont destinĂ©s dans la sociĂ©tĂ©[75]. Cela signifie que la disponibilitĂ© d'un traitement contre l'autisme empirerait les conditions d'existence des personnes autistes, bien que l'argument ne soit pas certain Ă 100 %[76]. Selon eux, cet argument doit ĂȘtre mis en balance avec celui de l'amĂ©lioration potentielle du bien-ĂȘtre des personnes guĂ©ries de l'autisme[77].
Culture autiste
La communautĂ© autiste revendique l'existence d'une culture autiste, qui sera en danger d'extinction s'il est possible de guĂ©rir l'autisme[78]. Barnes et McCabe soulignent qu'au contraire de la culture sourde qui repose sur la transmission de la langue des signes, l'existence d'une culture autiste bien dĂ©finie reste controversĂ©e, dĂšs lors qu'elle ne s'Ă©tend pas au-delĂ de l'existence d'individus qui partagent une mĂȘme expĂ©rience de vie[79]. La question de la prĂ©servation de la culture autiste repose donc sur le fait de dĂ©terminer si elle est plus importante que le mieux-ĂȘtre des personnes autistes[79].
Bien-ĂȘtre
Une derniĂšre question Ă©thique est celle de savoir si l'existence d'un remĂšde et si le fait mĂȘme de supprimer l'autisme amĂ©lioreraient le sort des personnes concernĂ©es[75]. Une partie des personnes autistes (10 % selon Barnes et McCabe) dĂ©clarent que l'autisme leur apporte des compĂ©tences particuliĂšres (notamment dans le calcul et la musique), et pourraient se trouver plus mal loties aprĂšs un traitement qui le supprimerait[75]. S'il est indĂ©niable qu'il existe des personnes autistes douĂ©es de compĂ©tences et de talents particuliers, la difficultĂ© est de savoir quelle part de ces compĂ©tences et talents rĂ©sulte de l'autisme[79]. Si le handicap est insĂ©parable des compĂ©tences et talents, alors la suppression de l'autisme devient moralement injustifiable[72].
à l'opposé, les partisans de la guérison, généralement des personnes qui ne sont pas autistes, soutiennent que les avantages potentiels d'une suppression de l'autisme surpassent globalement les inconvénients potentiels[80]. Ils soutiennent que les personnes autistes ont peu d'empathie envers les autres, ont une qualité de vie inférieure à celle qu'elles auraient si elles n'étaient pas autistes, enfin que l'autisme diminue la qualité de vie des autres[81] - [82]. Barnbaum soutient à ce titre que les technologies de dépistage prénatal de l'autisme sont éthiquement acceptables[9].
Barnbaum estime aussi (2008) qu'une guĂ©rison de l'autisme reprĂ©sente un changement et une adaptation si profonds pour un adulte que cette option ne servirait pas l'intĂ©rĂȘt des adultes autistes[83]. Barnes et McCabe concluent qu'il n'existe pas de preuves permettant d'affirmer que les difficultĂ©s d'adaptation rendraient la guĂ©rison non-souhaitable pour l'ensemble des adultes autistes, et qu'il existerait probablement une diffĂ©rence de capacitĂ©s d'adaptation entre des adultes jeunes et des adultes matures[69].
Une coercition pourrait s'exercer Ă l'encontre des personnes autistes pour accepter un traitement mĂȘme si elles n'en veulent pas[78]. La disponibilitĂ© d'un traitement de l'autisme pourrait empirer le rejet social des personnes qui refusent de guĂ©rir de l'autisme, en augmentant la rĂ©ticence des personnes non-autistes Ă prendre en compte leur diffĂ©rence et en accusant ces personnes qui refusent de guĂ©rir de l'autisme d'ĂȘtre responsables de coĂ»ts financiers pour l'ensemble de la sociĂ©tĂ©[76]. La sociĂ©tĂ© a en effet une obligation morale de rĂ©pondre aux besoins de ceux qui ne « choisissent pas » d'ĂȘtre en situation de handicap, mais non Ă ceux qui « choisissent » de refuser un traitement potentiel[76].
Militantisme contre la guérison de l'autisme
La position anti-guérison est la plus couramment partagée parmi les adultes autistes[32], rejoignant le mouvement de la neurodiversité[84] - [85] et une revendication plus large de démédicalisation du handicap[86]. L'artiste australienne Donna Williams et la zootechnicienne américaine Temple Grandin, entre autres, réfutent que la guérison de l'autisme soit un objectif souhaitable[87]. Grandin s'adresse ainsi au neurologue Oliver Sacks à la fin d'une conférence dans les années 1990 :
« Si je pouvais, d'un claquement de doigts, cesser d'ĂȘtre autiste, je ne le ferais pas. Parce que je ne serais plus moi-mĂȘme. Mon autisme fait partie intĂ©grante de ce que je suis »
â Temple Grandin, Penser en images[88] - [87]
Ces militants reconnaissent néanmoins que les personnes autistes les plus handicapées doivent recevoir un soutien, y compris de leurs pairs, pour accéder à une vie autonome[89]. L'écrivain français Hugo Horiot, parfois présenté comme ayant « guéri de l'autisme » dans les médias[P 8], répond à ces allégations dans ses ouvrages à but politique, dont Autisme : j'accuse ![90], dans lequel il déclare que « nous devons subir les gourous et charlatans qui prétendent nous « guérir ». Ce jour-là , moi, autiste, j'ai des « bleus à l'ùme » »[T 6]. les militants français Julie Dachez et Josef Schovanec, ainsi que l'écrivain d'origine britannique Daniel Tammet, sont aussi opposés à la guérison[T 6]. Il existe au moins un adulte autiste qui milite pour la guérison, l'Américain Jonathan Mitchell, démontrant que la position anti-guérison, bien que trÚs fréquente, n'est pas unanimement partagée par les adultes autistes[22].
La majoritĂ© des parents d'enfants autistes qui ne sont pas eux-mĂȘmes autistes s'opposent aux discours blessants contre leurs enfants, mais sont fondamentalement pour la guĂ©rison[91]. La position « anti-guĂ©rison » est donc plus rare parmi eux, bien qu'il existe des exemples de parents sensibles au discours de la neurodiversitĂ©[92]. Ainsi, Olivia Cattan dĂ©die Le Livre noir de l'autisme Ă son fils, en dĂ©clarant que l'autisme n'est pas une maladie dont il faudrait le guĂ©rir[93].
Parmi les professionnels de santĂ©, Laurent Mottron[94] et Baron-Cohen soutiennent les avantages de l'autisme, et s'opposent Ă sa guĂ©rison[P 9]. Baron-Cohen dĂ©clare dans The Lancet que « d'autres aspects de l'autisme bĂ©nĂ©ficieraient d'un tel traitement, comme le retard important dans l'apprentissage du langage, le handicap intellectuel, l'Ă©pilepsie (quand elle se produit), les problĂšmes intestinaux et les difficultĂ©s sociales, mais cela est loin de dire que nous devrions « guĂ©rir » l'autisme lui-mĂȘme »[46].
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