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Ernst Röhm

Ernst Röhm (ou Roehm) est un officier, homme politique et chef de groupe paramilitaire allemand, né le à Munich et mort assassiné le à la prison de Stadelheim, à Munich.

Il est le fondateur de la Sturmabteilung (SA) nazie.

Biographie

Jeunesse

Ernst Röhm est le troisième enfant de Julius et Emilie Röhm, une famille dont le père est inspecteur en chef aux chemins de fer royaux bavarois[1]. Ernst est proche de sa mère et de sa sœur, Eleonor, mais au contraire distant de son frère aîné, Robert[1], plus studieux, et de son père qu'il décrit comme strict, « dur pour lui-même, juste et économe »[2]. Tout au long de sa vie, Röhm conservera un profond attachement teinté de romantisme, à la maison royale bavaroise des Wittelsbach. Il fait ses études au prestigieux lycée royal Maximilien (de) de Munich de 1897 à 1906, où il reçoit une formation classique qui comprend le latin, le grec, le français, les sciences et l'histoire[2].

Il fait partie du mouvement de jeunesse des Wandervogel, où l'on se salue déjà du « Heil » ariosophique et où l'homosexualité semble répandue, qui conforte son désir de s'engager dans une carrière militaire[2]. En 1907, il rejoint l'Académie bavaroise de guerre (de) d'où il sort 98e sur 124 élèves en 1908 et est enrôlé comme lieutenant du 10e régiment d'infanterie royal bavarois (de) et caserné à Ingolstadt où il mène une vie de garnison[2]. Peu avant que la Première Guerre mondiale éclate, il est nommé premier-lieutenant.

Durant la guerre, il participe à différentes batailles jusqu'à la fin du conflit, essentiellement sur le front français où il est sérieusement blessé à plusieurs reprises notamment, dès , au visage, où il conserve des cicatrices profondes. Il reçoit la croix de fer et est nommé capitaine en 1917[3]. De à , il est transféré en Roumanie comme officier d'état-major auprès du général-major von Nagel zu Aichberg (de) avant de retourner vers le front de l'ouest où il est victime de la grippe espagnole et dont il est évacué en [3].

L'après-guerre

Ernst Röhm en 1933.

La défaite allemande et la chute de la monarchie atteignent profondément Röhm qui estime qu'elles sont dues « à la fripouille commerçante et juive » du front intérieur : il se porte volontaire pour le compte-rendu des soldats démobilisés auprès desquels il contribue à la diffusion de la théorie de la Dolchstoßlegende en français : « légende du coup de poignard [dans le dos] »[3]. L'historien Joachim Fest note que Röhm se sentait plus proche, dans son activité de militant, « des communistes que des bourgeois », méprisant les « embusqués, [les] déserteurs et [les] profiteurs », qui n'avaient pas été soldats[4].

Dès , il rejoint différentes organisations comme le parti royaliste bavarois, en faveur de la restauration de Rupprecht de Bavière, ou comme le Eiserne Faust (de) en français : « Poing de fer », une association d'officiers nationalistes où il se lie avec Gerhard Rossbach avec lequel il combat le soulèvement communiste en Bavière en hiver 1919. C'est avec ce dernier qu'il rejoint un corps franc dirigé par le militaire d'extrême droite Franz von Epp, le Freikorps Epp (de)[3]. Von Epp fait de Röhm son aide de camp, un poste d'où celui-ci organise un trafic d'armes à l'insu des alliés et de ses supérieurs, au profit de diverses organisations paramilitaires[5].

En 1919, Röhm est employé par l’état-major de la Reichswehr à Munich puis à la Wehrkreis VII[6]. Il rencontre alors Adolf Hitler au cours d'une réunion du « Eiserne Faust » le au Deutsches Reich Hotel. Röhm était chargé par les services de renseignement de l'armée allemande d'enquêter sur le Deutsche Arbeiterpartei (DAP), en français : « Parti ouvrier allemand ».

Hitler et le putsch de Munich

Röhm (2e à dr.) parmi les prévenus du procès du putsch de Munich, .

En 1921, Adolf Hitler évince Anton Drexler et prend la tête du parti devenu le NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands ou Parti nazi) que Röhm rejoint — notamment attiré par l'article 22 des statuts qui appelle à la création d'une « armée populaire » — bien qu'il reste membre du parti royaliste bavarois[5]. Il le réorganise pour en faire un parti élitiste[alpha 1], recrutant des cadres, rachetant et animant un hebdomadaire, le Völkischer Beobachter. Röhm reçoit régulièrement Hitler chez sa mère et fournit le petit parti en argent, en armes et en nouveaux membres[5]. Ensemble, Röhm et Hitler forment les sections d'assaut, la Sturmabteilung (SA), ou les « chemises brunes », véritable milice chargée de faire office de service d'ordre dans les rassemblements et d'agresser les adversaires des nazis dans la rue.

En novembre 1923, à la suite de l'occupation de la Ruhr en Rhénanie par les troupes françaises et belges, Adolf Hitler profite de l'émoi du peuple allemand pour tenter de renverser le gouvernement bavarois. Cette tentative de coup d'État, connue sous le nom de « putsch de la Brasserie », se solde par un échec et conduit Hitler à être condamné et incarcéré durant 13 mois.

Libéré en après avoir passé cinq mois en prison[7], Ernst Röhm compte au nombre des 32 députés qui sont élus en au Reichstag pour le Parti national-socialiste de la liberté (NSFP) (une fusion du NSDAP) alors interdit et qui bénéficie de la publicité que lui apporte le procès des accusés du putsch de la Brasserie, et du Parti populaire allemand de la liberté (DVFP)[8]. Le parti perd dix-huit de ces sièges en .

Après cette défaite électorale, privé de moyens et de troupes, devant vivre d'expédients et quand, victime d'un vol, il est épinglé dans la presse pour son homosexualité, Röhm est en proie à la dépression[7]. En décembre 1928, sur les conseils d'un ami militaire[7], Röhm s'exile en Bolivie où il officie durant deux ans comme instructeur dans l'armée bolivienne qui lui confère le grade de lieutenant-colonel[9].

Les Sections d'assaut (la SA)

Après le succès électoral de , Adolf Hitler le rappelle pour reprendre en main la SA. En 1932, les Sections d'assaut (la SA) comptent près de 400 000 hommes, dont les méthodes brutales et souvent incontrôlables exercent une influence négative sur les résultats électoraux. Mais Ernst Röhm souhaite pousser encore plus loin l'élan révolutionnaire en absorbant la Reichswehr, et fait de la SA le bras armé de l'aile activiste du NSDAP[10]. Dans le même temps, Hermann Göring (président du Reichstag) et Heinrich Himmler (chef de la SS) s’inquiètent des prétentions d'Ernst Röhm et parviennent à convaincre Hitler que le chef de la SA complote pour l’éliminer.

En effet, dès 1932, Röhm s'est opposé à Hitler lorsque celui-ci a amorcé son rapprochement avec les milieux d'affaires et les conservateurs pour être désigné chancelier le par le président Paul von Hindenburg. Röhm aurait fait fuir des personnes n'ayant pas quitté l’Allemagne avant le début des persécusions. Un ancien secrétaire de Röhm, devenu antinazi, a pris la fuite en Autriche et se fait abattre[11].

Nuit des Longs Couteaux

Adolf Hitler et Ernst Röhm en 1933.
Kurt Daluege, Heinrich Himmler et Ernst Röhm en 1933.

Début 1934, Adolf Hitler, chancelier depuis un an, décide de se séparer de la direction de la SA et de la liquider afin d'unifier politiquement le parti. C’est pourquoi, dans la nuit du vendredi 29 au samedi et les jours qui suivent (le dimanche et le lundi 2), période de près de trois jours appelée la nuit des Longs Couteaux, il lance les SS de Heinrich Himmler, avec le soutien tacite de l'armée, dans une opération d'envergure ; de Berlin à Munich, plusieurs centaines de SA et d'opposants devront être arrêtés ou assassinés. Pour ce faire, Himmler et son adjoint direct, Reinhard Heydrich, chef du Sicherheitsdienst, fabriquent un dossier de fausses preuves prétendant que Röhm avait été payé douze millions de marks par la France pour renverser Hitler, dossier que les principaux dirigeants de la SS découvrent le , ce qui fonde l'accusation contre Röhm suspecté de fomenter un complot contre le gouvernement (d’où l’appellation Röhm-Putsch en allemand pour la nuit des Longs Couteaux)[12].

Le samedi à 6 h 30, Hitler arrive à la pension Hanselbauer à Bad Wiessee où les SA avaient l'habitude de séjourner ensemble pour leurs vacances. Pistolet au poing, il entre en trombe dans la chambre de Röhm, le traite de traître et le déclare en état d'arrestation[13]. Hitler, le pistolet toujours au poing, poursuit sa course et cogne contre la porte d'une chambre voisine[14] : il y découvre le chef de la SA de Breslau, Edmund Heines, qui a manifestement passé la nuit avec un membre de la SA, de dix ans son cadet[15].

Röhm est brièvement emprisonné à la prison de Stadelheim à Munich, Hitler hésitant sur le sort à lui réserver, notamment compte tenu des services rendus par Röhm au mouvement nazi. Röhm ne peut pas être retenu en détention indéfiniment, ni exilé ; un procès public rendrait inévitable un examen minutieux de la purge, ce qui n'est évidemment pas souhaitable[16]. Sous la pression de Göring, Himmler et Heydrich, Hitler ajoute le nom de Röhm à la liste des personnes à exécuter, sur laquelle il ne figurait pas initialement[17].

L'après-midi du dimanche [18] - [alpha 2], à la demande de Hitler, Theodor Eicke, le commandant du camp de concentration de Dachau, et son adjoint Michel Lippert, se rendent auprès de Röhm dans sa cellule. Ils lui remettent un pistolet chargé d'une seule balle et la dernière édition du Völkischer Beobachter et lui expliquent qu'il a dix minutes pour se suicider, pour éviter une exécution. Röhm refuse et déclare que « si je dois être tué, laissez Adolf le faire lui-même »[20]. Après le temps imparti, les tueurs reviennent dans la cellule de Röhm où ils le trouvent torse nu dans un geste de bravade[21]. Les derniers mots de Röhm sont « Mon Führer, mon Führer », auxquels Eicke répond par « Il fallait songer à tout cela un peu avant, maintenant il est un peu tard »[18]. Lippert l'abat à bout portant puis Eicke l'achève d'un tir en pleine poitrine[22]. Le corps de Röhm est évacué dans la nuit du dimanche au lundi et aucune information sur sa destination n'est connue[23].

Officiellement, il fut exécuté pour homosexualité[24]. Il est enterré au cimetière de l'Ouest de Munich dans un caveau familial.

Ce massacre renforça la confiance dans le régime d'une grande majorité des Allemands d'alors, qui estimèrent que Hitler avait ainsi sauvé l'Allemagne du chaos[25].

Dans la fiction

Notes et références

Notes

  1. Mein Kampf, p. 299 : « Un succès décisif, dans une révolution, sera toujours atteint, si une nouvelle conception du monde est enseignée à tout le peuple […] et que, d'autre part, l'organisation centrale — donc le mouvement — englobe seulement le minimum d'hommes absolument indispensables pour occuper le centre nerveux de l'État. »
  2. Quelques historiens, parmi lesquels Laurent Joly et Annette Wieviorka, datent l'assassinat du [19], mais l'analyse des éléments chronologiques de la nuit des Longs Couteaux rend cette hypothèse très peu plausible.

Références

  1. Hancock 2008, p. 8.
  2. Tyson 2010, p. 240.
  3. Tyson 2010, p. 241-242.
  4. Fest 2008, p. 255.
  5. Tyson 2010, p. 243.
  6. Campbell 2015, p. 83.
  7. Tyson 2010, p. 245-246.
  8. (en) Deanna Spingola, The Ruling Elite, Trafford Publishing, , 794 p. (ISBN 978-1-4907-3474-3, lire en ligne), p. 9-10.
  9. Hancock 2008, p. 95.
  10. « Les SA n'étaient ni plus « avancés » ni plus « socialisants » que Hitler. Ce n'était qu'une faction, jalouse de son indépendance. » d'après Claude David, Hitler et le Nazisme, coll. « Que sais-je ? », Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 29.
  11. Jean-Paul Bled, « Les hommes d’Hitler », Périodique, , p. 443 a 458 (lire en ligne Accès libre [html])
  12. Evans 2005, p. 30.
  13. Kershaw 2001, p. 517 et 727.
  14. Höhne 1972, p. 78-79.
  15. Joseph Goebbels souligne plus tard ce fait dans la propagande, justifiant la purge comme une lutte contre la turpitude morale des SA, d'après Kershaw 2001, p. 514.
  16. Fest 1973, p. 458.
  17. Dederichs 2007, p. 82.
  18. Höhne 1972, p. 84.
  19. Laurent Joly et Annette Wieviorka, Qu'est-ce qu'un déporté ? : histoire et mémoires des déportations de la Seconde Guerre mondiale, CNRS, coll. « Seconde guerre mondiale » (no 8), , 415 p. (ISBN 9782271068279, lire en ligne), p. 51.
  20. Shirer 1990, p. 221.
  21. Evans 2005, p. 33.
  22. Camus et Puechmorel 2020, 1 h 07 min 10 s.
  23. Camus et Puechmorel 2020, 1 h 10 min 55 s.
  24. Mais Hitler cache au peuple allemand que ces pratiques étaient répandues chez les hauts dignitaires nazis et dans les Jeunesses hitlériennes, selon Harry Oosterhuis, « Medecine, Male Bonding and Homosexuality in Nazi Germany », Journal of Contemporary History, vol. 32, no 2, , p. 187-205.
  25. Kershaw 1989, p. 87 mentionne : « Il était clair que la propagande délibérément mensongère du régime faisait l'objet d'une large acceptation ».

Annexes

En français

  • Mario Dederichs (trad. de l'allemand par Denis-Armand Canal), Heydrich : le visage du Mal, Paris, Tallandier, , 299 p. (ISBN 978-2-84734-411-0).
  • Joachim Fest (trad. Guy Fritsch-Estrangin), Hitler, t. I : jeunesse et conquête du pouvoir, Paris, Gallimard, coll. « Hors série Connaissance », , 526 p. (ISBN 2-07-028833-1).
  • Joachim Fest (trad. de l'allemand par Simone Hutin et Maurice Barth), Les Maîtres du IIIe Reich, Paris, Grasset, coll. « Le Livre de Poche Référence », (réimpr. 2011) (1re éd. 1965), 489 p. (ISBN 978-2-246-72701-9).
  • Max Gallo, La Nuit des Longs Couteaux : 29-30 juin 1934, Paris, Laffont, coll. « Ce jour-là », (réimpr. 1974, 1977, 2003) (1re éd. 1971) (ISBN 978-2-221-02373-0).
  • Eleanor Handcock, Ernst Röhm : Nervi, dauphin, rival, Paris, Perrin, , 384 p. (ISBN 978-2-262-09735-6).
  • Heinz Höhne (trad. Bernard Kreiss), L'Ordre noir : histoire de la SS, Tournai, Casterman, , 288 p. (OCLC 407694772).
  • Ian Kershaw (trad. Pierre-Emmanuel Dauzat), Hitler : 1889-1936, vol. I : Hubris, Paris, Flammarion, , 1159 p. (ISBN 978-2-08-212528-4).

En anglais

  • (en) Bruce Campbell, The SA Generals and the Rise of Nazism, University Press of Kentucky, .
  • (en) Richard Evans, The Third Reich in power, 1933-1939, New York, Penguin Press, , 941 p. (ISBN 978-1-59420-074-8, OCLC 750459177).
  • (en) Eleanor Hancock, Ernst Röhm : Hitler's SA Chief of Staff, New York, Palgrave Macmillan, , 273 p. (ISBN 978-0-230-60402-5, lire en ligne).
  • (en) Conan Fischer, « Ernst Julius Röhm : Chief of Staff of the SA and Indispensible Outsider », dans Ronald Smelser & Rainer Zitelmann (dir.), The Nazi Elite, New York, New York University Press, , 259 p. (ISBN 0814779506), p. 1173-182
  • (en) Ian Kershaw, Hitler, 1936-1945 : nemesis, New York, W.W. Norton, , 845 p. (ISBN 978-0-393-04671-7, OCLC 895181871).
  • (en) Ian Kershaw, The "Hitler myth" : image and reality in the Third Reich, Oxford Oxfordshire New York, Oxford University Press, , 299 p. (ISBN 978-0-19-280206-4, OCLC 183405791, lire en ligne).
  • (en) William L. Shirer, The Rise and Fall of the Third Reich : A History of Nazi Germany, Simon and Schuster, (1re éd. 1960), 1249 p. (ISBN 978-0-671-72868-7, OCLC 694252465, lire en ligne).
  • (en) Joseph Howard Tyson, The Surreal Reich, iUniverse, , 560 p. (ISBN 978-1-4502-4020-8, lire en ligne)

En allemand

  • (de) Joachim Fest: „Ernst Röhm und die verlorene Generation“, in: Ders.: Das Gesicht des Dritten Reiches. Profile einer totalitären Herrschaft, Piper, Munich 1963, S. 190–206.

Documentaire

  • La Nuit des Longs Couteaux de Marie-Pierre Camus & Gérard Puechmorel, Arte, 25 août 2020, documentaire, 1 h 29 min [voir en ligne].

Liens externes

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