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Cristino GarcĂ­a


Cristino GarcĂ­a Granda (GozĂłn, Asturies, 1913 - Madrid, 1946) Ă©tait un syndicaliste et militant communiste espagnol, membre de la RĂ©sistance française pendant la Seconde Guerre mondiale et guĂ©rillero antifranquiste dans l’immĂ©diat aprĂšs-guerre.

Cristino GarcĂ­a Granda
Cristino GarcĂ­a

Naissance
GozĂłn (Asturies)
DĂ©cĂšs
Madrid
Allégeance République espagnole
Grade Lieutenant-colonel
AnnĂ©es de service 1936 – 1946
Commandement 3e division du GE (Guérilléros espagnols)
Conflits Guerre civile espagnole
Seconde Guerre mondiale
Guérilla anti-franquiste en Espagne
Faits d'armes Attaque de la maison centrale de Nßmes (décembre 1943)
Bataille de La Madeleine (août 1944)
Distinctions Croix de guerre avec Ă©toile d’argent (France, mars 1947)
Hommages Monument en son honneur Ă  La Madeleine (Gard)
Noms de rue baptisés de son nom notamment à Saint-Denis, Nßmes, de Paris, Alcalå de Henares
Famille José García Menéndez (pÚre), Josefa Granda Pelåez (mÚre)

Issu d'une famille de mineurs asturiens, il s’engagea de bonne heure au PCE et participa Ă  la grĂšve insurrectionnelle de 1934 dans les Asturies. À l’éclatement de la Guerre civile en juillet 1936, il choisit le camp rĂ©publicain et participa aux combats comme artificier, menant des actions de commando et de sabotage Ă  l’arriĂšre des lignes ennemies. Contraint de quitter l’Espagne Ă  la suite de la dĂ©faite rĂ©publicaine, il s’installa dans le Gard, oĂč il avait trouvĂ© Ă  s’employer dans les houillĂšres, et alla renforcer pendant la Seconde Guerre mondiale, comme chef de brigade de maquisards espagnols, les rangs de la RĂ©sistance française. À ce titre, il se distingua dans plusieurs opĂ©rations, en particulier lors de l’emblĂ©matique bataille de La Madeleine, oĂč ses qualitĂ©s de commandement et d’organisation lui valurent de monter au grade de lieutenant-colonel.

AprĂšs la LibĂ©ration, il fut requis par la direction du PCE, au printemps 1945, de rĂ©organiser la lutte armĂ©e antifranquiste sur le sol espagnol, en crĂ©ant des cellules interconnectĂ©es de guĂ©rillĂ©ros dans Madrid et ses environs. Il s’agissait de prendre le relais du rĂ©seau de JosĂ© Vitini, dĂ©mantelĂ© peu auparavant par la police franquiste, et dont les membres venaient d’ĂȘtre fusillĂ©s. AssistĂ© de maquisards aguerris, il organisa son « AgrupaciĂłn Guerrillera », laquelle allait dĂ©ployer une activitĂ© tant d’agit-prop que de sabotage, d’attaques de banque et d’attentats meurtriers ; de ces derniers furent les victimes non seulement des personnalitĂ©s franquistes, mais aussi — sur instruction expresse de Santiago Carrillo — deux camarades de parti jugĂ©s hĂ©tĂ©rodoxes. Par l’imprudence d’un compagnon, le rĂ©seau de Cristino GarcĂ­a finit par tomber dans les filets de la police Ă  la mi- ; atrocement torturĂ© dans les sous-sols du ministĂšre de l’IntĂ©rieur, Cristino GarcĂ­a cependant ne lĂącha aucun renseignement, passa en conseil de guerre et fut fusillĂ© en dĂ©pit de vives protestations internationales.

HĂ©ros de la RĂ©sistance, il est rĂ©cipiendaire, Ă  titre posthume, de la croix de guerre avec Ă©toile d’argent ; nombreuses sont les rues qui ont Ă©tĂ© baptisĂ©es de son nom en France, mais Ă©galement en Espagne aprĂšs la transition.

Biographie

Jeunes années et combat dans la Guerre civile espagnole

Originaire de Ferrero-Luanco, hameau appartenant Ă  la paroisse civile de Viodo, dans le concejo asturien de GozĂłn, mais ultĂ©rieurement domiciliĂ© Ă  CastrillĂłn, toujours dans les Asturies, Cristino GarcĂ­a Ă©tait issu d’une famille de mineurs[1] - [2]. Il fit sa scolaritĂ© dans un institut Ă  AvilĂ©s et adhĂ©ra en 1930, par l’entremise d’un ami, aux Jeunesses communistes (Juventudes Comunistas), oĂč il eut la responsabilitĂ© de l’équipement radio et de communication de l’organisation. Marin-chauffeur de profession, il Ă©tait membre du Syndicat des transports Ă  SĂ©ville et accomplissait d’incessants voyages entre cette ville et sa rĂ©gion d’origine. En , il s’engagea dans la rĂ©volution des Asturies, oĂč il prit part, en qualitĂ© de dynamiteur, aux assauts contre les casernes de la Garde civile, et fut par la suite licenciĂ© trois fois pour s’ĂȘtre tenu aux cĂŽtĂ©s des mineurs du bassin du NalĂłn dans leurs luttes ininterrompues[3].

Le dĂ©clenchement de la Guerre civile le surprit Ă  SĂ©ville, alors qu’il travaillait comme marin sur le navire marchand Luis Adaro. Lui et ses camarades, aprĂšs s’ĂȘtre mutinĂ©s et rendus maĂźtres du navire, aidĂšrent Ă  s’échapper Gregorio Blanco et Miguel Casero, dirigeants du PCE Ă  SĂ©ville. Cinq jours plus tard, ils parvinrent, via Casablanca, dans les ports d’AvilĂ©s et de GijĂłn, et certains indices portent Ă  penser que le navire emportait des armes et des munitions pour les Asturies. Cristino GarcĂ­a s’enrĂŽla dans un dĂ©tachement de sapeurs du bataillon no 46 des Asturies, puis se rendit en Ă  Santander. Le , Ă  la suite de l’effondrement du front du Nord, Cristino GarcĂ­a quitta les Asturies avec d’autres camarades Ă  bord d’un bateau de pĂȘche, et fut recueilli par des vaisseaux de guerre britanniques, qui les dĂ©posĂšrent en France. RetournĂ© en Espagne par Barcelone, il alla faire partie de la 235e brigade du XIVe corps d’armĂ©e guĂ©rillĂ©ro, brigade oĂč il fut promu pour ses mĂ©rites militaires au grade de lieutenant et dont il prit le commandement pendant trois mois (c’est-Ă -dire jusqu’au moment oĂč il sera contraint de passer en France) ; sa mission consistait Ă  mener, derriĂšre les lignes ennemies, des actions de sabotage et de renseignement, et Ă  agir, en avant-garde ou nuitamment, comme troupe de choc dans des situations critiques. Sa derniĂšre mission, en , fut d’escorter le ComitĂ© central du PCE Ă  Agullana, au pied des PyrĂ©nĂ©es, non loin de La Jonquera[4].

Ayant dĂ» s’exiler en France, il fut retenu dans le camp d’internement d’ArgelĂšs-sur-Mer pendant onze mois, avant de trouver Ă  s’employer, avec d’autres mineurs asturiens et basques, dans les houillĂšres du Gard, oĂč il eut bientĂŽt sa place au sein de la direction du PCE clandestin Ă  La Grand-Combe[5].

Action dans la Résistance française

Charbonnage Ă  La Grand-Combe.

À partir de la fin de 1941, le PCE s’appliqua, dans tous les dĂ©partements français oĂč sĂ©journaient des militants communistes espagnols, Ă  rassembler ces militants dans des groupes de rĂ©sistance. L’objectif n’était pas uniquement de combattre l’Allemagne hitlĂ©rienne aux cĂŽtĂ©s de rĂ©sistants français, mais aussi d’élargir la lutte en y englobant le combat pour ce qui leur importait vĂ©ritablement, Ă  savoir le renversement de la dictature franquiste. Des guĂ©rillĂ©ros commencĂšrent Ă  ĂȘtre recrutĂ©s dans diffĂ©rentes zones et dĂ©partements français, surtout en LozĂšre, en AriĂšge, dans le Gard, en ArdĂšche et dans l’Aude, c’est-Ă -dire dans les dĂ©partements avec la plus forte prĂ©sence de communistes espagnols. La direction du PCE entretenait des contacts avec des commandants, commissaires et militaires d’unitĂ©s de guĂ©rillĂ©ros ayant fait partie naguĂšre de l’ArmĂ©e populaire rĂ©publicaine. Jaime Nieto LĂłpez, qui siĂ©geait alors au ComitĂ© central du PCE, convoqua en une rĂ©union Ă  Toulouse, oĂč se rendirent une douzaine de dirigeants et guĂ©rillĂ©ros de premier plan, parmi lesquels Cristino GarcĂ­a, et lors de laquelle il fut dĂ©cidĂ© de doter les guĂ©rillĂ©ros espagnols en zone libre d’une structure d’organisation. Compte tenu de son passĂ© de guĂ©rillĂ©ro dans la Guerre civile, et Ă  la faveur de l’implication de communistes espagnols dans la RĂ©sistance française, Cristino GarcĂ­a se vit confier la mission d’organiser un groupe de guĂ©rillĂ©ros et de les prĂ©parer au combat. Ainsi, en tant que chef de la 3e division de guĂ©rillĂ©ros espagnols, fonda-t-il dans le Gard, au sein des FFI, le XIVe corps de guĂ©rillĂ©ros espagnols de l’ArmĂ©e rĂ©publicaine espagnole (dĂ©nomination choisie en souvenir de l’ancien corps de l’armĂ©e rĂ©publicaine pendant la Guerre civile). Ledit corps, encadrĂ© par l’organisation communiste française Francs-tireurs et partisans (FTPF), devint le bras armĂ© de l’Union nationale espagnole (UniĂłn Nacional Española, sigle UNE), organisation antifranquiste crĂ©Ă©e Ă  Montauban en 1942. Le XIVe corps se composait de sept divisions et de trente bataillons, dirigĂ©s par un Ă©tat-major, et se transforma en en l’AgrupaciĂłn de Guerrilleros Españoles (littĂ©r. Groupement ou Regroupement de guĂ©rillĂ©ros espagnols), qui ne relevait plus des FTP-MOI, car se trouvait intĂ©grĂ© dĂ©sormais dans les Forces françaises de l’intĂ©rieur (FFI), encore que le corps ait gardĂ© une ligne de conduite et d’organisation fort libres, en particulier dans la zone sud proche de la frontiĂšre pyrĂ©nĂ©enne. Expert dans le maniement des explosifs, et dotĂ© du grade de lieutenant-colonel, Cristino GarcĂ­a allait mener un nombre considĂ©rable d’actions de sabotage et d’attentats, entraĂźnant destruction de puits de mine, dĂ©raillement de trains et explosion de poteaux d’éclairage[5] - [6].

Le Gard, qui accueillait sur son sol des activitĂ©s Ă  la fois miniĂšres et forestiĂšres, Ă©tait un vivier de maquisards. Ceux-ci trouvaient Ă  leur disposition dans les mines les explosifs nĂ©cessaires aux actions de sabotage[7]. En , le XIVe groupe de guĂ©rillĂ©ros mit sur pied la 3e division, placĂ©e sous le commandement de Cristino GarcĂ­a et recouvrant les dĂ©partements de la LozĂšre (15e brigade), de l’ArdĂšche (19e brigade) et du Gard (21e brigade). Cette derniĂšre, constituĂ©e en 1943, recrutait parmi les travailleurs des mines de BessĂšges, Rochebelle, La Grand-Combe et AlĂšs, tous travailleurs Ă  statut « lĂ©gal », ce qui les mettait en mesure de « rĂ©cupĂ©rer » facilement les explosifs pour les actions de sabotage. Parmi eux figuraient Cristino GarcĂ­a lui-mĂȘme, ainsi que Gabriel PĂ©rez, chef de la 21e brigade, et un bon nombre d’autres officiers maquisards[8] - [9].

Parmi ses différentes actions en temps de guerre, on relÚve en particulier la libération de prisonniers politiques à Nßmes, la prise de la ville de Foix et la bataille de La Madeleine (prÚs de Tornac, dans le Gard), ainsi que plusieurs embuscades tendues aux troupes allemandes, une série de sabotages et la destruction de champs de mines.

Attaque contre la prison de NĂźmes

En , Cristino GarcĂ­a, chef charismatique de la 3e division, reçut l’ordre de prĂ©parer une opĂ©ration contre la maison centrale de NĂźmes, oĂč se trouvaient incarcĂ©rĂ©s de nombreux dĂ©tenus politiques ou appartenant Ă  la RĂ©sistance, et vouĂ©s Ă  ĂȘtre dĂ©portĂ©s vers les camps d’extermination en Allemagne[10] - [11]. Ladite opĂ©ration se prĂ©sentait comme ardue et fort pĂ©rilleuse, la prison Ă©tant rĂ©putĂ©e inexpugnable et passant pour l’une des plus dures de France[8] - [12].

Pedro Vicente, officier de la 21e brigade, fut chargĂ© de louer Ă  NĂźmes un appartement sis Ă  proximitĂ© de la maison centrale et propre Ă  servir de point d’appui pour l’opĂ©ration projetĂ©e. À partir du , les maquisards concernĂ©s commençaient Ă  y arriver un Ă  un. L’opĂ©ration, prĂ©vue pour le Ă  neuf heures du soir, fut dirigĂ©e par Cristino GarcĂ­a et MartĂ­n Alonso (alias Carlos) et exĂ©cutĂ©e par des guĂ©rillĂ©ros espagnols et des FTPF. Le concierge de l’établissement, de mĂšche avec la RĂ©sistance, ouvrit les portes dĂšs que le signal convenu en eut Ă©tĂ© donnĂ©, puis les guĂ©rillĂ©ros, aprĂšs avoir dĂ©sarmĂ© les gardiens, mirent les dĂ©tenus en libertĂ©. Cristino GarcĂ­a, blessĂ© Ă  la jambe lors de l’action, dut ĂȘtre transportĂ© par ses compagnons Ă  la maison de campagne du docteur Cabouat, qui s’employa Ă  extraire la balle de sa jambe[13] - [11] - [5].

Bataille de La Madeleine

Au lendemain du dĂ©barquement alliĂ© sur les plages de Provence le , Cristino GarcĂ­a organisa, de concert avec les FFI, le harcĂšlement systĂ©matique des troupes allemandes empressĂ©es de rejoindre la vallĂ©e du RhĂŽne. Les dĂ©tachements de la 3e division prirent part aux combats de l’Escrinet et rĂ©ussirent Ă  faire prisonniers prĂšs de deux centaines de soldats allemands[14] - [15].

Cependant, le combat le plus mĂ©morable de la RĂ©sistance espagnole, et celui aussi sans doute qui a fait le plus l’objet d’idĂ©alisation et de lĂ©gendes, est celui dit « de La Madeleine », qui eut lieu prĂšs de Tornac le , c’est-Ă -dire pendant que l’évacuation des troupes allemandes du sud-est de la France battait son plein. Une colonne allemande de quelque 2 000 hommes venant de Perpignan et de Toulouse et se dirigeant vers la vallĂ©e du RhĂŽne fut attaquĂ©e ce jour-lĂ  Ă  cinq heures du matin sur la route nationale 99, entre L’Églisette et CadiĂšre, par plusieurs groupes des FFI Aigoual-CĂ©vennes, soutenus par l’aviation alliĂ©e. À l’issue de l’opĂ©ration, les rĂ©sistants, en plus de faire de nombreux prisonniers, purent s’emparer d’une grande quantitĂ© de vĂ©hicules, d’armements, de munition et d’autre matĂ©riels. Cependant, un tiers de la colonne allemande, comprenant 700 hommes, rĂ©ussit, en se dĂ©portant en direction d’AlĂšs, Ă  Ă©luder le combat et atteignit le carrefour de La Madeleine vers 14 h 30. La rĂ©action des maquisards ne tarda pas Ă  venir, qui Ă  ce moment Ă©taient sous les ordres de trois chefs : le capitaine Carlo (Emile Capion 1914-1994), responsable militaire du Front National dans le sous-secteur concernĂ© ; Cristino GarcĂ­a, chef de la 3e division du GE ; et le commandant VĂ­ctor (Miguel Arcas), chef du maquis MOI Montaigne. Calvo, Cristino GarcĂ­a et Arcas entreprirent de tendre une embuscade Ă  la colonne allemande dĂ©viĂ©e, en exploitant la configuration du terrain Ă  La Madeleine, propice Ă  leurs plans par des collines semi-circulaires, le remblai du chemin de fer, et un chĂąteau ruinĂ©. Cette conformation permit aux maquisards de maintenir sous leur feu croisĂ© deux kilomĂštres de route, tout en dissimulant Ă  la colonne allemande la faiblesse de leurs effectifs initiaux, qui en effet se chiffraient Ă  seulement 32 guĂ©rillĂ©ros espagnols et 4 FTPF, sous le commandement de Cristino GarcĂ­a et de Miguel Arcas. PrĂ©alablement, dans la matinĂ©e du , les maquisards avaient eu soin de faire sauter le pont ferroviaire Ă  la dynamite afin d’obstruer la route, puis avaient pris position. Peu aprĂšs le dĂ©but des combats, un officier allemand, au vu des pertes subies par sa colonne, s’avança en direction des maquisards en brandissant un drapeau blanc pour proposer une trĂȘve jusqu’à 18 heures, mais passĂ© ce dĂ©lai, ses troupes passeraient en force. Cependant, les maquisards reçurent des renforts peu aprĂšs l’expiration de l’ultimatum, sous les espĂšces d’un dĂ©tachement des FTPF de 15 hommes, de deux groupes de 20 gendarmes chacun, ainsi que de quatre avions de la RAF. La bataille se solda, cĂŽtĂ© allemand, par un bilan de huit morts (auxquels s’ajouteront le suicide du lieutenant-gĂ©nĂ©ral Konrad A. Nitsche Martin et celui d’un autre officier supĂ©rieur), et, cĂŽtĂ© maquisards, de huit morts (aucune mort ne fut Ă  dĂ©plorer chez les guĂ©rillĂ©ros espagnols)[16].

Dans une lettre Ă  l’auteur et ancien maquisard Miguel Ángel Sanz, le chercheur AimĂ© Vielzeuf indique que « presque tout a Ă©tĂ© fait par des guĂ©rillĂ©ros espagnols et les trois hommes qui les commandaient ont un mĂ©rite Ă©gal : Emile Capion (le capitaine Carlo), Miguel Arcas (le commandant VĂ­ctor) et Cristino GarcĂ­a »[17] - [18].

Guérilla urbaine à Madrid et environs

Parmi les mouvements et les forces d’opposition au franquisme qui agirent sur le sol espagnol, le PCE Ă©tait en matiĂšre de lutte armĂ©e antifranquiste l’acteur le plus actif et le plus efficace du point de vue opĂ©rationnel, en comparaison des autres partis politiques de l’éventail rĂ©publicain. Pareillement, les communistes espagnols furent ceux qui surent le mieux s’adapter aux diffĂ©rentes conditions de clandestinitĂ© qu’il leur Ă©chut de vivre au cours de leur combat d’opposition[19].

La structuration clandestine du PCE Ă  l’intĂ©rieur du pays accomplie par celui qui Ă©tait alors le plus haut dirigeant communiste, JesĂșs MonzĂłn Reparaz, sous la forme de sa politique de l’UniĂłn Nacional, chapeautĂ©e par ce qu’il nommait le ComitĂ© suprĂȘme d’Union nationale (Junta Suprema de UniĂłn Nacional), doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme la meilleure tentative de mise en Ɠuvre de la lutte armĂ©e contre le franquisme aprĂšs la dĂ©faite rĂ©publicaine de 1939[20].

Ensuite, au lendemain de l’échec de l’Invasion du Val d'Aran en , le PCE, avec Santiago Carrillo Ă  sa tĂȘte, rĂ©visa ses directives et entreprit de dĂ©pĂȘcher vers l’intĂ©rieur de l’Espagne Ă  partir de la France, de petites cellules de guĂ©rillĂ©ros chargĂ©es d’établir des liaisons entre elles et les divers groupes de combattants rescapĂ©s et repliĂ©s dans la montagne et les groupes dĂ©jĂ  organisĂ©s de guĂ©rilla, puis de constituer des noyaux armĂ©s dits Agrupaciones Guerrilleras (littĂ©r. Groupements ou Regroupements de guĂ©rillĂ©ros) aptes Ă  mener la lutte armĂ©e contre le rĂ©gime franquiste[21] - [22]. Sur l’ensemble du territoire de la PĂ©ninsule fut ainsi crĂ©Ă©e une sĂ©rie d’Agrupaciones Guerrilleras, implantĂ©es dans les diffĂ©rentes rĂ©gions d’Espagne, et dont l’une des plus importantes Ă©tait celle du Centre (AgrupaciĂłn del Centro), avec pour zone d’opĂ©ration les provinces de Madrid, d’Ávila, de TolĂšde, de Ciudad Real, de Badajoz, de CĂĄceres, de SĂ©govie, de Cordoue, d’Albacete et de Cuenca. L’objectif Ă©tait de mettre sur pied une façon d’ArmĂ©e rĂ©publicaine rĂ©unissant les diffĂ©rents groupements (agrupaciones) de guĂ©rillĂ©ros constituĂ©s[23].

Une prĂ©figuration de ce type d’organisation avait Ă©tĂ©, Ă  l’étĂ© 1943, un groupe dĂ©nommĂ© Guerrilleros de UniĂłn Nacional ou Grupo de los Audaces (littĂ©r. Groupe des audacieux), groupe d’action d’agitprop, dont l’artisan avait Ă©tĂ© Manuel Jimeno (ou Gimeno), dirigeant communiste et plus haut responsable de la direction du parti en Espagne avant l’arrivĂ©e de JesĂșs MonzĂłn. Ce groupe, qui figure comme la premiĂšre Ă©bauche des futurs groupes d’action, assurait la distribution de propagande dans un certain nombre d’usines et de prisons madrilĂšnes, collait des affiches et des fanions rĂ©publicains, et commettait en outre l’un ou l’autre acte de sabotage d’importance et d’ampleur faibles. Bien que dĂ©tenant des armes Ă  feu, des grenades Ă  main et des instructions pour fabriquer des explosifs, ils ne commirent, ni ne participĂšrent Ă  aucune action armĂ©e, et en tout Ă©tat de cause n’avaient pas la prĂ©paration idoine Ă  la guĂ©rilla urbaine qui allait ĂȘtre engagĂ©e un an plus tard[24].

Les effectifs appartenant aux groupes armĂ©s de Madrid Ă©taient un mĂ©lange de militants de base, choisis dans les diffĂ©rentes cellules interconnectĂ©es et dans les secteurs madrilĂšnes, et de dirigeants naguĂšre actifs dans le maquis en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour les pourchasser et les rĂ©primer, le rĂ©gime franquiste se vit contraint de mobiliser non seulement la Garde civile et l’armĂ©e, mais aussi les diffĂ©rentes brigades de la police franquiste, en particulier la Brigade politico-sociale (en espagnol Brigada PolĂ­tico-Social), de sinistre rĂ©putation[25].

Le groupement de guérilléros de Vitini Flórez

La premiĂšre guĂ©rilla urbaine de Madrid dotĂ©e d’une organisation armĂ©e et d’un encadrement politique apprĂ©ciables avait Ă©tĂ© mise sur pied entre fin 1944 et dĂ©but 1945 sous l’impulsion de JosĂ© Vitini FlĂłrez. Celui-ci, infiltrĂ© en Espagne en , avait Ă©tĂ© lieutenant-colonel des FFI et l’un des rĂ©publicains espagnols les plus signalĂ©s dans le combat contre l’Allemagne nazie en France, et Ă  ce titre dĂ©corĂ© comme hĂ©ros de la RĂ©sistance française[26]. AprĂšs une pĂ©riode d’activitĂ©, les membres de cette guĂ©rilla urbaine ainsi que d’autres Ă©lĂ©ments de l’organisation communiste en Espagne furent arrĂȘtĂ©s, avec pour consĂ©quence le dĂ©mantĂšlement du groupe. Le , les guĂ©rilleros dĂ©tenus passĂšrent en jugement et sept sentences de mort furent prononcĂ©es[27].

AprĂšs l’arrestation de JesĂșs MonzĂłn et d’autres membres de son ancienne direction, la dĂ©lĂ©gation du PCE en France, dirigĂ© alors par Santiago Carrillo, de concert avec le Bureau politique Ă  Mexico et Ă  Moscou, voulut remplacer la totalitĂ© du personnel au sommet de la dĂ©lĂ©gation du PCE sur le sol espagnol[28].

Dans le mĂȘme temps, une autre guĂ©rilla antifranquiste agissait Ă  Madrid, emmenĂ©e par CĂĄndido Mañanas Servant, entrĂ© en Espagne depuis la France presque au mĂȘme moment que Vitini et missionnĂ© de monter un autre groupe guĂ©rillĂ©ro. Entre autres actions, le groupe assassina le le phalangiste JosĂ© Isla PĂĄez, accusĂ© d’avoir dĂ©noncĂ© Ă  la police onze communistes. Le , une rencontre fortuite entre des guĂ©rillĂ©ros et des gardes civils donna lieu Ă  une fusillade oĂč pĂ©rit l’un des gardes civils. Les guĂ©rillĂ©ros rĂ©ussirent Ă  prendre la fuite, mais, Ă  l’issue d’une battue de la Garde civile, furent cernĂ©s le lendemain, cinq d’entre eux trouvant la mort dans l’opĂ©ration[29].

Le groupe guérillero de Cristino García

En 1944, aprĂšs la libĂ©ration de Paris, Ă  laquelle Cristino GarcĂ­a avait participĂ© et Ă  l’issue de laquelle ses guĂ©rillĂ©ros avaient dĂ©filĂ© sur les Champs-ÉlysĂ©es, il gagna Perpignan pour s’y reposer quelques jours, puis de lĂ  Toulouse, oĂč sĂ©journaient les principaux dirigeants communistes du PCE en France, occupĂ©s Ă  projeter l’opĂ©ration Reconquista de España. Si Cristino GarcĂ­a ne fut pas en mesure de prendre part Ă  cette tentative d’invasion de l’Espagne par le Val d'Aran, vu qu’il Ă©tait en convalescence de l’intervention chirurgicale Ă  sa jambe droite, il aida cependant divers groupes de guĂ©rillĂ©ros Ă  s’infiltrer en Catalogne pour y accomplir des actes de sabotage concurremment avec les forces qui attaquaient dans le Val d’ArĂĄn[5].

Depuis le dĂ©but de 1945, Cristino GarcĂ­a se prĂ©parait Ă  l’Escuela de CapacitaciĂłn PolĂ­tica y Militar (littĂ©r. École d’aptitude politique et militaire) Ă  Toulouse, avec des cours de formation politique, d’initiation aux explosifs, de sabotage et d’organisation, jusqu’au moment oĂč, au mois d’avril, Ă  la suite de la dĂ©tention et de la mise Ă  mort Ă  Madrid de JosĂ© Vitini FlĂłrez et de ses camarades des chasseurs de la ville, il lui fut signifiĂ© qu’il eĂ»t Ă  se charger de la direction de l’AgrupaciĂłn de Guerrilleros de la Zona Centro (Groupement guĂ©rillero de la zone Centre) et du Service d’information Ă  Madrid. Muni de faux documents au nom de Fernando Amador et porteur de 10 000 pesetas, Cristino GarcĂ­a pĂ©nĂ©tra clandestinement en Espagne le , et, passant par Barcelone, arriva Ă  Madrid, oĂč, avec l’aide des militants communistes du ComitĂ© provincial, il s’installa dans un bureau Calle de Carretas (rue Ă  direction nord-sud dĂ©bouchant sur la Puerta del Sol), afin d’y organiser les groupes de guĂ©rillĂ©ros et de prĂ©parer des missions d’agitprop aussi bien que des actions armĂ©es, des attaques contre des permanences de la Phalange, et des attentats meurtriers contre des personnalitĂ©s du rĂ©gime franquiste et contre des communistes estampillĂ©s « dĂ©lateurs » ou « infiltrĂ©s »[30].

Cristino GarcĂ­a transmettait l’ensemble de ses ordres et dispositions directement Ă  son assistant, Antonio Medina Vega, dit « Canario », ancien capitaine des FFI et instructeur politique dans une brigade de la RĂ©sistance française. Il constitua deux groupes d’action, et les ordres Ă©taient communiquĂ©s par Cristino Ă  Antonio Medina, puis par ce dernier successivement aux chefs de groupe ou de section. Les sections Ă©taient composĂ©es de 10 hommes, Ă  savoir le chef de la section et trois groupes de trois hommes. Chaque chef de section Ă©tait responsable du groupe de renseignement et d’un chargement d’explosifs, de cartouches, de mĂšches et de liquides inflammables[30].

Sur place Ă  Madrid, les principales actions rĂ©alisĂ©es par la guĂ©rilla urbaine de Cristino GarcĂ­a avant son arrestation et le dĂ©mantĂšlement de son noyau de guĂ©rillĂ©ros s’énumĂšrent comme suit :

  • placement d’une charge de plastic dans un transformateur d’éclairage sur la route nationale V (conduisant de Madrid Ă  Badajoz) en ;
  • braquage le des bureaux de la Renfe, situĂ©s Paseo Imperial, avec un butin de 21 148 pesetas ;
  • attaque, le , du siĂšge de la Phalange, Calle Ayala no 52, attaque qu’ils avaient, pour lui donner une plus grande rĂ©sonance, initialement planifiĂ©e pour le eu Ă©gard au dĂ©filĂ© militaire programmĂ© ce jour-lĂ , et qui dĂ©clencha un Ă©change de coups de feu entre guĂ©rillĂ©ros et phalangistes, blessant un de ces derniers ;
  • braquage, le , d’une succursale urbaine de la Banco Central sise Calle Delicias no 121, avec Ă  la clef un butin de 143 000 pesetas[31] - [32].

Par ailleurs, Cristino GarcĂ­a reçut l’ordre de Santiago Carrillo et de la Pasionaria d’assassiner un camarade de parti, Gabriel LeĂłn Trilla, l’un des fondateurs du PCE, exclu puis rĂ©intĂ©grĂ© en 1936, qui avait pris en charge Ă  Madrid une Ă©dition clandestine du journal Mundo Obrero[33]. Il est Ă  signaler que les catĂ©gorisations comme « aventuriers politiques », les accusations de trahison et de dĂ©viationnisme (par rapport aux cadres de conduite prĂ©Ă©tablies par les mandataires) dont faisaient l’objet des personnalitĂ©s comme Heriberto Quiñones, JesĂșs MonzĂłn ou JesĂșs HernĂĄndez TomĂĄs, ainsi que les efforts visant Ă  Ă©liminer tout vestige ou toute trace qu’auraient pu laisser les dirigeants concernĂ©s, Ă©tait la norme au sein de ces organisations[20]. En l’espĂšce, un rapport envoyĂ© Ă  Santiago Carrillo affirmait que l’« homme orchestre » — c’est-Ă -dire nommĂ©ment Gabriel LeĂłn Trilla — agissait, par ses mĂ©thodes de travail, comme un provocateur, et proposait en consĂ©quence de le liquider pour Ă©viter que d’autres camarades soient dĂ©tenus. Suspect d’hĂ©rĂ©sie et de trahison, et compte tenu aussi de son refus de se rendre en France, le sort de Trilla Ă©tait dĂšs lors scellĂ© dans l’esprit stalinien de ses anciens compagnons de parti, et l’ordre de son exĂ©cution fut Ă©dictĂ© par la DĂ©lĂ©gation du PCE en France, puis transmis, par les soins d’Antonio NĂșñez Balsera lorsque celui-ci fit le voyage de Madrid, aux responsables de la guĂ©rilla urbaine madrilĂšne, Ă  ce moment-lĂ  dirigĂ©e par Cristino GarcĂ­a. La direction nouvelle de la guĂ©rilla se mit alors en devoir de localiser le camarade Trilla tout au long des mois de juillet et aoĂ»t, mais n’y parvint qu’à la fin d’aoĂ»t. AgustĂ­n Zoroa, surnommĂ© Teresita, prĂ©para l’action en concertation avec Cristino GarcĂ­a, qui prĂ©fĂ©ra s’en dĂ©charger sur deux de ses hommes de la guĂ©rilla urbaine, Francisco Esteban Carranque et Eduardo GonzĂĄlez SilvĂĄn[34].

Gabriel LeĂłn Trilla fut finalement assassinĂ© le , aprĂšs qu’il eut Ă©tĂ© attirĂ© dans un guet-apens par Esperanza Serrano, dite « la Blonde » (La Rubia), auxiliaire connue de Trilla, missionnĂ©e de donner rendez-vous Ă  celui-ci, et par Angelines AgullĂł, qui emmena ensuite la victime auprĂšs des guĂ©rillĂ©ros JosĂ© Olmedo GonzĂĄlez, dit le Gitan, et Francisco Esteban Carranque. Trilla, sous la menace d’un pistolet, se laissa conduire au campo de las Calaveras (littĂ©r. Champ des calvaires), prĂšs de la Calle Abascal, oĂč se trouvait un ancien cimetiĂšre alors dĂ©saffectĂ©. Olmedo, dĂ©signĂ© pour mettre Ă  exĂ©cution la sentence de mort, appliqua Ă  Trilla plusieurs coups de poignard dans la rĂ©gion du cƓur. GriĂšvement blessĂ©, Trilla succomba quelques heures plus tard Ă  l’hĂŽpital Provincial. Alberto PĂ©rez, que Santiago Carrillo avait Ă©galement chargĂ© la guĂ©rilla de liquider, fut tuĂ© le , selon un mode opĂ©ratoire en tout point semblable Ă  celui employĂ© contre Trilla[31] - [32].

Cependant, les objectifs fixĂ©s Ă  la guĂ©rilla ne purent, globalement, ĂȘtre rĂ©alisĂ©s qu’à moitiĂ© ; bien que pouvant compter sur quelques-uns des maquisards les plus aguerris, dont JosĂ© Vitini, Juan Sanz Pascual (sobriquet FĂ©lix) et Cristino GarcĂ­a lui-mĂȘme, et sur des dirigeants politiques et des secrĂ©taires militaires les plus en vue dans l’organisation communiste, tous rompus dans la lutte et dans l’organisation de groupements et de noyaux de guĂ©rillĂ©ros, la guĂ©rilla urbaine obtint des rĂ©sultats restĂ©s en-dessous de ce qui avait Ă©tĂ© escomptĂ© en matiĂšre de lutte armĂ©e antifranquiste, mĂȘme si certes il a pu ĂȘtre fait Ă©tat de conquĂȘtes partielles et de quelques objectifs rĂ©alisĂ©s, tels que celui de maintenir en permanence sur le qui-vive les forces de l’ordre franquistes par des actions continuelles, que ce soit des braquages, la distribution et l’affichage de matĂ©riel de propagande, le placement de charges explosives, le vol d’armes et d’explosifs, et l’exĂ©cution d’individus jugĂ©s coupables d’assassinats, de criminels, d’indics de police, de mouchards et d’ennemis de la cause rĂ©publicaine. Ils visaient Ă  bien marquer leur prĂ©sence, et y rĂ©ussirent en partie, puisqu’il y eut effectivement dans les rues de Madrid une opposition armĂ©e contre la dictature, encore que le rĂ©gime n’ait eu garde de donner la moindre publicitĂ© Ă  ces activitĂ©s de guĂ©rilla dans la capitale espagnole[35]. Pendant trois ans, la guĂ©rilla urbaine pouvait mĂȘme par moments, grĂące Ă  ses continuelles rĂ©organisations, faire figure de foyer de dĂ©stabilisation et constituer un objet d’inquiĂ©tude pour le rĂ©gime[26]. Cristino GarcĂ­a, en qualitĂ© de chef de groupement, avait tendance Ă  s’exposer outre mesure, voulant en effet, quand mĂȘme il avait grande confiance en ses hommes, diriger et contrĂŽler de façon personnalisĂ©e les actions entreprises, comme du temps de la RĂ©sistance française, avec le risque que cela comportait. Il eut l’idĂ©e de crĂ©er un groupe spĂ©cifique et personnel, connu sous la dĂ©nomination de « groupe de chasseurs », comprenant les guĂ©rillĂ©ros les mieux qualifiĂ©s, les plus aptes et les plus intrĂ©pides, et auquel Ă©taient confiĂ©es les actions les plus osĂ©es et les plus ardues, et en particulier les crimes de sang[36].

Arrestation, conseil de guerre et exécution

SiĂšge de la Direction gĂ©nĂ©rale de sĂ»retĂ©, sis Puerta del Sol Ă  Madrid, oĂč Cristino GarcĂ­a fut torturĂ© pendant plusieurs semaines en 1945.

DiffĂ©rentes thĂ©ories circulent quant Ă  la cause de l’arrestation de Cristino GarcĂ­a. Selon certains auteurs, son interpellation eut lieu dans une maison privĂ©e au moment il se rĂ©unissait avec Antonio Medina Vega et d’autres guĂ©rillĂ©ros ; selon d’autres auteurs, son arrestation faisait suite Ă  la dĂ©tention d’un groupe de 16 communistes de Radio Sur, parmi lesquels figurait le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du secteur, Juan Cano Vega, qui lĂącha des informations sur les guĂ©rillĂ©ros et sur l’attaque de la Banco Central. Quoique la dĂ©tention de Juan Cano ait assurĂ©ment beaucoup aidĂ© la police dans son enquĂȘte et dans ses recherches sur la guĂ©rilla urbaine, ce qui sans doute permit l’avancĂ©e dĂ©cisive dans les investigations policiĂšres est le fait que Francisco Esteban Carranque, qui avait gardĂ© pour soi une partie du butin au lieu d’en remettre l’intĂ©gralitĂ© Ă  la guĂ©rilla, faisait ostentation de richesse, dĂ©pensant de fortes sommes dans les bars au cours des jours suivants et faisant acquisition d’un costume, d’un pardessus, d’un bracelet-montre et d’une radio, ce qui suscita bientĂŽt les suspicions de la police, qui diligenta une enquĂȘte sur sa personne et finit par l’apprĂ©hender le . DĂšs les premiers interrogatoires, il livra les noms de ses camarades, de sorte que dans son sillage les autres membres de la guĂ©rilla urbaine Ă©galement tombĂšrent bientĂŽt dans les filets de la police, Cristino GarcĂ­a en tĂȘte, dĂ©tenu en mĂȘme temps qu’Antonio Medina Vega et Gonzalo GonzĂĄlez sur la Plaza Mayor le . Dans la pension qui hĂ©bergeait Cristino GarcĂ­a, sise au no 9 de la Calle de San AgustĂ­n, non loin du Prado, la police mit la main sur une mallette contenant d’importants documents sur de futures actions, des plans, etc.[37] - [32] - [note 1]. En dĂ©pit de tortures barbares pratiquĂ©es pendant plus d’un mois sur la personne de Cristino GarcĂ­a, avec arrachage des ongles, lames chauffĂ©es au rouge plantĂ©es dans le dos, la poitrine et la plante des pieds, les enquĂȘteurs ne surent rien tirer de Cristino GarcĂ­a pendant les interrogatoires dans les geĂŽles de l’ancienne Direction gĂ©nĂ©rale de la sĂ»retĂ©, situĂ©s dans l’édifice du ministĂšre de la Guerre sur la Puerta del Sol[38] - [25] - [note 2].

De retour dans sa cellule de prison, Cristino GarcĂ­a Ă©crivit une lettre d’adieu au PCE et au peuple, qui fut publiĂ©e dans Mundo Obrero, et oĂč il dĂ©crivait ses tortures et l’attitude que devait avoir un communiste, etc.[39]

Le , pendant son procÚs, Cristino García se définit comme « patriote antifasciste » et ne se priva pas de faire quelques déclarations percutantes, notamment[40] :

« Je sais bien ce qui m’attend, mais je dĂ©clare avec fiertĂ© que si j’avais cent vies, je les mettrais au service de la cause de mon peuple et de ma patrie [...]. Le procureur nous appelle des bandits. Nous ne le sommes pas. Bandits sont ceux qui nous accusent, qui martyrisent et font mourir de faim le peuple. Nous, nous sommes l’avant-garde de la lutte du peuple pour la libertĂ©. Le prĂ©sent procĂšs est une farce, oĂč l’on nous accuse de dĂ©lits que nous n’avons pas commis. Mais ayez hĂąte de vous dĂ©barrasser de nous. Vous ne voulez pas que le monde voie nos corps martyrisĂ©s. Vous voulez souiller par ce procĂšs le glorieux mouvement guĂ©rillĂ©ro. »

Le de la mĂȘme annĂ©e, il fut condamnĂ© Ă  mort, en mĂȘme temps que neuf de ses camarades, Ă  l’issue d’un conseil de guerre en procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e (sumarĂ­simo). Ce jugement fit descendre des milliers de manifestants dans les rues des capitales europĂ©ennes et provoqua un vif Ă©moi politique dans plusieurs pays, en particulier en France, dont le ministre de l’IntĂ©rieur AndrĂ© Le Troquer appela, de la tribune de l’ONU, Ă  la libĂ©ration de Cristino GarcĂ­a. L’intervention la plus vibrante fut la dĂ©claration faite Ă  l’unanimitĂ© par l’AssemblĂ©e nationale constituante, oĂč il Ă©tait Ă©noncĂ© que les maquisards avaient Ă©tĂ© fusillĂ©s par haine de la libertĂ© qu’ils avaient auparavant dĂ©fendue en France, et oĂč le gouvernement Ă©tait requis de rompre avec le rĂ©gime de Franco : « l’AssemblĂ©e traduit la protestation de la conscience française face Ă  cette nouvelle application de mĂ©thodes de rĂ©pression condamnĂ©es par le monde civilisĂ© »[41] - [42].

En dĂ©pit de la vaste campagne internationale, avec y compris la prĂ©sence d’observateurs et de journalistes internationaux lors du jugement et l’envoi de tĂ©lĂ©grammes de la part de gouvernants ou de personnalitĂ©s connues tels que Charles de Gaulle, Salvador de Madariaga et Ernest Hemingway, Franco, fidĂšle Ă  sa stratĂ©gie d'intransigeance, refusa sa grĂące et les sentences de mort furent mises Ă  exĂ©cution[43]. À l’aube du , Cristino GarcĂ­a fut fusillĂ©, avec quelques-uns de ses camarades, devant le mur de clĂŽture du cimetiĂšre municipal de Carabanchel Bajo. AprĂšs leur mise Ă  mort, et avant l’arrivĂ©e des membres de leurs familles accourus s’informer sur les exĂ©cutions, les cadavres furent jetĂ©s dans une fosse commune et aspergĂ©s de chaux vive afin de les rendre mĂ©connaissables[44]. En rĂ©action, le , de nombreux pays rappelĂšrent leur ambassadeur d’Espagne, et six jours aprĂšs son exĂ©cution, le gouvernement français, dirigĂ© par Georges Bidault, dĂ©cida de fermer sa frontiĂšre pyrĂ©nĂ©enne jusqu’en , ce qui ne manqua pas d’entraĂźner de grandes difficultĂ©s, surtout pour les agriculteurs et habitants du Val d’Aran[45] - [44]. En France, il y eut des rĂ©unions de protestation en grand nombre, en particulier le lundi sur la place du Capitole Ă  Toulouse, Ă  l’appel du Conseil dĂ©partemental de la LibĂ©ration, manifestation qui mobilisa entre 20 000 et 30 000 personnes. Le syndicat des cheminots CGT empĂȘcha le passage des trains Ă  destination de l’Espagne, et L'HumanitĂ©, le journal du PCF, titrait : « DĂ©fi Ă  la France, dĂ©fi au monde civilisĂ©. Franco a assassinĂ© Cristino GarcĂ­a Granda. ExĂ©cutant les vengeances de Hitler, l’ennemi de notre pays a ordonnĂ© hier l’assassinat du hĂ©ros FFI et de neuf camarades »[46] - [47].

Entre-temps toutefois, la population espagnole, dĂ»ment encadrĂ©e, accusait le monde de lui envoyer des terroristes, acclama Franco et considĂ©ra avec un dĂ©dain ostensible tous les signes de dĂ©saveu reçus par le Caudillo[48], tandis que les forces de sĂ©curitĂ© espagnoles s’appliquaient Ă  rĂ©primer Ă©nergiquement la sĂ©dition intĂ©rieure de la gauche communiste[49].

Hommages

Plaque de la rue Cristino-Garcia, dans le XXe arrondissement de Paris.

En septembre 1946, dans le village de La Madeleine (Gard), deux plaques de marbre furent apposĂ©es, dont l’une porte l’inscription « Honneur Ă  GarcĂ­a Cristino, chef de maquis », et l’autre la mention « Bataille de La Madeleine. [note 3]. Ici les FFI du Gard, Ă  un contre cent, firent capituler une forte colonne allemande » — plaques au dĂ©voilement desquelles assista au nom du gouvernement français le ministre de la SantĂ© publique, RenĂ© Arthaud. Tous les maquisards espagnols ayant participĂ© Ă  la bataille de La Madeleine furent dĂ©corĂ©s de la croix de guerre[50].

Le , le ministre français de la Guerre octroya Ă  Cristino GarcĂ­a, Ă  titre posthume, l’une des dĂ©corations militaires françaises les plus prisĂ©es, la croix de guerre avec Ă©toiles d’argent[51].
Auparavant, la citation militaire de Cristino GarcĂ­a avait formulĂ© l’apprĂ©ciation suivante :

« Le gĂ©nĂ©ral de division Olleris, chef de la neuviĂšme rĂ©gion militaire, cite Ă  l’ordre du jour du corps d’armĂ©e, Ă  titre posthume, Cristino GarcĂ­a, lieutenant-colonel, rĂ©sistant parmi les premiers, dotĂ© d’un haut esprit d’organisation et de combat.
Il a eu sous son commandement les Brigades espagnoles des dĂ©partements de la LozĂšre, de l’ArdĂšche et du Gard. Par ses attaques rĂ©pĂ©tĂ©es dans la zone miniĂšre, il empĂȘcha le travail pendant de nombreux mois. Organisateur de l’assaut de la prison de NĂźmes, il en libĂ©ra les dĂ©tenus politiques.
Sous ses ordres, on livra combat Ă  l’ennemi Ă  La Madeleine (Gard) et Ă  l’Escrinet, oĂč furent faits, malgrĂ© la disproportion de forces et de matĂ©riel, mille trois-cents prisonniers allemands et six cents morts et blessĂ©s lors de ces opĂ©rations dirigĂ©es par un chef exceptionnel. La prĂ©sente citation comporte l’attribution de la croix de guerre avec Ă©toile d’argent.
Marseille, le 25 octobre 1946[52] - [53]. »

En 2005, JesĂșs Caldera, alors ministre espagnol du Travail et des Affaires sociales, inaugura dans la commune française de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, un centre social pour migrants qui porte le nom de Cristino GarcĂ­a. Dans la mĂȘme commune, une rue a Ă©galement Ă©tĂ© baptisĂ©e de son nom.

Le , le concejo de GozĂłn, dans les Asturies, rendit hommage Ă  Cristino GarcĂ­a en donnant son nom Ă  un jardin public dans le chef-lieu Luanco.

À l’occasion du 50e anniversaire de sa mort, le , la municipalitĂ© d’AlcalĂĄ de Henares lui dĂ©dia une rue de la ville.

Les localitĂ©s françaises de NĂźmes, de Paris, de Drancy, d’Eaubonne, de La Courneuve, du Perreux-sur-Marne et de Raismes ont Ă©galement donnĂ© le nom de Cristino GarcĂ­a Ă  l’une de leurs rues.

Notes et références

Notes

  1. Voir une liste exhaustive de ces documents dans C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 893.
  2. Quand il Ă©tait en prison, Cristino GarcĂ­a parvint Ă  mettre entre les mains du consul de France qui venait le visiter un certain nombre d’écrits adressĂ©s Ă  un sien ami, dans lesquels il relatait les mauvais traitements qui lui Ă©taient infligĂ©s par ceux qu’il appelait ses « bourreaux assassins », et dont voici un Ă©chantillon (Cf. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 87) :
    « Ils m’ont gardĂ© deux jours dans cette geĂŽle du ministĂšre de la Guerre, puis ils ont passĂ© plus de trois semaines Ă  me torturer, en m’arrachant les ongles des doigts de la main, ce pourquoi je ne peux pas t’écrire bien, mĂȘme si les blessures de ces tortures sont dĂ©jĂ  guĂ©ries, mais qui sont la cause d’étranges douleurs que je ressens et qui m’empĂȘchent d’écrire avec toute l’aisance voulue. En plus de m’avoir arrachĂ© les ongles des doigts des mains, ils m’ont plantĂ© une lame chauffĂ©e au rouge vif dans le dos, et quatre jours aprĂšs, ils m’en ont plantĂ© une autre dans la poitrine. Ces bourreaux sont des tueurs Ă  gages, ces tortures m’ont changĂ© en une loque, je ne sais pas comment les expliquer, mais je vais faire tout le possible pour raconter comment tout cela s’est passĂ©. Ils m’ont mis une lame chauffĂ©e au rouge dans chaque plante des pieds, m’ont tirĂ© de la cellule menottĂ©, les mains par derriĂšre et m’ont mis des fers aux pieds. Ils m’ont laissĂ© pour seul vĂȘtement mon caleçon et mon pantalon, et une fois arrivĂ© dans la salle de torture, ils m’ont enlevĂ© les menottes des mains, m’ont fait asseoir sur une chaise de coiffeur et m’ont enfilĂ© une courroie Ă  la taille, ce qui m’interdisait tout mouvement. Avec un crampon, ils m’appliquaient des pinçures sur la plante des pieds, de sorte que je ne pouvais plus me tenir ni debout, ni allongĂ©, je ne pouvais que me tenir assis dans cette position, et cela durant plus d’un mois. Quand ils s’étaient fatiguĂ©s de me torturer, et voyant que de tout ce qu’ils auraient voulu que je dĂ©balle, ils n’avaient rien obtenu du tout — ils voulaient que je donne les noms de plusieurs camarades —, ils m’ont ramenĂ© Ă  la prison. »
  3. Au bord de la départementale 982, au Mas Neuf, à l'intersection du chemin de La Magdelaine et prÚs de la bifurcation de la départementale 35. Voir photographie sur le site du Musée de la résistance en ligne.

Références

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  2. H. Mauran (2009).
  3. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 887.
  4. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 887-888.
  5. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 888.
  6. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 616.
  7. A. MarĂ­n Valencia (2019), p. 234.
  8. A. MarĂ­n Valencia (2019), p. 235.
  9. M. Á. Sanz (1981), p. 168-169.
  10. M. Á. Sanz (1981), p. 169.
  11. M. Á. Sanz (1981), p. 169.
  12. E. Pons Prades (1975), p. 108.
  13. A. MarĂ­n Valencia (2019), p. 236.
  14. A. MarĂ­n Valencia (2019), p. 237.
  15. M. Á. Sanz (1981), p. 170.
  16. DĂ©roulement des Ă©vĂ©nements d’aprĂšs le rĂ©cit d’AimĂ© Vielzeuf, tel que recueilli par M. Á. Sanz (1981), p. 173-175.
  17. A. MarĂ­n Valencia (2019), p. 239-242.
  18. M. Á. Sanz (1981), p. 175-176.
  19. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 1.
  20. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 2.
  21. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 967.
  22. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 2-3.
  23. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 3.
  24. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 4.
  25. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 5.
  26. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 6.
  27. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 8.
  28. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 10.
  29. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 11-12.
  30. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 13.
  31. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 892.
  32. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 15.
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  34. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 829-830.
  35. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 850-851.
  36. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 14.
  37. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 893.
  38. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 893-895.
  39. Lettre reproduite in extenso dans C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2017), p. 895.
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  43. Bartolomé Bennassar, Franco, Paris, Perrin, coll. « Tempus », (1re éd. 1995) (ISBN 978-2-262-01895-5), p. 169
  44. C. FernĂĄndez RodrĂ­guez (2006), p. 16.
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