Bible de Gutenberg
La Bible de Gutenberg ou Bible latine à quarante-deux lignes (B42) est le premier livre imprimé en Europe à l'aide de caractères mobiles. Des techniques comparables existaient en Corée et en Chine, mais la Bible de Gutenberg représente un bond qualitatif, amélioration que beaucoup font tenir à un troisième regard, extérieur et neuf, qui aurait notamment permis de refaire la typographie. On estime souvent qu'il s'agit de Peter Schoeffer.
Le est la date traditionnellement retenue comme le jour où Johannes Gutenberg a achevé ce livre[1] à Mayence, sa ville natale.
Description
Réalisée à Mayence entre 1452 et 1455 sous la responsabilité de Johannes Gutenberg et de ses associés, Johann Fust et Pierre Schoeffer (typographe-imprimeur allemand qui perfectionne la presse typographique), la Bible de Gutenberg se compose de deux volumes au format in-folio (ce qui signifie que chaque feuille achetée au papetier n'était pliée qu'une fois, ce qui permet d'imprimer des pages de grandes dimensions) de 324 et 319 feuillets. Elle reproduit le texte de la Vulgate, c'est-à -dire la Bible en latin traduite par saint Jérôme : l'Ancien Testament occupe le premier volume et une partie du second, qui contient aussi l'ensemble du Nouveau Testament. Une lettre qu'Æneas Sylvius Piccolomini, futur pape Pie II, adresse au cardinal Carvajal le 12 mars 1455, mentionne la découverte d'un exemplaire de cette Bible sous forme de cahiers imprimés (donc non reliés), à la foire commerciale de Francfort[2].
Vendue par souscription, cette Bible en latin a été achetée à sa parution par des institutions religieuses, essentiellement des monastères. Sur un tirage d'environ 180 exemplaires, étalé sur environ 8 mois d'impressions, 49 complets, ou en majeure partie, ont été conservés jusqu'à aujourd'hui, et des feuillets isolés se trouvent dans quelques bibliothèques, comme celle du musée Correr de Venise, la médiathèque André Malraux de Strasbourg ou la bibliothèque municipale de Colmar. La majorité des exemplaires se trouve en Allemagne. En France, la Bibliothèque nationale de France en possède deux exemplaires, dont un sur vélin, et la bibliothèque Mazarine un exemplaire sur papier. En Suisse, la fondation Martin Bodmer expose en permanence son exemplaire près de Genève.
Cependant, un seul des exemplaires des bibles de Gutenberg a été daté : une mention manuscrite, à la fin de la première partie de la Bible, indique la date de 1456, soit deux ans après la foire. Il ne s'agit donc pas d'un des 180 premiers exemplaires créés, aussi peut-on imaginer que la technique et la qualité avaient déjà bien évolué. Cela montre également que ces bibles se vendaient, bien que l'entreprise ne générât aucune fortune.
Une partie des exemplaires a été imprimée sur parchemin (vélin), une autre sur du papier importé d'Italie. On distingue également que ces volumes ont connu des changements en cours d'impressions, par exemple, sur un volume conservé à Paris, Gutenberg avait tout d'abord essayé d'imprimer en deux couleurs, les phrases d'introduction figurant en rouge. Or plus loin dans le même volume, les écritures rouges sont manuscrites, très certainement à cause de la perte de temps que générait l'impression en deux couleurs[3].
Les bibles sont présentées pour la première fois au public à la Foire de Francfort de 1454, une des plus importantes de tout le Saint-Empire. L'évêque de Sienne, et futur Pape Pie II, Enea Silvio Piccolomini, est présent, et découvre l'un des volumes. Il est si impressionné par la qualité de l'ouvrage qu'il écrit une lettre à l'un de ses amis, lui disant qu'il espère lui faire parvenir l'un des exemplaires, mais a peur de ne pas y parvenir, la plupart des ouvrages ayant déjà trouvé acheteurs. Et sa prédiction fut bonne, il ne put jamais acheter de bible imprimée par Gutenberg. Enea Silvio Piccolomini ne sait d'ailleurs pas que cette Bible est la création de Gutenberg, il écrit dans sa lettre ne pas connaître le fabricant de l'ouvrage, raison pour laquelle il n'a pas effectué d'achat.
Contexte
On sait que cette Bible a été réalisée à Mayence, sa ville natale, qui est devenue un grand centre d'échanges à cette époque. De plus, Gutenberg voit dans ce retour à Mayence un moyen d'amasser un peu d'argent pour son entreprise, en jouant de son statut. Malgré cela, ses nombreux créanciers, et la réussite de son entreprise, Gutenberg ne gagnera jamais d'argent grâce à son invention. C'est certainement ce côté innovant qui a justement été un problème pour les finances de Gutenberg : comment estimer financièrement la valeur d'un livre imprimé, puisque cela n'a jamais été fait avant ?
Le premier document trouvé venant probablement de l'imprimerie de Gutenberg est un calendrier. Il s'agit d'un appel à tous les chrétiens du Saint-Empire à aller combattre les turcs pour reprendre la ville de Constantinople. Chaque mois, de nouveaux princes étaient appelés à aller combattre, mais la diffusion n'était pas assez large, c'est pourquoi ce document avait été imprimé, et en allemand afin d'atteindre un public aussi large que possible. Il n'y a pas de signature pour prouver qu'il s'agit de Gutenberg, mais le caractère typographique utilisé est caractéristique de celui créé par Gutenberg.
L'autre raison de la diffusion de l'impression fut le besoin croissant des universités en livres.
Le succès des ventes fut énorme, mais Gutenberg fut de nouveau victime d'un procès, pour raisons financières, intenté par son associé, Johann Fush, qui lui avait prêté énormément d'argent avant la Foire de Francfort, et n'avait ni été remboursé, ni même touché les intérêts. Le procès eut lieu en 1455, mais Gutenberg n'y assista pas, et son représentant contesta les intérêts réclamés, disant qu'il avait été convenu d'un prêt sans intérêts. On ne connaît pas l'issue du procès, mais cela indique que c'était Gutenberg lui-même qui s'occupait de la trésorerie, et qu'on ne sait pas ce qu'il est advenu de cette trésorerie.
Fabrication
Pour tester sa presse à imprimer et ses caractères mobiles en alliage de métal, Gutenberg commença, aux alentours de 1450, par composer des textes qu'il reproduisait sur des feuilles de papier simple, puis il entreprit d'imprimer de petits livres, comme la grammaire latine de Donat. La base du travail est alors effectuée à la main. Pour composer chaque ligne du texte, il fallait sélectionner un à un les caractères (en relief et inversés) correspondant aux lettres des mots, et les placer dans un cadre spécial, la forme, situé sur le plateau de la presse. Une fois toutes les lignes composées, la forme était enduite d'encre à l'aide de pelotes en crin de cheval. On y plaçait alors une feuille de papier préalablement humidifiée, qu'une planche de bois, la « platine », venait comprimer sous l'action d'une vis en bois. Il fallait cependant un grand nombre de caractères pour pouvoir écrire les lignes d'une page sans problèmes et profiter complètement de l'avantage de l'imprimerie : 300 exemplaires de chaque caractère lors des premières impressions, près de 4000 lors de l'impression de la Bible, ce qui est notamment dû au fait que Gutenberg dispose désormais d'une deuxième presse dans son atelier. La création de ces caractères prenait aussi du temps ; on estime qu'un ouvrier pouvait en fabriquer jusqu'à 10 par heure.
Le nombre de presses utilisées dans l'atelier de Gutenberg reste inconnu, mais la quantité de pages imprimées laisse à penser qu'il en a utilisé plus d'une, la plupart des experts s'accordent sur deux presses. Les presses étant actionnées par deux ouvriers, il est possible que l'entreprise ait nécessité jusqu'à douze ouvriers, sans compter les personnes employées à la disposition des caractères, à l'encrage, à la préparation des feuilles de papier, au pliage, etc. L'atelier emploie à ce moment-là entre 2 et 6 compositeurs. Finalement, l'entreprise de Gutenberg commençait à ressembler à ce que nous entendons par entreprise au sens moderne, avec des ouvriers dévolus à une tâche précise, une optimisation du temps maximum, une recherche de qualité toujours plus forte… La presse doit également être parfaitement calibrée, afin que la page semble parfaite aux yeux des lecteurs.
La réalisation des 180 exemplaires de la Bible s'étala sur trois ans, période à l'issue de laquelle un moine copiste n'aurait achevé la reproduction que d'une seule Bible quelques années auparavant. À l'époque de Gutenberg, une Bible est toujours très longue à copier, mais plusieurs moines se relaient, ce qui réduit le temps passé sur un livre. Une dizaine d'ouvrages auraient pu être créés de manière manuscrite sur la même période, au maximum.
Composition
Les premières pages de la Bible de Gutenberg comportent deux colonnes de 40 lignes par page, parfois 41, finalement, chaque ouvrage fait 1286 pages. Pour économiser du papier, très cher à l'époque, Gutenberg décida d'imprimer 42 lignes par page, puis de diminuer la taille des caractères, ce qui lui fait économiser une trentaine de pages[4]. Autre évolution : Gutenberg essaya au début d'imprimer les titres en rouge, puis abandonna, sans doute parce que l'opération était trop fastidieuse : elle aurait demandé de passer deux fois chaque feuille sous la presse[3]. Elle fut par la suite largement mise en œuvre par ses successeurs, dès le XVe siècle. On sait d'ailleurs que Gutenberg utilise une encre très spéciale, qu'il refait très certainement tous les jours, qui ne contient ni huile de lin ni eau, afin que l'encre ne bave pas ou ne traverse pas le papier. Il y rajoute également du plomb, en quantité différente en fonction du temps, afin que l'encre sèche plus vite, toujours dans un souci d'optimisation du temps, pour que l'impression du verso se fasse au plus tôt.
L'aspect de la Bible de Gutenberg s'inspire des grandes bibles manuscrites de l'époque, tant pour l'aspect général de la page, en deux colonnes, avec des lettrines, que pour la typographie. Gutenberg a copié l'écriture dite « gothique de forme » (textura), utilisée à l'époque pour les textes liturgiques, en particulier les missels. Il adopte une taille de caractère similaire à celle des manuscrits de grande taille, utilisés en particulier pour la lecture à haute voix[5].
La Bible de Gutenberg ressemble à un codex et, comme dans les manuscrits les plus réussis, toutes les fins de ligne sont soigneusement alignées sur la marge de droite. Aujourd'hui, les imprimeurs et les typographes parlent de lignes « justifiées » pour désigner cette présentation. Pour obtenir cette présentation justifiée, Gutenberg n'utilise pas des espaces de tailles variables entre les mots, mais répartit des signes de ponctuation plus ou moins larges, emploie des ligatures (deux lettres accolées et fondues ensemble) et remplace certains mots par leur abréviation. Son but est d'obtenir une qualité et un confort de lecture maximal[6].
L'emplacement destiné aux « rubriques » qui devaient être insérées manuellement (titres, débuts et fins de texte et lettrines) était laissé en blanc. Un enlumineur était chargé par l'acquéreur, une fois le livre, acheté en feuilles (non reliées), en sa possession, de dessiner les lettrines dans ces espaces réservés[n 1], et, éventuellement, d'ajouter des enluminures dans les larges marges, travail (comme celui de la reliure) qui était laissé à l'appréciation (et aux moyens financiers) des acheteurs. Celui-ci devait aussi faire appel à des rubricateurs pour faire ressortir par des couleurs les nomina sacra et les marques de paragraphes et de versets[3]. La personnalisation des exemplaires de cette Bible, par l'ajout des lettrines et des enluminures, réalisées à la main, ainsi que par le travail de reliure, fait de chacun d'eux un ouvrage unique.
C'est l'un de ses associés, Johann Fust, qui a présenté à Gutenberg une Bible (manuscrite) magnifique qui lui servit d'exemple ; il est donc à la fois son principal créancier, et celui qui a fourni la base de la forme de sa Bible, dont les fameuses 42 lignes sur deux colonnes. Quelques années plus tard, Gutenberg imprima une Bible sur 36 lignes.
Localisations connues des Bibles de Gutenberg
La « Bible à 42 lignes » de 1455 environ est un des livres les plus chers au monde. Le prix d'un exemplaire complet peut atteindre les 20 millions de dollars[8].
Allemagne (12)
- Musée Gutenberg à Mayence (2 exemplaires)
- Bibliothèque d'État à Fulda
- Bibliothèque universitaire de Leipzig
- Bibliothèque d'État et universitaire de Basse-Saxe à Göttingen
- Bibliothèque d'État à Berlin
- Bibliothèque d'État de Bavière à Munich
- Bibliothèque d'État et universitaire de Francfort-sur-le-Main
- Bibliothèque de la Cour de Aschaffenbourg
- Bibliothèque d'État de Wurtemberg à Stuttgart
- Bibliothèque municipale de Trèves
- Bibliothèque d'État à Cassel
Australie (1)
- Sydney (1 feuillet)
Autriche (1)
Belgique (1)
- Bibliothèque universitaire à Mons
- Université de Louvain (1 feuillet)
Danemark (1)
Espagne (2)
États-Unis (12)
- Bibliothèque du Congrès à Washington (une des trois copies en « parfait vélin »)
- Bibliothèque publique de New York
- Bibliothèque et musée Morgan à New York (une copie vélin, deux copies papier)
- Bibliothèque Widener à l’université Harvard à Cambridge dans le Massachusetts
- Bibliothèque Beinecke de livres rares et manuscrits de l'université Yale à New Haven dans le Connecticut
- Bibliothèque Scheide de l’université de Princeton dans le New Jersey
- Bibliothèque universelle de l'Indiana de l'université de Bloomington dans l'Indiana (incomplète)
- Centre de recherche en sciences humaines Harry Ransom de l'université du Texas à Austin
- Bibliothèque Huntington à San Marino en Californie
Bill Gates (cofondateur de Microsoft) en possède un exemplaire acheté en 1994 à une vente aux enchères.
France (7)
- Bibliothèque municipale de Colmar : un défet de reliure provenant d'une Bible a été trouvé en 2009
- Bibliothèque municipale de Lyon : un cahier de dix feuillets de 40 puis 42 lignes[9]
- Musée de l'imprimerie et de la communication graphique de Lyon : 1 feuillet
- Bibliothèque nationale de France à Paris (une des trois copies en « vélin parfait » et une copies papier)
- Bibliothèque Mazarine à Paris
- Bibliothèque municipale de Saint-Omer : Ancien Testament de la Vulgate latine, Mayence, Bible à 42 lignes. 324 feuillets de papier.
- Médiathèques de Strasbourg, Fonds patrimonial : trois pages de la « Bible à 42 lignes » (défets de reliure)
Italie (1)
- Musée Correr à Venise : plusieurs pages
Japon (1)
- Keio University Library Ă Tokyo
Pologne (1)
- Biblioteka Seminarium Duchownego à Pełpin
Portugal (1)
Royaume-Uni (9)
- British Library à Londres (une des trois copies en « parfait vélin », et une copie papier et le Fragment Bagford)
- Bibliothèque du palais de Lambeth à Londres (décorée en Angleterre)
- Bibliothèque bodléienne à Oxford
- Bibliothèque de l'université de Cambridge
- Eton College Library Ă Eton
- John Rylands Library Ă Manchester
- Bibliothèque nationale d'Écosse à Édimbourg
Russie (2)
- Bibliothèque d'État de Russie à Moscou
- Lomonosow University Library Ă Moscou
Suisse (1)
- Fondation Martin Bodmer à Cologny (Canton de Genève)
- Musée Gutenberg à Fribourg
Vatican (2)
- Bibliothèque apostolique vaticane (une copie vélin, une copie papier)
Notes et références
Notes
- La position et la taille des « rubriques » à insérer sont indiquées de façon précise dans une Tabula rubricatoria, fournie par l'imprimeur. Ces espaces sont assez réduits, mais de tailles variables selon que les lettrines sont au début d'un livre (lettrine sur 5 ou 6 lignes) ou au début d'un chapitre (lettrine généralement sur 1 à 2 lignes). Il y en a, en tout, presque 4000[7] ! Certains illustrateurs n'hésitent pas à déborder largement dans les marges, surtout pour la lettrine « I », qui n'a pas d'espace réservé.
Référence
- Henri-Jean Martin, « Gutenberg ou la multiplication des livres », L'Histoire,‎ , p. 70.
- Alberto Manguel, Une histoire de la lecture, Éditions Actes Sud, , p. 59.
- Adolf Wild 1995, p. 13.
- Adolf Wild 1995, p. 9.
- Adolf Wild 1995, p. 11-12.
- Adolf Wild 1995, p. 12.
- Adolf Wild 1995, p. 13-14.
- (en) David R. Gudgel, Owner's guide to using your Bible, Power Books, , p. 20.
- Biblia sacra vulgata [incunable, un cahier de dix feuillets comportant le Livre des Rois], vers 1455, Mayence
Voir aussi
Articles connexes
- Bible de Bamberg (1459-1460)
- Jikji, premier livre imprimé au monde (1377, Corée)
- Sūtra du Diamant, autre ouvrage probablement imprimé avant la Bible de Gutenberg (868)
Bibliographie
- Guy Bechtel, Gutenberg et l’invention de l’imprimerie, Fayard, 1992.
- Seymour de Ricci, Catalogue raisonné des premières impressions de Mayence.
- Adolf Wild, « La typographie de la Bible de Gutenberg », , dans Cahiers Gutenberg, no 22.
- Parinet Elisabeth, « Une histoire de l'édition à l'époque contemporaine ».
- Molliet, « Une autre histoire de l'édition ».
Liens externes
- Ressource relative à la littérature :
- Versions en ligne de la Bible de Gutenberg
- Gutenberg Digital, fac-similé d'un exemplaire de la Bible numérisé par la bibliothèque de Göttingen.
- Deux exemplaires de la Bible (un sur papier, un sur vélin) numérisés par la British Library.
- Deux exemplaires de la Bible ; un sur papier, un sur vélin, numérisés par la bibliothèque numérique Gallica.
- Reproduction de très haute qualité sur les sites internet listés par The British Librairy : https://data.cerl.org/istc/ib00526000