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Affaire de la crèche Baby Loup

La crèche Baby Loup est un établissement associatif privé ouvert à Chanteloup-les-Vignes en 1991, qui est surtout connu pour avoir été le théâtre d'affrontements judiciaires à la suite du licenciement, en 2008, d'une salariée de la crèche au motif qu'elle portait un foulard islamique, alors que le règlement intérieur de l'association imposait le respect des principes de laïcité et de neutralité à son personnel.

Déclarant subir des « pressions », la crèche décide de fermer le . Elle rouvre dans la ville voisine de Conflans-Sainte-Honorine en mars 2014[1] - [2].

Fondation de la crèche Baby Loup

La crèche est fondée en 1991 par un collectif de femmes de Chanteloup-les-Vignes. Sa directrice est Natalia Baleato, née au Chili et réfugiée en France à la suite du coup d'État du général Pinochet en 1973. Baby Loup propose un service de crèche à des personnes travaillant à des horaires décalés. En 2002, Baby Loup devient en effet la seule crèche française ouverte 24 heures sur 24 tous les jours de la semaine[3].

L'idée des fondatrices était également d'ouvrir une activité professionnelle aux femmes du quartier, en les embauchant et en leur proposant une formation rémunérée aux métiers de la petite enfance, tout en offrant aux offrant également un service aux familles pour concilier vie familiale et vie professionnelle[4].

La crèche Baby Loup est sans rapport avec les crèches d'entreprises et de collectivités Babilou.

Licenciement d'une salariée pour port de voile

Affaire de la crèche Baby Loup
Titre Fatima Afif c/ crèche Baby Loup
Pays Drapeau de la France France
Tribunal (fr) Assemblée plénière de la Cour de cassation
Date
Recours Demande d'annulation d'un licenciement fondé sur un motif discriminatoire (convictions religieuses) et attentatoire à une liberté fondamentale (liberté de religion).
DĂ©tails juridiques
Branche Droit du travail
Chronologie
Problème de droit Un employeur de droit privé peut-il se prévaloir du principe de laïcité contenu dans le règlement intérieur pour licencier une salariée portant le voile islamique? Dans quelle mesure une clause du règlement intérieur peut-elle interdire aux salariés d'exprimer leurs convictions religieuses?
Solution Les employeurs de droit privé ne sont en principe pas soumis à un principe de neutralité religieuse. L'interdiction d'exprimer ses convictions religieuses peut être inscrite au règlement intérieur de l'entreprise ou de l'association, si elle est justifiée par des questions d'hygiène et de sécurité, des règles de sécurité et de sûreté, le bon accomplissement des tâches précisément affectées à une personne et en l'occurrence le fait pour les salariés d'« être en relation directe avec les enfants et leurs parents », et proportionnée au but recherché eu égard aux « conditions [concrètes] de fonctionnement d'une association de dimension réduite ». Le licenciement de la salariée pour port du voile a été considéré comme régulier en considération de sa situation précise.
Voir aussi

Les faits

Fatima Afif est employée à partir de 1992 par la crèche Baby Loup en qualité d'éducatrice de jeunes enfants exerçant les fonctions de directrice adjointe. Fatima Afif porte alors le foulard. L'association affirme qu'une règle de neutralité interdisant le port du voile existait dans ses règlements intérieurs dès 1990 et que Fatima Afif la connaissait et la respectait avant 2003. Fatima Afif argüait que la crèche tolérait le port du voile avant 2003[6]. Elle bénéficie en d’un congé maternité suivi d’un congé parental jusqu’au . Au cours de cette période de congé, Fatima Afif est informée par la directrice de la crèche qu'elle ne pourra plus revenir travailler avec le foulard qu'elle a l'habitude de porter. À son retour de congé, le , Fatima Afif se présente dans les locaux de l'association vêtue d'un « voile islamique intégral », selon les termes utilisés par son employeur. Elle est alors invitée à « se changer ». Ayant décliné l'invitation, Fatima Afif est convoquée à un entretien préalable à son licenciement et est immédiatement mise à pied à titre conservatoire. Malgré le prononcé de cette mise à pied, Fatima Afif se présente à plusieurs reprises dans les locaux de l'association. Son employeur prétend que Fatima Afif fait alors preuve d'agressivité à l'égard de la directrice de la crèche notamment. Le , Fatima Afif se voit notifier son licenciement pour faute grave. Son employeur lui reproche son insubordination et la violation de ses obligations résultant du règlement intérieur de l'association qui impose les principes de laïcité et de neutralité à son personnel[7].

S'estimant victime d'une discrimination au regard de ses convictions religieuses, Mme Afif saisit le conseil des prud'hommes de Mantes-la-Jolie, le , en nullitĂ© de son licenciement[8] et rĂ©clame 80 000 euros[9]. Dans le mĂŞme temps, elle saisit la Haute AutoritĂ© de lutte contre les discriminations et pour l'Ă©galitĂ© (Halde) alors prĂ©sidĂ©e par Louis Schweitzer[10].

Halde : condamnation pour discrimination

En , la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) condamne la crèche pour discrimination[9].

En , Jeannette Bougrab est nommée nouvelle présidente de la Halde. Le , celle-ci voulant défendre la laïcité, obtient de la Haute Autorité que soit réexaminé le dossier de la crèche Baby Loup. Le , le service juridique de la Halde confirme sa précédente analyse : le licenciement est illégal[11].

Conseil de prud'hommes : déboute la salariée de sa demande

Le , Jeannette Bougrab, présidente de la Halde (quelques semaines avant de devoir en démissionner[10]) intervient aux prud'hommes et soutient la crèche dans sa décision, contredisant le précédent avis juridique de l'Autorité dont elle est pourtant la présidente[12].

Le , le conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie (Yvelines) donne raison à la directrice de la crèche estimant que Fatima Afif, la salariée licenciée, a fait preuve « d'insubordination caractérisée et répétée »[3].

Cour d'appel de Versailles : confirmation du jugement de première instance

Le , la Cour d'appel de Versailles confirme la décision précédente[7].

Chambre sociale de la Cour de cassation : cassation et annulation de l'arrĂŞt de la Cour d'Appel de Versailles

Le , la Cour de cassation casse et annule l'arrĂŞt de la Cour d'appel de Versailles et renvoie les parties devant la cour d'appel de Paris[8].

La Cour de cassation estime que « le principe de laïcité instauré par l'article 1er de la Constitution n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public [. Ce principe] ne peut dès lors être invoqué pour priver [les salariés] de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail. » La clause du règlement intérieur imposant le respect du principe de laïcité et de neutralité n'étant, selon la cour, ni justifiée, ni proportionnée, l'employeur ne pouvait pas s'en prévaloir pour licencier sa salariée. La Cour de cassation conclut en considérant que le licenciement de la salariée est « discriminatoire » et donc « nul »[13].

D'après le président du Haut Conseil à l'intégration, cela a pour conséquence de casser la neutralité religieuse que s'imposaient tous les salariés[14]. L'Observatoire de la laïcité rend un avis plus nuancé et plus juridique le .

Les réactions du monde politique sont immédiates.

Cour d'appel de Paris : confirmation du jugement de première instance

La Cour d'appel de Paris dans son arrêt du confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie[15] - [16]. Pour justifier sa décision, la cour d'appel de Paris forge le concept nouveau d'« entreprise de conviction » (distinct du concept plus ancien d'entreprise de tendance)[17]. Considérant en premier lieu que l'association Baby Loup a « au terme de ses statuts, [...] pour objectif de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes sans distinction d’opinion politique et confessionnelle », en deuxième lieu que « de telles missions sont d'intérêt général », et en troisième lieu qu’« au regard tant de la nécessité [...] de protéger la liberté de pensée, de conscience et de religion à construire pour chaque enfant, que de celle de respecter la pluralité des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en œuvre une insertion sociale et professionnelle aux métiers de la petite enfance, dans un environnement multiconfessionnel, ces missions peuvent être accomplies par une entreprise soucieuse d’imposer à son personnel un principe de neutralité pour transcender le multiculturalisme des personnes auxquelles elle s’adresse », la cour d'appel estime que la crèche Baby Loup peut être qualifiée d'« entreprise de conviction » ce qui l'autorise à « exiger la neutralité de ses employés »[15].

Assemblée plénière de la Cour de cassation : rejet du pourvoi formé par la salariée

Le , le dossier est examiné en urgence devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation[18]. Le procureur général près la Cour de Cassation conclut au rejet du pourvoi[19].

Dans son arrêt du , la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la salariée. Adoptant le même raisonnement que celui développé dans l'avis de l'Observatoire de la laïcité du , elle désapprouve le raisonnement de la Cour d'appel de Paris en tant que cette dernière qualifie la crèche Baby Loup d'« entreprise de conviction » [20]. Elle estime en revanche que « la cour d'appel a pu déduire [de l'énoncé des dispositions du règlement intérieur de la crèche], appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d'une association de dimension réduite, employant seulement dix-huit salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents, que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché ». La Cour de cassation considère donc que la Cour d'appel « a pu retenir que le licenciement pour faute grave de [la salariée] était justifié par son refus d'accéder aux demandes licites de son employeur de s'abstenir de porter son voile et par [s]es insubordinations répétées et caractérisées »[19].

Faisant suite à quatre décisions de justice relatives à la même affaire, cet arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation signe la fin du parcours judiciaire de l'affaire Baby Loup devant les juridictions françaises, en rejetant la demande de la salariée. Puisqu'il ne demeure aucune voie de recours en droit interne, le licenciement de la salariée est considéré comme régulier.

La salariée a manifesté son intention de saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH)[21] - [22] - [23] - [24], ce qu'elle renonce par la suite à faire[25].

Comité des droits de l'homme de l'ONU

N'ayant pas exercé de recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), les avocats Claire Waquet et Michel Henry de l'ancienne salariée ont saisi le Comité des droits de l'homme (CDH) de l'Organisation des Nations unies auprès duquel ils ont déposé une requête le [25]. Le , le CDH rend un avis — non contraignant — estimant que le licenciement de Fatima Afif constituait « une discrimination en raison des convictions religieuses »[26] - [27]. Le comité estime les décisions de la justice française en contradiction avec les articles 18 et 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il explique que « la restriction établie par le règlement intérieur de la crèche et sa mise en œuvre constituent une restriction portant atteinte à la liberté de religion de l’auteure en violation de l’article 18 du pacte  ». Le motif du licenciement, pour «  faute grave  », est également critiqué, car empêchant toute indemnité de licenciement et étant décrit comme «  particulièrement stigmatisant ». Le groupe d’experts conclut que ce licenciement et l’obligation de « neutralité » du personnel constituent une « discrimination inter-sectionnelle basée sur le genre et la religion  »[28]. Le Comité de l’ONU ne remet pas en cause la faculté pour une entreprise d’imposer une neutralité religieuse à ses salariés, dès lors que l’activité le justifie et que les modalités d’application de cette mesure sont proportionnées, mais il estime que « le port d’un foulard ne saurait en soi être considéré comme constitutif d’un acte de prosélytisme » et que la restriction imposée par la crèche Baby-Loup « n’est donc pas une mesure proportionnée à l’objectif recherché ». Le CDH souligne que la justice française n’a pas démontré dans cette affaire en quoi « le port d’un foulard par une éducatrice de la crèche porterait une atteinte aux libertés et droits fondamentaux des enfants et des parents la fréquentant[29] ».

Dans ses constatations, le ComitĂ© somme la France de rendre publiques ces constatations et de proposer une indemnisation Ă  la plaignante  sous 180 jours et l'invite Ă  prendre « toutes les mesures nĂ©cessaires pour prĂ©venir des violations similaires Ă  l’avenir »[25] - [28]. Pour Richard Malka, avocat de la crèche, « dire que la France a Ă©tĂ© condamnĂ©e, c’est de la dĂ©sinformation »[30].

En , le président de la Cour de cassation, qui avait validé ce licenciement en 2014, Bertrand Louvel déclare aux magistrats du siège et du parquet que « [le CDH] a constaté que notre assemblée plénière elle-même avait méconnu des droits fondamentaux reconnus par le Pacte international des droits civils et politiques dans l’affaire connue sous le nom de Baby Loup. (...) Même si cette constatation n’a pas, en droit, de force contraignante, l’autorité qui s’y attache de fait constitue un facteur nouveau de déstabilisation de la jurisprudence qui vient perturber, aux yeux des juges du fond, le rôle unificateur de notre Cour, qui plus est au niveau le plus élevé de son assemblée plénière », annonçant de fait une vigilance sur les équilibres à respecter entre les diverses interprétations des juridictions supra-nationales dans le cadre de la jurisprudence future[29].

Conséquences

Réactions antérieures à l'arrêt du 19 mars 2013 de la chambre sociale de la Cour de cassation

  • Le , Françoise Laborde, sĂ©natrice, et plusieurs de ses collègues dĂ©pose au SĂ©nat une proposition de loi visant Ă  Ă©tendre l'obligation de neutralitĂ© aux structures privĂ©es responsables de la petite enfance et Ă  assurer le respect du principe de laĂŻcitĂ©[31].
  • Le , le dĂ©putĂ© Roger-GĂ©rard Schwartzenberg, prĂ©sident du groupe Radical, rĂ©publicain, dĂ©mocrate et progressiste Ă  l'AssemblĂ©e nationale, et plusieurs de ses collègues dĂ©posent une proposition de loi allant dans le mĂŞme sens[32].

RĂ©actions politiques

  • Le , le ministre de l'IntĂ©rieur, Manuel Valls dĂ©nonce Ă  la tribune de l'AssemblĂ©e nationale une atteinte Ă  la laĂŻcitĂ© et demande une loi pour contrer la jurisprudence Baby Loup[33].
  • Le toujours, plusieurs membres de l'UMP se prononcent Ă©galement en faveur de l'adoption d'une loi. Éric Ciotti, Ă©lu UMP des Alpes-Maritimes Ă©crit que « l'Ă©mergence de la visibilitĂ© religieuse au sein des entreprises peut parfois conduire Ă  entraver le bon fonctionnement de l'entreprise et susciter de nombreuses tensions entre salariĂ©s » ; il propose d'inclure dans le Code du travail la possibilitĂ© pour un chef d'entreprise de « rĂ©glementer l'expression d'opinion, y compris religieuse, au sein de l'entreprise »[34]. Le dĂ©putĂ© UMP Philippe Houillon propose de modifier le Code du travail. Le prĂ©sident du groupe UMP Ă  l'AssemblĂ©e, Christian Jacob propose plusieurs pistes : cibler les crèches, « les missions de service public » ou le « règlement intĂ©rieur des entreprises privĂ©es ». François Fillon constate : « Selon nos lois, le principe de laĂŻcitĂ© s'applique principalement aux institutions publiques » mais « depuis quelques annĂ©es, on assiste Ă  la montĂ©e en puissance de revendications relatives Ă  l'expression religieuse dans les entreprises. Chacun le sait, chacun se tait »[35]. Pour lui, « la rĂ©cente dĂ©cision de la Cour de cassation concernant la crèche Baby Loup ne peut rester sans rĂ©ponse » […] « Ă€ droite comme Ă  gauche, des voix s'Ă©lèvent pour combler ce vide lĂ©gislatif et juridique qui ne peut qu'affaiblir l'esprit de tolĂ©rance et de modĂ©ration qui est au cĹ“ur de la laĂŻcitĂ© et du vivre ensemble ».
  • Le , un Observatoire de la laĂŻcitĂ© (dont la crĂ©ation est prĂ©vue depuis longtemps[36]) est mis en place par le prĂ©sident de la RĂ©publique François Hollande et le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Ă€ l'occasion de son discours, le prĂ©sident de la RĂ©publique François Hollande demande Ă  l'observatoire de « faire des propositions » sur « la dĂ©finition et l’encadrement de la laĂŻcitĂ© dans les structures privĂ©es qui assurent une mission d’accueil des enfants » et « d'apaiser le pays » sur ces questions[37] - [38].
  • Le , une proposition de loi « relative au respect de la neutralitĂ© religieuse dans les entreprises et les associations » est dĂ©posĂ©e par des dĂ©putĂ©s UMP Ă  l'AssemblĂ©e Nationale. La proposition vise Ă  introduire dans le code du travail un texte ainsi rĂ©digĂ©: « Sont lĂ©gitimes, dès lors qu’elles sont justifiĂ©es par la neutralitĂ© requise dans le cadre des relations avec le public ou par le bon fonctionnement de l’entreprise et proportionnĂ©es au but recherchĂ©, des restrictions visant Ă  rĂ©glementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse. »[39].
  • Le , le ministre de l'IntĂ©rieur Manuel Valls remet la mĂ©daille du MĂ©rite Ă  Mme Natalia Baleato, la fondatrice et directrice de la crèche Baby Loup, et rĂ©affirme son soutien Ă  l'association. Il dĂ©clare Ă  cette occasion: « Chère Madame, la Justice vous dĂ©boute, mais moi Ministre je vous rĂ©compense et vous fĂ©licite… »[40]. Cependant, lui-mĂŞme Ă©voque, dans deux entretiens au journaux RĂ©forme et La Vie, la nĂ©cessitĂ© d'une grande prudence sur toute rĂ©forme lĂ©gislative au sujet de la laĂŻcitĂ©.
  • Le , la proposition de loi « relative au respect de la neutralitĂ© religieuse dans les entreprises et les associations » est rejetĂ©e par l'AssemblĂ©e nationale[38].
  • Le , le prĂ©sident de l'Observatoire de la laĂŻcitĂ© Jean-Louis Bianco et le rapporteur gĂ©nĂ©ral Nicolas Cadène remettent au Gouvernement[41] leur premier rapport d'Ă©tape. Il en ressort que les « atteintes Ă  la laĂŻcitĂ© ont peut-ĂŞtre Ă©tĂ© surestimĂ©es »[42], qu'il est nĂ©cessaire de « diffuser des guides »[43] expliquant ce qui est permis ou non en la matière, et qu'il ne faut pas faire de la laĂŻcitĂ© « un mot-valise pour des problèmes qui relèvent d'abord de l'intĂ©gration ou de politiques Ă©conomiques et sociales »[44]. Le traitement mĂ©diatique du sujet est Ă©galement Ă©voquĂ© : il ne doit pas ĂŞtre « passionnĂ© »[45] - [46].
  • Le , l'Observatoire de la laĂŻcitĂ© rend son avis sur la dĂ©finition et l'encadrement du fait religieux dans les structures privĂ©es qui assurent une mission d'accueil des enfants. Il en ressort que le droit positif suffit Ă  rĂ©gler ce type de problĂ©matiques mais qu'il est « profondĂ©ment mĂ©connu », que « la problĂ©matique posĂ©e dans le cas d’espèce recouvre des champs divers et complexes », la nĂ©cessitĂ© de « dicter une circulaire interministĂ©rielle explicitant la jurisprudence de la Cour de cassation et rappelant clairement, Ă  destination de tous les acteurs concernĂ©s, ce que le droit positif permet et ne permet pas selon la catĂ©gorie juridique Ă  laquelle appartient le gestionnaire », le besoin d'Ă©laborer des "guides" pratiques aidant les acteurs de terrain (ce que l'Observatoire de la laĂŻcitĂ© fera dès dĂ©but 2014[47]), et la nĂ©cessitĂ© « d’encourager l’offre publique d’accueil de la petite-enfance »[48].

Réactions médiatiques

  • Le rapport d'Ă©tape remis par l'Observatoire de la laĂŻcitĂ© est reçu positivement par le site communautaire Saphir News : « Avec son rapport d'Ă©tape publiĂ© le 25 juin [2013], l'Observatoire de la laĂŻcitĂ© semble vouloir jouer la carte de l'apaisement auprès des musulmans en France en Ă©loignant, pour le moment, la perspective d'une nouvelle loi contre les signes religieux dans les crèches privĂ©es »[49].
  • Le magazine Marianne critique le « rapport d'Ă©tape » de l'Observatoire de la laĂŻcitĂ©, en ce que ce dernier considère que « la loi de 1905 et celles qui l’ont suivie et complĂ©tĂ©e, ainsi que les jurisprudences de la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme, du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation donnent dĂ©jĂ  un certain nombre de rĂ©ponses prĂ©cises [sur la question de la laĂŻcitĂ©] ». Comparant l'arrĂŞt de cassation rendu par la Cour de cassation dans l'affaire Baby Loup[50] et l'arrĂŞt de rejet rendu par cette mĂŞme juridiction le mĂŞme jour dans une affaire similaire concernant une salariĂ©e de caisse primaire d'assurance maladie[51], le magazine Marianne estime au contraire que la jurisprudence de la Cour de cassation est « floue » et que la diffĂ©rence de traitement juridique entre les deux affaires est « absurde »[52]. Ă€ l'opposĂ©, le journal Les Echos considère que cette jurisprudence « s'explique » et que la diffĂ©rence de traitement est « justifiĂ©e »[53]
  • Alain Finkielkraut estime, dans cette affaire, qu'Ă  l'intĂ©rieur de la gauche le courant « utopiste » de Jean-Louis Bianco a triomphĂ© face aux partisans d'une laĂŻcitĂ© plus ferme tels Élisabeth Badinter ou Manuel Valls. Ce courant ne veut pas voir, d'après le philosophe, les problèmes avec l'islam en France, et il laisse la voie libre Ă  Marine Le Pen qui apparaĂ®t comme la seule Ă  dĂ©fendre la laĂŻcitĂ©[54].
  • Jeannette Bougrab, prĂ©sidente de la Halde d'avril Ă  novembre 2010, a vigoureusement dĂ©fendu la crèche lors du premier procès. Elle estime que la dĂ©cision de la Cour de cassation est un drame. La chambre sociale renvoie les parties devant la cour d'appel de Paris, mais entre-temps la crèche va fermer parce qu'elle est devenue ingĂ©rable : la plaignante rĂ©clame 100 000 euros, ce qui est impossible pour une crèche associative. Du coup, des familles, souvent monoparentales, vont se retrouver sans mode de garde. Les mamans de Baby Loup sont souvent des femmes de mĂ©nage, des policières… Plus gĂ©nĂ©ralement, Jeannette Bougrab considère que Chanteloup-les-Vignes est un territoire perdu de la RĂ©publique et qu'Ă  la place de Baby Loup, on y voit apparaĂ®tre des crèches coraniques. Jeannette Bougrab dĂ©clare : « La gauche laĂŻque n'existe plus. Il n'y a que des individus isolĂ©s, aujourd'hui menacĂ©s en France, qui dĂ©fendent la laĂŻcitĂ©. En première instance pour Baby Loup, il y avait le Catalan Manuel Valls, la Juive d'Europe de l'Est Élisabeth Badinter et moi, la fille de harki musulman. C'Ă©tait bizarre que nous soyons les trois personnalitĂ©s prĂ©sentes pour dĂ©fendre le principe de laĂŻcitĂ©. Les Français de souche catholiques ont en rĂ©alitĂ© abandonnĂ© ce principe. Les premiers coupables, c'est la RĂ©publique, c'est la France, ce sont les autoritĂ©s de l'État, les Ă©lites françaises, qui ont une espèce de culpabilitĂ© postcoloniale et qui nous considèrent comme infĂ©rieurs, d'oĂą le diffĂ©rentialisme culturel ambiant. » Selon elle, cette affaire dĂ©passe largement le problème de Baby Loup et nous assisterions au changement du pacte social qui est la base de la sociĂ©tĂ© française : « ce qui s'est passĂ© ces dernières annĂ©es, c'est qu'il y a eu un nouveau pacte social. Le contrat social a Ă©tĂ© rĂ©Ă©crit, sans consentement Ă©clairĂ©, il a Ă©tĂ© fait par consentement tacite et non pas explicite de la sociĂ©tĂ©. Nous sommes dans un système communautariste Ă  l'anglo-saxonne. »
  • Selon un sondage BVA pour iTĂ©lĂ©-CQFD du , 87 % des personnes interrogĂ©es sont en accord avec la position de la crèche Baby-Loup[55]

Situation de la crèche pendant et après l'affaire

À la suite de l'arrêt de cassation de la chambre sociale de la Cour de cassation de 2013, la crèche prétend que sa situation s'est dégradée. Elle affirme que la tension monte entre certains parents et la direction de la crèche. L'association décrit une « irritation latente » des familles qui, de plus en plus, expriment des exigences liées à la religion[56]. Afin d'échapper aux « pressions » qu'elle affirme subir, la crèche décide, à la fin de l'année 2013, de quitter Chanteloup-les-Vignes[57] où elle était implantée depuis 12 ans. Elle rouvre dans la ville voisine de Conflans-Sainte-Honorine en mars 2014[1] - [2].

En , la crèche est menacée de fermeture pour des raisons financières[58].

Mais grâce à des subventions émanant de la réserve parlementaire de la députée Valérie Pécresse[59], la situation s'est améliorée.

Incidence sur la législation

À l'été 2016, un nouvel article est introduit dans le Code du travail autorisant les entreprises à inscrire le principe de neutralité issu du droit du service public dans leur règlement intérieur. Ces dispositions sont issue de l'amendement à la loi travail déposé par la sénatrice PRG Françoise Laborde[60].

Adaptation en fiction

En février 2023, l'auteur François Hien monte une pièce de théâtre librement inspiré de l'affaire Baby-Loup, mise en scène collectivement avec les comédiennes : La crèche, mécanique d'un conflit, jouée au TNP à Villeurbanne[61] - [62] puis dans une version légèrement modifiée au Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis[63] - [64].

Notes et références

  1. Yves Fossey, « Baby Loup s’installe début mars à Conflans : Marquée par les conséquences de l’affaire de la nounou voilée, la crèche Baby Loup a choisi de quitter Chanteloup pour la ville voisine », Le Parisien,‎ (lire en ligne, consulté le )
  2. « Baby-Loup devant la Cour de cassation », Libération, Paris,‎ (lire en ligne, consulté le )
  3. Marie-Nicole Rubio, « Baby-Loup, un cas d’école », La Pensée,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. Élodie Emery, « Baby Loup : une brochette de stars laïques défend une crèche exemplaire », Marianne, Paris,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. Anne-Sophie Faivre Le Cadre, « La France « condamnĂ©e » par l’ONU dans l’affaire Baby-Loup ? Une affirmation Ă  nuancer », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  6. « convert », sur archive.wikiwix.com (consulté le )
  7. « Cour d'appel de Versailles, 11e Chambre, 10/05642, 27 octobre 2011. » (consulté le )
    Texte de la décision et commentaire sur le site du Barreau de Chambéry
  8. Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 19 mars 2013, 11-28.845, Publié au bulletin, lire en ligne : sur Légifrance, sur le site officiel de la Cour de cassation
  9. Julien Van Caeyseele, « Une crèche risque la fermeture pour une affaire de voile », L'Express,‎ (lire en ligne)
  10. Catherine Coroller, « La Halde en souffrance », sur liberation.fr, (consulté le )
  11. Stéphanie Le Bars, « Laïcité : l'affaire de la crèche Baby Loup relance le débat sur le port du voile : La salariée voilée n'était pas tenue à la neutralité, selon une note des services juridiques de la Halde », Le Monde, Paris,‎
  12. Thomas Vampouille, « L'affaire Baby Loup crée des remous au sein de la Halde », Le Figaro, Paris,‎ (lire en ligne)
  13. « Baby-Loup, débat pollué », Libération.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  14. « Le HCI soutient la crèche Baby Loup qui a licencié une salariée voilée », Libération,‎ (lire en ligne)
  15. CA Paris, 27 novembre 2013, RG S 13/02981
  16. Lexpress.fr du 27 novembre 2013
  17. "Entreprises identitaires et religion", par Michel Morand, Semaine Sociale Lamy, no 1611, Supplément du 23/12/2013.
  18. « Crèche Baby-Loup : l'affaire à nouveau devant la Cour de Cassation en juin », sur leparisien.fr, (consulté le )
  19. Cass., Ass., 25 juin 2014, 13-28.369, Publié au bulletin (lire en ligne)
  20. « Avis de l’observatoire de la laïcité sur la définition et l’encadrement du fait religieux dans les structures privées qui assurent une mission d’accueil des enfants. », sur http://www.laicite.gouv.fr, (consulté le )
  21. « Baby-Loup: la Cour de cassation confirme le licenciement de Fatima Afif », L'Humanité,‎ (lire en ligne, consulté le )
  22. « Crèche Baby-Loup: le licenciement de la salariée voilée confirmé par la Cour de cassation », sur Le Huffington Post (consulté le )
  23. « Crèche Baby Loup : la Cour de cassation confirme le licenciement de la salariée voilée », Franceinfo,‎ (lire en ligne, consulté le )
  24. « Baby-Loup: La Cour de cassation confirme le licenciement de la salariée voilée », sur www.20minutes.fr (consulté le )
  25. Marie Lemonnier, « Baby-Loup : la France condamnée à l'ONU pour "discrimination envers les femmes musulmanes" », sur nouvelobs.com, (consulté le )
  26. « Constatations adoptées par le Comité en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte concernant la communication no 2662/2015 », Comité des droits de l’homme,
  27. Agence France-Presse, « Crèche Baby-Loup : l’ONU critique la France pour le licenciement d’une salariée voilée », sur lemonde.fr, (consulté le )
  28. « Baby-Loup. L'ONU condamne la France et lui demande d’indemniser la salariée « discriminée » », sur ouest-france.fr, (consulté le )
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Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie indicative

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