Ăglise nationale
Une Ăglise nationale est une Ăglise chrĂ©tienne « autocĂ©phale », c'est-Ă -dire se gouvernant elle-mĂȘme dans sa juridiction territoriale, sans que d'autres Ăglises puissent interfĂ©rer.
Au Ve siĂšcle, l'empereur byzantin Maurice Ier cherche Ă imposer Ă l'Ăglise son autoritĂ© (c'est le « cĂ©saropapisme ») : de grĂ©, de force, il obtient l'accord du patriarche de Constantinople Kyriakos, mais essuie un refus de la part du pape GrĂ©goire le Grand qui dirige alors l'Ăglise de Rome. DĂšs lors, la papautĂ© byzantine mĂšne sa propre politique et pratique son propre rite romain dans une autocĂ©phalie de fait, sinon de droit canon. Au IXe siĂšcle, un autre diffĂ©rend oppose le pape LĂ©on III (qui vient d'attribuer Ă Charlemagne la dignitĂ© d'« Empereur des Romains ») au patriarche Taraise de Constantinople et surtout Ă l'impĂ©ratrice en titre, IrĂšne l'AthĂ©nienne. Enfin au XIe siĂšcle un troisiĂšme grand diffĂ©rend survient entre les patriarches de Constantinople et de Rome au sujet de l'archevĂȘchĂ© d'Ohrid, initialement dĂ©volu Ă Rome au sein de l'Ăglise chrĂ©tienne, mais ayant adoptĂ© le rite grec byzantin. Ce diffĂ©rend, en s'Ă©largissant Ă d'autres sujets, aboutira Ă la sĂ©paration des Ăglises d'Orient et d'Occident.
AprĂšs Rome, la deuxiĂšme Ăglise autocĂ©phale fut justement l'archevĂȘchĂ© d'Ohrid qui, lors de la reconquĂȘte des Balkans par l'Empire byzantin en 1018, conserva son autonomie vis-Ă -vis du Patriarcat grec de Constantinople, continuant Ă employer l'ancienne langue bulgare comme langue langue liturgique des Ă©glises de sa juridiction dans les pays bulgares et valaques (et ce, jusqu'au milieu du XVIIIe siĂšcle)[1].
Aujourd'hui les Ă©glises sont classĂ©es selon le nombre de conciles qu'elles tiennent pour valides et ĆcumĂ©niques.
Ăglises des deux conciles
L'Ăglise apostolique assyrienne de l'Orient a juridiction sur les territoires habitĂ©s par les assyriens : Levant, Moyen-Orient, diaspora. L'Ăglise malabare orthodoxe a juridiction sur les nestoriens indiens.
Ăglises des trois conciles
Les Ăglises ayant refusĂ© le concile de ChalcĂ©doine sont aussi organisĂ©es selon un territoire canonique national : ainsi l'Ăglise copte couvre toute l'Ăgypte, l'Ăglise orthodoxe Ă©thiopienne est l'Ăglise nationale de l'Ăthiopie et l'Ăglise apostolique armĂ©nienne est l'Ăglise nationale de l'ArmĂ©nie. Les chrĂ©tiens triconciliaires de Syrie, d'Irak et d'Iran ont Ă©galement leurs propres juridictions, mais en raison des persĂ©cutions du XXIe siĂšcle ils sont dĂ©sormais plus nombreux en diaspora que dans leurs pays d'origine.
Ăglises des sept conciles
Aujourd'hui, les Ăglises des sept conciles sont organisĂ©es en fonction de critĂšres nationaux selon les principes de synodalitĂ© et de collĂ©gialitĂ©. Chaque patriarche contrĂŽle une juridiction canonique nationale qui l'Ă©lit et qui lui est propre ; nul de l'extĂ©rieur ne peut intervenir pour le dĂ©loger, car le Patriarcat ĆcumĂ©nique de Constantinople n'a pas d'autoritĂ© canonique comme la PapautĂ© catholique, mais seulement une « primautĂ© d'honneur » (dĂ©volue aux Papes jusqu'en 1054 lorsque l'Ăglise de Rome se sĂ©para de la Pentarchie qu'elle ne reconnaissait d'ailleurs pas).
Au sein de l'orthodoxie, les principales Ăglises nationales sont le Patriarcat ĆcumĂ©nique de Constantinople, l'Ăglise orthodoxe grecque, Ăglise orthodoxe chypriote, l'Ăglise orthodoxe roumaine, l'Ăglise orthodoxe gĂ©orgienne, l'Ăglise orthodoxe armĂ©nienne, l'Ăglise orthodoxe russe, l'Ăglise orthodoxe serbe, l'Ăglise orthodoxe montĂ©nĂ©grine, l'Ăglise orthodoxe bulgare et l'Ăglise orthodoxe ukrainienne.
Certains pays se trouvent sous une double-juridiction canonique, avec deux Ăglises nationales superposĂ©es : c'est le cas de la Moldavie, oĂč les indigĂšnes relĂšvent du patriarcat roumain et les colons du patriarcat russe[2].
Plus rĂ©cemment, le principe des Ăglises nationales a suscitĂ© un dĂ©saccord entre le patriarcat ĆcumĂ©nique de Constantinople et le patriarcat de Moscou car ce dernier revendique le territoire canonique de l'ancienne Union soviĂ©tique, s'opposant Ă la crĂ©ation de nouvelles Ăglises comme l'Ăglise orthodoxe estonienne et le Patriarcat de Kiev, que le patriarche de Constantinople a reconnues[3].
Dans les pays non-orthodoxes, chaque Ăglise nationale a ses propres Ă©vĂȘchĂ©s hors-frontiĂšres, par exemple dans des villes comme Londres, Paris, Bruxelles, MontrĂ©al, Toronto, New York, Chicago, San Francisco ou Los Angeles oĂč il existe des Ă©vĂȘques russes, grecs, roumains et autres. Tous ne sont d'ailleurs pas rattachĂ©s au Patriarche en titre de leur Ă©glise d'origine, car durant la longue pĂ©riode communiste, les gouvernements des nations orthodoxes autres que la GrĂšce et Chypre, avaient mis les Ă©glises nationales sous tutelle (tout en promouvant un athĂ©isme dâĂtat)[4] - [5] - [6], ce qui gĂ©nĂ©ra lâapparition dâĂ©glises clandestines et la sĂ©cession de plusieurs Ă©vĂȘchĂ©s orthodoxes d'Occident, qui constituĂšrent des Ăglises orthodoxes dissidentes[7].
Ăglise catholique
Outre les sept conciles antĂ©rieurs Ă la sĂ©paration de 1054, l'Ăglise catholique romaine reconnaĂźt comme valides et ĆcumĂ©niques quatorze autres conciles, soit 21 en tout. Du point de vue « national », le gallicanisme avait Ă©tĂ© condamnĂ© au XVIIIe siĂšcle et le pape Pie IX a revendiquĂ© une juridiction universelle pour l'Ă©vĂȘque de Rome. Ainsi, l'Ăglise de Rome s'affirme universelle sous la direction unique du Pape : elle ne distingue pas d'Ăglises nationales, mais seulement des juridictions Ă©piscopales ou archiĂ©piscopales (dont les limites ne correspondent pas forcĂ©ment Ă une nation historique ou politique) et des communautĂ©s rituelles (rites latin, grec, armĂ©nien, maronite, melkite, syriaqueâŠ).
Toutefois les Ă©vĂȘques d'un mĂȘme pays sont autorisĂ©s Ă fonder une confĂ©rence Ă©piscopale nationale, comme la confĂ©rence des Ă©vĂȘques de France ou la confĂ©rence des Ă©vĂȘques catholiques des Ătats-Unis. Au Royaume-Uni il existe trois confĂ©rences Ă©piscopales distinctes (Angleterre, Ăcosse et Irlande). Selon le droit canonique, le Saint-SiĂšge peut intervenir dans les affaires d'une confĂ©rence Ă©piscopale s'il y a besoin, par exemple lorsque Joseph Ratzinger a dĂ©noncĂ© la « thĂ©ologie de la libĂ©ration » au sein du CELAM.
Depuis deux siĂšcles, les provinces et diocĂšses transnationaux disparaissent progressivement (l'Irlande constituant une exception importante Ă ce processus). Le recrutement des responsables ecclĂ©siastiques d'un mĂȘme pays et les instances de nomination des Ă©vĂȘques sont de plus en plus alignĂ©s sur l'administration territoriale civile (par exemple en France, oĂč les provinces ecclĂ©siastiques ont Ă©tĂ© remodelĂ©es pour correspondre aux rĂ©gions administratives civiles). ParallĂšlement, sous le pontificat de Jean-Paul II on a crĂ©Ă© des archevĂȘchĂ©s mĂȘme pour de trĂšs petits pays (Vaduz, Monaco, LuxembourgâŠ) ; on note des rĂ©fĂ©rences informelles plus frĂ©quentes aux diocĂšses « de Bruxelles » ou « de Budapest » (au lieu de « de Malines » ou « d'Esztergom ») et une rĂ©duction dans l'importance des primautĂ©s historiques au profit des chefs-lieux (par exemple GnieznoâVarsovie).
Il existe des Ăglises catholiques dissidentes qui refusent la juridiction universelle du souverain pontife : ce sont les Ăglises « vieilles-catholiques » et la partie de l'Ăglise catholique en Chine infĂ©odĂ©e au Parti communiste chinois (qui la qualifie de « patriotique », tandis que la partie fidĂšle au Pape, clandestine, est qualifiĂ©e de « traĂźtre Ă la patrie »).
Ăglises rĂ©formĂ©es
Au moment de la RĂ©forme, le principe des Ăglises nationales a Ă©tĂ© enseignĂ© par Thomas Erastus : c'est l'Ă©rastianisme. La suprĂ©matie temporelle du roi Ă©tait valorisĂ©e au-dessus de la primautĂ© pontificale selon la formule Cujus regio, ejus religio.
L'Ăglise d'Angleterre et l'Ăglise Ă©vangĂ©lique luthĂ©rienne, l'Ăglise d'Ăcosse, l'Ăglise d'Irlande, l'Ăglise de SuĂšde, l'Ăglise de NorvĂšge, l'Ăglise Ă©vangĂ©lique-luthĂ©rienne de Finlande, l'Ăglise d'Islande, l'Ăglise du Danemark sont toutes organisĂ©es selon des critĂšres nationaux. En AmĂ©rique, un grand nombre d'Ăglises nationales, diffĂ©rentes par leur histoire et leur thĂ©ologie, partagent le mĂȘme territoire canonique : Canada, Ătats-Unis, BrĂ©silâŠ
Voir aussi
Liens externes
- La notion d'Ăglise nationale expliquĂ©e par le pĂšre Job Getcha [archive du 08/08/2007]
- The Church As Nation: A Study in Ecclesiology and Nationhood, Kjell Bluckert, 2000
- Dossier du canoniste Grigorios D. Papathomas, Face au concept dââĂglise nationaleâ, la rĂ©ponse canonique orthodoxe : lâĂglise autocĂ©phale (Les carences ecclĂ©siologiques au sein de lâĂglise nationale et les âfaiblessesâ dans la rĂ©ception de lâĂglise autocĂ©phale)
Notes et références
- Iordan Andreev, Ivan Lazarov, Plamen Pavlov, (bg) Koj 'e v srednovekovna BÄlgarija, Sofia, 1999.
- Jean-Arnault DĂ©rens : Orthodoxie en Moldavie: les dĂ©fis identitaires dâun petit pays malmenĂ© par lâhistoire, « Religioscope », 9 avril 2005 sur
- « Ukraine: L'orthodoxie divisée, le "patriarche PhilarÚte" fait dissidence », sur cath.ch (consulté le )
- (en) Robert Wuthnow, The encyclopedia of politics and religion, Congressional Quarterly, 1998, (ISBN 156802164X et 9781568021645), pages 173-174.
- Igor Chafarevitch, La Législation sur la religion en URSS : rapport au Comité des droits de l'homme, Seuil, Paris 1974 - trad. Michel Fedorov)
- Contrairement Ă une idĂ©e rĂ©pandue, les Ătats communistes ne pratiquaient pas la laĂŻcitĂ© qui nâinterdit ni les cultes ni le prosĂ©lytisme, mais sĂ©pare lâĂtat des religions quâelle laisse libres : la laĂŻcitĂ© ne promeut ni lâathĂ©isme, ni lâincroyance, ni la croyance, et assure la libertĂ© de conscience dans le respect de la loi ; pour leur part, les rĂ©gimes communistes, aprĂšs la consolidation de leur pouvoir et la mort en dĂ©tention des hiĂ©rarques et des clercs insoumis ou rĂ©fractaires, prirent le contrĂŽle de la pratique religieuse en rĂ©munĂ©rant les clercs. Certains des lieux de formation thĂ©ologique fermĂ©s dans la pĂ©riode initiale (jusquâen 1941 en URSS, jusquâen 1960 dans les autres pays communistes) furent remis en fonction, sous Ă©troite surveillance de la police politique communiste ; les lieux de culte encore debout furent progressivement rouverts (dâabord seulement pour les fĂȘtes majeures) et les nouveaux clercs tolĂ©rĂ©s par le rĂ©gime devinrent, bon grĂ© mal grĂ©, des collaborateurs des autoritĂ©s : une « blague dissidente » affirmait : « Si tu veux dĂ©noncer quelque chose ou quelquâun Ă la police politique sans te dĂ©voiler comme dĂ©lateur, va te confesser Ă l'Ă©glise ! » (en) Victor A. Pogadaev, « The origin and classification of Russian anecdotes as a folklore genre », Folklore and Folkloristics, UniversitĂ© de Malaya, vol. 5, no 2,â , p. 9-17 (lire en ligne [PDF]).
- William C. Fletcher, LâĂglise clandestine en union soviĂ©tique, A. Moreau, Paris 1971.