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Violence sexuelle pendant la guerre de libération du Bangladesh

Au cours de la guerre de libĂ©ration du Bangladesh en 1971, des membres de l'armĂ©e pakistanaise et des milices razakar ont menĂ© une campagne systĂ©matique de viol en tant qu'arme de gĂ©nocide qui a frappĂ© 200 000 Ă  400 000 femmes et filles bangladaises (en)[1] - [2] - [3] - [4]. La majoritĂ© des victimes de l'armĂ©e pakistanaise et de ses alliĂ©s sont les femmes hindou. Les imams et les chefs religieux musulmans avaient dĂ©clarĂ© que les femmes Ă©taient un « butin de guerre » et approuvaient les viols[5] - [6]. Les militants et les chefs des partis islamiques ont aussi Ă©tĂ© accusĂ©s d'avoir participĂ© au viols et aux enlĂšvements des femmes[6].

Les musulmanes bangladaises considérées comme proches des hindous ont subi des grossesses forcées afin de créer des musulmans « purs »[7]. Certains experts pensent que ces viols avaient pour fonction de terroriser autant la population majoritaire des musulmans bangladais (en) que la minorité des hindous bangladais (en). Ces violences sexuelles ont apparemment entraßné des milliers de grossesses, de naissances d'enfants de la guerre, d'avortements, d'infanticides, de suicides et l'ostracisation des victimes. Ces atrocités, reconnues comme l'un des plus grands épisodes de crimes de guerre dans le monde[8], se sont terminées aprÚs la reddition de l'armée pakistanaise et des milices alliées[9] - [10].

Pendant la guerre, les nationalistes bangladais ont aussi commis des viols de masse contre les femmes musulmanes Bihari, car la communauté biharie soutenait le Pakistan[11]. Des soldats indiens ainsi que des milices bangladaises font partie des auteurs de viols d'aprÚs Yasmin Saikia[12] - [13]. Celle-ci a reçu plusieurs rapports indiquant que les hommes pakistanais, bangladais et biharis ont violé les femmes hindou pendant la guerre[14].

L'histoire des victimes a inspirĂ© des ouvrages, des films et d'autres Ɠuvres.

Contexte

Carte de la partition des Indes.

AprĂšs la partition des Indes et la crĂ©ation du Pakistan, les deux parties du Pakistan oriental et du Pakistan occidental sont sĂ©parĂ©es Ă  la fois gĂ©ographiquement et culturellement. Les autoritĂ©s de la partie occidentale considĂšrent que les musulmans bengalis (en) de l'Est sont « trop bengalis » et leur pratique de l'islam est « infĂ©rieure et impure », ce qui les rend indignes de confiance. Pour y remĂ©dier, la partie occidentale entreprend une stratĂ©gie d'assimilation culturelle forcĂ©e des Bengalis[15]. Les Bengalis de la partie orientale sont principalement musulmans mais il existait d'importantes minoritĂ©s hindou. Une faible partie de la population parle l'ourdou, qui est dĂ©clarĂ© langue nationale du Pakistan en 1948[16]. Pour montrer leur opposition, des militants du Pakistan oriental fondent le Mouvement pour la Langue. Un peu plus tĂŽt, en 1949, d'autres militants fondent la ligue Awami comme alternative Ă  la ligue musulmane au pouvoir dans le Pakistan oriental[17]. Pendant les quinze annĂ©es suivantes, les Bengalis sont de plus en plus mĂ©contents du fonctionnement des pouvoirs au Pakistan, qui vivait sous un rĂ©gime militaire ; certains ont fini par rĂ©clamer la sĂ©cession[18] - [19]. À la fin des annĂ©es 1960, une vision largement partagĂ©e voulait que les peuples du Pakistan oriental soient des citoyens de seconde zone. Cette impression ne s'est pas amĂ©liorĂ©e avec les dĂ©clarations d'Amir Abdullah Khan Niazi, chef des forces armĂ©es du Pakistan occidental, qui appelait la partie orientale « une basse terre pour un peuple bas et menteur »[20].

Le Pakistan occidental connaissait aussi des oppositions au régime militaire. L'armée a fini par reculer et, en décembre 1970, se tiennent les premiÚres élections législatives. Nombre d'observateurs sont surpris de constater que la ligue Awami du Pakistan oriental, menée par Sheikh Mujibur Rahman, obtient une large majorité. Les classes dirigeantes du Pakistan occidental n'apprécient guÚre ce résultat[21]. AprÚs les élections, un général déclare à Dakka : « ne vous inquiétez pas, nous n'allons pas nous laisser diriger par ces connards noirs »[22] - [23]. Peu aprÚs, le président Yahya Khan interdit la ligue Awami et décrÚte la loi martiale au Pakistan oriental[24] - [25].

Avec le dessein de mater le nationalisme bengalais (en), l'armĂ©e pakistanaise lance l'opĂ©ration Searchlight le 25 mars 1971[26]. D'aprĂšs Eric Heinze, les militaires pakistanais ciblaient Ă  la fois les musulmans et les hindous bengalais[27]. S'ensuit le gĂ©nocide au Bangladesh, oĂč l'armĂ©e fait jusqu'Ă  3 millions de morts, cause la fuite de 10 millions de rĂ©fugiĂ©s vers l'Inde et dĂ©place par ailleurs 30 millions de personnes dans le Pakistan oriental[28].

Rounaq Jahan (en) soulĂšve des Ă©lĂ©ments de racisme dans les rangs de l'armĂ©e pakistanaise qui, d'aprĂšs lui, considĂšre les Bengalis comme « racialement infĂ©rieurs : une race non guerriĂšre et physiquement faible » et il accuse les militaires d'avoir programmĂ© les viols comme une arme de guerre[29] - [30]. Pour Rudolph Joseph Rummel, l'armĂ©e pakistanaise mĂ©prisait les Bengalis en les considĂ©rant comme des « sous-hommes » et voyait les hindous « de la mĂȘme maniĂšre que les nazis voyaient les Juifs, c'est-Ă -dire comme une racaille et une vermine qu'il vaut mieux exterminer »[31]. Au cours de la guerre, l'expression de ce racisme envers des Bengalis considĂ©rĂ©s comme infĂ©rieur se concrĂ©tise en « rĂ©parant » leur matĂ©riel gĂ©nĂ©tique via des grossesses forcĂ©es[32]. BelĂ©n MartĂ­n Lucas estime que la vague de viols est motivĂ©e par des « motifs ethniques »[33].

Actes de l'armée pakistanaise

Les attaques sont dirigées par le général Tikka Khan, qui préside à l'opération Searchlight et que les Bengalis ont surnommé le « boucher des Bengalis » à cause de ses crimes. Quand on rappelait à Khan qu'il opérait contre une opinion majoritaire le 27 mars 1971, il a répondu : « je vais réduire cette majorité à une minorité »[34] - [35]. Bina D'Costa estime qu'une anecdote sur Khan est lourde de sens, car elle prouve que les agressions sexuelles de masse constituent une stratégie intentionnelle. Dans cette anecdote, Khan se trouve à Jessore et s'entretient avec un groupe de journalistes à qui il déclare : Pehle inko Mussalman karo (« d'abord, faisons d'eux des musulmans »). D'Costa considÚre que cette attitude monte que les plus hauts gradés de l'armée voyaient dans les Bengalis des musulmans déloyaux et des Pakistanais dépourvus de sentiment patriotique[36].

Les criminels mĂšnent des assauts nocturnes et agressent les femmes dans leurs propres villages[37], souvent sous les yeux de leur famille, dans le cadre de la campagne de terreur[38]. Des victimes, d'un Ăąge s'Ă©tendant de 8 Ă  75 ans, sont enlevĂ©es et dĂ©tenues dans des « camps de viol » oĂč elles subissent des agressions rĂ©pĂ©tĂ©es. De nombreuses dĂ©tenues de ces camps sont assassinĂ©es ou se suicident[39] - [40] ; certaines se tuent en utilisant leurs propres cheveux pour se pendre et les soldats, pour prĂ©venir ces actes, coupent les cheveux des femmes[36]. Le magazine Time relate l'enlĂšvement de 563 filles dĂ©tenues par l'armĂ©e et qui sont enceintes de trois Ă  cinq mois quand les soldats les relĂąchent[41]. Certaines femmes sont contraintes Ă  la prostitution forcĂ©e[42]. Le gouvernement pakistanais estime que les viols ont frappĂ© quelques centaines de femmes[43] mais d'autres estimations comptent de 200 000[44] Ă  400 000 victimes[45]. Le gouvernement pakistanais tente de censurer les signalements diffusĂ©s dans la rĂ©gion mais les articles des mĂ©dias sur les atrocitĂ©s commises bĂ©nĂ©ficient d'une audience internationale et suscitent un vaste mouvement de soutien envers la cause bengalie[46].

Jenneke Arens voit dans ces actes une tentative intentionnelle de dĂ©truire un groupe ethnique et de nombreuses victimes sont violĂ©es et assassinĂ©es puis leurs organes sont mutilĂ©es Ă  la baĂŻonnette[47]. Adam Jones dĂ©clare que l'une des motivations prĂ©sidant aux viols massifs rĂ©side dans la volontĂ© de saper la sociĂ©tĂ© bengalie en « dĂ©shonorant » les femmes et que certaines victimes sont violĂ©es jusqu'Ă  ce qu'elles meurent ou sont tuĂ©es aprĂšs des agressions rĂ©pĂ©tĂ©es[48] - [49]. La Commission internationale de juristes conclut que les atrocitĂ©s perpĂ©trĂ©es par l'armĂ©e pakistanaise « s'inscrivent dans un programme prĂ©mĂ©ditĂ© par une armĂ©e disciplinĂ©e »[50]. L'Ă©crivain Mulk Raj Anand commente les actes de l'armĂ©e pakistanaise en ces termes : « les viols Ă©taient tellement systĂ©matiques et gĂ©nĂ©ralisĂ©s qu'ils ne pouvaient qu'ĂȘtre l'effet d'une campagne prĂ©mĂ©ditĂ©e par les Pakistanais orientaux afin de susciter une nouvelle race ou de diluer le nationalisme bengali »[51]. Amita Malik (en), dans un article rĂ©digĂ© au Bangladesh aprĂšs la capitulation de l'armĂ©e pakistanaise, raconte qu'un soldat du Pakistan occidental dĂ©clare : « nous partons. Mais nous laissons nos graines dans notre sillage »[52].

Certains militaires pakistanais n'approuvent pas ces violences, par exemple le gĂ©nĂ©ral Sahabzada Yaqub Khan, qui a dĂ©conseillĂ© au prĂ©sident de lancer une campagne militaire[53], et le major Ikram Sehgal (en) ont tous deux dĂ©missionnĂ© pour manifester leur rĂ©probation, tout comme Asghar Khan (en). Le politicien Ghaus Bakhsh Bizenjo (en) et Khan Abdul Wali Khan (chef du Parti Awami national) ont protestĂ© contre les actes de l'armĂ©e. Des personnalitĂ©s sont emprisonnĂ©es Ă  cause de leur opinion sur les violences, comme Sabihuddin Ghausi (en) et I. A. Rahman (tous deux journalistes), le chef sindi Ghulam Murtaza Shah Syed, le poĂšte Ahmad Salim (en), Anwar Pirzado (membre de l'armĂ©e de l'air), le professeur M. R. Hassan, Tahera Mazhar et Imtiaz Ahmed[54]. Malik Ghulam Jilani, arrĂȘtĂ© lui aussi, s'oppose ouvertement Ă  l'opĂ©ration armĂ©e Ă  l'Est et une lettre qu'il a Ă©crite Ă  Yahya Khan est largement diffusĂ©e. Altaf Hussain Gauhar, Ă©diteur du journal Dawn, est aussi emprisonnĂ©[55]. En 2013, le gouvernement du Bangladesh honore Jilani et Faiz Ahmed Faiz pour leurs actions[56].

RĂŽle des milices

D'aprÚs Peter Tomsen (en), les services secrets du Pakistan, appelés la Direction pour le renseignement inter-services, en coordination avec le parti politique Bangladesh Jamaat-e-Islami, a formé des milices comme Al-Bar (« la Lune ») et Al-Shams (« le Soleil ») pour mener des opérations contre le mouvement nationaliste[57] - [58]. Ces milices visaient des non-combattants et ont commis des viols ainsi que d'autres crimes[12]. Les collaborationnistes locaux, les razakars, ont eux aussi participé aux atrocités. Depuis cette époque, leur nom est devenu un terme péjoratif, dont la signification est proche de la référence occidentale à « Judas »[59].

Des membres de la ligue musulmane, comme les partis Nizam-e-Islam (en), Jamaat-e-Islami et Jamiat Ulema Pakistan, qui étaient perdants dans les élections, ont collaboré avec l'armée et collecté des renseignements pour son compte[60]. Des membres de Jamaat-e-Islami, dont certains chefs, ont collaboré avec l'armée pakistanaise dans des crimes de viols et de meurtres ciblés[61]. Les atrocités commises par Al-Badr et Al-Shams ont attiré l'attention des agences de presse à l'international : des récits de massacres et de viols sont largement relayés[58].

Victimes hindoues

Les Forces armées du Pakistan ainsi que leurs alliés ont principalement ciblé les femmes hindoues pour les violer[62] - [63]. Les élites pakistanaises croyaient que les hindous avaient orchestré la rébellion et qu'en réglant le « problÚme hindou », le conflit parviendrait à son terme. Les Pakistanais voyaient dans les violences perpétrées contre les hindous une opération stratégique[64]. L'armée voulait exclure les hindous de la population du Pakistan oriental, néanmoins les femmes hindoues sont les principales cibles des soldats[65]. Les hommes musulmans du Pakistan imaginaient que le sacrifice des femmes hindoues était nécessaire pour régler l'agitation nationale[66]. Certains indices laissent penser que les imams et les mollah ont approuvé les viols commis par l'armée pakistanaise en publiant des fatwas selon lesquelles les femmes sont un « butin de guerre ». Une fatwa émise pendant la guerre au Pakistan occidental déclare que les femmes capturées auprÚs les hindous bengalis avaient le statut d'un butin de guerre[6] - [67].

Les soldats, principalement punjabis, dĂ©testaient tout ce qui avait trait Ă  l'hindouisme[68]. La haine extrĂȘme que portaient les Pakistanais aux hindous se manifestait dans leurs violences particuliĂšrement brutales envers les hindoues : l'armĂ©e et ses alliĂ©s locaux violaient et tuaient les hindoues. Les femmes bengali soupçonnĂ©es d'un quelconque lien avec l'identitĂ© « hindoue » subissaient elles aussi les viols de l'armĂ©e. Les victimes Ă©taient capturĂ©es puis emmenĂ©es dans des camps ouverts dans tout le pays[69]. Dans ces camps et cantonnements militaires, les soldats de l'armĂ©e pakistanaise dĂ©tenaient les femmes et filles pour les asservir en tant qu'esclaves sexuelles[70] - [71]. Les prisonniĂšres hindoues y Ă©taient violĂ©es[63]. Les soldats perpĂ©traient ces crimes Ă  une Ă©chelle massive pour dĂ©truire, chez les victimes, la religion, la position sociale et leur estime d'elles-mĂȘmes[72]. En violant les hindoues, les criminels cherchaient Ă  interfĂ©rer dans les filiations de leur communautĂ©[63]. L'ampleur totale de ces violences sexuelles commises en masse dĂ©montrent une volontĂ© gĂ©nocidaire[73]. Dans l'affaire Akayesu, le tribunal du Bangladesh a soulignĂ© que les violences dirigĂ©es contre les hindoues n'Ă©taient pas des agressions individuelles mais motivĂ©es par leur appartenance Ă  une communautĂ©[73].

Bina D'Costa a interrogé de nombreux témoins qui ont insisté sur la brutalité de l'armée pakistanaise dans son « traitement » des hindous. Les membres interrogés dans la communauté hindoue ne doutent pas qu'ils sont victimes de persécutions aux mains des Pakistanais et des Razakaar. Des femmes hindoues enlevées par les soldats ont disparu sans laisser de traces et la plupart d'entre elles ont été violées puis assassinées. Bina D'Costa a recueilli le récit des familles de deux femmes hindoues enlevées par les soldats « Punjabi » : aucune n'est rentrée à la maison aprÚs la guerre[7].

Conséquences

AussitĂŽt aprĂšs la guerre, un problĂšme urgent Ă©tait le nombre trĂšs Ă©levĂ© de grossesses non dĂ©sirĂ©es chez les victimes des violences. Les estimations des grossesses menĂ©es Ă  terme varie de 25 000[74] Ă  70 000[75] (ce nombre est proposĂ© par le gouvernement du Bangladesh) ; un article du Centre for Reproductive Law and Policy indique un total de 250 000[76]. Le gouvernement instaure un programme d'aide avec le soutien de l'Organisation mondiale de la santĂ© et de l'International Planned Parenthood Federation, dont l'une des missions consiste Ă  organiser des systĂšmes d'interruption volontaire de grossesse pour secourir les victimes de grossesses issues des viols. Un mĂ©decin de Dacca signale 170 000 avortements dans ce cadre ainsi que la naissance de 30 000 bĂ©bĂ©s de guerre au cours du premier trimestre 1972[77]. Le mĂ©decin australien Geoffrey Davis (en), qui a exercĂ© pour le programme d'aide, estime que les avortements auto-provoquĂ©s (en) ont touchĂ© 5 000 victimes[78]. Il dĂ©clare aussi avoir entendu de nombreux rĂ©cits d'infanticides et de suicides chez les victimes. D'aprĂšs ses estimations, les victimes de ces viols reprĂ©sentent 400 000 personnes, soit deux fois plus que le chiffre officiel annoncĂ© par le gouvernement du Bangladesh[79]. En outre, de nombreuses victimes ont Ă©tĂ© contaminĂ©es par des infections sexuellement transmissibles[80]. De nombreuses femmes ont souffert d'un sentiment prononcĂ© de honte et d'humiliation et certaines ont subi l'ostracisme de leurs familles et de leurs communautĂ©s ou se sont suicidĂ©es[81].

D'aprĂšs l'Ă©crivain fĂ©ministe Cynthia Enloe, certaines grossesses sont l'effet dĂ©libĂ©rĂ©ment recherchĂ© des soldats et peut-ĂȘtre aussi de leurs officiers[76]. Selon un rapport de la Commission internationale de juristes, « quel que soit le nombre prĂ©cis, les Ă©quipes de chirurgiens amĂ©ricains et britanniques qui ont pratiquĂ© des avortements et les efforts du gouvernement pour persuader la population d'accepter ces femmes dans leur communautĂ© montrent la portĂ©e de ces viols »[82]. La Commission ajoute que les officiers pakistanais n'ont pas seulement autorisĂ© leurs hommes Ă  violer : ils ont eux-mĂȘmes rĂ©duit des femmes en esclavage[83].

Au terme du conflit, les victimes sont vues comme des symboles de honte et de « pollution sociale » et de ce fait, peu d'entre elles ont pu regagner leurs familles ou leurs domiciles[84]. Le sheikh Mujibur Rahman a qualifiĂ© ces femmes de birangona (en) (« hĂ©roĂŻne ») mais ce nom mĂȘme signifiait qu'elles n'Ă©taient pas un parti acceptable aprĂšs avoir Ă©tĂ© « dĂ©shonorĂ©es »[note 1] - [84] et l'expression a pris un sens voisin de baragona (« prostituĂ©e »)[85]. La politique officielle consiste Ă  favoriser le mariage des victimes et Ă  encourager la population Ă  voir en elles des hĂ©roĂŻnes de guerre ; cette stratĂ©gie est un Ă©chec : peu d'hommes se proposent et ceux-ci espĂšrent que l'État versera une dot importante[86]. AprĂšs le mariage, la plupart des victimes sont maltraitĂ©es et la plupart des hommes, aprĂšs avoir perçu la dot, abandonnent leurs Ă©pouses[87].

Le 18 fĂ©vrier 1972, l'État crĂ©e le Bangladesh Women's Rehabilitation Board, chargĂ© de secourir les victimes de viol et de concourir au programme d'adoption des enfants issus des violences[88]. Plusieurs organismes internationaux participent Ă  ce programme, comme les sƓurs de charitĂ© de MĂšre Teresa. La majoritĂ© des bĂ©bĂ©s de guerre sont adoptĂ©s aux Pays-Bas et au Canada car l'État souhaite Ă©liminer les souvenirs du Pakistan dans la toute jeune nation[89]. Toutefois, certaines femmes ne souhaitent pas confier leur enfant, qui leur est pourtant retirĂ© par contrainte et envoyĂ© dans les rĂ©seaux d'adoption ; cette politique est encouragĂ©e par Mujibur Rahman qui dĂ©clare : « je ne veux pas de ces sangs souillĂ©s dans le pays »[90]. Beaucoup de femmes sont soulagĂ©es de recourir au programme d'avortement car elles ne voulaient pas porter un enfant conçu lors des viols ; nĂ©anmoins, d'autres victimes doivent mener leur grossesse Ă  terme tout en haĂŻssant le bĂ©bĂ© qu'elles portent. D'autres, qui ont confiĂ© leur enfant Ă  l'adoption pour revenir Ă  leur vie « ordinaire », refusaient de regarder le bĂ©bĂ© quand on l'emmenait[91]. Dans les annĂ©es 1990, nombre des enfants adoptĂ©s sont revenus au Bangladesh pour chercher leur mĂšre biologique[92]. En 2008, D'Costa a essayĂ© de trouver ces enfants adoptĂ©s ; toutefois, elle a obtenu peu de rĂ©ponses et l'un d'eux lui a dit : « J'ai dĂ©testĂ© mon enfance et maintenant je suis furieux que le Bangladesh ne m'ait pas pris en charge alors que j'en avais tant besoin. Je n'ai plus de racines et ça me dĂ©sole. C'est pour cela que j'essaie de me renseigner sur les conditions de ma naissance »[36].

Quarante ans aprĂšs la guerre, le Deutsche Welle interviewe deux sƓurs qui ont subi des viols. La premiĂšre, Aleya, raconte qu'elle a Ă©tĂ© enlevĂ©e par l'armĂ©e pakistanaise quand elle avait treize ans et qu'elle a subi des viols collectifs rĂ©pĂ©tĂ©s pendant sept mois. Elle explique qu'elle a Ă©tĂ© torturĂ©e et qu'elle Ă©tait enceinte de cinq mois quand elle est revenue chez elle. La seconde, Laily, dĂ©clare qu'elle Ă©tait enceinte quand les soldats l'ont enlevĂ©e et qu'elle a perdu son enfant. Par la suite, elle a combattu aux cĂŽtĂ©s des Mukti Bahini. Toutes deux disent que l'État n'a pas rĂ©ussi sa campagne de birangona et qu'elles n'ont reçu que « l'humiliation, les insultes, la haine et l'ostracisme »[93].

Notes et références

Note

  1. "Rape can be especially effective as a tactic of genocide when used against females of communities that cast shame upon the rape victim rather than the rapist. In such communities, the rape forever damages the social standing of the survivor. Bengali girls and women who endured the genocidal rape had to cope not only with their physical injuries and trauma, but with a society hostile to violated women. The blame for loss of honour falls not upon the rapist, but upon the raped.".[52]

Références

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Annexes

Articles connexes

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    « A consensus has formed among scholars that genocides in the 20th century encompassed (although were not limited to) the following cases: Herero in 1904–1907, the Armenian genocide in the Ottoman Empire in 1915–1923, the Holodomor in the former Soviet Ukraine in 1932–1933, the Jewish Holocaust in 1938–1945, Bangladesh in 1971, Cambodia in 1975–1979, East Timor in 1975–1999, Bosnia in 1991–1995, and Rwanda in 1994. »

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    « It is also rape unto death, rape as massacre, rape to kill and to make the victims wish they were dead. It is rape as an instrument of forced exile, rape to make you leave your home and never want to go back. It is rape to be seen and heard and watched and told to others: rape as spectacle. It is rape to drive a wedge through a community, to shatter a society, to destroy a people. It is rape as genocide »

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