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Viol en tant qu'arme de génocide

Le viol en tant qu'arme de gĂ©nocide est la pratique de viols de masse et de viols collectifs perpĂ©trĂ©s contre les membres du groupe visĂ© dans une intention de gĂ©nocide[1] - [2]. Ces crimes, en tant que partie intĂ©grante du processus gĂ©nocidaire, ont participĂ© Ă  dĂ©finir le viol comme une arme de gĂ©nocide[3]. MĂȘme si les viols de guerre sont rĂ©currents dans l'histoire des conflits humains, ils sont souvent considĂ©rĂ©s comme un « dommage collatĂ©ral » au lieu d'ĂȘtre analysĂ©s comme un Ă©lĂ©ment constitutif de la stratĂ©gie militaire[4].

Les viols en tant qu'arme d'un génocide se sont produits au cours du massacre de Nankin, de la Shoah[5], de la guerre de libération du Bangladesh[6] - [7] - [8] - [9], des guerres de Yougoslavie[10], du génocide des Tutsi au Rwanda[7] - [11], du génocide des Yézidis, de la guerre civile sud-soudanaise, du génocide des Rohingya et du génocide des Ouïghours[12] - [13]. Certains auteurs classent dans les viols en tant que génocide les agressions sexuelles commises contre les femmes lors de la partition des Indes[14].

Débats sur la place des viols dans un génocide

Certains auteurs estiment que la Convention sur le génocide de 1948 devrait clarifier que les viols massifs s'inscrivent parmi les crimes génocidaires[Note 1] - [3] - [15] - [16]. D'autres spécialistes estiment le viol en tant qu'arme de génocide est déjà inclus dans l'article 2 de la Convention. Catharine MacKinnon soutient que le viol est un procédé qui, en passant par les femmes, vise à détruire l'ensemble d'un groupe ethnique[17].

Siobhan Fisher dĂ©clare que le caractĂšre gĂ©nocidaire rĂ©side dans la grossesse forcĂ©e et non dans le viol lui-mĂȘme. Selon elle, « le viol rĂ©pĂ©tĂ© des victimes est "seulement" un viol alors que la volontĂ© de fĂ©conder les victimes est un processus plus grave »[6] - [18]. Lisa Sharlach critique cette dĂ©finition, trop restreinte, car un viol de masse ne doit pas ĂȘtre considĂ©rĂ© comme gĂ©nocidaire uniquement si les victimes sont fĂ©condĂ©es par contrainte[6].

Le viol en tant qu'arme de génocide

D'aprĂšs Amnesty International, le recours au viol en temps de guerre n'est pas un dommage collatĂ©ral des conflits mais, au contraire, une stratĂ©gie militaire dĂ©libĂ©rĂ©e et prĂ©parĂ©e[19]. Au cours des vingt-cinq derniĂšres annĂ©es, la guerre a changĂ© : au lieu de conflits entre États, il devient plus courant d'assister Ă  des guerres civiles communautaires au sein d'un État. Dans ces conflits, il est de plus en plus banal de voir des criminels (rattachĂ©s ou non Ă  l'autoritĂ© de l'État) perpĂ©trer des viols contre la population civile. Les journalistes et les ONG des droits humains ont recensĂ© des campagnes de viols dans plusieurs cadres : en ex-Yougoslavie, au Sierra Leone (en), au Rwanda, au Liberia, au Soudan, en Ouganda et au Congo[20].

Ces viols massifs servent deux objectifs. D'abord, semer la terreur chez la population civile, dans l'intention de forcer les groupes Ă  fuir en abandonnant leurs biens. Ensuite, affaiblir les perspectives d'un retour et d'une reconstitution du groupe visĂ©, aprĂšs lui avoir infligĂ© des humiliations et dĂ©stabilisĂ© sa cohĂ©sion sociale. Ces deux objectifs revĂȘtent une importance stratĂ©gique pour les criminels non rattachĂ©s Ă  un État, car ils cherchent Ă  Ă©liminer la prĂ©sence physique de leurs victimes. Le viol de masse se prĂȘte bien aux opĂ©rations de « nettoyage ethnique » et de gĂ©nocide, car l'objectif est de dĂ©truire une population, de la dĂ©placer de force et de tuer toute vellĂ©itĂ© d'un retour[20].

Le viol en tant qu'arme de génocide vise aussi à imposer des grossesses : l'agresseur ne se borne pas à envahir les terres d'une population, mais il interfÚre aussi dans les filiations et les communautés familiales. Néanmoins, les viols n'épargnent pas les femmes qui ne peuvent pas tomber enceintes : les agressions concernent une large tranche d'ùge, depuis les enfants jusqu'aux femmes de quatre-vingt ans[21] - [22].

Crime contre l'humanité et crime de guerre

Avant les annĂ©es 1990 et la crĂ©ation de tribunaux pĂ©naux internationaux pour juger les crimes commis durant la guerre civile au Rwanda et les guerres en ex-Yougoslavie, les crimes sexuels comme outils de guerre Ă©taient punis comme actes de torture ou de rĂ©duction en esclavage[23]. En 1993, le viol est inclus dans la liste des crimes contre l'humanitĂ© dans le cadre de l'article 5 des statuts du Tribunal pĂ©nal international pour l'ex-Yougoslavie, qui Ă©tablit la liste de crimes habilitĂ©s Ă  ĂȘtre jugĂ©s par la Cour. En 1994, le Tribunal pĂ©nal international pour le Rwanda introduit la prostitution forcĂ©e parmi les crimes de guerre[23].

Le Statut de Rome, visant à établir une norme pénale internationale sur les crimes de guerre et adopté en 1998 lors de la Conférence des Nations unies à Rome, inclut la prostitution forcée dans les crimes contre l'humanité (article 7) et les crimes de guerre (article 8)[24].

Cas documentés

Pendant la guerre sino-japonaise de 1937-1945, l'armĂ©e impĂ©riale japonaise qui a envahi Nankin a commis des agressions que la postĂ©ritĂ© connaĂźt sous le nom de « viol de Nankin ». Adam Jones y voit « l'un des pires exemples de viol en tant qu'arme de gĂ©nocide ». Au cours de cette campagne, des dizaines de milliers de femmes sont victimes de viols collectifs et d'assassinats[25]. Le tribunal militaire international pour l'ExtrĂȘme-Orient estime le nombre de victimes Ă  20 000, dont de jeunes enfants et des femmes ĂągĂ©es[26]. Nombre de ces agressions Ă©taient systĂ©matiques : les soldats entraient dans chaque logement pour s'emparer des jeunes filles ; beaucoup de femmes, retenues prisonniĂšres, subissaient un viol collectif[27]. Les victimes Ă©taient souvent tuĂ©es aussitĂŽt aprĂšs avoir subi des viols et les mĂ©thodes d'exĂ©cution consistent parfois Ă  leur infliger de graves mutilations sexuelles[28] ; d'autres Ă©taient mutilĂ©es par l'insertion d'une baĂŻonnette, d'un bĂąton de bambou ou d'autres objets dans le vagin. Les jeunes enfants aussi Ă©taient visĂ©es : les soldats japonais Ă©largissaient leurs organes au couteau pour les pĂ©nĂ©trer[29]. Le , le rĂ©vĂ©rend James M. McCallum Ă©crit dans son journal :

« Je ne sais pas quand cela se terminera. Jamais je n'ai entendu ou lu autant de brutalitĂ©. Viol ! Viol ! Viol ! Nous estimons au moins 1 000 cas par nuit et beaucoup de jour. En cas de rĂ©sistance ou tout ce qui ressemble Ă  une rĂ©probation, il y a un coup de baĂŻonnette ou une balle
 Les gens sont hystĂ©riques
 Les femmes sont emportĂ©es chaque matin, aprĂšs-midi et soir. Toute l'armĂ©e japonaise semble libre d'aller et venir comme elle veut et de faire ce qui lui plaĂźt[30]. »

Au cours de la guerre de libĂ©ration du Bangladesh en 1971, les militaires pakistanais et les milices bihari et razakar alliĂ©es ont violĂ© entre 200 000[31] et 400 000[32] femmes bangladaises dans le cadre d'un campagne de viols systĂ©matiques. Certaines victimes ont Ă©tĂ© violĂ©es jusqu'Ă  80 fois en une nuit[33].

Au cours du gĂ©nocide au Rwanda, la violence a pris une tournure particuliĂšre car les femmes et les filles Ă©taient les cibles d'agressions sexuelles systĂ©matiques. Le viol a frappĂ© entre 250 000 et 500 000 victimes[34] - [35]. Les survivantes subissent la stigmatisation sociale et beaucoup d'entre elles se sont aussi trouvĂ©es infectĂ©es par le VIH. En consĂ©quence, les victimes ont Ă©tĂ© dĂ©chues de leurs droits sur les biens et les hĂ©ritages et leurs perspectives d'embauche sont rĂ©duites[36]. La premiĂšre femme accusĂ©e et condamnĂ©e pour viol en tant qu'arme de gĂ©nocide est Pauline Nyiramasuhuko[37]. Environ 1 % de ces viols ont donnĂ© lieu Ă  des naissances, soit de 2 000 Ă  5 000 enfants concernĂ©s selon les estimations. Les enfants ont vĂ©cu le mĂȘme rejet que leurs mĂšres (quand il leur restait une famille), et sont rejetĂ©s par la lignĂ©e paternelle, quand elle est connue. AjoutĂ© Ă  la difficultĂ© de raconter la filiation, au fait qu'ils soient perçus Ă  la fois comme victimes et (enfants de) bourreaux, ces Ă©lĂ©ments font qu'ils ont une perte de tout repĂšre parental, et hĂ©ritent souvent du stress post traumatique de leur mĂšre, « Ihahamuka » ou « Ihungabana » selon les mots forgĂ©s au Rwanda pour dĂ©crire spĂ©cifiquement cet Ă©tat rĂ©sultant du gĂ©nocide[38].

En 1996, Beverly Allen Ă©crit Rape Warfare: The Hidden Genocide in Bosnia-Herzegovina and Croatia oĂč, pour la premiĂšre fois, apparaĂźt le terme « viol gĂ©nocidaire » (genocidal rape) pour dĂ©crire les crimes des forces armĂ©es serbes concernant leur politique de viols avec l'intention de perpĂ©trer un gĂ©nocide[39]. Dans son ouvrage, Beverly Allen compare le viol en tant qu'arme d'un gĂ©nocide avec la guerre biologique[40]. Dans le cadre du conflit en Bosnie-HerzĂ©govine, Allen propose la dĂ©finition suivante : « une politique militaire de viols Ă  des fins de gĂ©nocide, actuellement pratiquĂ©e en Bosnie-HerzĂ©govine et en Croatie par l'armĂ©e yougoslave, les forces serbes de Bosnie et les milices irrĂ©guliĂšres appelĂ©es Chetniks »[41]. En raison de la couverture mĂ©diatique des viols massifs pendant le nettoyage ethnique perpĂ©trĂ© par les milices serbes dans les annĂ©es 1990, des experts se sont intĂ©ressĂ©s Ă  sa dimension gĂ©nocidaire. D'aprĂšs Catharine MacKinnon, les viols massifs commis par les armĂ©es serbes « rĂ©vĂšlent Ă  la fois la misogynie et le gĂ©nocide » ; elle pense que le viol peut reprĂ©senter une forme d'extermination[Note 2] - [6] - [42].

Dans l'actuelle guerre du Darfour, les milices janjawid ont perpétré des crimes (en) décrits comme des viols en tant que génocide, non seulement sur les femmes mais aussi des enfants et des bébés, frappés à mort ; la mutilation sexuelle des victimes est courante[43].

Notes et références

Notes

  1. "...le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-aprÚs, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
    a) Meurtre de membres du groupe ;
    b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
    c) Soumission intentionnelle du groupe Ă  des conditions d'existence devant entraĂźner sa destruction physique totale ou partielle ;
    d) Mesures visant Ă  entraver les naissances au sein du groupe ;
    e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
    Article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
  2. « Des viols jusqu'Ă  la mort, des massacres par viol, des viols pour tuer les victimes et leur faire souhaiter la mort. Des viols comme instrument d'exil forcĂ©, des viols pour conduire les cibles Ă  quitter leur maison et s'interdire toute perspective de retour. Des viols destinĂ©s Ă  ĂȘtre entendus, regardĂ©s et racontĂ©s Ă  autrui, des viols offerts en spectacle. Des viols pour sĂ©parer des communautĂ©s, Ă©craser une sociĂ©tĂ©, dĂ©truire un peuple. C'est cela, le viol en tant qu'arme de gĂ©nocide. »

Références

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  8. Ghadbian et Bermanzohn 2002, p. 111.
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Annexes

Articles connexes

Bibliographie

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Lien externe

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