Troque (Ancien RĂ©gime)
La troque est un privilÚge fiscal attribué dÚs le XVe siÚcle aux communautés paludiÚres du pays de Guérande (France). Son bénéfice est définitivement supprimé au XIXe siÚcle.
Description
La troque, Ă©tait le droit de sortir cent kilogrammes du sel de la zone sans payer aucune taxe, la seule contrepartie Ă©tant de ramener l'Ă©quivalent du poids Ă©changĂ© Ă GuĂ©rande[1]. Un nombre important de paludiers ou de sauniers sây consacre entre novembre et fĂ©vrier, câest-Ă -dire hors saison de culture des marais salants[N 1].
La troque sâĂ©tend vers les cantons de Bretagne occidentale â principalement Quimper, mais aussi Hennebont, Pont-Scorff, Pont-Aven, QuimperlĂ©, Pont-l'AbbĂ©, Pont-Croix, Pont-de-Buis ou Port-Launay â Ă partir du Pouliguen ou du Croisic, Ă bord de petits navires de dix Ă vingt tonneaux[2]. Les troqueurs se dĂ©placent Ă©galement par voie de terre, conduisant des caravanes de mules, chargĂ©es de 150 kg de sel ou dâoignons locaux[3].
« Les habitants de Batz supplĂ©ent Ă lâinsuffisance [de leurs] gains par leur industrieuse activitĂ©. DĂšs que les travaux des marais sont achevĂ©s, ils Ă©quipent leurs mules et leurs petits chevaux, et vont transporter du sel Ă vingt et trente lieues dans les paroisses les plus Ă©cartĂ©es. Ils lâĂ©changent contre des blĂ©s, de la cire, du lin, et revendent ces denrĂ©es dans les villes de passage. Ce commerce, qu'ils appellent la troque, les a rendus trĂšs sociables et trĂšs bon calculateurs. Presque tous savent lire et Ă©crire [âŠ] Souvent leurs femmes les accompagnent dans ces courses lointaines : la premiĂšre mule, libre de charge, leur est abandonnĂ©e pour monture, et elles travaillent avec le mari Ă faire profiter la troque [âŠ] Que de fois avons-nous rencontrĂ©, sur les routes herbeuses qui relient nos villages, ces longues caravanes conduites par la maitresse mule, que distinguaient ses sonnettes et les houppes bariolĂ©es de son harnais ! Sur l'accotement marchait le saunier, sâĂ©gayant Ă exĂ©cuter avec son fouet mille batteries sautillantes ou mille points dâorgues prolongĂ©s et sonores. »
â Ămile Souvestre, En Bretagne, 1867[4].
Les céréales récoltées, en échange du sel troqué, sont réparties par famille au prorata des quantités fournies[3].
Le vocable gĂčĂȘrann ou guĂ©ran dĂ©signe, dans le breton de la rĂ©gion de Vannes, un marchand de sel ou un saunier, reprenant la forme moyenne bretonne du nom de la ville de GuĂ©rande : Guerran[5].
Ătymologie
EmpruntĂ© au latin trochus, et celui-ci au grec ÏÏÎżÏÏÏ, « roue, cerceau, anneau »[6].
Histoire
Les communautés paludiÚres du pays de Guérande jouissent dÚs le XVIIe siÚcle du privilÚge de franc-salé, qui est une exemption totale ou partielle de gabelle[7] définissant la région des marais salants autour de Guérande comme une zone franche pour la vente du sel[8].
Selon Gildas Buron, conservateur du musĂ©e des Marais salants de Batz-sur-Mer, ce commerce est connu dĂšs 1420 : « Jean V de Bretagne, considĂ©rant lâexiguĂŻtĂ© des terroirs agricoles des communautĂ©s paludiĂšres de la sĂ©nĂ©chaussĂ©e de GuĂ©rande [âŠ] autorise les habitants Ă conduire leurs sels jusquâaux confins du duchĂ© sans acquitter de droits dâissue »[2]. L'autorisation se voit confirmĂ©e par des lettres patentes des successeurs de Jean V au duchĂ© de Bretagne, puis par les rois de France successifs : Charles VIII en 1491, François Ier en 1532, Louis XIII en 1626 et Louis XIV en 1643[2].
Le privilĂšge est aboli en 1791 par lâAssemblĂ©e constituante, suivant de prĂšs la suppression de la gabelle[9]. Sous lâimpulsion dâAmĂ©dĂ©e de Francheville et de Donatien de Sesmaisons, tous deux dĂ©putĂ©s, la troque est rĂ©tablie en 1817 au profit de 9 000 personnes privĂ©es de Loire-InfĂ©rieure, dont 7 000 du pays de GuĂ©rande[10]. Les modalitĂ©s sont trĂšs restrictives et il nâest « accordĂ© en franchise de tout droit pour le commerce de la troque Ă chaque saunier [troqueur] et paludier autant de fois 100 kg de sel que sa famille se compose dâindividus de tout Ăąge et de tout sexe[N 2] ».
En 1840, la suppression du privilĂšge est discutĂ©e lors de lâĂ©laboration de la « loi sur les sels »[11]. Elle est effective en 1863, alors quâĂ la suite des restrictions successives, la franchise fiscale nâest plus que de trente kilogrammes par individu[11].
Dans les annĂ©es qui suivent cette suppression, des pĂ©titions pour le rĂ©tablissement de la troque continuent dâĂȘtre Ă©mises, sans succĂšs[N 3].
Voir aussi
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- Gildas Buron, Bretagne des marais salants : 2000 ans d'histoire, Morlaix, Skol Breizh, , 175 p. (ISBN 2-911447-37-9, BNF 37102418).
- Jean Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne : dédié à la nation bretonne, vol. 1, Rennes, Molliex, , 326 p. (BNF 31032405, lire en ligne).
- Anselme Fleury, Corps législatif. Session de 1854. Discours prononcé dans la discussion du budget de 1855 par M. Anselme Fleury,... sur la troque du sel : séance du 30 mai 1854, Nantes, impr. de Merson, , 11 p. (BNF 30441990)
Articles connexes
Liens externes
Notes et références
Notes
- « Ă la fin du XVIIIe siĂšcle, câest [âŠ] prĂšs des trois quarts de la population masculine qui sâabsente de la commune de Batz entre les fĂȘtes de la Toussaint et de NoĂ«l »[2].
- Ces modalitĂ©s suivent trĂšs exactement le cadre dâapplication de lâimpĂŽt sur le sel de 1806[10].
- « Ils [les pĂ©titionnaires] sollicitent le rĂ©tablissement de la troque⊠le rĂ©tablissement de la troque ou de tout autre privilĂ©ge local eĂ»t Ă©tĂ© en contradiction avec tous les principes d'Ă©quitĂ© et de bonne administration [âŠ] », Rapport Ă l'empereur, Moniteur, 23 mars 1866[12].
Références
- Ogée 1843, p. 326.
- Buron 1999, p. 124.
- Buron 1999, p. 125.
- Ămile Souvestre, En Bretagne, Paris, Michel-LĂ©vy frĂšres, coll. « Michel-LĂ©vy », , 266 p. (BNF 31390372), p. 140-141.
- Buron 1999, p. 128.
- « Ătymologie du mot « troque » », sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales (consultĂ© le ).
- « Franc-salé », sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales (consulté le ).
- « Le paludier, la récolte du sel à Guérande », sur generative-lab.com (consulté le ).
- Buron 1999, p. 132.
- Buron 1999, p. 133.
- Buron 1999, p. 134.
- « Définition du mot « troque » », sur le Littré (consulté le ).