TomĂĄs Katari
TomĂĄs Katari (Macha, 1740[1] â prĂ©cipice de Chataquilla, ) Ă©tait un cacique et chef rebelle quechua. Nâayant pas rĂ©ussi, en dĂ©pit de multiples dĂ©marches judiciaires et administratives, Ă faire respecter par les autoritĂ©s espagnoles ses droits de cacique indien et Ă faire cesser les abus des percepteurs dâimpĂŽts, il dĂ©clencha et dirigea dans les annĂ©es 1780 une insurrection populaire indigĂšne, qui se poursuivit encore, sous la direction de ses deux frĂšres, aprĂšs son exĂ©cution extrajudiciaire par des soldats espagnols. Auparavant, dans les annĂ©es 70 de ce mĂȘme siĂšcle, plusieurs mouvements de protestation isolĂ©s avaient dĂ©jĂ mis au jour le mĂ©contentement des indigĂšnes et avaient fait figure de prĂ©lude aux rĂ©voltes indiennes gĂ©nĂ©ralisĂ©es de la dĂ©cennie suivante.
Nom de naissance | TomĂĄs Katari |
---|---|
Naissance |
Macha, Vice-royauté du Pérou Empire espagnol |
DĂ©cĂšs |
prĂ©cipice de Chataquilla, Vice-royautĂ© du RĂo de la Plata Empire espagnol |
Pays de résidence |
Vice-royautĂ© du PĂ©rou, puis (Ă partir de 1778) Vice-royautĂ© du RĂo de la Plata Empire espagnol |
Activité principale |
Cacique indien |
Autres activités |
Chef d'une insurrection indienne contre les autorités espagnoles |
Famille |
Deux frÚres Dåmaso et Nicolås, également insurgés |
Démarches légales en réponse aux vexations
TomĂĄs Katari naquit au sein de lâayllu (communautĂ©) de San Pedro de Macha, dans le canton de Macha[2] (province de Chayanta, dĂ©partement de PotosĂ) de lâactuelle Bolivie. Il Ă©tait mariĂ© Ă Kurusa Yawri (rebaptisĂ©e par les Espagnols Curusa Llave), laquelle, Ă la suite de lâassassinat de son mari en 1781, se muera de maĂźtresse de maison en un des chefs militaires du soulĂšvement en Bolivie[3].
Ă la mi-1777, TomĂĄs Katari engagea une action en justice contre lâEspagnol Blas Bernal, lui reprochant dâavoir usurpĂ© Ă son dĂ©triment la fonction de kurajkaj (âcuracaâ, cacique) qui lui revenait lĂ©gitimement par droit dâhĂ©ritage et que protĂ©geait la lĂ©gislation coloniale. Aussi TomĂĄs Katari comparut-il devant lâAudiencia de PotosĂ, prĂ©sentant plainte fondĂ©e de ce que Blas Bernal, en recueillant les impĂŽts dans sa communautĂ©, commettait des vols au prĂ©judice de la Real Hacienda (ministĂšre des finances) par lâutilisation de deux listes parallĂšles de taxation, diffĂ©rant lâune de lâautre de 487 pesos et 4 reales, dont seule celle prĂ©sentant le montant collectĂ© le plus faible Ă©tait remise Ă la Real Hacienda[1].
Le , lâAudiencia considĂ©ra que la plainte dĂ©posĂ©e par Katari et par son compagnon Isidro Achu Ă©tait suffisamment fondĂ©e et disposa que les plaignants fussent Ă nouveau chargĂ©s de la perception des impĂŽts. Le , le corrĂ©gidor de Chayanta, NicolĂĄs Ursainqui, ayant reçu le procĂšs-verbal de lâAudiencia, requit Katari et Achu de remettre les sommes perçues, mais lorsquâils se furent rendus Ă Chayanta, il apparut que le poste de corregidor avait changĂ© de mains et Ă©tait dĂ©sormais occupĂ© par JoaquĂn de AlĂłs, ami de Blas Bernal. Katari et Achu furent tous deux incarcĂ©rĂ©s, mais le , cĂ©dant aux requĂȘtes rĂ©itĂ©rĂ©es des partisans de Katari et afin dâapaiser les esprits, AlĂłs ordonna leur remise en libertĂ©[1].
Peu aprĂšs, le , lâAudiencia de Charcas cessa de ressortir Ă la vice-royautĂ© du PĂ©rou et passa sous la juridiction de la vice-royautĂ© du RĂo de la Plata nouvellemment crĂ©Ă©e, qui avait pour capitale la ville de Buenos Aires. Les dirigeants indigĂšnes des 365 communautĂ©s de PotosĂ convoquĂšrent deux grandes rĂ©unions, Ă Poqoqwata et Ă Macha, auxquelles assistĂšrent les trois frĂšres Katari ; les 365 participants dĂ©cidĂšrent que TomĂĄs Katari, en considĂ©ration de sa conduite exemplaire et des nombreuses qualitĂ©s quâil possĂ©dait, serait chargĂ© de se rendre Ă Buenos Aires pour sâentretenir avec le nouveau vice-roi[1].
Katari partit avec TomĂĄs Achu, le fils de son compagnon Isidro Achu. Comme ils Ă©taient Indiens, il leur Ă©tait interdit de monter Ă cheval, sous peine de galĂšres, coups de fouet publics et privĂ©s, amende, voire la mort. (Quand une personne europĂ©enne avait besoin quâun de ses esclaves montĂąt Ă cheval, elle devait se procurer un permis en bonne et due forme auprĂšs du gouverneur.) Aussi TomĂĄs Katari et TomĂĄs Achu couvrirent-ils Ă pied la distance de quelque 2 300 kilomĂštres sĂ©parant leur lieu de rĂ©sidence dâavec la nouvelle capitale Buenos Aires. Tout au long du voyage, ne disposant pas de devises espagnoles pour se payer le gĂźte et le couvert, ils furent aidĂ©s par les indigĂšnes des diverses nations quâils traversaient. En , au terme dâun pĂ©riple de plusieurs mois, ils atteignirent Buenos Aires et eurent une entrevue avec le vice-roi Juan JosĂ© VĂ©rtiz (1719-1799), la plus haute autoritĂ© de la vice-royautĂ© du RĂo de la Plata[1].
« Je le confesse Ă V. E., et elle ne pourra en douter, que les malversations des CorrĂ©gidors sont la cause principale de la ruine de tout le Royaume, car par celles-ci, ce nâest pas seulement le CorrĂ©gidor lui-mĂȘme qui nous dĂ©pouille, mais aussi ses supplĂ©ants, caissiers et assistants, comme on lâa vu dans le cas du CorrĂ©gidor JoaquĂn de AlĂłs ; celui-ci a dĂ©tournĂ© environ quatre-cent-mille pesos, le supplĂ©ant Luis Nuñez et sa femme, une somme plus grande encore, son supplĂ©ant Don Lucas Villafran et sa femme, une somme Ă©quivalente, en sus des nombreux commissionnaires du Corregidor, avec la certitude que lorsquâun CorrĂ©gidor et son supplĂ©ant sâen vont chargĂ©s de recettes, nous pauvres Indiens en sortons dĂ©pouillĂ©s. Tous les gouverneurs espagnols et mĂ©tis de la province de Chayanta ont Ă©tĂ© des CorrĂ©gidors, parce que tous les susnommĂ©s ont dĂ©tournĂ© ce quâils ont voulu et tous objets qui ne sont pas utilisables chez les Indiens, de sorte que nous nous sommes attendus Ă ce que ces voleurs nous saisissent nos brĂ©viaires, nos missels et nos chasubles pour dire la messe et les bonnets pour ĂȘtre docteurs⊠»
â TomĂĄs Catari[1]
Le , le vice-roi VĂ©rtiz rĂ©digea un dĂ©cret, adressĂ© aux docteurs Luis de Artajona, Juan Bautista de Ormachea et Diego de la Calancha, auditeurs de la Real Audiencia de Charcas, leur ordonnant dâenquĂȘter sur les faits dĂ©noncĂ©s et de rendre justice. Il ne voulut cependant pas statuer sur le fond de lâusurpation de la fonction de TomĂĄs Katari, ni sur le dĂ©tournement dâimpĂŽts, compte tenu que Katari nâĂ©tait pas en mesure de faire Ă©tat, pour vĂ©rification par les fonctionnaires royaux et lâAudiencia, des documents y relatifs, le corregidor AlĂłs les ayant en effet dĂ©robĂ©s [1].
Ă leur retour dans leur rĂ©gion, TomĂĄs Katari et TomĂĄs Achu furent Ă nouveau Ă©crouĂ©s. Cependant, le , le procureur de lâAudiencia de Charcas se dĂ©roba en arguant que les documents que Katari nâavait plus en sa possession, mais qui Ă©taient nĂ©cessaires Ă mener lâenquĂȘte demandĂ©e par le vice-roi, faisaient dĂ©faut. Quatre mois plus tard, le , lâAudiencia sâadressa au corrĂ©gidor JoaquĂn de AlĂłs et le sollicita dâenvoyer ces documents. TomĂĄs Katari, aprĂšs avoir consultĂ© les jamautas (âhommes sagesâ) et les mamakonas (âfemmes sagesâ), qui lui conseillĂšrent de commencer Ă exercer la fonction dont il avait Ă©tĂ© spoliĂ©, lors mĂȘme quâil nâavait pas encore reçu la confirmation officielle des autoritĂ©s espagnoles, ordonna dĂ©but que les assemblĂ©es communautaires de toute la rĂ©gion Ă©lisent â conformĂ©ment aux coutumes des Incas â leurs propres autoritĂ©s, « dĂ©fenderesses et protectrices des Indiens dĂ©munis, soumis Ă tributs, misĂ©rables, sans dĂ©fense [...], Ă qui dâautres individus boivent le sang »[1].
AussitĂŽt, il fut apprĂ©hendĂ© par les soldats Ă TorocarĂ et conduit Ă la communautĂ© dâAullagas, oĂč il fut cependant libĂ©rĂ© de force par une foule dâindigĂšnes armĂ©s de pieux. LâAudiencia de Charcas lâaccusa de sâĂȘtre exprimĂ© dĂ©favorablement Ă propos de la mita pendant que 800 Quechuas ligotĂ©s attendaient leur tour de mita dans le hameau dâOcurrĂ. Il fut derechef emprisonnĂ© Ă Charcas et mis en jugement. Le , il exposa ses arguments. Le , on voulut le transfĂ©rer de la prison de Charcas, mais ses partisans rĂ©ussirent une nouvelle fois Ă le libĂ©rer. Le , se fiant Ă la reconnaissance quâil avait obtenue auprĂšs du vice-roi VĂ©rtiz, Katari se prĂ©senta Ă Charcas pour se dĂ©fendre des charges portĂ©es contre lui, mais fut incarcĂ©rĂ© et mis au secret. Le , ses partisans sâarmĂšrent et se mobilisĂšrent Ă Huancarani, localitĂ© prĂšs de Poqoqwata, entourĂšrent le corrĂ©gidor et son escorte militaire en lui enjoignant de libĂ©rer TomĂĄs Katari et de baisser les impĂŽts abusifs. Le corrĂ©gidor, avec la mĂ©diation de deux prĂȘtres, ordonna la libĂ©ration et la baisse dâimpĂŽts. Se fiant Ă la parole des religieux, les Quechuas le laissĂšrent alors repartir[1].
RĂ©bellion et mort
Le 25 (ou le 26) [3], tandis que le corrĂ©gidor assistait en compagnie de son groupe de soldats Ă lâ« Ă©numĂ©ration» de Quechuas corvĂ©ables que lâon requĂ©rait chaque annĂ©e pour le travail dans les mines, le jeune TomĂĄs Achu, qui avait accompagnĂ© Katari pendant le voyage de celui-ci Ă Buenos Aires, sâapprocha du corrĂ©gidor AlĂłs, et exigea de lui quâil tĂźnt sa parole. Celui-ci rĂ©pliqua par deux coups de feu et le tua[3].
Les indigĂšnes prĂ©sents attaquĂšrent alors les soldats espagnols et les tuĂšrent sur place. AlĂłs tenta de sâenfuir sur un cheval au galop mais fut jetĂ© Ă bas de son cheval par un tir de fronde le frappant Ă le tĂȘte. Les Quechuas troquĂšrent auprĂšs des Espagnols la vie du corrĂ©gidor pour celle de TomĂĄs Katari. Le corrĂ©gidor toutefois rĂ©ussit Ă sâĂ©chapper, dĂ©guisĂ© en prĂȘtre, et Ă gagner TucumĂĄn, dans lâactuelle Argentine[1].
LâAudiencia de Charcas affirma publiquement quâelle respecterait lâautoritĂ© de TomĂĄs Katari, mais en secret donna ordre aux Espagnols de le capturer mort ou vif, et offrit une rĂ©compense en argent. Une patrouille commandĂ©e par le patron de mine espagnol Manuel Ălvarez Villarruel captura Katari, pendant que celui-ci effectuait un de ses voyages dâinspection dans les communautĂ©s indigĂšnes, prĂšs dâAullagas. Ălvarez Villarruel le remit Ă Juan Antonio Acuña, juge suprĂȘme de la province de Chayanta, qui se hĂąta de le faire conduire Ă La Plata (Chuquisaca, actuel Sucre, Ă 170 km Ă lâest de Macha). Acuña pourtant savait que sa patrouille Ă©tait suivie par des partisans armĂ©s de Katari. Le , Acuña reçut lâordre secret dâassassiner Katari (ordre attestĂ© par des documents ultĂ©rieurs), lui attacha les mains et le prĂ©cipita dans lâabĂźme de dessus les hauteurs escarpĂ©es de Chataquilla, prĂšs de la communautĂ© de Quila Quila, dans la province de YamparĂĄez. Isidro Serrano, Espagnol qui Ă©crivait la correspondance de Katari et qui fut tĂ©moin du meurtre, fut lui aussi assassinĂ©. Les partisans de Katari rattrapĂšrent Acuña et ses soldats et les mirent Ă mort ; le patron minier Ălvarez Villarruel fut Ă©galement exĂ©cutĂ©[1].
Les soulĂšvements gagnĂšrent en ampleur, sâĂ©tendant jusquâĂ Challapata, dans le dĂ©partement dâOruro. Ă partir de ce moment, les frĂšres de Katari, DĂĄmaso et NicolĂĄs, prirent la tĂȘte des rebelles, qui atteignirent Chuquisaca, oĂč DĂĄmaso, aprĂšs avoir Ă©tĂ© trahi par un prĂȘtre catholique espagnol de Poqoqwata, Francisco Javier Troncoso, et remis aux autoritĂ©s, fut pendu publiquement sur la grand-place de la ville.
Suites et postérité
TomĂĄs Katari dĂ©clencha une sĂ©rie de mouvements locaux, dont un fut menĂ© Ă partir du par un descendant des rois incas, TĂșpac Amaru, qui expulsa les Espagnols de Cuzco. Le , TĂșpac Amaru fut suppliciĂ© et mis Ă mort publiquement, en mĂȘme temps que son Ă©pouse Micaela Bastidas, ses enfants, les membres de sa famille et ses partisans.
Presque concomitamment avec lâassassinat de TomĂĄs Katari Ă©clata la rĂ©bellion massive de lâAimara JuliĂĄn Apaza, dâorigine modeste, qui adoptera le nom de TĂșpac Katari.
La mita fut finalement abolie en 1791.
En 2008, la LĂ©gislature de la Buenos Aires rebaptisa du nom de TomĂĄs Katari une placette de la ville, situĂ©e entre les rues CharrĂșa et ItaquĂ, dans le quartier de Nueva Pompeya[4].
Références
- «Tomås Katari». Article sur le site web Mink'akuy Tawantinsuyupaq.
- BOBARĂN C., R. Ălviz: « Macha festeja la Fiesta de la Cruz. Es la capital del tinku ». « Copie archivĂ©e » (version du 2 mars 2014 sur Internet Archive) Article sur le site El PotosĂ.
- ADHILAC Internacional: « Hitos del bicentenario de nuestra Amérique ». Article sur le site Adhilac.
- « DĂ©cret de la LĂ©gislature de Buenos Aires nommant ladite placette en lâhonneur de TomĂĄs Katari »(Archive.org âą Wikiwix âą Archive.is âą Google âą Que faire ?) paru dans le BoletĂn oficial (Journal officiel) du . ConsultĂ© le 25 aoĂ»t 2013.
Bibliographie
- Jan Szeminski, Why Kill the Spaniard? New Perspectives on Andean Insurrectionary Ideology in the 18th Century, dans : Steve J. Stern (Hrsg.), Resistance, Rebellion and Consciousness in the Andean Peasant World, 18th to 20th Centuries. University of Wisconsin Press, Madison 1987. S. 166â192.
- Sergio Serulnikov, Subverting Colonial Authority. Challenges to Spanish Rule in Eighteenth-century Southern Andes, Duke University Press, Durham 2003.
- Ward Stavig, Ella Schmidt, The Tupac Amaru and Catarista Rebellions â an Anthology of Sources, Indianapolis, Hackett Pub., 2008.
- Nicholas A. Robins, Native Insurgencies and the Genocidal Impulse in the Americas, Indiana University Press, Bloomington 2005.
Corrélats
- TĂșpac Amaru II (1738-1781).
- TĂșpac Katari (1750-1781).
- RĂ©volte de TĂșpac Amaru II
Liens externes
- (es) Sader, Emir, « Una historia abierta », (consulté le )
- (es) Maldonado Yajuraweni, Nicia, « El movimiento indĂgena en Venezuela », (consultĂ© le )
- (es) Rédaction du journal Domingo, « Reportaje sobre el cantón Chaunaca » [archive du ], (consulté le )