Siège de Zaatcha
Le siège de Zaatcha s'est déroulé du au , à Zaatcha (Algérie), opposant les troupes françaises du général Émile Herbillon, aux combattants arabes et berbères du Cheikh Bouziane. L'affrontement s'achève par la prise du fort ainsi que par le massacre des prisonniers par les Français. Il en est résulté environ 3 000 morts des deux camps, chacun des deux s'illustrant en atrocités.
Date | Du 16 juillet au 26 novembre 1849 |
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Lieu | Zaatcha, à 30 km au sud-ouest de Biskra, en Algérie |
Issue | Victoire française |
République française dont des troupes zouaves | Tribus[A 1] arabes et berbères de l'est algérien |
Émile Herbillon | Cheikh Bouziane † El Hadj Moussa † |
7 000 hommes | environ 1500 hommes et femmes |
200 morts et 850 blessés ou 1500 morts et blessés [1] 2000 pertes dont 600 dû au choléra [2] | 1 500 (estimation) |
Notes
- Le terme Tribus doit être ici pris au sens de tribus environnantes les plus rétives.
Conquête de l'Algérie par la France
Coordonnées | 34° 44′ 00″ nord, 5° 25′ 00″ est |
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Contexte
Situation géographique
Au sud du Constantinois, entre le nord du Sahara et le pied des Aurès, dans le cercle de Biskra, la région des Zibans est l'un des passages entre l'Afrique centrale et la côte. À l'époque de la bataille, de nombreuses tribus nomades du Tell algérien y coexistent avec des habitants sédentaires, les premières pratiquant souvent le brigandage au détriment des seconds.
Le village fortifié de Zaatcha est situé au nord-ouest de l'oasis, entouré de tous côtés de palmiers. Les sentiers qui mènent à la ville sont resserrés entre des murs qui enclosent des jardins à des hauteurs différentes.
Il est difficile à prendre. En 1833, déjà, Ahmed Bey avait soumis la région insurgée, à l'exception, justement, de l'oasis de Zaatcha[3]. En 1844, l'émir Abdelkader échoue aussi devant Zaatcha. L'oasis acquiert une réputation d'inviolabilité.
Les villages de Lichana et de Farfar sont très proches, dans la forêt. L'oasis de Tolga est voisine.
Difficile conquête du sud de l'Algérie
Le duc d'Aumale investit Biskra, capitale régionale de la région des oasis (« zibans », en berbère), en 1844 ; la même année, la garnison française y est massacrée[4].
En , Thomas Robert Bugeaud démissionne de ses fonctions de gouverneur général de l'Algérie, mettant ainsi un terme à une période d'extension de la conquête du pays.
Le , l'émir Abdelkader se rend au pouvoir français. Le bey de Constantine, Ahmed Bey, réfugié dans le massif de l'Aurès depuis 1837, passe également un accord avec les Français, en 1848. Cela ne met pas fin aux révoltes.
Après 1848, cinq gouverneurs se succèdent en Algérie, en sept mois.
Le général Emile Herbillon vient de prendre le commandement de la province (1848). En Algérie depuis dix années, c'est un officier mesuré et soucieux du maintien des équilibres. En témoigne son action au poste de Guelma[5], de 1838 à 1843.
Chef de guerre, religieux
Ahmed Bouziane (ou Bou Zian ou Bû Ziyân), originaire sans doute de Bordj Oulad Arouz petit village de la vallée de l'Oued Abdi dans l'Aurès selon le lieutenant Seroka[6], prédicateur religieux, marabout était le cheikh de Zaatcha sous l'émirat d'Abdelkader. Remplacé dans ce poste, déçu dans ses ambitions personnelles, se disant inspiré de visions divines, y compris celles du prophète[7], il proclame, début 1849, la guerre sainte : le djihad. Il mobilise les villages pour soulever des combattants en vue de la prise de Biskra[7]. Il prophétise que les chrétiens seront rapidement défaits.
Il se fixe avec sa famille (une femme, une fille, deux fils) dans le village de l'oasis de Zaatcha, à trente-cinq kilomètres au sud-ouest de Biskra, dans la région des Zibans. Le village de Zaatcha fait partie du groupe d'oasis de Zab-Dahri, dont les palmeraies appartiennent à des propriétaires fonciers membres de tribus influentes. Décrit comme l'homme le plus riche de Zaatcha, intelligent et organisateur, Bouziane prétexte l'augmentation de la taxe sur les palmiers (la lezma[8]) pour débuter l'insurrection des Zibans[9].
Le , pour mettre fin au mouvement de révolte, le lieutenant des affaires arabes, Joseph Adrien Seroka[10], tente de capturer Bouziane ; l'agitateur se dérobe et l'officier français s'extrait de justesse de Zaatcha, manquant de peu d'être décapité[11].
Le 2e régiment étranger d’infanterie, en tournée de police entre Batna et Sétif, part pour l'oasis de Zaatcha.
Déroulement
Engagement précipité (16 juillet 1849)
Le plus proche, le colonel Carbuccia arrive avec le 1er bataillon de la Légion étrangère et le 3e bataillon d'infanterie légère d'Afrique (3e BILA) le devant le village fortifié de Zaatcha[12] - [13]. Il dispose d'environ neuf cents hommes.
Bouziane a rassemblé alors environ six cents combattants[14], en vue de développer une insurrection.
Désobéissant aux ordres donnés par le général Émile Herbillon, l'audacieux Carbuccia engage aussitôt le combat.
L'armée française bouscule ses ennemis. Son chef décide de les poursuivre dans le village. Mais l'oasis se révèle un dédale de murets et de plantations, peu propice au combat ; de plus, une muraille crénelée cernée d'un fossé de sept mètres de largeur et de trois mètres de profondeur, rempli d'eau, barre la route de Zaatcha. Les troupes françaises ont l'habitude de combattre en plaine ou en montagne.
Carbuccia n'a d'autre option que de commander le repli, tout aussi difficile que l'assaut.
Faute de préparation, Carbuccia réalise tardivement que la configuration de la place la rend particulièrement difficile à prendre. Une oasis ainsi que ses constructions posent des difficultés militaires spécifiques.
Les soldats français blessés sont alors achevés impitoyablement à l'arme blanche par les troupes de Bouziane[15].
Simultanément, une colonne de nomades rebelles marchant vers Zaatcha est battue à Seriana par le commandant Emmanuel Gaillard de Saint-Germain[16], tué dans la bataille.
Le colonel Carbuccia rend compte et demande alors des renforts. L'assaut a fait trente-deux morts français.
La défaite française mobilise et fanatise de nouveaux insurgés.
Installation sous le feu
Le , presque trois mois plus tard, ayant laissé fort à propos passer les chaleurs de l'été, le général Herbillon prend personnellement la tête des opérations ; il rejoint l'oasis avec un corps expéditionnaire de 4 000 hommes. Il apporte du matériel de siège.
Appuyé par l'artillerie, le 2e Étranger, de nouveau conduit par Carbuccia, enlève alors un groupe de maisons au nord de la palmeraie, la Zaouïa, qui contient une précieuse fontaine. Les soldats installent des canons, mais sans parvenir à tenir sous le feu ennemi.
Le colonel du génie, Mathieu Petit, est grièvement blessé au bras dans l'opération[17], alors qu'il ajustait une nouvelle batterie. Le lieutenant Seroka qui participe à l'assaut du , est blessé par la même balle. Évacué à Biskra, amputé du bras, Petit y mourra le [18]. Les moyens mobilisés par le siège de Rome compliquent son remplacement. L'absence d'officier supérieur du génie (Mathieu Petit est polytechnicien) bloque considérablement les opérations.
Les soldats s'aventurent dans le dédale des jardins et sont bientôt défaits. Les combattants arabes et berbères mutilent affreusement les blessés, comme l'adjudant Davout.
Échec du premier assaut (20 octobre 1849)
Les troupes françaises construisent alors, trop sommairement, des ouvrages de siège afin de percer une brèche dans les murs du ksar de Zaatcha. Le , les sapeurs donnent l'assaut, appuyés et suivis par les légionnaires et le 43e régiment d'infanterie de ligne. C'est l'échec. Mal comblés, les fossés sont pratiquement infranchissables ; les maisons du village sont minées.
Les assaillants subissent de lourdes pertes et sont repoussés par des défenseurs bien protégés.
Les femmes combattantes de Zaatcha achèvent des blessés français en les attachant à des palmiers[13]. Les insurgés arabes tranchent les têtes des soldats français tués à Zaatcha, les transportant dans les villages voisins pour les montrer aux habitants « afin de les exciter à la révolte »[19].
La contre-attaque des insurgés ne parvient pas à écarter l'armée française, qui conserve sa position ; les troupes françaises repoussent sans cesse des colonnes indigènes venues porter secours aux assiégés, qui font désormais figures de héros. Mal encerclée, Zaatcha est sans cesse approvisionnée et renforcée en nouveaux combattants, durant les nuits. L'approvisionnement et les communications des troupes françaises sont fragiles ; les convois sont sans cesse harcelés par les populations du Tell.
Près de six cents soldats des troupes françaises sont morts, à cette date. Leurs conditions de vie, comme assiégeants, sont éprouvantes. Ils sont épuisés.
Renforts et perfectionnement du siège
Le général Herbillon fait abattre dix mille palmiers, toute la richesse de l'oasis, les arbres servaient de postes de tir aux rebelles de Zaatcha. Novembre est l'époque de la récolte des dattes.
Le , le colonel Canrobert, très apprécié par l'armée d'Afrique, arrive d'Aumale avec deux bataillons de zouaves. Canrobert se bat en Algérie depuis 1833. A Bou-Saada sa route vers Zaatcha est bloquée par plusieurs milliers de combattants ennemis : il les écarte en leur déclarant que les zouaves apportent la peste ; il s'agit du choléra[20].
Le 12, arrive le 8e bataillon de chasseurs à pied, ce qui porte la garnison des assiégeants à 7 000 hommes.
Le choléra des zouaves de Canrobert tue tout autant que l'ennemi.
« Dans les différentes invasions du choléra en Afrique, les Zibans avaient été épargnés. Il n'en fût pas de même cette fois. Arrivé avec nos troupes, le fléau se répandit bientôt dans les oasis et y fit de grands ravages ; surtout à Biskra, où les premières victimes furent nos malheureux blessés[21]. »
Pierre-Napoléon Bonaparte fait brièvement partie des nouveaux arrivants.
Dans la nuit du 10 au , se déroulent des escarmouches près de Farfar. Les combattants s'arrachent les blessés français.
Le , deux nouveaux officiers du Génie remplacent le défunt colonel Petit, tué le . Les travaux de génie reprennent activement.
Le , la cavalerie française défait le campement de l'Oued-Djedi et s'empare de troupeaux. L'armée retrouve de la nourriture.
Le , la progression des travaux de sape permet de placer des pièces d'artillerie en batterie. Les tours de Zaatcha tombent ; mais le fort est toujours renforcé en combattants.
Le , les rebelles arabes créent un effet de surprise : ils profitent de la relève des sentinelles pour attaquer les tranchées françaises. Les combattants berbères et les femmes de Zaatcha[22] se ruent dans les tranchées à l'arme blanche « avec une cruauté effrayante »[23]. Les assaillants décapitent un chasseur à pied et lui coupent les poignets[24]. Plusieurs autres soldats français sont, de nouveau, sauvagement décapités. Les chasseurs à pied, renforcés par les tirailleurs du commandant Bourbaki repoussent les assaillants dans un sanglant corps à corps.
Après cette escarmouche nocturne, les rebelles mutilent et massacrent les soldats français blessés, enlevés durant la nuit. Sur les remparts, les défenseurs de Zaatcha exposent les têtes tranchées des soldats de l'armée d'Afrique.
Assaut final (26 novembre 1849)
Le , le général Herbillon somme les assiégés de se rendre, les informant ainsi de l'imminence de l'assaut.
Sans succès. Bouziane fait décapiter ceux de ses proches favorables à la reddition[19].
Le , les extrémités des tranchées atteignent les fossés. Leur comblement peut débuter efficacement. Dans la nuit du 25 au , trois brèches sont enfin ouvertes dans la muraille ; le fossé est mieux comblé[25].
Les troupes sont reposées de l'attaque du . Le général Herbillon redoute de subir davantage les pluies automnales, déjà abondantes.
Le matin du est celui de l'assaut décisif.
« A l'aube du jour, nos hommes se levèrent à petit bruit, et se formèrent silencieusement à leurs rangs de marche. Le colonel Canrobert, qui devait monter à l'assaut le premier, se fit désigner les plus braves dans sa colonne pour avoir l'honneur de l'accompagner. Il se forma ainsi une petite escorte de seize hommes, avec laquelle il devait se présenter à découvert aux premiers coups[26]. »
À sept heures du matin, le , trois colonnes de trois cents hommes chacune, aux ordres des colonels Canrobert, de Barral et de Lourmel, donnent l'assaut simultanément. Les tirailleurs du commandant Bourbaki font diversion et coupent les routes de renforts éventuels vers Zaatcha, aidés par les troupes locales du caïd de Biskra, Si-Mohamed-Skrir, neveu du cheikh El-Arab. Les tranchées restent sous la garde du 43e de Ligne.
Bouziane conduit la prière et demande aux rebelles de se battre jusqu'à la mort[7].
« Le signal est donné. La charge sonne. La colonne d’attaque de droite, composée de deux bataillons de zouaves, du 5e bataillon de chasseurs à pied, de cent hommes d’élite du 16e de ligne et de trente sapeurs du génie, s’élance sur la brèche. Le colonel Canrobert des zouaves marche en tête de cette colonne. Quatre officiers, seize sous-officiers ou soldats de bonne volonté l’accompagnent. Deux de ces officiers sont tués (MM. Toussaint et Rosetti des spahis) ; deux sont blessés (MM. Besson de l’état-major et Dechard des zouaves) ; sur seize soldats douze sont tués ou blessés. L’élan irrésistible de cette colonne contribua puissamment à la prise de la ville[27], »
selon le commentaire repris dans le livret du salon de 1857 pour présenter le tableau Prise d'assaut de Zaatcha, de Jean-Adolphe Beaucé, illustrant le présent article.
L'assaut est sanglant, les ruelles étroites et encaissées favorisent les défenseurs. Les soldats français se rendent maîtres du village, puis de ses terrasses. Ils sont criblés de balles depuis les maisons fortifiées.
Les combats dans les rues étroites s'avèrent effectivement impitoyables et meurtriers.
Élimination des derniers combattants et destruction des maisons de Zaatcha
La résistance de Zaatcha ne cesse pas avec la prise du village fortifié ; les rebelles refusent de se rendre. Les combats se déroulent cette fois maison par maison. Les soldats français cherchent Bouziane.
Ce dernier quitte sa demeure du centre ville, accolée à la mosquée ; il se réfugie dans celle de l'ancien cheikh Ali-ben-Azoug, son successeur, près de la porte de Farfar. C'est une solide maison fortifiée, défendue par plus d'une centaine de combattants. Les tirs sont incessants. Les canons sont inutiles : les servants d'artillerie sont tués sur leurs pièces[28]. Il faut trois mines pour faire écrouler un pan de mur de cette maison.
« Je parvins à disposer deux sacs de poudre et à y adapter une mèche à laquelle le feu fut mis. Au bout de deux minutes, une effroyable détonation se fit entendre, abîmant une partie de la maison dans laquelle je me précipitai avec mes hommes. Ce qui s'y trouvait fut passé à la baïonnette. Il y eut un mètre de cadavres. — Quelques Arabes parvinrent à gagner la terrasse ; mais, là, le commandant de Lavarande les attendait. Parmi eux, on reconnut Bou-Zian, le chef des révoltés, le cherif Si-Moussa-ben-Ahmed et quelques meneurs influents qui furent décapités[29]. »
C'est l'assaut ultime contre les occupants, avec une fusillade suivie d'un violent corps-à-corps à la baïonnette.
Cerné puis identifié, Bouziane est donc finalement capturé.
« « Voilà Bou-Ziane ! » s'écrie le guide. Aussitôt, le commandant se jeta sur lui et empêcha ses soldats de faire feu. « Je suis Bou-Ziane », telle fut la seule parole du prisonnier, puis il s'assit à la manière arabe et se mit à prier. M. de Lavarande lui demanda où était sa famille. Sur sa réponse, il envoya l'ordre de la sauver, mais il était trop tard. M. de Lavarande avait envoyé prévenir le général Herbillon que Bou-Ziane était entre ses mains. « Faites-le tuer», telle fut la réponse[30]. »
Bouziane déclare :
« Vous avez été les plus forts, Dieu seul est grand, que sa volonté soit faite[31]. »
Il est alors fusillé, puis décapité. Son fils Hassan Bouziane et son lieutenant, le Hadj Si-Moussa Eddarkaoui[32] connaissent le même sort. Dans le récit du général Herbillon, Hassan Bouziane s'enfuit et est décapité par les goums du cheikh El-Arab[33].
Malgré la mort de Bouziane et celles des chefs rebelles, les tirs continuent contre les soldats français, toute la journée du . Ils proviennent des différentes maisons du village. Les soldats ne peuvent entrer dans les maisons sans risque. Pour mettre fin aux combats sans risquer davantage leurs vies, les sapeurs du génie minent les maisons une à une, pour les détruire avec leurs occupants.
« La mine, en faisant sauter une maison, lança dans les airs une petite fille de sept ans d'une beauté remarquable. Elle retomba évanouie sur le sol. On la croyait morte mais un zouave s'apercevant qu'elle respirait encore, prit soin d'elle, la rappela à la vie, et l'enveloppa dans son capuchon. Un commandant adopta cette petite infortunée qui n'avait plus ni parents ni asile[34]. »
Beaucoup d'assiégés meurent alors sous les décombres des explosions ; les maisons sont détruites.
Le cheikh Bouziane, son fils Hassan ainsi que Si-Moussa, capturés par les zouaves du commandant Lavarande, sont donc exécutés sur ordre du général Herbillon. Leurs trois têtes seront par la suite exposées à Biskra, sur la place du marché[35]. Cet acte se donne pour principal objectif de faire taire la rumeur de leur invulnérabilité et de faire cesser la rébellion dans la région. Les français veulent également éteindre la rumeur de survie de Bouziane, laquelle indique qu'il se serait enfui en rejoignant Tolga[36].
Les têtes de Zaatcha
À propos des trois têtes de Zaatcha, une partie des crânes conservés et retrouvés depuis au Musée de l'Homme[37], le colonel Canrobert déclare :
« A mon réveil, je trouve devant ma tente, fixé à la baïonnette d’un fusil, la tête de Bou Zian. A la baguette pend celle de son fils ; à la deuxième capucine est celle de l’un des autres chefs insurgés. Avant de les exposer au camp aux yeux des Arabes, qui pourront constater que leur shérif et ses califes sont morts, les zouaves ont voulu me faire l’hommage de ce sanglant trophée. Je suis écœuré ; je me fâche à la vue de ces dépouilles dignes des barbares : « Que voulez vous ? m’objectent les zouaves ; ils se défendaient : il fallait bien les tuer si nous ne voulions pas qu’ils nous tuent.
Je suis obligé de me résigner à cet usage indispensable pour frapper l’esprit des populations toujours disposées à se soulever. »
Ces têtes exposées par les militaires de l'armée d'Afrique pour prouver la défaite des rebelles, auraient été par la suite récupérées par le futur général François Edouard de Neveu (1809-1871). Celui-ci les aurait remises au médecin-chef militaire Auguste Edmond Vital, à Constantine. Victor Constant Reboud (1821-1889), botaniste et médecin, les expédie avec d'autres au muséum d'histoire naturelle, au conservateur Jean-Louis de Quatrefages des Bréau, vers 1875. Entreposées hors de la vue du public, ces crânes humains sont repérés en 2011 par Ali Farid Belkadi, qui lance une pétition pour leur retour en Algérie. En 2018, ce processus est en cours d'instruction[38].
Les crânes , en tout 24, sont restitués à l'Algérie le , où ils sont exposés au Palais de la culture Moufdi Zakaria pour permettre à la foule de leur rendre hommage, puis inhumés le dans le "carré des martyrs de la Révolution algérienne" du cimetière d'El Alia à Alger, le carré où sont enterrés les figures anticoloniales du XIXe siècle et de la Guerre d'Algérie, au cours d'une cérémonie exécutée par la Garde républicaine algérienne en présence du président Abdelmadjid Tebboune[39].
Citation erronée attribuée à la bataille de Zaatcha
Dans son ouvrage paru en 1869, vingt années après les faits, le journaliste Alfred Nettement avance un commentaire erroné sur la bataille de Zaatcha. Cette citation se propose d'illustrer, sous une plume française, l'atrocité de l'armée d'Afrique[40] :
« L’opiniâtreté de la défense [de Zaatcha] avait exaspéré les zouaves. Notre victoire fut déshonorée par les excès et les crimes […] Rien ne fut sacré, ni le sexe ni l’âge. Le sang, la poudre, la fureur du combat avaient produit cette terrible et homicide ivresse devant laquelle les droits sacrés de l’humanité, la sainte pitié et les notions de la morale n’existaient plus. Il y eut des enfants dont la tête fut broyée contre la muraille devant leurs mères ; des femmes qui subirent tous les outrages avant d’obtenir la mort qu’elles demandaient à grands cris comme une grâce. Les bulletins militaires insistèrent sur l’effet que produisit, dans toutes les oasis du désert, la nouvelle de la destruction de Zaatcha, bientôt répandue de proche en proche avec toute l’horreur de ces détails.[…][41] »
Abondamment reprise, cette description du combat est fausse. La lecture exacte du début de la citation d'Alfred Nettement, lisible page 298 de son ouvrage, révèle aisément l'erreur d'A. Nettement :
« Le souvenir de la prise de Zaatcha, pendant l'expédition commandée par le général Pélissier et le général Gassuff[42][...] »
Il se trouve que ni l'un ni l'autre de ces deux officiers généraux n'était à Zaatcha (« Gassuff » n'existe même pas : il s'agit de Youssouf). Alfred Nettement confond ici le siège de Zaatcha avec celui de Laghouat (en 1852), oasis qui abritait des civils au moment de son assaut par les troupes du général Aimable Pélissier[43]. La citation de Nettement ne correspond donc aucunement au siège de Zaatcha, mal encerclée, dont la population pouvait circuler la nuit et qui a eu tout le temps d'évacuer bien avant l'assaut décisif. Alfred Nettement travaille sur documents ; il n'a ni connu Zaatcha, ni même jamais voyagé en Algérie.
Deux années plus tôt, en 1867, des propos d'expression très semblable[44] se retrouvent sous la plume du journaliste et avocat catholique, secrétaire général de la Société Saint Vincent de Paul, Louis de Baudicour[45] - [46], sans que soit précisée sa source ; aucun journaliste n'étant présent à Zaatcha. Louis de Baudicour écrit en conclusion de cet ouvrage : « Le gouvernement militaire est de longtemps encore celui qui est préférable pour l'Algérie »[47].
Le docteur Ferdinand Quesnoy, témoin oculaire de l'ensemble du siège et de l'assaut final, ne relate aucun acte tels que ceux cités identiquement par Nettement et par Baudicour[48]. Le médecin produit un croquis des trois têtes des chefs rebelles[49]. Dans son témoignage, les chefs rebelles ne sont pas fusillés, mais retrouvés parmi les cadavres des défenseurs de la maison fortifiée. Sur ce point les témoignages divergent, en effet.
Spécialiste de l'Algérie de cette époque Auguste Warnier, analyste notamment du rôle des confréries religieuses dans l'opposition à l'administration française, indique[50] :
« Zaatcha [...] au pouvoir de fanatiques des trois provinces et de tout le sahara, nous a obligés à un siège régulier, à un assaut sanglant et à l'application rigoureuse des lois de la guerre. »
Conséquences
Le massacre de Zaatcha s'illustre numériquement par la mort de plus de 1 500 soldats (morts et blessés) de l'armée d'Afrique, français, arabes ou berbères et de ses alliés locaux, et au moins autant de combattants opposés, arabes ou berbères, soit sans doute environ 3 000 morts au total. La seule journée du coûta aux vainqueurs 43 tués et 175 blessés[51].
Au cours de ce siège de cinquante-deux jours, les principaux combats se sont déroulés du au . Les lourds travaux de génie, indispensables à la percée des murailles et à un assaut réussi, se sont activés à partir du . L'armée d'Afrique a découvert et tiré les leçons des combats en oasis. Zaatcha, réputée invincible, est vaincue.
Tous les rebelles concentrés à Zaatcha sont tués au combat, y compris les femmes combattantes. Seuls une demi-douzaine d'insurgés a été épargnée[52] soit « quelques femmes et un aveugle »[53]. L'essentiel des enfants et les vieillards avait été éloigné de la ville, ne pouvant pas combattre[54]. 800 cadavres visibles de combattants arabes sont recensés dans les ruines[55], appartenant à vingt-cinq tribus, oasis ou villages de la région ; le nombre de morts étant certainement supérieur, une bonne partie des corps se trouvant sous les décombres des maisons.
La dysenterie et le choléra ont fait des ravages dans les deux camps.
La palmeraie, de plusieurs milliers d'arbres, a été abattue durant les préparatifs de percée des murailles[56], privant l'oasis de sa principale ressource : les dattes. Les cadavres n'étant pas enlevés, les odeurs sont pestilentielles.
L'assaut passé, l'armée d'Afrique achève la destruction totale du fort. Puis, l'oasis voisine de Naarha, qui a fourni des combattants à Zaatcha, fait l'objet d'une attaque française le .
L'oasis de Zaatcha restera en ruines, les palmiers seront replantés. Le ksar voisin de Lichana demeurera jusqu'à sa ruine, en 1969.
Compte tenu de la dimension religieuse donnée à sa lutte par Bouziane, ainsi que de la longue durée de l'insurrection (pratiquement toute l'année 1849), la chute de Zaatcha provoque une grande stupeur. Dès le lendemain de la victoire française, les premières tribus se présentent au général Herbillon pour faire leur soumission (« l'aman »).
Les troupes françaises rejoignent Biskra, qu'elles quittent le .
Le général Herbillon demandera le retour de Carbuccia en France, le rendant responsable d'une partie des déboires militaires devant l'oasis. Il rentre lui-même en métropole début 1850 et fait paraître La relation du siège de Zaatcha en 1863, sous-titrée : « insurrection survenue dans le sud de la province de Constantine ». Il cherche notamment à se défendre de la longueur du siège.
La trente-troisième promotion de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, entrée en 1849 et sortie en 1851, porte le nom de « Zaatcha »[57].
Les oasis de Laghouat () et de Touggourt () deviendront également des lieux d'affrontements entre rebelles et armée d'Afrique.
Unités françaises engagées
- 1er bataillon de la Légion étrangère arrivé le
- 3e bataillon d'infanterie légère d'Afrique (3e BILA) arrivé le
- 2e bataillon de la Légion étrangère arrivé le
- un bataillon du 43e régiment d'infanterie de ligne arrivé le
- 5e bataillon de chasseurs à pied arrivé le
- bataillon de tirailleurs indigènes de la province de Constantine (commandant Bourbaki) arrivé le
- éléments du 2e régiment du génie arrivés dès le
- éléments du 12e régiment d'artillerie arrivés dès le
- un bataillon du 38e régiment d'infanterie (colonel de Barral) arrivé le
- éléments d'élite du 16e régiment d'infanterie
- deux bataillons de zouaves (colonel Canrobert) arrivés en octobre et le
- deux bataillons du 8e régiment d'infanterie de ligne arrivés le et le
- 3e bataillon du 51e régiment d'infanterie de ligne (lieutenant-colonel de Lourmel) arrivé le
- 8e bataillon de chasseurs à pied (dont le drapeau porte le nom de Zaatcha)[58] arrivé le
- éléments du 11e régiment d'artillerie
Notes et références
- Kamel Kateb, Européens, "indigènes" et juifs en Algérie (1830-1962) : représentations et réalités des populations, INED, , 386 p. (ISBN 978-2-7332-0145-9, lire en ligne), p. 42
- Alain Pédron et Fédération nationale de l'artillerie (France), Artilleurs en Algérie, 1954-1962: un défi relevé, Lavauzelle, (ISBN 978-2-7025-1072-8, lire en ligne)
- Charles Bocher, Le siège de Zaatscha : souvenirs de l'expédition dans les Ziban en 1849, (lire en ligne), p. 4
- M. Cote, « Biskra », Encyclopédie berbère, Aix-en-Provence, Edisud, vol. 10, , Edisud (lire en ligne)
- http://guelma.piednoir.net/histoire/herbillongeneralsepoctobre2017.html
- SEROKAJ.-A., 1912, « Le sud Constantinois de 1830 à 1855 », Revue Africaine n° 56, Alger, Jourdan. (lire en ligne), p. 507
- Julia Clancy-Smith, « La Révolte de Bû Ziyân en Algérie, 1849 », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, nos 91-94, , p. 181–208 (ISSN 0997-1327, lire en ligne, consulté le )
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- « Bernard NANTET, Le Sahara, histoire, guerres et conquêtes, Tallandier, 2013 »
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Citation de la révolte des Zaatcha dans les Misérables Tome 2 de Victor Hugo où l'auteur compare la prise de La barricade du faubourg du Temple à celle de la fameuse oasis de Biskra.
« ...La barricade du faubourg du Temple, défendue par quatre-vingts hommes, attaquée par dix mille, tint trois jours. Le quatrième on fit comme à Zaatcha et à Constantine, on perça les maisons, on vint par les toits, la barricade fut prise... »