AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Semi-pélagianisme

Le semi-pélagianisme est le nom donné par certains milieux du catholicisme et du protestantisme à une doctrine théologique chrétienne développée dans le sud de la Gaule au Ve siÚcle par Jean Cassien, Vincent de Lérins et Salvien de Marseille, puis professée et approfondie par Fauste de Riez. Cette doctrine tente de préciser les rÎles respectifs de Dieu et de l'homme, de la grùce de Dieu et du libre arbitre de l'homme.

Sarcophage dit de Jean Cassien Ă  l'abbaye Saint-Victor de Marseille.

Cette dĂ©nomination suppose la doctrine inspirĂ©e par les enseignements de PĂ©lage. En fait, la pensĂ©e semi-pĂ©lagienne s'oppose au pĂ©lagianisme (dans lequel l'homme est considĂ©rĂ© comme l'acteur de son propre salut), qui avait Ă©tĂ© rejetĂ© comme hĂ©rĂ©sie dĂšs 418. Le semi-pĂ©lagianisme, dans sa forme originale, peut apparaĂźtre comme un compromis entre le pĂ©lagianisme et l'augustinisme, pour qui le salut est un don entiĂšrement gratuit de Dieu. Cependant, une distinction y est faite entre le dĂ©but de la foi qui est un acte de libre arbitre et la progression de la foi qui est Ɠuvre divine.

Bien que condamnĂ©e lors du deuxiĂšme concile d'Orange en 529, la doctrine des moines provençaux est considĂ©rĂ©e aujourd'hui comme tout Ă  fait acceptable par bon nombre de thĂ©ologiens catholiques qui font d'ailleurs remarquer qu'elle est conforme Ă  celle de l'Église orthodoxe. L'Orthodoxie vĂ©nĂšre en effet les saints Jean Cassien, Vincent de LĂ©rins et Fauste de Riez, comme des PĂšres de l'Église authentiques[1].

Cette antique querelle a retrouvé une certaine actualité depuis que le pape François a fait de la lutte contre le pelegianisme un axe fort de son pontificat.

Théologie pélagienne et semi-pélagianisme

PĂ©lage.

Le pĂ©lagianisme enseignait que l'homme avait la capacitĂ© de chercher Dieu en et hors de lui-mĂȘme sans intervention de l'Esprit-Saint et par consĂ©quent, que le salut Ă©tait un effet des efforts de l'homme. La doctrine tirait son nom de son auteur principal PĂ©lage (v. 350 - v. 420), moine breton qui l'avait dĂ©veloppĂ©e. Elle s'opposait en particulier aux Ă©crits de Saint Augustin sur la grĂące. DĂ©clarĂ©e comme hĂ©rĂ©sie par le pape Zosime en 418 car niant l'existence du pĂ©chĂ© originel, elle enseignait que l'homme Ă©tait en lui-mĂȘme et par nature, capable de choisir le bien[2].

Dans le semi-pélagianisme, l'homme ne disposait pas d'une telle capacité, mais lui et Dieu pouvaient coopérer, dans une certaine mesure, dans cet effort de salut. Tout homme pouvait, sans aide de la grùce, faire le premier pas vers Dieu qui, ensuite, pouvait accroßtre et conserver la foi, achevant le travail de rédemption[3].

« Tu rapportes en effet que certains Ă©vĂȘques des Gaules acquiescent certes au fait que tous les autres biens proviennent de la grĂące de Dieu, mais qu'ils entendent que la foi par laquelle nous croyons au Christ relĂšve de la nature et non pas de la grĂące ; et elle serait restĂ©e pour les hommes depuis Adam au pouvoir du libre arbitre, et mĂȘme maintenant, elle ne serait pas confĂ©rĂ©e Ă  chacun par la libĂ©ralitĂ© de la misĂ©ricorde divine[4]. »

Cet enseignement se distinguait de la doctrine traditionnelle patristique dans laquelle le processus de la grùce était défini comme le résultat de la coopération entre Dieu et l'homme du début à la fin.

« La juste foi dans le Christ et le commencement de toute volonté bonne sont inspirés, selon la vérité catholique, aux sens de chacun par la grùce prévenante de Dieu[5]. »

Cette doctrine vise Ă  un compromis entre deux extrĂȘmes, le pĂ©lagianisme et le prĂ©destinationisme absolu — par opposition au prĂ©destinationisme au sens de prĂ©connaissance de Dieu, qui cependant laisse libre. Le semi-pĂ©lagianisme fut condamnĂ© au deuxiĂšme Concile d'Orange en 529, aprĂšs des controverses qui s'Ă©tendirent sur plus d'une centaine d'annĂ©es. Le concile qui se prononçait ainsi contre tous ceux qui donnaient un rĂŽle plus important au libre arbitre, condamna simultanĂ©ment la thĂ©orie de la double prĂ©destination.

Le terme semi-pĂ©lagianisme fut d'abord utilisĂ© dans les milieux savants pour dĂ©signer l'hĂ©rĂ©sie provençale. DĂšs le VIe siĂšcle jusqu'au XVIe siĂšcle, elle avait Ă©tĂ© dĂ©signĂ©e comme un « reliquat pĂ©lagien » (reliquiƓ Pelagianorum), dĂ©nomination primitivement utilisĂ©e par Augustin (Ép. CCXXV, 7, PL. XXXIII, 1006)[3]. Il a Ă©tĂ© crĂ©Ă© entre 1590 et 1600 Ă  propos du thĂ©ologien Molina et de sa doctrine sur la grĂące[3]. Ses adversaires l'accusĂšrent d'ĂȘtre trĂšs proche de l'hĂ©rĂ©sie des moines provençaux[6]. AprĂšs cette assimilation, le terme de semi-pĂ©lagianisme a dĂ©signĂ© la doctrine humaniste Ă©laborĂ©e par les moines des abbayes de Saint-Victor et de LĂ©rins[3].

Début et fin du semi-pélagianisme en Provence (418-529)

Les prémices

En 360, dans l'Ăźle de Bretagne, naissait PĂ©lage qui, devenu moine, nia la nĂ©cessitĂ© de la grĂące pour ĂȘtre sauvĂ©. Il est contemporain de Saint Augustin.

Au dĂ©but du Ve siĂšcle, en 412, sous la prĂ©sidence du mĂ©tropolite AurĂšle, un concile est rĂ©uni Ă  Carthage[7]. Il condamne les donatistes et un canon dĂ©savoue les pĂ©lagiens que honnit Saint Augustin, Ă©vĂȘque d’Hippone. PĂ©lage est Ă  ce moment-lĂ  Ă  JĂ©rusalem au cĂŽtĂ© de saint JĂ©rĂŽme. Quatre ans plus tard, un second concile a lieu Ă  Carthage pour condamner de nouveau les thĂšses de PĂ©lage[8].

Jean Cassien Ă  Marseille

Table d'autel de Saint-Victor, un des rares vestiges datant de la création de l'abbaye.

Deux ans plus tard, en 415, Jean Cassien, l’ami de saint Jean Chrysostome, arriva Ă  Marseille[9] oĂč il fut accueilli par l’évĂȘque Proculus. FormĂ© au monachisme oriental, il fonda l'abbaye Saint-Victor et un monastĂšre de femmes. La bibliothĂšque abbatiale, tout comme celle de LĂ©rins, avec plus de trois cents volumes, proposait, outre les Ă©crits des PĂšres de l'Église, les meilleurs auteurs grecs et latins[10]. Un an plus tard, pour fuir les Goths, saint Eucherius (Eucher) et son fils Veranus (saint VĂ©ran) se retirent Ă  l'abbaye de LĂ©rins[11], afin d'entrer dans la « communautĂ© des Marseillais[12] ». Tandis qu’Eucher hĂ©site entre PĂ©lage et saint Augustin, toujours en 416, saint Paulin de Nole Ă©crit son « Chant de la Providence », vĂ©ritable poĂšme d’espoir d’un Ă©vĂȘque pĂ©lagien confrontĂ© Ă  l’invasion barbare.

En 417, dĂ©cĂšde le pape Innocent Ier qui avait condamnĂ© les pĂ©lagiens. Saint Augustin, aprĂšs avoir convoquĂ© deux Conciles en Afrique, et ensuite envoyĂ© les dĂ©cisions de ces Conciles au pape afin qu'il donne son approbation et puisse contribuer Ă  mettre fin Ă  cette hĂ©rĂ©sie (le cƓur du parti pĂ©lagien se trouvant Ă  Rome et sous la juridiction directe du Pape), se rĂ©jouit de l'accord d'Innocent, et Ă©crivit en s'adressant fictivement aux PĂ©lagiens : “Vestra vero apud competens iudicium communium episcoporum modo causa finita est" (Contre Julien, Livre III, I, 5)[13]. Or Zosime, qui lui succĂ©da, Ă©tait proche de Patroclus, l’évĂȘque pĂ©lagien d’Arles[14]. L’Église entra en Ă©bullition. Deux ans auparavant, Paul Orose, disciple de l’évĂȘque d’Hippone, avait rĂ©digĂ© son Liber apologeticus de arbitrii libertate contre PĂ©lage[15]. Mais en 418, Ă  la demande du mĂ©tropolite d’Arles, Zosime donna son absolution au moine breton. À l'instigation d’Augustin, les pĂ©lagiens furent de nouveau condamnĂ©s par un troisiĂšme concile tenu Ă  Carthage en 418.

Les canons de ce concile declarerent que la grĂące Ă©tait absolument nĂ©cessaire pour faire le bien. Augustin avait d'ailleurs Ă  contrer en Afrique ceux qui suggĂ©raient que la foi trouvait ses racines dans la libre volontĂ© de l’ĂȘtre humain. Ce fut une thĂšse dĂ©fendue, en 420, par un dĂ©nommĂ© Vitalis et un point de vue entiĂšrement semi-pĂ©lagien. L’évĂȘque d’Hiponne le fit rapidement changer de doctrine[3].

Un deuxiĂšme conflit Ă©clata dans le monastĂšre d'HadrumĂšte, en 424. Un moine du nom de Florus, ami de Saint Augustin, dĂ©fendit une thĂšse identique Ă  laquelle le monastĂšre adhĂ©ra. InformĂ© par deux jeunes novices, Cresconius et Felix, l'Ă©vĂȘque envoya au monastĂšre, en 426 ou en 427, son ouvrage De gratia et libero arbitrio, dans lequel il soutenait que la grĂące divine (gratia irresistibilis), ne portait pas atteinte Ă  la libertĂ© humaine. Le monastĂšre rentra dans le rang[3].

S. Augustin, Ă©vĂȘque d'Hippone, vue d'artiste (1885)

Les moines de Saint-Victor et de LĂ©rins, informĂ©s des positions de saint Augustin, les Ă©tudiĂšrent avec moins d’indulgence que ceux d'Hadrumete et repoussĂšrent les thĂšses augustiniennes. Convaincu que l’enseignement de saint Augustin concernant la nĂ©cessitĂ© et le don gracieux de la grĂące n’était pas orthodoxe, Cassien avait dĂ©jĂ  exposĂ© ses idĂ©es dans ses « ConfĂ©rences ». Il ne faisait que reprendre la pensĂ©e de saint Jean Chrysostome, qui avait enseignĂ© que la volontĂ© de l'homme le porte Ă  plus d’initiative que ce qu'expliquait l'Ă©vĂȘque dans ses Ă©crits. Pour lui et ses disciples, dont Hilaire, Ă©vĂȘque d’Arles depuis 430, ces gloses venues d'Afrique Ă©taient erronĂ©es et en contradiction avec la doctrine traditionnelle [3].

De plus, les abbayes de LĂ©rins et de Saint-Victor, foyers de culture classique et d’humanisme, jouaient leur rĂŽle de formation pastorale. En 420, Proculus, Ă©vĂȘque de Marseille, fait construire la premiĂšre Ă©glise, connue sous le nom de la « Major » (ecclesia major)[16]. Avec elle, l’Église de Marseille affichait sa puissance, sa richesse et son originalitĂ©, mais affirmait surtout sa primautĂ© dans le cadre de la dĂ©fense doctrinale de l'humanisme semi-pĂ©lagien[17]. Un an plus tard, Jean Cassien publia ses « Institutions cĂ©nobitiques », qu’il dĂ©dia Ă  son ami Castor, l’évĂȘque d’Apt, qui lui avait demandĂ© cette composition[9].

En Palestine, le moine PĂ©lage dĂ©cĂšde en 422, Ă  l’ñge de 62 ans. Son enseignement, sous les critiques de saint JĂ©rĂŽme, s'Ă©tait affinĂ©[18]. Il expliquait que le pĂ©chĂ© originel n’entachait pas l’humanitĂ© et que l'homme pouvait parvenir seul Ă  Ă©viter de fauter. En niant la grĂące, il dĂ©valuait les sacrements, ainsi que le rĂŽle dĂ©volu aux bienheureux censĂ©s en ĂȘtre les intermĂ©diaires (charismata)[19]. Cette mĂȘme annĂ©e voit, Ă  LĂ©rins, le dĂ©part de saint Eucher, qui se fait ermite dans le Luberon, et de son fils VĂ©ran qui se retire dans la vallĂ©e du Loup. Mais son cadet Salonius entre en religion dans cette abbaye, oĂč il a comme maĂźtres les moines Salvien et saint Vincent de LĂ©rins.

Saint-Victor et Lérins, foyers de semi-pélagianisme

Cinq ans plus tard, Ă  LĂ©rins, Maximus succĂšde comme abbĂ© Ă  Honorat qui monte sur le siĂšge mĂ©tropolitain d’Arles[20]. Le nouvel abbĂ© fait adopter la seconde « RĂšgle des quatre PĂšres ». Leontius, l’évĂȘque de FrĂ©jus, facilite cette nouvelle orientation. Cette annĂ©e-lĂ , Prosper d’Aquitaine et un certain Hilarius, quittent Bordeaux pour s’installer Ă  Marseille[3].

Jean Cassien.

EnthousiasmĂ©s par cette nouvelle vie monastique, ils Ă©crivent par deux fois Ă  Augustin lui dressant un tableau de la thĂ©ologie dĂ©veloppĂ©e par l'abbĂ© de Marseille[21]. Cassien faisait la distinction entre le dĂ©but de la foi (Initium fidei) et l'augmentation de la foi (Augmentum fidei). La premiĂšre trouvait ses racines dans la volontĂ© libre, tandis que son augmentation dĂ©pendait uniquement de Dieu. Il expliquait aussi que le don de la grĂące doit ĂȘtre maintenue contre PĂ©lage dans la mesure oĂč tout mĂ©rite strictement naturel est exclu, ce qui, toutefois, n'empĂȘche pas une certaine demande de grĂące. Enfin, en ce qui concernait la persĂ©vĂ©rance, elle ne devait pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un don de la grĂące, puisque l’homme peut de sa propre force persĂ©vĂ©rer jusqu'Ă  la fin. Ces trois propositions contiennent toute l'essence du semi-pĂ©lagianisme[3].

L'Ă©vĂȘque adressa (428 ou 429) Ă  Prosper et Hilarius deux de ses Ɠuvres De prĂŠdestinatione sanctorum et De perseverantiĂŠ don[22]. En rĂ©futant leurs errements, il ajoutait que, lui-mĂȘme avait Ă©tĂ© pris dans une « semblable erreur » et que seule la premiĂšre Ă©pitre de Paul aux Corinthiens lui avait ouvert les yeux[3].

Ces Ă©crits communiquĂ©s aux moines cassianites restĂšrent sans effets. OffensĂ© par leur obstination, Prosper se lança dans une polĂ©mique publique. AprĂšs une lettre Ă  Rufin sur la grĂące et le libre-arbitre[23], il Ă©crivit son Epigrammata en obtrectatorem Augustini dirigĂ© contre Cassien lui-mĂȘme[3].

DĂšs lors, ce thĂ©ologien laĂŻc va polĂ©miquer avec Jean Cassien et ses partisans. Ce fut en 427, qu'Ă  Narbonne, dĂ©cĂ©da l’évĂȘque Bonosus auquel succĂ©da son fils Rustique de Narbonne. Ce moine cassianite, ordonnĂ© prĂȘtre Ă  Marseille, se rĂ©clamait de la doctrine de Cassien[24]. À Marseille, un an plus tard, aprĂšs la mort de l’évĂȘque Proculus, le prĂȘtre Venerius, ami de l’évĂȘque Rusticus de Narbonne, lui succĂ©da[14].

Ce foisonnement du semi-pĂ©lagianisme inquiĂ©ta les partisans de la grĂące. En 429, Ă  la demande de CĂ©lestin Ier, pontife romain, l’évĂȘque Germain l’Auxerrois arrive dans l’üle de Bretagne pour y extirper l’hĂ©rĂ©sie de PĂ©lage. Comme le flambeau du pĂ©lagianisme avait Ă©tĂ© repris par Julien d'Eclane, l’évĂȘque d’Hippone prĂ©para son traitĂ© « Contre Julien ». L'ensemble de ses Ă©crits fondent l’augustinisme.

Augustin dĂ©cĂ©da le , tandis que les Vandales assiĂ©geaient Hippone. DĂ©sormais, Prosper, son meilleur disciple, allait rester seul avec Hilarius dans la Provincia face aux redoutables thĂ©ologiens formĂ©s Ă  l’école lĂ©rinienne et cassanite. Convaincus qu’ils ne pouvaient pas rĂ©ussir Ă  les faire cĂ©der, les deux hommes se rendirent Ă  Rome, en 431, afin d’exhorter CĂ©lestin Ier Ă  prendre des mesures contre les Marseillais. Le pape, hĂ©sitant, se contenta d’une exhortation aux Ă©vĂȘques de Gaule, leur demandant de protĂ©ger la mĂ©moire d’Augustin de toute calomnie en imposant le silence Ă  ses contradicteurs[25].

À son retour, Prosper put prĂ©tendre agir en vertu de l'autoritĂ© du SiĂšge apostolique (ex auctoritate Apostolicae Sedis). Sa tache fut ardue tant les prĂ©lats issus des deux abbayes provençales avaient affinĂ©s leurs arguments contre Augustin. Au cours des annĂ©es 431-32, il tenta de repousser les « calomnies des Gaulois » dans ses Responsiones ad capitula objectionum Vincentianarum[26], Responsiones ad capitula objectionum Gallorum et enfin, Responsiones ad Excerpta Genuensium. Puis en 433, il s’en prit Ă  Cassien lui-mĂȘme dans son pamphlet, De gratia et libero arbitrio contre Collatorem[25].

Mais la réaction provençale eut raison de lui. Les moines marseillais, dont l'influence doctrinale gagnait du terrain, étaient maintenant convaincus de leur victoire. Ils en étaient d'autant plus assurés que Rome n'avait pas encore pris de décision. Ce semi-pélagianisme devint la tendance qui prévalut désormais en Gaule. Il convient, toutefois, de ne parler que de prédominance, et non pas de suprématie en cette période[25].

En 433, Ă  LĂ©rins, Maximus fut sollicitĂ© pour succĂ©der Ă  Leontius, l’évĂȘque de FrĂ©jus qui venait de dĂ©cĂ©der, ou Ă  dĂ©faut, redonner vie au diocĂšse d’Antibes sans titulaire depuis la mort de Remigius. Il refusa, quitta son abbaye et partit fonder l'Ă©vĂȘchĂ© de Riez oĂč il allait faire Ă©difier le baptistĂšre. Tandis que Theodorus montait sur le siĂšge Ă©piscopal de FrĂ©jus, le Breton Faustus devenait le troisiĂšme abbĂ© de LĂ©rins. Disciple de PĂ©lage, il eut l’intelligence de se rĂ©clamer de JĂ©rĂŽme contre Augustin sur la question de la grĂące. Le lĂ©rinien Salvien lui servit de lien avec l’abbĂ© Jean Cassien. Les deux abbayes provençales approfondissent dĂšs lors leur doctrine humaniste. L’annĂ©e suivante, le moine Vincent de LĂ©rins rĂ©digea son Commonitorium pro catholicĂŠ fidei antiquitate. Cet exposĂ© de la thĂ©ologie traditionnelle sur le dĂ©veloppement des dogmes peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le premier catĂ©chisme.

En 435, Ă  Saint-Victor, mourut Jean Cassien. Prosper d’Aquitaine, son adversaire augustinien, quitta alors Marseille pour se rendre Ă  Rome oĂč y devint un familier du futur pontife LĂ©on[27]. MalgrĂ© la mort de leur fondateur les cassianistes restĂšrent trĂšs actifs. Le plus important reprĂ©sentant de cet humanisme, aprĂšs Cassien, fut dĂšs lors l'abbĂ© Faustus de LĂ©rins, futur Ă©vĂȘque de Riez[25]. En 439, Ă  Marseille, le prĂȘtre Salvien commença la rĂ©daction de son traitĂ© « Sur le gouvernement de Dieu » (De gubernatione Dei) tout empreint de l'humanisme semi-pĂ©lagien et qui prenait le contre-pied des thĂšses de « La citĂ© de Dieu » de l’évĂȘque d’Hippone. Le thĂ©ologien de LĂ©rins, y dĂ©nonçait les vices des Romains et les fautes des chrĂ©tiens, responsables selon lui des malheurs du temps.

Un an aprĂšs, Salonius, le second fils d’Eucher, Ă©lĂšve de Salvien et de Vincent de LĂ©rins, fut Ă©lu Ă©vĂȘque de GenĂšve. C’est ce prĂ©lat qui prĂ©sida Ă  la rĂ©fection de l'ecclesia nord qui prit le nom de Saint-Pierre de GenĂšve et fit construire, lui aussi, le nouveau baptistĂšre.

La diffusion de la doctrine dans la Narbonnaise et en Irlande

Cette mĂȘme annĂ©e 440, Ă  Marseille, l’évĂȘque Lazarus consacra la premiĂšre Ă©glise abbatiale de Saint-Victor[14]. Elle avait Ă©tĂ© voulue par Jean Cassien avant sa mort. La similitude des autels palĂ©o-chrĂ©tiens de Saint-Marcel de Crussol et de Vaugines avec ceux de l’abbaye marseillaise laisse supposer l’essaimage de prieurĂ©s cassianites dans les vallĂ©es du RhĂŽne et de la Durance et la diffusion de leur humanisme semi-pĂ©lagien[28]. À la mĂȘme pĂ©riode, dans le Luberon, des ermites, disciples de Castor d'Apt, l'ami de Jean Cassien, vivaient dans la falaise de Buoux, soit dans les grottes, soit au sommet de pitons rocheux accessibles seulement par des cordes ou des Ă©chelles[10] .

L’évĂȘque de Marseille dĂ©cĂ©da le et fut inhumĂ© dans l’abbaye victorienne oĂč sa pierre tombale porte gravĂ©e :

« Ci-gĂźt, le pape Lazare de bonne mĂ©moire, qui vĂ©cĂ»t dans la crainte de Dieu, plus ou moins DXX ans et s’endormit dans la paix la veille des calendes de septembre. »

DĂšs lors la sĂ©pulture de cet Ă©vĂȘque fut confondue avec celle de Lazare le RessuscitĂ©. Ainsi fut crĂ©Ă© le mythe de la venue des saints de BĂ©thanie en Provence[29] - [30].

Les prĂ©lats lĂ©riniens et victoriens continuaient toujours Ă  avoir le vent en poupe. En 445, Ă  Narbonne, l'Ă©vĂȘque Rusticus fit graver, sur un linteau de marbre l’inscription dĂ©dicatoire de son « ecclesia episcopalis ». C’est le plus bel exemple de dĂ©dicace palĂ©o-chrĂ©tienne des Gaules :

« Avec l’aide de Dieu et du Christ, ce linteau de porte a Ă©tĂ© placĂ© la quatriĂšme annĂ©e de la construction de l’ecclesia, alors que l’empereur Valentinien (III) exerçait le consulat pour la sixiĂšme fois, le 3 des calendes de dĂ©cembre (29 novembre), dans la dix-neuviĂšme annĂ©e d’épiscopat de Rusticus[31]. »

Sur les quatre colonnes est inscrit :

« L’évĂȘque Rusticus, fils de l’évĂȘque Bonosus, neveu de l’évĂȘque Arator par sa sƓur, compagnon de monastĂšre de l’évĂȘque Venerius, prĂȘtre de l’Eglise de Marseille en mĂȘme temps que ce dernier, a, dans sa quinziĂšme annĂ©e d’épiscopat, le cinquiĂšme jour de cette annĂ©e, le troisiĂšme jour avant les ides d’octobre[32], avec l’aide du prĂȘtre Ursus, du diacre HermĂšs et de leurs gens, commencĂ© de reconstruire les murs de l’ecclesia auparavant dĂ©truite par un incendie. Au trente septiĂšme jour, il a commencĂ© de poser les pierres taillĂ©es sur les fondations. La deuxiĂšme annĂ©e [de la construction de l’église], le septiĂšme jour avant les ides d’octobre[33], le sous-diacre Montanus a terminĂ© l’abside, Marcellus, le prĂ©fet des Gaules, le fidĂšle de Dieu, a alors sollicitĂ© l’évĂȘque d’accepter cette charge, en lui promettant les moyens nĂ©cessaires : le versement par lui, pendant les deux ans que sa fonction durera, de 600 sous d’or pour le salaire des ouvriers et de 1 500 sous pour les travaux. S’y ajoutent les dons de l’évĂȘque Venerius, 100 sous ; d’Oresius, 200 sous ; d’Agroecius... et de Deconianus... ; de Salutius[34]... »

Tandis que le semi-pĂ©lĂ©gianisme s’installait sans opposition dans les Narbonnaises premiĂšre et seconde, son foyer breton Ă©tait menacĂ© par une invasion. En 446, les Britanniques lancĂšrent un appel dĂ©sespĂ©rĂ© au gĂ©nĂ©ral romain Ætius pour qu’il vint, avec ses lĂ©gions, les protĂ©ger des Pictes. Ce ne fut pas Ravenne qui rĂ©pondit mais Rome. L’üle Ă©tant un nid de partisans de PĂ©lage, LĂ©on Ier y envoya Loup, l’évĂȘque de Troyes. Cet ancien lĂ©rinien avait montrĂ© sa valeur dans les joutes thĂ©ologiques qui l'avait opposĂ© Ă  Salvien et Ă  l’abbĂ© Faustus. L’annĂ©e suivante, Ă  l'appel du tiern breton Vortigern, les Angles et les Saxons, conduits par leurs chefs Hengist et Horsa, envahirent l'Ăźle de Bretagne, pour lutter contre les Pictes[35]. Loup de Troyes accusa le tiern de pĂ©lagianisme mĂątinĂ© d'inceste et d'adultĂšre. Ce fut le dĂ©but de la migration des Bretons insulaires christianisĂ©s vers le continent et plus spĂ©cialement vers l'Armorique. Cet exil fut Ă  l’origine de monachisme celte qui trouva son apogĂ©e avec Colomban.

Les conciles d'Arles et de Lyon condamnent Lucidus

À l'abbaye de LĂ©rins, le moine Vincent dit le PĂšlerin, auteur du Commonitorium, dĂ©cĂ©da en 450. Un an plus tard, son ami Salvien, aprĂšs douze ans de travail, put mettre un terme Ă  la rĂ©daction de son ouvrage « Sur le Gouvernement de Dieu » auquel Gennade donna le nom de De prĂŠsenti judicio. Il s'Ă©teignit Ă  l’ñge de 94 ans. Ce lĂ©rinien, originaire de TrĂšves, avait Ă©tĂ© l’ami d’Honorat qui l'accueillit dans son Ăźle avec son Ă©pouse puis l'ordonna prĂȘtre. Ce chrĂ©tien libĂ©ral, thĂ©oricien du semi-pĂ©lagianisme, avait fait Ɠuvre de moraliste, d'historien et d'apologiste. Il fut surnommĂ© par ses contemporains « le nouveau JĂ©rĂŽme ». Salvien avait formĂ© nombre de prĂ©lats en leur faisant partager son idĂ©al humaniste et fut pour cela considĂ©rĂ© comme le « maĂźtre des Ă©vĂȘques[36] ».

Le mourut Maxime, l'ancien abbĂ© de LĂ©rins devenu Ă©vĂȘque de Riez. Il fut inhumĂ© dans la basilique hors les murs de Saint-Alban qui dĂšs lors pris son nom. Un an aprĂšs, au cours du mois de janvier, Faustus, l’abbĂ© de LĂ©rins, monta sur le siĂšge Ă©piscopal de Riez. Anselme lui succĂ©da en tant qu'abbĂ©. Le Breton, devenu Ă©vĂȘque, continua, avec le plein assentiment des prĂ©lats provençaux, Ă  dĂ©velopper les thĂšses chĂšres Ă  Jean Cassien, Ă  Salvien de Marseille et Ă  Vincent de LĂ©rins, en enseignant que toute grĂące nĂ©cessaire au salut devait ĂȘtre mĂ©ritĂ©e par l’homme. Prosper d'Aquitaine, dit Prosper Tiro fustigea cette hĂ©rĂ©sie.

Dix ans plus tard, le mĂ©tropolitain Leoncius d’Arles prĂ©sida le grand concile arlĂ©sien qui rĂ©unit vingt-neuf prĂ©lats de la Gallia orientale descendus de Lyon, Autun et GenĂšve. Le prĂȘtre Lucidus, en raison de ses thĂšses augustiniennes radicales, avait attirĂ© l'attention sur lui. Les pĂšres conciliaires le condamnĂšrent pour avoir prĂȘchĂ© la prĂ©destination et stigmatisĂ© la doctrine des Marseillais[37].

Cette condamnation d'Arles fut suivie d'un synode Ă  Lyon, en 474, oĂč Lucidus fut Ă  nouveau mis en cause. L’assemblĂ©e des Ă©vĂȘques demanda alors Ă  Fauste de Riez d'Ă©crire un texte rĂ©futant et condamnant l'hĂ©rĂ©siaque augustinien, ce qu'il fit dans De gratia dei et libero arbitrio, libri II[25] - [38].

Sanctification des Ă©vĂȘques

Ces deux conciles marquĂšrent un moment important dans l'apogĂ©e du semi-pĂ©lagianisme. DĂšs lors un climat religieux apaisĂ© permit aux lĂ©riniens et aux cassianites de se lancer dans l'apologie de leurs saints Ă©vĂȘques. Les actes (vita ou sermo) qui en sont tĂ©moins s'Ă©chelonnent majoritairement au cours du Ve siĂšcle et VIe siĂšcle[39].

DĂ©jĂ , quand Arles prĂ©tendit au rĂŽle de mĂ©tropole de la Gallia, Ă  Rome, le pape Zozime n'avait pas hĂ©sitĂ© Ă  soutenir cette exigence. En 417, il inventa un Trophime censĂ© avoir Ă©tĂ© envoyĂ© par l'apĂŽtre Pierre, lui-mĂȘme, Ă©vangĂ©liser la Provincia[39]. Ce saint, inventĂ© de toutes piĂšces, mais qui faisait d'Arles la fille de Rome, dut pourtant attendre 972 pour que fussent inventĂ©es ses reliques dans la cathĂ©drale arlĂ©sienne qui porte aujourd'hui son nom[39]. Paul-Albert FĂ©vrier note que la Vie de ce saint mythique s'Ă©toffa au cours des siĂšcles. Il fut expliquĂ© d'abord qu'il avait Ă©tĂ© ordonnĂ© Ă©vĂȘque par l'apĂŽtre Paul, puis qu'il cousinait avec Étienne, le proto-martyr, et qu'ensuite il Ă©tait apparu aux barons de Charlemagne[40].

Plus sĂ©rieuses sont les Vies d'Honorat, de Maxime et d'Hilaire[41]. Celle du fondateur de l'abbaye de LĂ©rins fut d'ailleurs rĂ©digĂ©e par son successeur sur le siĂšge Ă©piscopal. Hilaire prononça ce sermo, lors du jour anniversaire de sa mort et ce texte peut donc ĂȘtre situĂ© entre 430 et 439. Le prĂ©lat mit l'accent sur sa double vocation, sur ses miracles et sur l'importance de sa vie Ă©rĂ©mĂ©tique[42]. Cette trame servit de modĂšle pour toutes les autres Vies des Ă©vĂȘques semi-pĂ©lagiens[41]. Ces trois thĂšmes furent repris par Fauste de Riez quand il rendit hommage Ă  Maxime, son prĂ©dĂ©cesseur dans son Sermo de sancto Maximo episcopo et abbate[41]. Ces deux sermons par l'importance qu'ils accordent aux miracles prouvent qu'alors un culte se dĂ©veloppait autour de leurs lieux d'inhumation[41].

La vie d'Hilaire fut Ă©crite au cours de l'Ă©piscopat de Fauste, entre 462 et 485. Son rĂ©dacteur, un certain Reverandus, se dit proche de l'Ă©vĂȘque. Celui-ci est prĂ©sentĂ© comme un modĂšle, imitateur du Christ et tĂ©moin de l'Évangile. L'Ă©vĂȘque qui, lors de son Ă©lection, avait Ă©tĂ© survolĂ© par une colombe est depuis sa mort entrĂ© dans la Gloire de Dieu[41]. Si, en l'Ă©tat actuel des recherches des historiens, il n'existe pas de Vie de Fauste de Riez, celui-ci participa intensĂ©ment Ă  ce mouvement en rĂ©unissant dans son Eusebius gallicus nombre de sermo prononcĂ© Ă  des dates diverses du calendrier liturgique[43].

Le concile d'Orange

Il faut attendre le VIe siĂšcle pour assister au revirement des deux Narbonnaises. À Constantinople, Joannes Maxentius, un des chefs de file des moines scythes, dans sa lutte contre le nestorianisme et le monophysisme, souleva la question de l'orthodoxie de Fauste et de la doctrine des Marseillais en gĂ©nĂ©ral. Comme aucune dĂ©cision ne pouvait ĂȘtre prise sans l'assentiment de Rome, en juin 519, plusieurs moines furent chargĂ©s de dĂ©poser une pĂ©tition devant le pape Hormisdas. Au cours de leurs quatorze mois de rĂ©sidence Ă  Rome, ils employĂšrent tous les moyens pour inciter le pontife Ă  reconnaĂźtre leur christologie et Ă  condamner l'Ă©vĂȘque de Riez[44].

Hormisdas ne cĂ©da pas Ă  leur demande. Dans une rĂ©ponse Ă  l'Ă©vĂȘque Possesseur (Possessor) de Coutances, en date du , il se plaignit de la maladresse et de la conduite fanatique des moines scythes Ă  son Ă©gard[45]. Le pontife romain dĂ©clara dans la mĂȘme lettre, que les Ɠuvres de Fauste contenaient nombre de choses qui avaient Ă©tĂ© dĂ©formĂ©es (incongrua) et qu'il ne figurait pas parmi les Ă©crits reconnus des PĂšres. Pour lui, la saine doctrine sur la grĂące et la libertĂ© ne pouvaient ĂȘtre prises qu'Ă  partir des Ă©crits d’Augustin[44].

Cette rĂ©ponse Ă©vasive du pape fut loin d'ĂȘtre satisfaisante pour Joannes Maxentius. Il rechercha alors le soutien des Ă©vĂȘques africains, qui vivaient en exil en Sardaigne, ayant fui les persĂ©cutions du roi vandale Thrasamund. Fulgentius de Ruspe au nom de ses collĂšgues, se chargea de l'affaire. Dans une longue Ă©pĂźtre[46], il fĂ©licita les Scythes, approuvant l'orthodoxie de leur christologie et formula la condamnation de Fauste de Riez[44].

Le coup portĂ© eut ses effets tant en Gaule qu'Ă  Rome. L'Ă©vĂȘque CĂ©saire d'Arles, pourtant moine de LĂ©rins, fut sensible Ă  l'argumentation et ses vues partagĂ©es par un certain nombre d'Ă©vĂȘques, d'autres prĂ©lats dĂ©clarant toujours leur attachement Ă  la doctrine humaniste des Marseillais. Lors du synode de Valence, en 529, l'Ă©vĂȘque d'Arles s'Ă©tait fait reprĂ©sentĂ© par Cyprien de Toulon. Alors qu'il pensait faire condamner la doctrine, il fut en butte Ă  l'hostilitĂ© de certains de ses collĂšgues sur l'enseignement[44]. Lors du synode de Vaison, cette mĂȘme annĂ©e, le mĂ©tropolite d'Arles avait fait dĂ©cider que chaque paroisse devait ouvrir une Ă©cole pour Ă©duquer les jeunes clercs. C'Ă©tait la premiĂšre initiative en ce sens dans la Gallia. Elle choqua[47].

Ce ne fut que partie remise. Ayant reçu l'assurance de l'autoritĂ© primatiale et le soutien du SiĂšge apostolique, CĂ©saire convoqua le , les prĂ©lats qui lui Ă©taient favorables Ă  un synode (qui deviendra concile) Ă  Orange. Il y assista personnellement et fit condamner l’arianisme et le semi-pĂ©lagianisme en vingt-cinq canons. Boniface II ratifia solennellement les dĂ©crets l'annĂ©e suivante (530).

Rupture ou césure ?

La Vie de CĂ©saire, rĂ©digĂ©e entre 542 et 549, tranche totalement avec les prĂ©cĂ©dentes. Il y est dit que ses rĂ©dacteurs ont fait appel aux souvenirs de ses amis Cyprien de Toulon, Firmin d'UzĂšs et Vincentius. Ils insistent particuliĂšrement sur ses dĂ©mĂȘlĂ©s avec les Goths ariens dans un rĂ©cit anecdotique et moralisateur[48].

La rupture de CĂ©saire avec le semi-pĂ©lagianisme n'influença que peu le culte rendu Ă  leurs Ă©vĂȘques. Dynamius, patrice de Provence, rĂ©digea une nouvelle Vie de Maxime de Riez entre 584 et 589. Plus d'un siĂšcle aprĂšs sa mort, celui-ci restait l'objet d'une vĂ©nĂ©ration. Le patrice, auquel il est d'ailleurs apparu dans l'Ă©glise Saint-Pierre oĂč il avait Ă©tĂ© inhumĂ©, narre qu'il faisait miracle sur miracle[49]. CĂ©saire lui-mĂȘme, s'il changea de doctrine, ne coupa pas les liens qui l'unissait Ă  ses maĂźtres. En reste tĂ©moin son sermo en l'honneur d'Honorat dans lequel il insiste particuliĂšrement sur l'intercession des Ă©lus auprĂšs de Dieu, ce qui est trĂšs augustinien[43]. Rupture qui n'impliqua pas non plus l'exclusion des lĂ©riniens et des cassianites du calendrier liturgique. Au cours du VIIIe siĂšcle et du IXe siĂšcle, Trophime qui avait fait d'Arles la fille de Rome, Ă©tait fĂȘtĂ© le 29 dĂ©cembre, Honorat, le 16 janvier, Hilaire, le 5 mars, CĂ©saire, le 27 aoĂ»t et Maxime, le 27 novembre[50]

D'autres Vies existent sur des Ă©vĂȘques semi-pĂ©lagiens, mais ce sont soit des copies tardives, soit des faux. L'exemplaire de celle d'Eucher, originaire du Luberon, date de 806. Écrite Ă  Lyon, elle fait l'impasse sur sa vie Ă  LĂ©rins. Celle de son fils VĂ©ran, en forme d'Ă©loge, a Ă©tĂ© recopiĂ©e sur un manuscrit du Xe siĂšcle[51]. Quant Ă  Castor d'Apt, sa Vie est dite retranscrite au XIVe siĂšcle par son successeur Raymond de Bot, puis passĂ©e entre les mains de Polycarpe de la RiviĂšre, un faussaire du XVIIIe siĂšcle[52].

Luis Molina.

Développement de l'expression et l'utilisation ultérieure

Luis Molina

Le mot semble avoir été inventé entre 1590 et 1600 à propos de la doctrine du théologien jésuite espagnol Luis Molina[53] sur la grùce, dans lequel les adversaires de ce théologien voient une étroite ressemblance avec l'hérésie des moines de Marseille.

L'Église orthodoxe

L'Église orthodoxe rĂ©fute le pĂ©lagianisme de la mĂȘme façon que les prĂ©tendus semi-pĂ©lagiens. Dans la thĂ©ologie orthodoxe et catholique orientale, la thĂ©osis (divinisation ou dĂ©ification) est l’appel de l’homme Ă  rechercher le salut par l’union avec Dieu, la divinisation de la matiĂšre et la disparition du pĂ©chĂ© [54]. La thĂ©osis a des liens Ă©troits avec les idĂ©es de sanctification et de justification. Cette "divinisation", rendue possible par la participation de la personne humaine aux Ă©nergies divines et dĂ©ifiantes de la Sainte TrinitĂ©, suppose le bon vouloir de l'homme, un effort soutenu tendu vers la pratique des commandements et des vertus Ă©vangĂ©liques. Ainsi, dans la thĂ©ologie orthodoxe du salut, la gratuitĂ© du don de la grĂące incrĂ©Ă©e de Dieu ne va pas Ă  l'encontre du libre arbitre de la personne humaine, mais suppose plutĂŽt l'Ă©tat d'esprit ascĂ©tique essentiel Ă  toute vie spirituelle authentique en Christ, exprimĂ©e par Saint Paul par les expressions analogiques "soldats du Christ" qui "mĂšnent le bon combat", et "athlĂštes" qui mĂšnent la bonne course vers le salut. Bien que Dieu respecte le libre arbitre de l'homme et attende de lui des signes d'amour et une "coopĂ©ration" (ÏƒÏ…ÎœÎ­ÏÎłÎ”Îčα) de sa volontĂ©, il va de soi que l'homme ne saurait rapporter les fruits des dons de la grĂące Ă  son seul labeur personnel. Il ne doit pas se glorifier de ses Ɠuvres, mais louer Dieu, car bien qu'il ait Ă©ventuellement "menĂ© le bon combat" Ă  l'aide de sa volontĂ© naturelle en coopĂ©ration avec la grĂące baptismale, nul n'est "digne" du don de la grĂące.

Cette doctrine est parfois appelĂ©e, en Occident, « semi-pĂ©lagianisme », en particulier par les thĂ©ologiens protestants, car elle suggĂšre que l'homme contribue Ă  son propre salut[55]. Jean Cassien, connu surtout pour ses enseignements sur la thĂ©osis et ses Ɠuvres ascĂ©tiques fidĂšles Ă  l'esprit et aux traditions du monachisme oriental, est considĂ©rĂ© comme un saint dans l'Église d'Orient[56], Augustin d'Hippone est aussi considĂ©rĂ© comme un saint par l'Église orthodoxe (sans ĂȘtre pour autant un "Docteur de l'Eglise"), qui exprime cependant des rĂ©serves sur les points de son enseignement qui rĂ©futent les pĂ©lagiens et qui portent sur l'action de Dieu dans le salut (ainsi que sur maints autres points, notamment au sujet du "pĂ©chĂ© originel" et de certaines spĂ©culations sur la Sainte TrinitĂ©).

RĂ©forme

Jacobus Arminius.

À une Ă©poque plus rĂ©cente, le mot est utilisĂ© par les protestants calvinistes pour dĂ©signer toute personne qui s'Ă©carte des doctrines de saint Augustin ou de Jean Calvin sur le pĂ©chĂ©, la grĂące et la prĂ©destination, notamment les adeptes de l'arminianisme et les catholiques.

Beaucoup ne sont pas d'accord avec cette généralisation et pensent que c'est diffamatoire pour des arminiens comme Jacobus Arminius, les remontrants qui maintinrent ses vues aprÚs sa mort, John Wesley, etc.

En résumé , on peut considérer que la doctrine de la prédestination développée par Luther puis Calvin est issue d'une simplification des thÚses de saint Augustin.

Le fait que Luther fut un moine augustinienn n'est sans doute pas étranger à cette interprétation.

Jésuites et Jansénistes

Au XVIIe siÚcle, les jansénistes accusent les molinistes, généralement jésuites, de semi-pélagianisme. La bulle papale Unigenitus, en déclarant le jansénisme comme hérésie, donne raison aux arguments des Jésuites.

SiĂšcle des LumiĂšres et le modernisme

Un questionnement dans la controverse moderne est le rÎle de la grùce divine dans le développement de la raison humaine.

À cet Ă©gard, Jean-Jacques Rousseau et d'autres ont Ă©tĂ© accusĂ©s d'ĂȘtre au moins semi-pĂ©lagiens, si ce n'est pĂ©lagiens, parce que la philosophie de l'Ă©poque juge que la grĂące pouvait purement et simplement ĂȘtre remplacĂ©e par la raison humaine.

C'est durant cette période que le dogme de l'Immaculée conception est promulgué, en réaction à toutes les formes de semi-pélagianisme et de pélagianisme qui réduisent au minimum le rÎle de la grùce et du péché.

La constitution pastorale Gaudium et Spes, du concile Vatican II, promulguée par Paul VI en 1965, est considérée par ses détracteurs comme du semi-pélagianisme. Le cardinal Joseph Ratzinger (devenu le Pape Benoßt XVI) en critique la « terminologie carrément pélagienne » dans ses discussions sur le libre arbitre[57].

Notes et références

  1. Mireille Labrousse, Saint Honorat, fondateur de LĂ©rins et Ă©vĂȘque d'Arles, Bellefontaine 1995, page 75.
  2. (en) Nicholas Adams, Ben Quash (éditeur) et Michael Ward (éditeur), Heresies and How to Avoid Them, Londres, SPCK Publishing, (ISBN 978-0-281-05843-3), « Pelagianism: Can people be saved by their own efforts? », p. 91
  3. J. Pohle, op. cit., chap. : Origines du semi-pélagianisme (420-30).
  4. Boniface II, Lettre " Per filium nostrum " Ă  l'Ă©vĂȘque CĂ©saire d'Arles, 25 janvier 531.
  5. idem
  6. Revue des sciences philosophiques et théologiques, 1907, p. 506 ss. Centenaire de la revue
  7. Le premier concile de Carthage contre les pélagiens
  8. Concile de Carthage de 416. Lettre des pĂšres conciliaires Ă  Rome.
  9. Naissance des Arts chrétiens, p. 134.
  10. Jean-Pierre Saltarelli, Eucher ou l'aristocratique refus de la barbarie, La Fontaine de PĂ©trarque, no 21, 2008, p. 17.
  11. Jules Courtet, Dictionnaire du dĂ©partement de Vaucluse, Éd. Lacour, NĂźmes, 1997, p. 81-82.
  12. StĂ©fan Czarnowskin Le culte des hĂ©ros et les conditions sociales, Éd. Ayer Publishing, 1975 (ISBN 0405065000)
  13. « Augustinus Hipponensis - Contra Iulianum - Liber III », sur www.augustinus.it (consulté le )
  14. Jean-Pierre Papon, Histoire générale de Provence, T. I, Paris, 1777, p. 341.
  15. Biographie de Paul Orose
  16. Naissance des arts chrétiens, p. 12.
  17. Naissance des Arts chrétiens, p. 73.
  18. JérÎme. Lettre à Ctésiphon. Les erreurs de Pélage.
  19. DĂ©finition de la charismata
  20. Honorat, fondateur de LĂ©rins et Ă©vĂȘque d'Arles
  21. Augustin, Épitres. CCXXV-XXVI in PL, XXXIII, 1002-12.
  22. De prĂŠdestinatione sanctorum, PL, XLIV, 959, et De perseverantiĂŠ don, PL, XLIV, 993.
  23. Prosper d'Aquitaine, Ep. Rufinum annonce de gratia et libero arbitrio, in PL, XLI 77)
  24. en:Rusticus de Narbonne
  25. J. Pohle, op. cit., chap. : Point culminant du semi-pélagianisme (430-519)
  26. Cette polémique s'adressait à Vincent de Lérins.
  27. Wladimir GuettĂ©e Histoire de l'Église de France, Paris, 1836.
  28. Naissance des arts chrétiens, p. 161-162.
  29. Roger DuchĂȘne, Jean Contrucci, Marseille, 2 600 ans d'histoire, Fayard, Paris, 1998, p. 100 (ISBN 2-213-60197-6)
  30. Édouard Baratier, Histoire de Marseille, Privat, Toulouse, 1990, p. 47
  31. Linteau découvert au XVIIIe siÚcle et déposée au Musée archéologique de Narbonne, Naissance des arts chrétiens, p. 162.
  32. 13 octobre 441
  33. 9 octobre 443
  34. Naissance des Arts chrétiens, p. 163.
  35. Histoire du monde : Biographie de Vortigern
  36. J. F. GrĂ©goire et François-ZĂ©non Collombet, ƒuvres de Salvien, Paris-Lyon, 1833.
  37. Louis Duchesne, Fastes Ă©piscopaux de l'ancienne Gaule, BookSurge Publishing, 2002 (ISBN 1421216272)
  38. Fauste de Riez, De la grĂące de Dieu et du libre arbitre, Association pour l'Ă©tude et la sauvegarde du patrimoine religieux de la Haute-Provence, Digne, 1996.
  39. Paul-Albert FĂ©vrier, Le peuple des saints, p. 18.
  40. Paul-Albert FĂ©vrier, Le peuple des saints, p. 19.
  41. Paul-Albert FĂ©vrier, Le peuple des saints, p. 20.
  42. Hilaire d'Arles, Vie de saint Honorat, Éd. M. D. Valentin, Paris, 1977.
  43. Paul-Albert FĂ©vrier, Le peuple des saints, p. 30.
  44. J. Pohle, op. cit., chap. : Déclin et fin du semi-pélagianisme (519-30)
  45. A. Thiel, Epistolae Romanor. Pontif . genuinĂŠ, I, Braunsberg, 1868.
  46. Fulgentius, Ep. XVII, De incarnatione et gratia.
  47. Application des canons sur les Ă©coles paroissiales du synode de Vaison en 529
  48. Paul-Albert FĂ©vrier, Le peuple des saints, p. 21.
  49. Paul-Albert FĂ©vrier, Le peuple des saints, p. 22.
  50. Paul-Albert FĂ©vrier, Le peuple des saints, p. 31.
  51. Paul-Albert FĂ©vrier, Le peuple des saints, p. 23.
  52. Paul-Albert FĂ©vrier, Le peuple des saints, p. 22-23.
  53. Lucien BĂ©ly, Louis XIV, Éd. Jean-Paul Gisserot, Paris, 2005 (ISBN 9782877477727)
  54. Michael Prokurat, Alexander Golitzin, Michael D. Peterson, The A to Z of the Orthodox Church, Rowman & Littlefield, USA, 2010, p. 321
  55. (en) Michael Horton et James Stamoolis (éditeur), Three Views on Eastern Orthodoxy and Evangelicalism, Grand Rapids, Zondervan, (ISBN 0-310-23539-1), « Are Eastern Orthodoxy and Evangelicalism compatible? No », p. 139-140
  56. Jean Cassien ou la synthÚse des PÚres du désert en Occident
  57. (en) John L. Allen, Pope Benedict XVI : A Biography of Joseph Ratzinger, Londres, Continuum, , 352 p., poche (ISBN 978-0-8264-1786-2), p. 81

Annexes

Bibliographie

  • J. Pohle, Semipelagianism, in The Catholic Encyclopedia, Éd. Robert Appleton Company, New York, 1912.
  • NoĂ«l Duval, Jacques Fontaine, Paul-Albert FĂ©vrier, Jean-Charles Picard et Guy Barruol, Naissance des arts chrĂ©tiens, Éd. MinistĂšre de la Culture/Imprimerie Nationale, Paris, 1991, (ISBN 2110811145)
  • Paul-Albert FĂ©vrier, Saints fondateurs et traditions hagiographiques in Le peuple des saints. Croyances et dĂ©votions en Provence et Comtat Venaissin des origines Ă  la fin du Moyen Âge, AcadĂ©mie de Vaucluse, / Éd. Aubanel, Avignon, 1987 (ISBN 2906908002)
  • Jacques Dubois, Cassien Jean, in EncyclopĂŠdia Universalis [en ligne], consultĂ© le .

Articles connexes

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.