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Paragoge

En linguistique et en rhĂ©torique, la paragoge (du grec ancien Ï€Î±ÏÎ±ÎłÏ‰ÎłÎź paragĂŽgáșż « allongement ») ou l’épithĂšse (du grec ancien áŒÏ€ÎŻÎžÎ”ÏƒÎčς epĂ­thesis « ajout ») est une modification phonĂ©tique qui consiste en l’ajout Ă  la fin d’un mot d’un phone (son) ou d’un groupe de phones non Ă©tymologique, c’est-Ă -dire qui n’existait pas dans ce mot dans la langue dont une autre langue l’a hĂ©ritĂ©[1] - [2] - [3] - [4] - [5] - [6].

Dans l’histoire de la langue

La paragoge est prĂ©sente dans l’évolution des mots.

Il peut s’agir de paragoge dans le processus de passage d’une langue base à une autre ou à d’autres langues.

En italien, par exemple, les formes verbales latines esse, sum, cantant ont donnĂ© essere « ĂȘtre », sono « je suis » et cantano « ils/elles chantent »[1].

En roumain, par paragoge Ă©galement, le verbe du latin currere « courir » a Ă©voluĂ© en a curge « couler ». La forme de la premiĂšre personne du singulier de l’indicatif prĂ©sent aurait dĂ» ĂȘtre cur, mais on y a ajoutĂ© le [g] par analogie avec celui de trag ’je tire’[3].

Il peut y avoir paragoge dans l’évolution de mots dans une langue considĂ©rĂ©e comme dĂ©jĂ  constituĂ©e. C’est le cas, par exemple, du mot anglais sound « son ». Son Ă©tymologie est (la) sonus > ancien français son > moyen anglais soun > sound. L’ajout de d s’est fait par analogie avec des mots oĂč n est suivi de d, ex. gender « genre »[2] - [7].

En français, la prĂ©position jusques s’est formĂ©e par paragoge Ă  partir de jusque dans une pĂ©riode relativement ancienne de la langue. Contrairement Ă  d’autres cas, c’est la forme par paragoge qui est tombĂ©e en dĂ©suĂ©tude et c’est le mot d’origine (jusque) qui est courant dans la langue du XXIe siĂšcle[8].

Il y a des cas semblables en hongrois. Des mots à paragoge formés dans des périodes plus anciennes de la langue sont devenus dans la langue actuelle quasi-archaïques et de registre soutenu, ex. majdan < majd « puis »[9], pediglen < pedig « et »[10].

Certains mots empruntĂ©s peuvent Ă©galement ĂȘtre affectĂ©s par la paragoge. En italien, par exemple, elle Ă©tait frĂ©quente pour intĂ©grer les mots Ă©trangers terminĂ©s en consonne, comme les noms de personnalitĂ©s historiques tels David > Davidde ou SĂ©miramis > Semiramisse[11].

En roumain aussi il y a des emprunts avec paragoge, par exemple curmal « dattier », du turc hurma[3].

Dans l’état actuel de la langue

La paragoge est aussi un phĂ©nomĂšne spĂ©cifique pour des variĂ©tĂ©s de langue autres que le registre courant de sa variĂ©tĂ© standard. Dans l’état actuel de la langue il peut y avoir des variantes de mots Ă  paragoge correspondant Ă  des variantes sans paragoge dans le registre courant.

Dans le registre populaire de l’italien, par exemple, il y a des paragoges du genre de celle du nom Semiramisse dans des noms communs qui se terminent en s dans le standard : filobusse < filobus « trolleybus », lapisse < lapis « crayon ». Dans des variĂ©tĂ©s rĂ©gionales de Toscane, par exemple, on entend des paragoges comme mene < me « moi » (pronom personnel complĂ©ment), perchene < perche « pourquoi, parce que »[11].

En roumain aussi il y a paragoge Ă  caractĂšre rĂ©gional, par exemple le participe invariable avec la terminaison -ără dans la formation du passĂ© composĂ©, ex. ați plătitără < ați plătit « vous avez payĂ© »[12].

Des exemples de paragoges dans des variétés régionales du croate sont ondar < onda « alors », ovdjena < ovdje « ici »[6].

Dans des variétés régionales du hongrois aussi on rencontre des paragoges (ex. itteneg < itt « ici »)[5], ainsi que dans le registre populaire, ex. ottan < ott « là-bas », eztet < ezt « celui-ci, celle-ci » (accusatif), aztat < azt « celui-là, celle-là » (accusatif)[4].

La paragoge peut aussi ĂȘtre individuelle. Certains locuteurs de français (par exemple dans les rĂ©gions d'oc), prononcent avec un [ə] final des mots terminĂ©s en consonne ou en voyelle, surtout dans des exclamations, ex. Bonjour-e ! [bɔ̃ˈʒuː.ʁə] < [bɔ̃ˈʒuːʁ][13], Merci-e ! [mɛʁˈsiː.ə] < [mɛʁˈsi][14]. Il peut s’agir d’une analogie avec la prononciation [ə] de e final de mot, qui est Ă©tymologique. En gĂ©nĂ©ral il est muet, mais dans certains contextes phonĂ©tiques il se prononce en français standard (ex. l’autre groupe [ˈloːtʁəˈgʁup]), il est presque toujours prononcĂ© dans le Midi de la France (Elle m’a dit qu’elle viendrait [ɛ.lə.maˈdi.kɛ.lə.vjɛnˈdʁe])[15] et, individuellement, dans des exclamations, il est prononcĂ© dans le nord aussi, ex. ArrĂȘt-e ! [aˈʁɛː.tə] < [aˈʁɛt][16].

L’emploi rhĂ©torique de la paragoge est Ă©galement individuelle. Dans la littĂ©rature française du classicisme, par exemple, elle Ă©tait admise pour des raisons d’euphonie ou pour obtenir le nombre nĂ©cessaire de syllabes dans les vers. C’est dans ces buts qu’était utilisĂ©e la variante de prĂ©position jusques au lieu de jusque devant des mots Ă  initiale vocalique[17]. Exemple :

PercĂ© jusques au fond du cƓur / D’une atteinte imprĂ©vue aussi bien que mortelle, [
] (Pierre Corneille)[18]

Dans la littĂ©rature hongroise, un exemple d’emploi stylistique de mots Ă  paragoge du registre populaire se trouve chez Frigyes Karinthy, pour exprimer de l’ironie :

Egyik hiszi eztet, aztat, / MĂĄsik hiszi aztat, eztet... littĂ©ralement « L’un croit ceci ou ça / L’autre croit ça ou ceci
 »[19].

Segments ajoutés par paragoge

La paragoge consiste en l’ajout d’un seul phone, voyelle ou consonne, ou bien d’un groupe de phones, en gĂ©nĂ©ral une syllabe ou mĂȘme deux.

Un exemple de voyelle en paragoge se trouve dans le mot (it) sono « je suis » < (la) sum[1].

Il y a une consonne ajoutée par exemple dans :

(ro) curmal < (tr) hurma[3] ;
(en) sound « son » < moyen anglais soun[2] ;
(hr) ondar (variante régionale) < onda (variante standard) « alors »[6].

Des exemples de syllabe(s) ajoutée(s) sont :

(it) perchene (régionale) < perche (standard) « pourquoi »[11];
(ro) plătitără (régionale) (deux syllabes) < plătit (standard) « payé »[12] ;
(hr) ovdjena (régionale) < ovdje (standard) « ici »[6] ;
(hu) pediglen (soutenue) < pedig (courante) « et »[10].

Parfois la paragoge concerne un suffixe (y compris une dĂ©sinence) existant dans la langue, mais ajoutĂ© sans qu’il ait existĂ© dans le mot d’origine ou sans justification grammaticale, par exemple dans :

(it) sono « je suis » – dĂ©sinence ajoutĂ©e par analogie avec la forme gĂ©nĂ©rale de 1re personne du singulier[1] ;
(it) essere « ĂȘtre » – la terminaison d’infinitif ajoutĂ©e par analogie avec la forme rĂ©guliĂšre de l’infinitif[1] ;
(hu) ottan « lĂ -bas » – suffixe formateur d’adverbes ajoutĂ© Ă  un adverbe[4] ;
(hu) aztat « ça » – la dĂ©sinence d’accusatif redoublĂ©e[4].

Notes et références

  1. Dubois 2002, p. 184.
  2. Bussmann 1998, p. 372.
  3. Dragomirescu 1995, article epiteză.
  4. Retorikai-stilisztikai lexikon, article Paragogé.
  5. Tótfalusi 2008, article paragógé.
  6. Ladan 2005, article epiteza.
  7. Etymonline, article sound.
  8. TLFi, articles paragoge et jusque(s).
  9. Zaicz 2006, article majd.
  10. Zaicz 2006, article pedig.
  11. Dubois 2002, p. 352.
  12. Avram 1997, p. 225.
  13. Carton 1999, p. 35.
  14. Carton 1999, p. 39.
  15. Kalmbach 2013, § 6.8.3.
  16. Carton 1999, p. 36.
  17. TLFi, article paragoge.
  18. Le Cid, acte 1er, scĂšne VI.
  19. De Az emberke tradĂ©diĂĄja (TragĂ©die du bonhomme), parodie de la piĂšce Az ember tragĂ©diĂĄja (TragĂ©die de l’homme), de Imre MadĂĄch (Retorikai-stilisztikai lexikon, article ParagogĂ©).

Sources bibliographiques

  • (ro) Avram, Mioara, Gramatica pentru toți [« Grammaire pour tous »], Bucarest, Humanitas, 1997 (ISBN 973-28-0769-5)
  • (en) Bussmann, Hadumod (dir.), Dictionary of Language and Linguistics [« Dictionnaire de la langue et de la linguistique »], Londres – New York, Routledge, 1998 (ISBN 0-203-98005-0) (consultĂ© le )
  • Carton, Fernand, « L’épithĂšse vocalique en français contemporain : Ă©tude phonĂ©tique », Faits de langues, no 13, 1999, p. 35-45 (consultĂ© le )
  • (ro) Dragomirescu, Gheorghe, Dicționarul figurilor de stil. Terminologia fundamentală a analizei textului poetic [« Dictionnaire des figures de style. Terminologie fondamentale de l’analyse du texte poĂ©tique »], Bucarest, Editura Științifică, 1995, (ISBN 973-4401-55-6) ; en ligne : Dexonline (DFS) (consultĂ© le )
  • Dubois, Jean et al., Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse-Bordas/VUEF, 2002 (consultĂ© le )
  • (en) Harper, Douglas, Online Etymology Dictionary [« Dictionnaire Ă©tymologique en ligne »] (Etymonline) (consultĂ© le ) (consultĂ© le )
  • Kalmbach, Jean-Michel, PhonĂ©tique et prononciation du français pour apprenants finnophones, version 1.1.9., UniversitĂ© de JyvĂ€skylĂ€ (Finlande), 2013 (ISBN 978-951-39-4424-7) (consultĂ© le )
  • (hr) Ladan, Tomislav (dir.), Hrvatski obiteljski leksikon [« Lexicon familial croate »], Zagreb, Leksikografski zavod Miroslav KrleĆŸa et EPH, 2005, (ISBN 953-6748-16-9) ; en ligne : (consultĂ© le )
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Articles connexes

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