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Opération Tidal Wave

L’opĂ©ration Tidal Wave (en français : raz-de-marĂ©e) est un bombardement stratĂ©gique de grande envergure effectuĂ© depuis Benghazi en Libye par l’USAAF, le , contre le complexe pĂ©trolier roumain de Ploiești, lequel Ă©tait la principale source de carburant pour les forces allemandes, dans le cadre de la campagne de bombardements stratĂ©giques alliĂ©s contre les ressources pĂ©troliĂšres de l'Axe. Cette opĂ©ration, deuxiĂšme incursion d’envergure de l’USAAF sur l’Europe, se traduisit par de lourdes pertes, malgrĂ© un certain succĂšs dans les objectifs. Elle mit en Ă©vidence pour les Allemands certaines faiblesses dans leurs dĂ©fenses et prĂ©figure les combats d’envergure qui suivront en Roumanie l’annĂ©e suivante, lorsque la 15th USAAF entamera une campagne de bombardements stratĂ©giques qu’elle mĂšnera Ă  terme. Bien que taxĂ©e d'Ă©chec — Ă  cause de ses lourdes pertes â€” cette mission demeure exceptionnelle sur bien des points, d’autant plus que certains mystĂšres subsistent encore au dĂ©but du XXIe siĂšcle.

Opération Tidal Wave
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Ploiești sous les bombes.
Informations générales
Date
Lieu Roumanie
Issue Victoire de l'Axe
Commandants
Alfred Gerstenberg
Ion Antonescu
Henry Arnold
Lewis H. Brereton
Forces en présence
Allemagne:
42 batteries de DCA, un Gruppe de chasse (I/JG 4) sur la Roumanie, un autre sur la GrĂšce (IV/JG 27),
Roumanie :
40 batteries de DCA, 4 escadrilles de chasse,
Bulgarie :
2 escadrilles de chasse
USAAF:
178 B-24
Pertes
Axe:
15-20 avions détruits ou endommagés,
78 tués,
2 raffineries détruites, 3 endommagées
USAAF:
58 B-24 abattus,
302 tués,
207 prisonniers ou internés en Turquie

Bombardements en Roumanie pendant la Seconde Guerre mondiale

CoordonnĂ©es 44° 56â€Č nord, 26° 01â€Č est

Contexte

L'approvisionnement en pĂ©trole, comme lors de la PremiĂšre Guerre mondiale, est un des points faibles de l'Allemagne[1]. La guerre Ă  l'Ouest la prive de ses sources habituelles (États-Unis et Indes occidentales nĂ©erlandaises). La production des États-Unis reprĂ©sente alors 61 % de la production mondiale[1]. Les champs pĂ©trolifĂšres roumains sont le seul gisement important Ă  portĂ©e du Reich[1]. DĂšs 1938, l'Allemagne va s'employer Ă  Ă©vincer Français et Britanniques et Ă  placer l'Ă©conomie roumaine et ses ressources sous la tutelle du Reich[1].

À l’issue de la PremiĂšre Guerre mondiale et aprĂšs l’indĂ©pendance de nouvelles nations europĂ©ennes, la Roumanie regroupe presque tous les territoires habitĂ©s par des roumanophones, et les rĂ©formes agraire et constitutionnelle des annĂ©es 1921-1933 ont attĂ©nuĂ© de dĂ©mocratie parlementaire une monarchie plutĂŽt conservatrice, qui Ă  partir de fĂ©vrier 1938 s’efforce de contrĂŽler, y compris par la force, les diverses formations politiques, mais ne peut imposer son autoritĂ© ni aux communistes, ni au parti de l’extrĂȘme droite, la Garde de fer dirigĂ©e par Corneliu Codreanu, que le roi Carol II fait exĂ©cuter le . La France avait garanti les frontiĂšres roumaines le , mais aprĂšs la dĂ©faite française de juin 1940, Carol II cĂšde aux pressions allemandes, nomme un gouvernement pro-allemand et, sur les instances de l’ambassadeur allemand von Killinger, laisse l’URSS (alors liĂ©e Ă  l'Allemagne nazie par le Pacte germano-soviĂ©tique) occuper la Bessarabie et la Bucovine du nord le . Devant le mĂ©contentement gĂ©nĂ©ral suscitĂ© par sa faiblesse, Carol II subit un coup d’état de la part du gĂ©nĂ©ral fascisant Ion Antonescu qui le force Ă  abdiquer en faveur de son fils Mihail et Ă  quitter dĂ©finitivement le pays.

En janvier 1941, la Garde de fer fomente Ă  son tour un coup d’État contre Ion Antonescu, mais Adolf Hitler ne fait pas confiance Ă  ces fanatiques chrĂ©tiens et nationalistes roumains, auxquels il prĂ©fĂšre un militaire pragmatique, un « homme fort » qui espĂšre reprendre Ă  l’URSS les territoires cĂ©dĂ©s par Carol II, quitte Ă  s’allier au TroisiĂšme Reich, puissance industrielle Ă  mĂȘme de rĂ©Ă©quiper de matĂ©riel moderne l’armĂ©e roumaine, en Ă©change de livraisons de carburant. La Garde de fer se fait massacrer entre le 21 et le tandis que les troupes allemandes dĂ©barquent, d’abord composĂ©es d’instructeurs puis, aprĂšs l’entrĂ©e en guerre de la Roumanie lors de Barbarossa, de soldats, notamment des servants de flak et des aviateurs de la Luftwaffe.

AprĂšs l’attaque nazie contre l’URSS et la fin des livraisons de carburant soviĂ©tique Ă  l’Allemagne nazie, l’approvisionnement en carburant du Reich va dĂ©pendre de la Roumanie Ă  98,6 %[2],

Ploiești et ses dĂ©fenses

Le principal complexe pĂ©trolifĂšre se trouve dans la rĂ©gion de Ploiești, Ă©rigĂ© Ă  grands frais Ă  l’aide d’investisseurs Ă©trangers, notamment amĂ©ricains, nĂ©erlandais, français et italiens. Quarante-deux raffineries, rassemblĂ©es en huit grands complexes, furent ainsi bĂąties autour de la ville de Ploiești Ă  partir de 1919.

La marĂ©chal Ion Antonescu, dont le pouvoir est mal assurĂ©, demande une aide militaire Ă  Adolf Hitler dĂšs sa prise de pouvoir[3] car l’opinion lui est en majoritĂ© hostile (Ă  la suite de la duretĂ© le l’occupation allemande pendant la PremiĂšre Guerre mondiale, elle est restĂ©e profondĂ©ment anti-allemande et favorable aux AlliĂ©s). Par ailleurs, Antonescu cherche Ă  sĂ©duire le commandement de l’armĂ©e : l’objectif principal de sa demande d’aide militaire est de moderniser les forces roumaines. La Roumanie conserve donc une certaine indĂ©pendance par rapport au TroisiĂšme Reich et n’est initialement pas en guerre contre les AlliĂ©s occidentaux, qui ne lui dĂ©clareront la guerre qu’en , soit 8 mois aprĂšs le dĂ©but de la guerre contre l’URSS. Conscient que la Roumanie est le talon d’Achille de la logistique allemande, Adolf Hitler dĂ©cide de renforcer au plus vite ses dĂ©fenses. Le , les premiers militaires allemands arrivent en Roumanie[4] sous le couvert d’assistance militaire. C’est la Deutsche Luftwaffe Mission in RumĂ€nien (DLM), dirigĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Wilhelm Speidel[5] - [6] et par le colonel Alfred Gerstenberg (de) attachĂ© de l’air Ă  l’ambassade d’Allemagne en Roumanie[3].

Il fallut attendre une premiĂšre sĂ©rie d’attaques soviĂ©tiques (3 bombardements sur Ploiești) pour que les premiers renforts allemands arrivent[7]. Une seconde vague de renforts arriva Ă  la suite du bombardement amĂ©ricain du lors du projet Halverson no 63 (HALPRO). Les moyens de la mission du Ă©taient destinĂ©s Ă  l’origine Ă  un bombardement du Japon Ă  partir de la Chine mais aprĂšs la prise de l’aĂ©rodrome de Benghazi en Libye, le gĂ©nĂ©ral Hap Arnold ordonna le bombardement des raffineries de Ploiești, afin de frapper les sources d’hydrocarbures du Reich. Ce fut la toute premiĂšre attaque amĂ©ricaine sur le sol europĂ©en. Entre-temps, la DLM n’ayant plus lieu d’ĂȘtre fut dissoute (janvier 1942) et le gĂ©nĂ©ral Wilhelm Speidel fut rĂ©affectĂ©. Le gĂ©nĂ©ral Alfred Gerstenberg fut nommĂ© Commandant en chef de l’aviation militaire allemande en Roumanie (Kommandierender General und Befehlshaber der Deutschen Luftwaffe in RumĂ€nien)[8] du au . Gerstenberg renforça les dĂ©fenses du site de Ploiești en hommes et en matĂ©riels et organisa des manƓuvres, profitant du calme de la zone au dĂ©but de la guerre.

Les dĂ©fenses de Ploiești Ă©taient constituĂ©es de :

  • La Flak comptant deux lignes de dĂ©fense, l’une Ă  3 km des raffineries, l’autre Ă  15 km. Un commandement unique pour la DCA du secteur pĂ©trolier de Ploiești fut crĂ©Ă© et dirigĂ© par le gĂ©nĂ©ral Julius Kuderna de la CinquiĂšme Flak-Division. Du fait de la crĂ©ation d’un commandement unique, le gĂ©nĂ©ral Julius Kuderna eut sous ses ordres la 5. Flak-Division mais aussi des unitĂ©s roumaines de lutte antiaĂ©rienne. Les canons allemands Ă  eux seuls formaient 42 batteries (5 de 20 mm et 37 mm, 32 de 88 mm et 5 de 105/128 mm). L’Axe disposait aussi de deux trains de flak. Les canons roumains comptaient 40 batteries. Une autre source mentionne le nombre de 237 canons de tous calibres[9]. Ce dispositif Ă©tait complĂ©tĂ© par 58 ballons avec une charge explosive et prĂšs de 1 000 projecteurs de fumĂ©e ; l’ensemble Ă©tait guidĂ© par 16 stations radar de type « Freya » et « WĂŒrzburg »[10].
  • L’aviation se composait du I. Gruppe de la Jagdgeschwader 4 allemande (sur Bf 109) dont 1 escadrille est roumaine ayant 2 dĂ©signations officielles, 1 allemande (IV./JG 4) et 1 roumaine (Escadrila 53 VĂąnătoare)[11], du IV. Gruppe de la Nachtjagdgeschwader 6 (sur Bf 110) dont 1 escadrille est roumaine ayant 2 dĂ©signations officielles, 1 allemande (12./NJG 6) et 1 roumaine (Escadrila 51 VĂąnătoare de Noapte) et d’au moins 5 escadrilles roumaines (45, 52, 59, 61 et 62 Escadrila VĂąnătoare) Ă©quipĂ©es d’IAR-80, avion relativement moderne qui fera ses preuves lors de ce combat.
  • Afin de prĂ©server au maximum les raffineries en cas de bombardement et d'Ă©viter la propagation du feu, des murs et 500 pompiers allemands sont placĂ©s Ă  Ploiești[12].

L’opĂ©ration : causes et prĂ©parations

Les succĂšs de la stratĂ©gie anglo-amĂ©ricaine de 1942 (dĂ©barquement en Afrique du Nord et les victoires dans la PremiĂšre bataille d'El Alamein et la Seconde bataille d'El Alamein) ont amenĂ© les AlliĂ©s Ă  rĂ©flĂ©chir sur la conduite des futures opĂ©rations [13]. Une confĂ©rence fut organisĂ©e avec les AlliĂ©s (États-Unis, Royaume-Uni, ComitĂ© national français et Union soviĂ©tique mais celle-ci dĂ©clina l’invitation) afin de dĂ©finir en commun la poursuite de la guerre. Cette confĂ©rence, plus connue sous le nom de confĂ©rence de Casablanca, se tĂźnt au Maroc en janvier 1943 en prĂ©sence de Roosevelt, de Churchill et pour le ComitĂ© national français, du gĂ©nĂ©ral de Gaulle et du gĂ©nĂ©ral Giraud. Les Britanniques, malgrĂ© leur rĂ©ticence Ă  ouvrir un second front, souhaitaient, si un dĂ©barquement s’avĂ©rait nĂ©cessaire, l’opĂ©rer dans les Balkans pour occuper un maximum de pays avant que Staline ne s’en empare[14]. Les AmĂ©ricains, quant Ă  eux, souhaitaient dĂ©barquer en Europe occidentale et laisser Staline « libĂ©rer Â» l'Europe orientale (y compris des pays alliĂ©s comme la Pologne).

Toutefois, dans la guerre aĂ©rienne, il incombait aux Britanniques et aux AmĂ©ricains de mener rapidement des opĂ©rations contre les pĂ©troles de Ploiești, ne serait-ce que pour assister indirectement l’ArmĂ©e rouge, durement engagĂ©e dans de sanglants combats sur son territoire.

Un compromis fut donc choisi : dĂ©barquer « entre les deux » en Sicile et puis en Italie continentale. L’idĂ©e d’un bombardement de grande ampleur sur le pĂ©trole roumain naquit Ă  cette occasion. L’intĂ©rĂȘt d’une telle mission Ă©tait de couper l’approvisionnement de carburant de l'Allemagne Ă  sa source afin de causer de graves difficultĂ©s Ă  l’ensemble de ses armĂ©es, que ce soit l’aviation ou la Wehrmacht encore trĂšs puissante Ă  l’époque, malgrĂ© ses revers en URSS.

Pour cette opĂ©ration, pas moins de cinq groupes de bombardement furent dĂ©signĂ©s, soit en tout prĂšs de 200 avions (bombardiers lourds Consolidated B-24 Liberator). La mission allait ĂȘtre effectuĂ©e par la 9th Air Force prĂ©sente dans le dĂ©sert libyen, renforcĂ©e Ă  l’occasion par une partie de la 8th Air Force, basĂ©e jusqu’alors en Grande-Bretagne.

Pour « motiver » les Ă©quipages participant Ă  cette attaque, on leur affirmera que ce seul raid suffirait pour « rĂ©duire la guerre de six mois »[14]. Si cette affirmation Ă©tait sans doute surfaite, il ne faisait aucun doute cependant que la pĂ©nurie de carburant se ferait cruellement sentir, au moins pendant un temps, dans toute l’Allemagne nazie.

Cette mission fut prĂ©parĂ©e dans le plus grand secret, les Ă©quipages multipliant les exercices sur des reproductions des objectifs improvisĂ©es dans le dĂ©sert. La mission, nom de code Tidal Wave, allait ĂȘtre exceptionnelle, tant par sa durĂ©e, onze heures, soit la limite de l’autonomie des bombardiers, que par ses objectifs, d’importance vitale. De plus, pour Ă©viter la dĂ©tection, les appareils devraient voler en rase-mottes (pratiquement une premiĂšre pour un bombardement stratĂ©gique) au-dessus d'une zone fortement dĂ©fendue.

Unités[15]

  • 9th USAAF
    • 47 B-24 du 98th Bombardment Group (Heavy) (Pyramiders), Col. John R. Kane°
    • 29 B-24 du 376th Bombardment Group (Heavy) (Liberandos), Col. Keith K. Compton°°
  • 8th USAAF
    • 37 B-24 du 44th Bombardment Group (Heavy) (Flying Eight Balls), Col. Leon W. Johnson°
    • 39 B-24 du 93rd Bombardment Group (Heavy) (Ted's Timberlake's Travelling Circus), Lt.Col. Addison E. Baker°✝, Maj. John L. Jerstad°✝
    • 26 B-24 du 389th Bombardment Group (Heavy) (Sky Scorpions), Col. Jack W. Wood°°, 2nd Lt. Lloyd Herbert Hughes°✝

°Récipiendaire de la Medal of Honor
°°Récipiendaire de la Distinguished Service Cross
✝Mort au combat

Objectifs[16]

RĂ©partition des objectifs
ObjectifVilleRaffinerieUnitéAérodrome de départ (Libye)
White IPloieștiRomĂąno-Americană376th Bombardment Group (Heavy) (Liberandos)Berka II
White IIPloiestiConcordia Vega93rd Bombardment Group (Heavy) (Ted's Timberlake's Travelling Circus) Section ATerria
White IIIPloiestiStandard Petrol et Unirea SperanĆŁa93rd Bombardment Group (Heavy) (Ted's Timberlake's Travelling Circus) Section BTerria
White IVPloiestiAstra Romùnă et Unirea Orion98th Bombardment Group (Heavy) (Pyramiders)Lete
White VPloiestiColumbia Aquila44th Bombardment Group (Heavy) (Flying Eight Balls) Section ABenina
BlueBraziCreditul Minier44th Bombardment Group (Heavy) (Flying Eight Balls) Section BBenina
RedCùmpinaSteaua Romùnă389th Bombardment Group (Heavy) (Sky Scorpions)Berka IV

L’opĂ©ration : dĂ©roulement

Les B-24 de la 15th USAAF au-dessus de Ploiești.

Ce dimanche , par une chaleur Ă©crasante, les Ă©quipages amĂ©ricains s’apprĂȘtent pour leur mission. Les mĂ©caniciens doivent prĂ©parer 178 avions, chargĂ©s chacun de 12 000 litres de carburant et de deux tonnes de bombes. Bien vite cependant, tout ne se dĂ©roule pas comme prĂ©vu : un appareil s’écrase au dĂ©collage, un autre peu aprĂšs en MĂ©diterranĂ©e et une douzaine doivent faire demi-tour prĂ©maturĂ©ment Ă  cause de divers problĂšmes. Lorsque les 165 avions restants arrivent sur les Balkans, ils sont interceptĂ©s par deux escadrilles de l’aviation bulgare qui ne peuvent pas les atteindre mais signalent leur prĂ©sence. Les nuages sur les montagnes vont alors scinder la formation, deux groupes (376th et 93rd) passant au-dessus, les trois autres continuant Ă  l’altitude prĂ©vue.

Lors de l’arrivĂ©e en Roumanie se produit un incident qui alimente encore la polĂ©mique aujourd’hui. En effet, la formation de tĂȘte, guidĂ©e par le 376th Bombardment Group, censĂ©e attaquer la raffinerie (construite grĂące Ă  des investissements amĂ©ricains), vire trop tĂŽt, entraĂźnant Ă  sa suite deux autres groupes.

L’avion de tĂȘte semble s’ĂȘtre trompĂ©, les autres s’en rendant compte rapidement comme le prouvent les rapports officiels des Ă©quipages, mais ils suivent malgrĂ© tout leur chef. Les responsables amĂ©ricains furent longtemps « ennuyĂ©s » par ce « dĂ©tail » et la propagande allemande se saisit bien vite de l’affaire.

L’opĂ©ration se poursuit donc dans la plus grande confusion, les appareils de trois groupes ne trouvant plus leurs objectifs assignĂ©s. Si le complexe de Ploiești est atteint par tous, les bombes tombent un peu au hasard. La dĂ©fense semble se rĂ©veiller Ă  ce moment mais souffre d’un grave problĂšme : en ce dimanche, seules les unitĂ©s de garde sont prĂ©sentes, que ce soit au niveau de la flak ou de l’aviation. De plus, 250 des 750 projecteurs de fumĂ©es sont en maintenance, de mĂȘme qu’une quinzaine de ballons (sur 58). Cependant, toutes incomplĂštes qu’elles furent, les dĂ©fenses accomplirent leur mission. Les avions de chasse roumains IAR-80 de garde furent vite Ă©paulĂ©s par des Bf 109 et mĂȘme par des Bf 110 de chasse de nuit, rajoutant Ă  la furie des combats.

À ce moment surviennent les deux groupes de bombardiers ayant survolĂ© les nuages et qui eux n’avaient pas commis l’erreur de navigation de leurs homologues. Leur arrivĂ©e rajoute encore Ă  la confusion et bien peu d’avions bombardent leurs cibles prĂ©-dĂ©signĂ©es. Une fois leur mission accomplie, les appareils n’en sont pas quittes pour autant : nombre sont endommagĂ©s par la DCA ou les chasseurs ennemis.

Le vol de retour est bien long, ponctuĂ© par quelques rencontres : d’abord les avions bulgares, des Avia obsolĂštes, mais cette fois bien placĂ©s pour une rapide interception qui semble causer une perte parmi les avions amĂ©ricains. Ensuite, c’est au tour de la 610e escadrille bulgare, Ă©quipĂ©e, elle, de modernes Bf 109 G-6, et qui causera deux pertes. Enfin, alors que les B-24 pĂ©nĂštrent l’espace aĂ©rien de la GrĂšce occupĂ©e, ils sont pris Ă  partie par l'escadrille de chasse allemande IV./JG 27, perdant quatre des leurs.

Bilan

La raffinerie Columbia Aquila à PloieƟti aprùs le bombardement.
Bombardement du
ObjectifUnité assignéeUnité qui bombardaRésultat
White I: Romùno-Americană376th Bombardment Group (Heavy) (Liberandos) //
White II: Concordia Vega93rd Bombardment Group (Heavy) (Ted's Timberlake's Travelling Circus) Section A 376th Bombardment Group (Heavy) (Liberandos) 40 % de la capacité de raffinage détruite.
White III: Standard Petrol et Unirea SperanĆŁa93rd Bombardment Group (Heavy) (Ted's Timberlake's Travelling Circus) Section B //
White IV: Astra Romùnă98th Bombardment Group (Heavy) (Pyramiders) 93rd Bombardment Group (Heavy) (Ted's Timberlake's Travelling Circus) Section B et 98th Bombardment Group (Heavy) (Pyramiders) Destruction à 50 % de la raffinerie.
White V: Columbia Aquila44th Bombardment Group (Heavy) (Flying Eight Balls) Section A 93rd Bombardment Group (Heavy) (Ted's Timberlake's Travelling Circus) Section A et 44th Bombardment Group (Heavy) (Flying Eight Balls) Section A Interruption de production pendant 11 mois.
Blue: Creditul Minier44th Bombardment Group (Heavy) (Flying Eight Balls) Section B44th Bombardment Group (Heavy) (Flying Eight Balls) Section BInterruption totale de production pendant le reste du conflit.
Red: Steaua Romùnă389th Bombardment Group (Heavy) (Sky Scorpions) 389th Bombardment Group (Heavy) (Sky Scorpions) Destruction totale, reprise de la production 6 ans plus tard.

Le sort des avions amĂ©ricains est variĂ© : certains regagnent l’Afrique (88, dont seulement 33 en bon Ă©tat), d’autres la Sicile, Chypre ou Malte (23 en tout). 8 autres sont internĂ©s en Turquie (neutre). Parmi les avions perdus, 36 tombent en Roumanie, 8 s’écrasent en Bulgarie (6 Ă©tant abattus par la chasse locale) et deux sont perdus sur accident Ă  l’aller ; soit 45 pertes en combat, 58 toutes causes confondues, c’est-Ă -dire 32,5 % des effectifs engagĂ©s ; ou encore 302 tuĂ©s parmi les Ă©quipages et 132 prisonniers, plus 75 internĂ©s. Un trĂšs lourd bilan donc pour les AmĂ©ricains, comme le rappellent les cinq Medal of Honor distribuĂ©es au cours de cette mission (le plus grand nombre Ă  ce jour) qui vit le plus gros taux de perte de l’USAAF.

Contrairement Ă  ce qui fut dit, les dĂ©fenses de Ploiești n’étaient pas si imparables. Rappelons que :

  • ce dimanche, peu de personnel Ă©tait Ă  son poste ;
  • le barrage de ballons n’était complet qu’aux trois-quarts, causant malgrĂ© cela 4 pertes ;
  • la DCA manquait d’expĂ©rience lors de cette premiĂšre bataille pour elle, causant quand mĂȘme 20 pertes ;
  • les chasseurs furent peu nombreux[17], Ă  peine une trentaine sur la Roumanie, causant environ 10 pertes.

Le bilan aurait pu ĂȘtre bien plus lourd mais cette bataille fut une dure « Ă©preuve », excessivement longue pour les Ă©quipages amĂ©ricains. Le caractĂšre de cette mission fut exceptionnel.

Pour les forces de l’Axe, le bilan est lui aussi Ă©levĂ© : 7 avions dĂ©truits et 10 endommagĂ©s, en comptant les appareils bulgares et ceux basĂ©s en GrĂšce. Enfin, concernant les objectifs de la mission : deux raffineries ont Ă©tĂ© intĂ©gralement dĂ©truites, trois autres Ă©tant gravement endommagĂ©es. 78 victimes seront Ă  dĂ©plorer en Roumanie, notamment dans l’incendie d’un pĂ©nitencier pour femmes touchĂ© par la carcasse d’un B-24 abattu. Si l’on considĂšre les nombreuses difficultĂ©s posĂ©es par la mission, on peut bel et bien parler de succĂšs amĂ©ricain mĂȘme s’il fut cher payĂ©. D’un cĂŽtĂ© comme de l’autre, cette mission apporta Ă©galement de nombreuses leçons. Les AlliĂ©s allaient s’en souvenir lors de leur campagne de bombardements dans le mĂȘme secteur l’annĂ©e suivante tandis que les Allemands renforceront les dĂ©fenses et mirent sur pieds des Ă©quipes de travailleurs chargĂ©s de reconstruire rapidement les installations dĂ©truites. De plus, de nombreux murs seront bĂątis entre ces mĂȘmes installations, pour limiter l’effet de souffle des bombes.

Les Allemands avaient la preuve que ce qu’ils redoutaient de longue date pouvait se produire et que leur approvisionnement Ă©tait vulnĂ©rable. Adolf Hitler avait engagĂ© ses forces dans les opĂ©rations Maritsa et Merkur dans le but de protĂ©ger les champs pĂ©trolifĂšres roumains contre toute action des AlliĂ©s.

Enfin, l’as de l’aviation roumaine Constantin « BĂązu » Cantacuzino mit en place un rĂ©seau pour prendre en charge les aviateurs amĂ©ricains abattus en Roumanie et les faire passer en Turquie[18]. Il bĂ©nĂ©ficia de la discrĂšte protection du roi Michel Ier et du gouverneur militaire de Bucarest, Constantin Sănătescu, qui fournirent par ailleurs des moyens de communication et une garde Ă  la mission clandestine inter-AlliĂ©e (mission « Autonomous » du SOE) parachutĂ©e en 1944 en Roumanie : les Roumains, rĂ©alisant leur propre vulnĂ©rabilitĂ© et anticipant leur passage aux AlliĂ©s (qui se produisit le ) cherchĂšrent, eux aussi, Ă  favoriser les AlliĂ©s occidentaux avant que l’ArmĂ©e rouge n’envahisse leur pays[19].


Notes et références

  1. « Les AlliĂ©s, maitre du jeu pĂ©trolier Â», article de Jean Lopez, Guerres & Histoire no 9, octobre 2012, page 38 Ă  43.
  2. « Aero Journal Hors-SĂ©rie Â» no 4 (Christian-Jacques Ehrengardt), novembre-dĂ©cembre 2009, Ă©dition CaraktĂšre SARL. page 5
  3. James Dugan et Carrol Stewart, Opération Raz de Marée sur les pétroles de Ploesti, J'ai lu, coll. leur aventure, no A84/85, Paris, 1964. page 38
  4. "Batailles aériennes" no 25 (Cristian Craciunoiu), Juillet-Août-Septembre 2003, édition Lela Presse. page 9
  5. "Batailles aériennes" no 25 (Cristian Craciunoiu), Juillet-Août-Septembre 2003, édition Lela Presse. page 10
  6. L’auteur du no 25 du trimestriel Bataille aĂ©riennes a confondu le gĂ©nĂ©ral Wilhelm Speidel avec le gĂ©nĂ©ral Hans Speidel. En effet, le gĂ©nĂ©ral Hans Speidel Ă©tait un gĂ©nĂ©ral de la Heer et se trouvait en poste Ă  Paris pendant cette pĂ©riode.
  7. James Dugan et Carrol Stewart, Opération Raz de Marée sur les pétroles de Ploesti, J'ai lu, coll. leur aventure, no A84/85, Paris, 1964. page 42
  8. Batailles aériennes no 25 (Cristian Craciunoiu), juillet-août-septembre 2003, Lela Presse, page 18
  9. Aero Journal Hors-SĂ©rie no 4 (Christian-Jacques Ehrengardt), Novembre-DĂ©cembre 2009, Ă©dition CaraktĂšre SARL. page 10
  10. Batailles aériennes no 25 (Cristian Craciunoiu), Juillet-Août-Septembre 2003, édition Lela Presse. page 29
  11. Cette désignation signifie 53e escadrille de chasse
  12. James Dugan et Carrol Stewart, Opération Raz de Marée sur les pétroles de Ploesti, J'ai lu, coll. leur aventure, no A84/85, Paris, 1964. page 52
  13. Lieutenant-colonel Eddy Bauer et Colonel RĂ©my, La Seconde Guerre mondiale: Les ConfĂ©rences, Éditions Christophe Colomb, Glarus, 1985. page 9
  14. Batailles aériennes no 25 (Cristian Craciunoiu), Juillet-Août-Septembre 2003, édition Lela Presse. page 25
  15. James Dugan et Carrol Stewart, Opération Raz de Marée sur les pétroles de Ploesti, J'ai lu, coll. leur aventure, no A84/85, Paris, 1964. page 76 et 125
  16. James Dugan et Carrol Stewart, Opération Raz de Marée sur les pétroles de Ploesti, J'ai lu, coll. leur aventure, no A84/85, Paris, 1964. page 65 et 66
  17. Bien que certains auteurs parlĂšrent de 125 chasseurs, chiffre autrement fantaisiste
  18. BernĂĄd DĂ©nes, Rumanian Aces of World War 2, 2003, Osprey Publishing, Oxford, et Victor NiĆŁu, Vasile Tudor, La Guerre aĂ©rienne en Roumanie, 1941-1944, PiteƟti, Ă©d. Tiparg, 2006, sur "Constantin "BĂązu" Cantacuzino - The prince of aces"
  19. Johannes Frießner : Verratene Schlachten, die Tragödie der deutschen Wehrmacht in RumĂ€nien (« Batailles trahies, la tragĂ©die de la Wehrmacht en Roumanie Â»), Ă©d. Holsten-Verlag, Leinen 1956.

Bibliographie

  • James Dugan et Carrol Stewart, OpĂ©ration Raz de MarĂ©e sur les pĂ©troles de Ploesti, J'ai lu, coll. leur aventure, no A84/85, Paris, 1964;
  • « Batailles aĂ©riennes » no 25 (Cristian Craciunoiu), Juillet-AoĂ»t-, Ă©dition Lela Presse;
  • « Aero Journal Hors-SĂ©rie » no 4 (Christian-Jacques Ehrengardt), Novembre-, Ă©dition CaraktĂšre SARL ;
  • « Black Sunday: Ploesti » par Michael Hill.

Références bibliographiques

  • Christian-Jacques Ehrengardt, La Guerre AĂ©rienne, 1939-1945, Éditions Tallandier, Paris, 1996, (ISBN 2-235-02157-3) pages 163 Ă  172
  • Edward Jablonski, L'aviation amĂ©ricaine en guerre, Éditions Time-Life, Amsterdam, 1983, (ISBN 2-7344-0159-2) pages 71 Ă  74

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