Krach d'octobre 1987
Le krach d' s'est déroulé en deux temps : une remontée vive des taux d'intérêt à long terme qui culminera le , jour où l'indice Dow Jones de la Bourse de New York, sous la pression de cette remontée des taux, perdit 22,6 %, ce qui constitue la seconde plus importante baisse jamais enregistrée en un jour sur un marché d'actions, devancée seulement par le krach de la bourse islandaise de 2008.
« Lundi noir »
L'expression « lundi noir », traduction de l'anglais Black Monday, utilisée parfois pour désigner le , constitue une référence indirecte au Black Thursday, ou jeudi noir, du , première journée du long krach de 1929 de la bourse de New York, qui fit entrer les États-Unis dans la Grande Dépression.
Causes
L'origine du krach est avant tout à chercher dans :
- le doublement de l'endettement global depuis la fin des années 1970, endettement matérialisé par l'afflux énorme de liquidité. L'indice du Dow Jones triple en dix ans.
- les importantes et brutales fluctuations du dollar au milieu des années 1980 dans le système de changes flottants (adopté depuis ) et entériné avec les accords de la Jamaïque (1976) ;
- un mécanisme d'immunisation des portefeuilles, dit portfolio insurance en anglais, très en vogue à l'époque, destiné à réduire les risques mais que sa généralisation transforma en système vicieux ;
- les systèmes automatiques d'achats et de ventes d'actions (program trading) relativement récents à l'époque, qui ont amplifié et accéléré le plongeon des cours. Après le krach, Wall Street se dote de coupe-circuits qui se déclenchent automatiquement au-delà d'une certaine baisse de l'indice Dow Jones.
1979-1985 : l'envolée du dollar
À la fin de 1979, le nouveau gouverneur de la banque centrale américaine, Paul Volcker, décide d'une violente remontée des taux d'intérêt pour combattre - avec succès - l'inflation. Le remède est sévère : pour une inflation moyenne de 13,5 % en taux annuel en 1980, les taux d'intérêt à court terme montent jusqu'à 19 %. Les taux d'intérêt réels atteignent des sommets sans précédent et, au prix d'une sévère récession, l'inflation disparaît : en 1983, elle n'est plus qu'à 3,2 %. Ces taux d'intérêt réels provoquent un afflux de capitaux aux États-Unis, et le dollar s'apprécie pendant cinq ans, jusqu'à revenir, en , au niveau qu'il avait lorsqu'il était, avant 1971, encore convertible en or. Compte tenu des déficits américains, cela est manifestement exagéré ; les pouvoirs publics décident de réagir.
1985-1987 : les Accords du Plaza, puis les Accords du Louvre
À l'Hôtel Plaza de New York, le , les pays dits du G7 (moins le Canada et l'Italie) s'entendent publiquement pour intervenir sur le marché des changes et organiser un repli du dollar (Accords du Plaza). 10 milliards de dollars sont ainsi dépensés, avec un effet immédiat et spectaculaire. En à peine quinze mois, le dollar US efface tous ses gains par rapport au Deutsche Mark et, à la fin de 1986, il se retrouve à son plus bas niveau historique, celui de 1979.
Désireux de stopper le mécanisme qu'ils ont mis en route mais dont la maîtrise maintenant leur échappe, les pays du G7 (moins l'Italie), signent alors à Paris le les Accords du Louvre, destinés cette fois-ci à mettre fin à la baisse du dollar.
1987 : la remontée des taux d'intérêt
Seulement, l'économie américaine, dopée par cette dépréciation de près de 50 % de sa devise, est en plein boom, les marchés d'actions s'envolent et les tensions inflationnistes deviennent inévitables, ce dont les gestionnaires de fonds sur le marché obligataire américain se préoccupent de plus en plus, car ces tensions entraîneront certainement la remontée des taux à court terme par la banque centrale américaine, la Fed.
À partir de , les taux d'intérêt des emprunts d'État à long terme commencent ainsi à remonter. De 7 % en janvier, les taux des T-Notes à 10 ans passent (cf graphique ci-contre) à 9,50 % à la fin du mois de septembre. Ce mouvement de taux correspond à une baisse des cours desdits emprunts de 17 %.
Le mouvement commence dès la signature des accords du Louvre car, aux yeux des gestionnaires de fonds, ces accords ont une implication simple : si le dollar doit s'arrêter de baisser, les taux d'intérêt américains doivent remonter pour le rendre à nouveau intéressant en tant que placement. Taux d'intérêt et valeur externe de la devise sont en effet deux grandeurs liées l'une à l'autre mais qui évoluent en sens inverse. Si on fixe autoritairement l'une à un niveau arbitraire, l'autre doit pouvoir par ses fluctuations compenser le déséquilibre ainsi créé.
Au printemps 1987, les marchés obligataires du monde entier commencent à vivre les yeux rivés sur le déficit commercial américain. Chaque publication de données statistiques montrant un accroissement du déficit, ce qui accroît la pression à terme sur le dollar, donne lieu à une plongée des cours des emprunts d'État, c'est-à -dire une remontée de leurs taux.
Si les gestionnaires obligataires sont un peu en avance sur le calendrier, ils n'ont absolument pas tort dans leur raisonnement, car le nouveau gouverneur de la Réserve fédérale des États-Unis, Alan Greenspan, nommé le , va effectivement, l'année suivante, remonter violemment les taux à court terme : de 6,50 % à l'été 1988, ils passeront à 10,50 % au printemps 1989.
Les positions que les gestionnaires obligataires ont constituées, depuis 1984-85, à la baisse des taux d'intérêt sont néanmoins tellement importantes qu'ils doivent réduire celles-ci sans attendre, et ce d'autant plus que les taux remontent en annulant une partie grandissante des gains déjà engrangés. Le mouvement s'accélère pendant l'été puis, au cours du mois d'octobre, il s'emballe carrément et les marchés à terme sur taux d'intérêt deviennent complètement erratiques, étant plusieurs fois limit down puis limit up. Le , les emprunts d'État américains à 10 ans atteindront ainsi 11 % de rendement, avant de finir la journée à 10,25 %.
La portfolio insurance
La portfolio insurance, soit donc mot à mot assurance de portefeuille, est un système d'immunisation de portefeuille très voisin dans le principe de celui qui a depuis été largement popularisé sous le nom de fonds à capital garanti. Il s'agit d'adjoindre à un investissement en actions un put, c'est-à -dire une option de vente, sur les mêmes actions. Le rendement sera, compte tenu du coût de la prime du put, moins important en cas de hausse ou de stagnation des marchés d'actions, mais en cas de baisse du marché, les pertes du portefeuille seront amorties par le put s'il termine dans la monnaie, c'est-à -dire si le sous-jacent termine en dessous du prix d'exercice du put.
Le problème est qu'au milieu des années 1980, le marché des options sur actions était peu développé et fort peu concurrentiel. Les quelques banques d'investissement qui en étaient market makers pratiquaient des écarts de prix acheteur/vendeur gigantesques. En conséquence, les nombreux gestionnaires de portefeuille actions qui avaient choisi la portfolio insurance n'achetaient pas de puts mais les émulaient en couvrant le delta en action.
La brusque augmentation des deltas à couvrir avec la chute des cours a ainsi amené des ordres de vente générés automatiquement qui ont amplifié considérablement la chute des marchés et amené une augmentation des deltas à couvrir et ainsi de suite.
Souvent, sur les marchés financiers, un système destiné à supprimer totalement le risque contribue en fait à l'augmenter quand trop de gens l'utilisent, le risque pouvant être diminué grâce à une couverture d'options mais jamais supprimé. Les fonds garantis font prendre la part de risque supplémentaire à la banque ou à la compagnie d'assurance pour assurer au souscripteur un risque nul. Par conséquent, la portfolio insurance, qui a été massivement adoptée, s'est ainsi transformée en machine infernale.
Le 19 octobre 1987
Les marchés d'actions avaient dans un premier temps accueilli avec plaisir la hausse des taux d'intérêt à long terme, qui abondait dans leur sens et les confortait dans leur optimisme. En effet, cela indiquait que le marché obligataire partageait leur vision d'une économie en croissance (sur ce mécanisme, voir : courbe de taux).
Néanmoins, à partir d'un certain niveau, les taux d'intérêt deviennent, à un horizon de plus en plus rapproché, un frein à l'investissement et à la croissance économique et, surtout, sont immédiatement incompatibles avec les niveaux de valorisation des actions. Pourquoi détenir des actions, actif risqué, alors que les emprunts d'État qui, eux ne présentent aucun risque en capital, ont un rendement supérieur ? C'est un peu comme si le marché obligataire, tel un personnage de dessin animé, avait brusquement retiré le sol sur lequel se tenait le marché des actions.
C'est le que le krach, devenu inévitable, arrive sur les marchés d'actions, très agités depuis la mi-août et le sommet atteint alors (cf. le graphique placé en tête de l'article). Le vendredi 16 octobre le Dow Jones perd plus de 4 % dans la journée et « casse » un support technique important.
À la réouverture de la bourse le lundi, après le week-end, l'annonce d'un déficit commercial important des États-Unis et le relèvement des taux directeurs de la banque centrale allemande, la Bundesbank, causent un mouvement de panique.
Ce mouvement se produit dans un volume tout à fait significatif : en 2 jours, le 19 et le 20 octobre, 600 millions d'actions auront été échangées (ce qui représente plus de 3 fois l'activité du mois de septembre de la même année).
Cette chute est certes américaine à l'origine, mais mondiale dans ses effets. C'est ainsi qu'au cours du mois d'octobre la baisse des indices boursiers locaux a été de :
- 45,8 % Ã Hong Kong
- 41,8 % en Australie
- 26,4 % au Royaume-Uni
- 22,5 % au Canada
Action immédiate
La Fed en première ligne
Les banques centrales ont réagi à l'inverse de 1929. Menées par la Réserve fédérale des États-Unis, ou Fed, elles ont assuré publiquement, avec force, qu'elles effectueraient le refinancement d'urgence des banques et maisons de titres qui en feraient la demande, et ainsi écarté le risque systémique qui menaçait l'ensemble des marchés financiers. Dès le la Fed injecte massivement des liquidités et évite ainsi la catastrophe.
La Fed adopte ainsi une attitude qu'elle aura plusieurs fois au cours du mandat d'Alan Greenspan, notamment le , lors du naufrage du hedge fund Long Term Capital Management, ou encore le 11 septembre 2001.
Conséquences
Contrairement à 1929, ce krach n'a pas été suivi d'une crise économique, les taux à long terme s'effondreront dès le lendemain et les marchés d'actions regagneront progressivement le terrain perdu. Néanmoins, la décision d'Alan Greenspan d'inonder les marchés monétaires de liquidités afin de juguler la crise boursière aura pour conséquence de créer de nouvelles bulles de crédits qui exploseront trois ans plus tard[1] - [2] - [3].
Interventionnisme politique
Parmi les conséquences de ce krach, on notera la mise en place de « coupe-circuits », à la demande du Congrès américain, effectifs dès 1988, qui permettent de bloquer toute négociation sur des titres qui ont soit trop augmenté soit trop baissé. Ainsi, dans l'esprit des instigateurs de ces coupe-circuits, les crises de panique ou de frénésies boursières peuvent être mieux contenues. L'opinion des professionnels des marchés financiers est, elle, radicalement opposée : toute interruption du marché ne sert qu'à augmenter l'inquiétude et donc la volatilité.
La fin des interventions du G7 sur le marché des changes ?
Le a démontré aux ministres des Finances du G7 qu'il était dangereux de vouloir bloquer un mouvement du dollar. Celui-ci, resté quasi immobile depuis février et les accords du Louvre, retrouve sa liberté à l'occasion du krach et de l'ajout de liquidités effectué par la Fed pour y remédier. Pendant dix ans, il va continuer, en tendance, à se déprécier, contrairement aux accords signés solennellement le , montrant en fait au grand jour la faiblesse des gouvernements face aux marchés.
L'interdépendance des marchés financiers
Le montre de façon exemplaire l'interdépendance des trois principaux marchés financiers (changes, taux d'intérêt et actions) et comment un déséquilibre né sur l'un peut se propager aux autres.
Il montre aussi combien l'information financière destinée au grand public reste parcellaire et limitée généralement aux marchés d'actions : de 1987, on ne retient souvent que le krach actions, pas les pertes essuyées par les obligations, qui pourtant, à l'époque, étaient tout aussi importantes en pourcentage et d'un montant monétaire global bien plus considérable, ni les spectaculaires mouvements des devises qui ont tout déclenché.
Notes et références
- Jean-Marc Vittori, Le procès Greenspan, lesechos.fr, publié le 9 avr. 2008, mis à jour le 6 août 2019
- Gérard Bérubé, Perspectives: Énigme en héritage, ledevoir.com, 26 janvier 2006
- The Unlearned Lesson of the 1987 Crash, rooseveltinstitute.org, 21 avril 2010
Bibliographie
- Lionel Salem, Le krach de 1987 : La Bourse heure par heure, Paris, Éditions n°1, .