Jean Meslier
Jean Meslier, ou Mellier[alpha 1], nĂ© Ă Mazerny le , est un prĂȘtre et philosophe des LumiĂšres français, curĂ© d'ĂtrĂ©pigny dans l'archidiocĂšse de Reims oĂč il est mort au dĂ©but de l'Ă©tĂ© 1729[alpha 2].
Naissance | |
---|---|
DĂ©cĂšs |
(Ă 65 ans) ĂtrĂ©pigny |
Activités |
Mouvements | |
---|---|
Archives conservées par |
Le Testament (d) |
Son existence n'a Ă©tĂ© connue qu'Ă partir de la publication en par Voltaire, sous le titre de Testament de J. Meslier, d'un texte qu'il prĂ©sentait comme un extrait d'un document beaucoup plus volumineux, retrouvĂ© chez lui et dans lequel un curĂ© professait avec dĂ©termination son athĂ©isme, et se livrait par ailleurs Ă une critique radicale des injustices de la sociĂ©tĂ© de son temps dans un texte, au titre original de MĂ©moires des pensĂ©es et sentiments de Jean MeslierâŠ[alpha 3], parfois considĂ©rĂ© comme le texte fondateur de l'athĂ©isme et de l'anticlĂ©ricalisme militant en France.
Biographie
NĂ© d'un pĂšre ouvrier en serge ou propriĂ©taire et fabricant de laine[2] du village de Mazerny, GĂ©rard Meslier[alpha 4] et de Symphorienne Braidy, il fit quelques Ă©tudes Ă l'Ă©cole publique de sa paroisse oĂč le curĂ© le trouva douĂ©, avant de les poursuivre au sĂ©minaire de Reims. InitiĂ© au sacerdoce en 1688, trĂšs estimĂ© de ses supĂ©rieurs, il fut ordonnĂ© prĂȘtre Ă la cathĂ©drale Saint-Ătienne de ChĂąlons-sur-Marne, puis nommĂ© le curĂ© d'ĂtrĂ©pigny et de Balaives dans ses Ardennes natales, oĂč il restera jusqu'Ă sa mort. Il avait pour amis deux curĂ©s, MM. Voiri[alpha 5] et Delavaux[alpha 6] qui inhumĂšrent son corps dans le jardin de la cure sans inscrire d'acte mortuaire sur les registres de sa paroisse.
Les éléments biographiques donnés par Voltaire dans ses Lettres à S.A. le Prince de *** sur Rabelais, etc. sont entachés de nombreuses erreurs, il faudra attendre Maurice Dommanget pour avoir la premiÚre biographie sérieuse.
D'aprĂšs Voltaire, il choisissait pour bonnes des femmes n'ayant pas atteint l'Ăąge canonique[alpha 7], sa conduite scandalisait et lui valait rĂ©primandes et punitions de la part des autoritĂ©s ecclĂ©siastiques. Ses dĂ©mĂȘlĂ©s avec le chĂątelain du lieu lui en avaient valu d'autres. En effet, indignĂ© par les mauvais traitements que faisait subir le seigneur de Touilly aux paysans de sa paroisse, Jean Meslier l'avait dĂ©noncĂ© un jour en chaire de vĂ©ritĂ©. SĂ©vĂšrement tancĂ© par l'Ă©vĂȘchĂ©, il aurait alors cessĂ© de faire parler de lui, se rĂ©servant pour l'Ă©crit posthume dont il a publiĂ© des extraits.
Penseur isolĂ©, nourrissant des idĂ©es qu'il ne pouvait Ă©changer, il avait une bibliothĂšque qui se composait, Ă cĂŽtĂ© de la Bible, des PĂšres de l'Ăglise, et des comptes rendus des conciles, d'auteurs latins comme Tite Live, SĂ©nĂšque, Tacite, Flavius JosĂšphe ainsi que de Montaigne, Vanini, La BruyĂšre, La BoĂ©tie, Pascal, Malebranche, FĂ©nelon, du Dictionnaire historique et critique de Bayle.
Ă partir des essais de Montaigne et de la DĂ©monstration de l'existence de Dieu de FĂ©nelon[3] â qu'il annote dans les marges â il rĂ©dige ses propres PensĂ©es et sentiments, volumineux mĂ©moire manuscrit recopiĂ© en trois exemplaires de trois cent soixante-six feuillets chacun, dĂ©diĂ©s Ă ses paroissiens.
Testament du curé Meslier
Six ans aprĂšs la mort du curĂ© d'ĂtrĂ©pigny, Nicolas-Claude Thieriot entretient Voltaire de l'existence des manuscrits dans une lettre de . Des copies manuscrites circulent d'abord sous le manteau Ă Paris, dans le milieu des encyclopĂ©distes. Ce n'est que 27 ans plus tard que Voltaire fait publier, en 1762, des extraits de l'Ćuvre dans un abrĂ©gĂ© dont il rĂ©Ă©crit certains passages suivant sa conception dĂ©iste, disant que l'original Ă©tait « Ă©crit dans un style de cheval de carrosse[4] ».
Le baron d'Holbach[alpha 8], de son cĂŽtĂ©, publie Le Bon Sens du curĂ© Jean Meslier suivi de son testament. Rudolf Charles dâAblaing van Gissenburg, dit Rudolf Charles Meijer, et le milieu matĂ©rialiste-libre penseur hollandais publient une premiĂšre Ă©dition complĂšte en trois volumes in 8° de 350 pages chacun en 1864.
La pensée de Meslier annonce la Révolution française et, bien au-delà , le socialisme utopique, le matérialisme, le communisme et l'anarchisme. Pour Régis Messac, le curé Meslier est un penseur libertin, « précurseur des philosophes qui proclameront bien haut leur croyance au progrÚs, et en la nécessité de ce progrÚs[5] ».
Ce testament philosophique fait de lui un précurseur des LumiÚres de tout premier plan. Il y est le premier à professer un athéisme sans concession tandis qu'il développe avant la lettre un matérialisme rigoureux et pose également en précurseur les bases d'une philosophie anarchiste, ainsi qu'une conception communiste de la société, selon Michel Onfray, qui le cite comme le premier philosophe athée radical et sans concessions (déisme, agnosticisme)[6] - [7] - [8].
Les XVIIe et XVIIIe siÚcles présentent une grande période de trouble pour la foi chrétienne. Mais les diverses critiques qu'avaient connues le christianisme de l'époque n'égalent pas en puissance de feu le manifeste de l'abbé Meslier, qui influencera les penseurs athées à venir[9].
Ainsi, Anacharsis Cloots avait-il soumis Ă la Convention le projet d'Ă©riger une statue Ă celui qu'il nomme « l'IntrĂ©pide », « le GĂ©nĂ©reux », « l'Exemplaire », comme Ă©tant le premier prĂȘtre Ă avoir « abjurĂ© les idĂ©es religieuses et dĂ©chirĂ© le voile de la superstition[alpha 9] ».
De mĂȘme, les bolchĂ©viques ont gravĂ© son nom sur l'obĂ©lisque des Romanov, monument du jardin Alexandrovski Ă©levĂ© Ă Moscou pour les Romanov et transformĂ© Ă la gloire des prĂ©curseurs du socialisme moderne[10], seul monument public qui cĂ©lĂšbre la mĂ©moire de Meslier. Le Testament a, quant Ă lui, Ă©tĂ© traduit en russe en 1924[11].
Commentaire du Testament
Fin du mois de . Jean Meslier, curĂ© de la paroisse dâĂtrĂ©pigny depuis quarante ans, laisse Ă sa mort une enveloppe contenant deux documents, le premier Ă©tant une introduction du second :
« Je ne crois plus devoir maintenant faire encore difficultĂ© de dire la vĂ©ritĂ©. Je ne sais pas bien ce que vous en penserez, ni ce que vous en direz, non plus que ce que vous direz de moi, de mâavoir mis telle pensĂ©e en tĂȘte, et tel dessein dans lâesprit. Vous regarderez peut-ĂȘtre ce projet comme un trait de folie et de tĂ©mĂ©ritĂ© en moi⊠»
InĂ©vitablement, cette lettre prĂ©face devait piquer au vif lâintĂ©rĂȘt de ceux qui avaient dĂ©couvert le document, et on peut facilement imaginer quelle aurait Ă©tĂ© la rĂ©action des ouailles du pĂšre Meslier apprenant par le biais de son second document que le prĂȘtre qui avait Ă©tĂ© Ă la tĂȘte de leur paroisse pendant plus de quarante ans, considĂ©rait que la religion nâĂ©tait quâerreur, mensonge et imposture et invitait du mĂȘme souffle ses confrĂšres Ă abandonner le christianisme⊠Renversement inattendu, le texte de Meslier est aussi rĂ©volutionnaire pour lâĂ©poque puisque les propositions athĂ©es qui y sont prĂ©sentĂ©es ne sont cachĂ©es sous aucun subterfuge[alpha 10]. Lâauteur sây dĂ©clare clairement athĂ©e et attaque directement la religion chrĂ©tienne en Ă©vitant la prĂ©caution habituelle qui entourait les textes philosophiques de lâĂ©poque qualifiĂ©s, Ă tort ou Ă raison, dâathĂ©es. Bien plus quâune exposition de thĂšses athĂ©es, lâĆuvre de Meslier se prĂ©sente mĂȘme comme une Ćuvre prosĂ©lyte sâattaquant directement Ă la foi du croyant :
« Pesez bien les raisons quâil y a de croire ou de ne pas croire, ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige si absolument de croire. Je mâassure que si vous suivez bien les lumiĂšres naturelles de votre esprit, vous verrez au moins aussi bien, et aussi certainement que moi, que toutes les religions du monde ne sont que des inventions humaines, et que tout ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige de croire, comme surnaturel et divin, nâest dans le fond quâerreur, que mensonge, quâillusion et imposture. »
Meslier est conscient du caractĂšre paradoxal de sa vie : pourquoi attendre la mort pour dĂ©clarer son athĂ©isme ? Il avoue sa peur[alpha 11], mais prĂ©sente tout de mĂȘme le caractĂšre vĂ©ridique de sa pensĂ©e athĂ©e. Il tient Ă ce que ses lecteurs tentent de le rĂ©futer et, sâils ne le peuvent, se rangent Ă son avis. S'ils craignent d'adopter cette position de leur vivant, ils devront le faire Ă leur mort :
« (intervenez) en faveur de la vĂ©ritĂ© mĂȘme en faveur des peuples qui gĂ©missent comme vous le voyez tous les jours, sous le joug insupportable de la tyrannie et des vaines superstitions. Et si vous nâosez non plus que moi vous dĂ©clarer ouvertement pendant votre vie contre tant de si dĂ©testables erreurs, et tant de si pernicieux abus qui rĂšgnent si puissamment dans le monde, vous devez au moins demeurer maintenant dans le silence et vous dĂ©clarer au moins Ă la fin de vos jours en faveur de la vĂ©ritĂ©. »
Meslier, comme les iconoclastes et contre les iconodules, voit dans les statues et images des Ă©glises des idoles. Il accuse les prĂȘtres et exĂ©gĂštes d'interprĂ©ter la Bible Ă leur convenance[alpha 12], de maintenir leur emprise sur le peuple en utilisant la peur et de garder un silence complice face Ă lâabus des grands :
« [âŠ] vous adorez effectivement des faibles petites images de pĂąte et de farine, et vous honorez les images de bois et de plĂątre, et les images dâOr et dâArgent. Vous vous amusez, Messieurs, Ă interprĂ©ter et Ă expliquer figurativement, allĂ©goriquement et mystiquement des vaines Ă©critures que vous appelez nĂ©anmoins saintes, et divines ; vous leur donnez tel sens que vous voulez ; vous leur faites dire tout ce que vous voulez par le moyen de ces beaux prĂ©tendus sens spirituels et allĂ©goriques que vous leur forgez, et que vous affectez de leur donner, afin dây trouver, et dây faire trouver des prĂ©tendues vĂ©ritĂ©s qui nây sont point, et qui nây furent jamais. Vous vous Ă©chauffez Ă discuter de vaines questions de grĂące suffisante et efficace. Et en plus, vous vilipendez le pauvre peuple, vous le menacez de lâenfer Ă©ternel pour des peccadilles, et vous ne dites rien contre les voleries publiques, ni contre les injustices criantes de ceux qui gouvernent les peuples, qui les pillent, qui les foulent, qui les ruinent, qui les oppriment et qui sont la cause de tous les maux, et de toutes les misĂšres qui les accablent. »
LâathĂ©isme de Meslier se veut donc quelque part humaniste, et nâest pas, contrairement Ă celui des libertins, mis en place afin de contrer la morale chrĂ©tienne. Pour Meslier, le rĂŽle des prĂȘtres reste dâenseigner : « câest Ă vous dâinstruire les peuples, non dans les erreurs de lâidolĂątrie, ni dans la vanitĂ© des superstitions, mais dans la science de vĂ©ritĂ©, et de justice, et dans la science de toutes sortes de vertus, et de bonnes mĆurs ; vous ĂȘtes tous payĂ©s pour cela ». AthĂ©e, matĂ©rialiste, dĂ©nonciateur de la misĂšre sociale, Meslier avait donc mĂ»ri tout au long de sa vie une vive attaque contre les religions en gĂ©nĂ©ral et le christianisme en particulier, n'adoptant cependant ces positions qu'Ă titre posthume. La lettre se termine sur lâannonce de lâexistence dâun manuscrit dĂ©posĂ© au greffe de la justice de la paroisse, oĂč Meslier dĂ©taille ses thĂšses en trois manuscrits de trois cent soixante-six feuilles chacun. Le titre de ce manuscrit, Ă lui seul, prĂ©sente lâampleur de la tĂąche Ă laquelle Meslier a voulu sâattaquer :
« MĂ©moire des pensĂ©es et des sentiments de Jean Meslier, prĂȘtre, curĂ© dâĂtrĂ©pigny et de Balaives, sur une partie des erreurs et des abus de la conduite et du gouvernement des hommes oĂč lâon voit des dĂ©monstrations claires et Ă©videntes de la vanitĂ© et de la faussetĂ© de toutes les divinitĂ©s et de toutes les religions du monde pour ĂȘtre adressĂ© Ă ses paroissiens aprĂšs sa mort, et pour leur servir de tĂ©moignage de vĂ©ritĂ© Ă eux, et Ă tous leurs semblables. »
Le testament de Meslier se divise en huit parties. Chacune vise à prouver la vanité et la fausseté des religions selon ce plan :
- Elles ne sont que des inventions humaines.
- La foi, croyance aveugle, est un principe dâerreurs, dâillusions et dâimpostures.
- Fausseté des « prétendues visions et révélations divines ».
- « VanitĂ© et faussetĂ© des prĂ©tendues prophĂ©ties de lâAncien Testament ».
- Erreurs de la doctrine et de la morale de la religion chrétienne.
- La religion chrétienne autorise les abus et la tyrannie des grands.
- Fausseté de la « prétendue existence des dieux ».
- FaussetĂ© de lâidĂ©e de la spiritualitĂ© et de lâimmortalitĂ© de l'Ăąme.
Parmi les thĂšses principales de cet ouvrage volumineux, l'une tente de rĂ©futer lâexistence de Dieu. Le premier argument de Meslier est celui de lâabsence : comment un Dieu se voulant aimĂ©, adorĂ© et servi peut-il demeurer si « discret » ? Ne devrait-il pas plutĂŽt se prĂ©senter Ă nous comme une Ă©vidence certaine et irrĂ©futable ?
« Sâil y avait vĂ©ritablement quelque divinitĂ© ou quelque ĂȘtre infiniment parfait, qui voulĂ»t se faire aimer, et se faire adorer des hommes, il serait de la raison et de la justice et mĂȘme du devoir de ce prĂ©tendu ĂȘtre infiniment parfait, de se faire manifestement, ou du moins suffisamment connaĂźtre de tous ceux et celles dont il voudrait ĂȘtre aimĂ©, adorĂ© et servi. »
Devant le caractĂšre « discret », lâabsence de Dieu, Meslier sâinterroge. Pourquoi Dieu ne nous fait-il pas connaĂźtre clairement et directement sa volontĂ©, au lieu de laisser les hommes se disputer Ă son sujet, voire sâentre-tuer pour des querelles byzantines ? Pour Meslier, soit Dieu existe et se moque de nous en nous conservant dans lâignorance, soit Dieu nâexiste tout simplement pas. On opposera sĂ»rement Ă Meslier que Dieu se rĂ©vĂšle aux hommes Ă travers la beautĂ© du monde, lâĆuvre de ses serviteurs ou bien par le biais de lâenseignement de son fils JĂ©sus-Christ ou de l'Ăglise. Ce Ă quoi Meslier rĂ©pond tout simplement que ces signes ne sont pas du tout Ă©vidents. De plus, la tendance des thĂ©ologiens de lâĂ©poque, comme Joseph de Maistre, de recourir au fidĂ©isme[alpha 13] pour contrer ce qu'il voit comme les paradoxes de la foi chrĂ©tienne reprĂ©sente pour lui une grossiĂšre erreur. Qui est donc ce Dieu, demande-t-il, qui nous forcerait Ă abandonner notre raison afin de croire en lui ? La mise aux oubliettes de la raison afin de justifier la foi chrĂ©tienne ne laisse-t-elle pas place Ă toutes les impostures ?
« Nos pieux et dĂ©votieux « christicoles » ne manqueront pas de dire ici tout bonnement que leur Dieu veut principalement se faire connaĂźtre, aimer, adorer et servir par les lumiĂšres tĂ©nĂ©breuses de la foi, et par un pur motif dâamour et de charitĂ© conçue par la foi et non pas par les claires lumiĂšres de la raison humaine, afin comme ils disent dâhumilier lâesprit de lâhomme, et de confondre son orgueil. »
« [Les religions] veulent que lâon croie absolument, et simplement tout ce quâelles en disent, non seulement sans en avoir aucun doute, mais aussi sans rechercher, et mĂȘme encore sans dĂ©sirer dâen connaĂźtre les raisons, car ce serait, selon elles, une impudente tĂ©mĂ©ritĂ©, et un crime de lĂšse-majestĂ© divine que de vouloir curieusement chercher des raisons. »
Pour Meslier, un Dieu parfait ne doit pas se faire lointain ou distant :
« La premiĂšre pensĂ©e qui se prĂ©sente dâabord Ă mon esprit, au sujet dâun tel ĂȘtre, que lâon dit ĂȘtre si bon, si beau, si sage, si grand, si excellent, si admirable, si parfait et si aimable, etc., est que sâil y avait vĂ©ritablement un tel ĂȘtre, il paraĂźtrait si clairement et si visiblement Ă nos yeux et Ă notre sentiment que personne ne pourrait nullement douter de la vĂ©ritĂ© de son existence. Il y a au contraire tout sujet de croire et de dire quâil nâest pas. »
Lâantique problĂšme du mal est repris par Meslier afin de remettre en doute lâexistence de Dieu : comment, mais surtout pourquoi, un ĂȘtre parfait crĂ©erait-il un monde imparfait oĂč se cĂŽtoient maux, vices, maladies, violence, etc. ? Les merveilles de la nature ? Balivernes selon Meslier, qui dĂ©crit un monde sauvage oĂč la survie de lâun ne se fait quâau dĂ©triment de la vie de lâautre. Si le mal est, comme Meslier le pense, un simple Ă©lĂ©ment structurel de la nature, indispensable pour contenir la multiplication des hommes et des animaux, en quoi est-il moralement « mauvais » ?
Meslier tente aussi de rĂ©futer les arguments en faveur de lâexistence de Dieu. Dâabord, il soulĂšve leur incapacitĂ© Ă prouver quoi que ce soit de façon certaine : par exemple, lâargument ontologique se fonde sur une dĂ©finition prĂ©Ă©tablie de Dieu. Lâattaque par Meslier des « preuves » de lâexistence de Dieu s'appuie sur un livre de FĂ©nelon, DĂ©monstration de lâexistence de Dieu, dont il se propose de rĂ©futer les thĂšses. Lâune de ses rĂ©futations de FĂ©nelon le fait entrer dans une exposition proprement matĂ©rialiste du monde. FĂ©nelon prĂ©sente le fait que Dieu est un ĂȘtre qui est par lui-mĂȘme (il est nĂ©cessaire et non contingent), et qui surpasse donc tous les degrĂ©s dâĂȘtre (il est parfait). Pour Meslier, ce raisonnement ne vaut rien : « lâĂȘtre est par lui-mĂȘme ce quâil est, et ne saurait ĂȘtre plus ĂȘtre quâil nâest, mais il ne sâensuit pas de lĂ quâil soit infiniment parfait dans son essence. » LâĂȘtre nĂ©cessaire nâest donc pas obligatoirement parfait, le seul ĂȘtre nĂ©cessaire est la matiĂšre. Sâinspirant de Descartes, Meslier en vient lui aussi Ă poser lâexistence de vĂ©ritĂ©s Ă©ternelles, mais celles-ci ne font pas rĂ©fĂ©rence Ă un Dieu crĂ©ateur : elles existent de toute Ă©ternitĂ©, tout comme le monde et la matiĂšre. Bien que Meslier ne remette pas en question le cogito, il prĂ©sente le corps ainsi que la pensĂ©e elle-mĂȘme comme unique fruit de la matiĂšre :
« Nous ne voyons, nous ne sentons, et nous ne connaissons certainement rien en nous qui ne soit matiĂšre. Ătez nos yeux ! Que verrons-nous ? Rien. Ătez nos oreilles ! Quâentendrons-nous ? Rien. Ătez nos mains ! que toucherons-nous ? Rien, si ce nâest fort improprement par les autres parties du corps. Ătez notre tĂȘte et notre cerveau ! Que penserons-nous, que connaĂźtrons-nous ? Rien. »
Pour Meslier, nous ne sommes rien sans la matiĂšre et il est inutile de croire que quelque chose puisse exister hors dâelle. Pour lui, si la matiĂšre est Ă©ternelle, on ne peut justifier la crĂ©ation. Il s'oppose aux chrĂ©tiens qui soutiennent la crĂ©ation ex nihilo (Ă partir de rien) et pense que Dieu ne peut crĂ©er le temps si cette crĂ©ation sâinsĂšre elle-mĂȘme dans le temps. Il ne voit pas comment on peut crĂ©er lâespace, ni oĂč Ă©tait Dieu avant de crĂ©er lâespace, le temps qu'il a mis Ă crĂ©er le temps lui-mĂȘme etc. Pour Meslier, lâĂąme est matĂ©rielle et mortelle :
« [âŠ] toutes nos pensĂ©es, toutes nos connaissances, toutes nos perceptions, tous nos dĂ©sirs et toutes nos volontĂ©s sont des modifications de notre Ăąme. Il faut aussi reconnaĂźtre quâelle est sujette Ă diverses altĂ©rations, qui sont des principes de corruption, et par consĂ©quent quâelle nâest point incorruptible, ni immortelle. »
Meslier pose lâexpĂ©rience sensible comme seul critĂšre de formation des idĂ©es justes, Ă contre-courant de lâidĂ©e de « rĂ©vĂ©lation ». Meslier sâen prend dâabord aux Ă©crits bibliques, dont il remet en cause l'authenticitĂ© et la fidĂ©litĂ© (possibles modifications ou travestissements au cours des siĂšcles, divergences entre divers tĂ©moignages, et au sein des tĂ©moignages eux-mĂȘmes, laissant transparaĂźtre la multiplicitĂ© de leurs auteurs). Il se demande sur quoi repose lâautoritĂ© que l'on accorde Ă Mathieu, Marc, Luc et Jean, et pour quelles raisons les apocryphes n'entrent pas dans le canon biblique. Il qualifie les Ă©crits de lâAncien comme du nouveau Testament dâhistoires de fous, indiquant que pour chacune de ces histoires, celui qui irait la raconter aujourd'hui serait pris comme un fou et un illuminĂ©. Il questionne la nĂ©cessitĂ© de la prĂ©sence de nombreux carnages et sacrifices dans un texte saint. L'hypothĂšse du sens allĂ©gorique du texte ne convainc pas Meslier :
« [âŠ] qui forgent comme ils veulent, ou qui ont forgĂ© comme ils ont voulu, tous ces beaux prĂ©tendus sens spirituels, allĂ©goriques et mystiques dont ils entretiennent et repaissent vainement lâignorance des pauvres peuples. Ce nâest plus la parole de Dieu quâils nous proposent et quâils nous dĂ©bitent sous ce sens-lĂ ; mais ce sont seulement leurs propres pensĂ©es, leurs propres fantaisies, et les idĂ©es creuses de leurs fausses imaginations ; et ainsi, elles ne mĂ©ritent pas quâon y ait aucun Ă©gard, ni que lâon y fasse aucune attention. »
Pour lui, voyant que les promesses des textes ne se réalisaient pas, Paul aurait été le premier à recourir au sens allégorique afin de préserver le mensonge chrétien :
« Nos christicoles regardent comme une ignorance, ou comme une grossiĂšretĂ© dâesprit, de vouloir prendre au pied de la lettre les susdites promesses et prophĂ©ties comme elles sont exprimĂ©es, et croient faire bien les subtils et les ingĂ©nieux interprĂštes des desseins et des volontĂ©s de leur dieu, de laisser le sens littĂ©ral et naturel des paroles, pour leur donner un sens quâils appellent mystique et spirituel et quâils nomment allĂ©gorique, anagogique et topologique. »
« Si on voulait de mĂȘme interprĂ©ter allĂ©goriquement et figurativement tous les discours, toutes les actions et toutes les aventures du fameux Don Quichotte de la Manche, on y trouverait si on voulait une sagesse toute surnaturelle et divine. »
Ă propos de lâalliance de Dieu avec les Juifs, il s'interroge :
« Puisque lâon ne voit maintenant, et que lâon nâa mĂȘme jamais vu, aucune marque de cette prĂ©tendue alliance, et quâau contraire on les voit manifestement, depuis beaucoup de siĂšcles, exclus de la possession des terres et pays quâils prĂ©tendent leur avoir Ă©tĂ© promis et leur avoir Ă©tĂ© donnĂ©s de la part de Dieu pour en jouir Ă tout jamais. »
Meslier rappelle les rĂšgles de la critique historique et nous invite Ă poser cette grille dâanalyse sur les textes chrĂ©tiens :
« Pour quâil y ait quelque certitude dans les rĂ©cits quâon se fait, il faudrait savoir :
- Si ceux que lâon dit ĂȘtre les premiers auteurs de ces sortes de rĂ©cits en sont vĂ©ritablement auteurs ;
- Si ces auteurs étaient des personnes de probité et dignes de foi ;
- Si ceux qui rapportent ces prĂ©tendus miracles ont bien examinĂ© toutes les circonstances des faits quâils rapportent ;
- Si les livres ou les histoires anciennes qui rapportent ces faits nâont pas Ă©tĂ© falsifiĂ©s et corrompus dans la suite du temps, comme quantitĂ© dâautres livres. »
Le curĂ© s'attaque ensuite au personnage et santĂ© mentale de JĂ©sus. Il ne remet pas en question son existence historique mais le prĂ©sente comme « un homme de nĂ©ant, qui nâavait ni talent, ni esprit, ni science, ni adresse, et qui Ă©tait tout Ă fait mĂ©prisĂ© dans le monde ; un fou, un insensĂ©, un misĂ©rable fanatique et un malheureux pendard. » La glorification de la souffrance (mais non du masochisme), le fait que certains hommes seront damnĂ©s alors que JĂ©sus se prĂ©sente comme le Sauveur (consĂ©quence de leur libertĂ© de refuser Dieu pour les chrĂ©tiens), lâaveu de JĂ©sus de venir mettre le dĂ©sordre dans notre monde[alpha 14] et la promesse en un royaume que Meslier dĂ©clare inexistant⊠sont quelques-uns de ses reproches. Il juge la doctrine du Christ insensĂ©e lorsqu'il demande de ne pas s'occuper des prĂ©occupations terrestres (vĂȘtements, nourritureâŠ) mais de compter sur la Providence :
« Il ferait certainement beau de voir les hommes se fier Ă une telle promesse que celle-lĂ ! que deviendraient-ils ? Sâils Ă©taient seulement un an ou deux sans travailler, sans labourer ? Sans semer ? Sans moissonner et sans faire de greniers ? Pour imiter en cela les oiseaux du ciel. Ils auraient beau ensuite Ă faire les dĂ©vots, et Ă chercher pieusement ce prĂ©tendu royaume du ciel et sa justice ! Le pĂšre cĂ©leste pourvoirait-il pour cela plus particuliĂšrement Ă leurs besoins[alpha 15]. »
Pour Meslier, le passage de JĂ©sus nâa pas amĂ©liorĂ© notre monde, le mal, le pĂ©chĂ© sont toujours prĂ©sents, voire empirent, chez les chrĂ©tiens comme chez les autres.
« Les hommes deviennent tous les jours de plus en plus vicieux et mĂ©chants, et il y a comme un dĂ©luge de vices et dâiniquitĂ©s dans le monde. On ne voit pas mĂȘme que nos christicoles puissent se glorifier dâĂȘtre plus sains, plus sages et plus vertueux, ou mieux rĂ©glĂ©s dans leur police et dans leurs mĆurs que les autres peuples de la Terre. »
Pour Meslier, si JĂ©sus avait vĂ©ritablement Ă©tĂ© Dieu, il aurait rendu tous les hommes sains de corps et dâesprit, sages et vertueux, et banni du monde tous les vices, les pĂ©chĂ©s, les injustices - Meslier les considĂšre pourtant comme de simples Ă©lĂ©ments structurels. De mĂȘme, dans l'hypothĂšse oĂč JĂ©sus a vĂ©ritablement sauvĂ© tous les hommes par son sacrifice et pris sur lui tous les pĂ©chĂ©s du monde, pourquoi le christianisme conserve-t-il lâusage des pĂ©nitences ? Pourquoi y a-t-il encore des damnĂ©s ? Pour les chrĂ©tiens, Dieu respecte notre libertĂ©, nos choix, et ne veut pas sauver contre leur grĂ© et malgrĂ© eux ceux qui refusent sa prĂ©sence. Cet argument ne l'a pas convaincu.
« On peut aussi leur dire que Dieu Ă©tant tout-puissant et infiniment sage comme ils le supposent, il pourrait, sans ĂŽter la libertĂ© aux hommes, conduire et diriger toujours si bien leurs cĆurs et leurs esprits, leurs pensĂ©es et leurs dĂ©sirs, leurs inclinaisons et leurs volontĂ©s, quâils ne voudraient jamais faire aucun mal, ni aucun pĂ©chĂ©, et ainsi quâil pourrait facilement empĂȘcher toutes sortes de vices et de pĂ©chĂ©s, sans ĂŽter et sans blesser la libertĂ©. »
L'homme se voit condamnĂ© par un Dieu supposĂ©ment juste Ă payer pour un pĂ©chĂ© originel que seuls deux humains (Adam et Ăve) ont commis, mais comment un tel pĂ©chĂ© peut-il affecter avec autant de force un Dieu parfait et immuable ? Outre cela, Dieu nâa pas trouvĂ© de moyen plus efficace pour effacer le pĂ©chĂ© originel (qui nâest apparemment aucunement effacĂ© puisque nous en subissons toujours les consĂ©quences) que dâenvoyer son Fils se faire tuer par les hommes, câest-Ă -dire, pour Meslier, laisser les hommes commettre un pĂ©chĂ© encore pire que celui de croquer le fruit dĂ©fendu. Sans crucifixion, pas de rĂ©demption, Judas Iscariote et Ponce Pilate seraient donc les grands sauveurs de lâhumanitĂ© ? Si tout le monde avait aimĂ© et Ă©coutĂ© JĂ©sus, aurions-nous perdu toute chance de rĂ©demption [alpha 16]? Paradoxe final :
« Câest comme si on disait quâun Dieu infiniment sage et infiniment bon se serait offensĂ© contre les hommes et quâil se serait rigoureusement irritĂ© contre eux pour un rien (croquer dans un fruit) et pour une bagatelle, et quâil se serait misĂ©ricordieusement apaisĂ© et rĂ©conciliĂ© avec eux par le plus grand de tous les crimes ? Par un horrible dĂ©icide quâils auraient commis, en crucifiant et en faisant cruellement et honteusement mourir son cher et divin fils ? »
Lâacceptation du christianisme demeure pour Meslier un mystĂšre impĂ©nĂ©trable : comment des hommes sensĂ©s ont-ils fait pour adhĂ©rer Ă ces idĂ©es ? Quelle est donc cette Ă©trange morale oĂč se cĂŽtoient amour du prochain et recherche de douleurs et de souffrances, « qui dĂ©clare bienheureux ceux qui pleurent et ceux souffrent, qui place la perfection dans ce qui est contraire aux besoins naturels, qui demande de ne pas rĂ©sister aux mĂ©chants, mais de les laisser faire ? ». AbsurditĂ© selon Meslier. Et que dire du mal ? Pourquoi Dieu lâimpose-t-il aux bons et aux sages ? Ăprouver leur patience, les purifier, perfectionner leur vertu, pour les rendre plus heureux dans le ciel ? Re-balivernes, sâĂ©crie Meslier. Et de quel droit parlons-nous du royaume cĂ©leste ?
« (Les « christicoles » ) Y ont-ils Ă©tĂ© voir ? Pour en savoir des nouvelles ? Qui leur a dit que cela Ă©tait ainsi ? Quelle expĂ©rience en ont-ils ? Quelle preuve en ont-ils ? Certainement aucune, si ce nâest celle quâils prĂ©tendent tirer de leur foi, qui nâest quâune croyance aveugle des choses quâils ne voient pas, que personne nâa jamais vues et que personne ne verra jamais ? »
Confesseur pendant prĂšs de quarante ans, Meslier en est venu Ă se demander si les gens croyaient encore vĂ©ritablement aux diverses « balivernes » chrĂ©tiennes ou sâils ne jouaient pas eux aussi la comĂ©die, un peu comme lui qui nâosait pas dĂ©clarer au grand jour, de son vivant, sa pensĂ©e :
« Quant au commun des hommes, on voit bien aussi par leurs mĆurs et par leur conduite que la plupart dâentre eux ne sont guĂšre mieux persuadĂ©s de la vĂ©ritĂ© de leur religion ni de ce quâelle leur enseigne que ceux dont je viens de parler, quoiquâils en fassent plus rĂ©guliĂšrement les exercices. Et ceux qui parmi le peuple ont tant soit peu dâesprit et de bon sens, tout ignorants quâils soient dâailleurs dans les sciences humaines, ne laissent pas que dâentrevoir, et de sentir mĂȘme en quelque façon, la vanitĂ© et la faussetĂ© de ce quâon leur veut faire accroire sur ce sujet, de sorte que ce nâest que comme de force, comme malgrĂ© eux, comme contre leurs propres lumiĂšres, comme contre leur propre raison, et comme contre leurs propres sentiments quâils croient ou plutĂŽt quâils sâefforcent de croire ce quâon leur en dit. »
Annonçant dĂ©jĂ Karl Marx, Meslier reproche aussi Ă lâĂglise son soutien aux tyrannies ainsi quâĂ lâexploitation du peuple. LâĂglise, au lieu de dĂ©fendre le pauvre, bĂ©nit les divers « parasites » qui se sont collĂ©s au travail des pauvres afin de mieux les exploiter : soldats, ecclĂ©siastiques, juristes, policiers, nobles[12]⊠Le roi, selon Meslier qui ne reconnait pas le droit divin, devrait ĂȘtre assassinĂ© puisqu'il dominerait cette tyrannie avec l'accord du clergĂ©. Meslier espĂšre que son message sera entendu, diffusĂ©, et que les hommes apprendront Ă vivre sans la religion, quelles qu'en soient les consĂ©quences :
« AprĂšs cela, que lâon en pense, que lâon en juge, que lâon en dise et que lâon en fasse tout ce que lâon voudra dans le monde, je ne mâen embarrasse guĂšre ; que les hommes sâaccommodent et quâils gouvernent comme ils veulent, quâils soient sages ou quâils soient fous, quâils soient bons ou quâils soient mĂ©chants, quâils disent ou quâils fassent mĂȘme de moi ce quâils voudront aprĂšs ma mort ; je mâen soucie fort peu : je ne prends dĂ©jĂ presque plus de part Ă ce qui se fait dans le monde ; les morts avec lesquels je suis sur le point dâaller ne sâembarrassent plus de rien, ils ne se mĂȘlent plus de rien, et ne se soucient plus de rien. Je finirai donc ceci par le rien, aussi ne suis-je guĂšre plus quâun rien, et bientĂŽt je ne serai rien. »
Postérité
Les textes de l'abbĂ© Meslier, jugĂ©s dangereux par ceux qui les ont dĂ©couverts[alpha 17], connaĂźtront une diffusion relativement large pour un texte si iconoclaste qui sâinscrivait dans une Ă©poque oĂč la religion chrĂ©tienne conservait une mainmise assez forte sur la sociĂ©tĂ© et la culture europĂ©ennes. Le sens du texte ne fut pas toujours respectĂ©, Voltaire en Ă©dita un rĂ©sumĂ©, assez populaire, qui fut cependant extrĂȘmement diluĂ© ; lâathĂ©isme matĂ©rialiste conscient et intransigeant de Meslier avait Ă©tĂ© transformĂ© en une prudente profession de foi dĂ©iste oĂč Meslier sâexcusait Ă Dieu dâavoir professĂ© des mensonges sur son compte tout au long de sa vie dâecclĂ©siastique. Quoi qu'il en soit, la pensĂ©e de Meslier, premier texte moderne franchement athĂ©e[12], libre de lâhabituelle prudence littĂ©raire qui entourait les textes dits athĂ©es de lâĂ©poque comme ceux de Thomas Hobbes, est rĂ©vĂ©latrice de la prĂ©sence dâune discrĂšte mais vĂ©ritable pensĂ©e athĂ©e au XVIIIe siĂšcle. Diderot, qui connaissait le Testament dans sa forme presque intĂ©grale, rĂ©dige en 1772 Les ĂleuthĂ©romanes, un poĂšme publiĂ© en 1796 qui fait Ă©cho Ă plusieurs reprises aux propos de Meslier, reprenant en particulier une expression anticlĂ©ricale de ce dernier parlant de pendre les rois avec les entrailles des prĂȘtres[13].
La franchise posthume de Meslier, qui nâhĂ©site pas Ă affirmer que bon nombre de ses paroissiens et dâecclĂ©siastiques ne croient plus et feignent dâavoir la foi, nous est rĂ©vĂ©latrice de la difficultĂ© quâavaient les hommes du XVIIIe siĂšcle dâexprimer en toute libertĂ© leur sentiment profond face Ă la notion de Dieu. LâathĂ©isme franc de Meslier ne connaĂźtra que fort peu dâimitateurs au cours du siĂšcle. Cependant, son texte est dĂ©sormais prĂ©sentĂ© comme les prĂ©mices d'un discours athĂ©e systĂ©matique et sans compromis, discours encore contenu par des structures politiques certes, mais dont lâimminente disparition[alpha 18] va permettre lâĂ©mergence et l'expression dâun athĂ©isme systĂ©matique s'opposant Ă lâĂglise ou Ă lâargument ontologique.
(7062) Meslier est un astéroïde nommé en son honneur.
Rejet de la violence envers les animaux
Dans l'ouvrage d'Ălisabeth de Fontenay, Le Silence des BĂȘtes[14], Jean Meslier est dĂ©crit comme celui qui dĂ©signa les injustices que subissent les bĂȘtes et critiqua les violences de l'homme envers l'animal de la façon la plus vĂ©hĂ©mente qui soit, au XVIIIe siĂšcle (et en fait un antispĂ©ciste avant l'heure, de mĂȘme que Porphyre, Plutarque et Montaigne[15]). Jean Meslier refusait de voir les animaux comme des « machines », mais bien comme des ĂȘtres sensibles qui dĂ©sirent vivre et ne point subir une quelconque oppression :
« C'est une cruautĂ© et une barbarie de tuer, d'assommer, et d'Ă©gorger, comme on fait, des animaux qui ne font point de mal, car ils sont sensibles au mal et Ă la douleur aussi bien que nous, malgrĂ© ce qu'en disent vainement, faussement, et ridiculement nos nouveaux cartĂ©siens, qui les regardent comme de pures machines sans Ăąmes et sans sentiments aucuns (âŠ). Ridicule opinion, pernicieuse maxime, et dĂ©testable doctrine puisqu'elle tend manifestement Ă Ă©touffer dans le cĆur des hommes tous sentiments de bontĂ©, de douceur et d'humanitĂ© qu'ils pourraient avoir pour ces pauvres animaux. (âŠ) Il faut indubitablement croire aussi qu'ils sont sensibles aussi bien que nous au bien et au mal, c'est-Ă -dire au plaisir et Ă la douleur, ils sont nos domestiques et nos fidĂšles compagnons de vie et de travail, et par ainsi il faut les traiter avec douceur. BĂ©nies soient les nations qui les traitent bĂ©nignement et favorablement, et qui compatissent Ă leurs misĂšres, et Ă leurs douleurs, mais maudites soient les nations qui les traitent cruellement, qui les tyrannisent, qui aiment Ă rĂ©pandre leur sang, et qui sont avides de manger leurs chairs. »
â Jean Meslier, Folie des hommes d'attribuer Ă Dieu l'institution des cruels et barbares sacrifices des bĂȘtes innocentes, et de croire que ces sortes de sacrifices lui Ă©taient agrĂ©ables.[16] - [alpha 19].
Catéchisme
En 1790, est publié un Catéchisme du curé Meslier qui aurait été écrit par Sylvain Maréchal.
Notes et références
Notes
- Les registres baptistaires portent le nom de Mellier mais il signait Meslier, d'aprĂšs Boulliot.
- Ă une date inconnue situĂ©e entre son dernier acte, signĂ© en date du 27 juin, et la date de l'inventaire de sa succession, le 7 juillet ; Voir Ćuvres complĂštes : MĂ©moire des pensĂ©es et des sentiments de Jean Meslier (PrĂ©faces et notes par Jean Deprun, Roland DesnĂ© et Albert Soboul), Anthropos, (lire en ligne), xxxii.
- Le titre complet, choisi par l'auteur, est « MĂ©moire des pensĂ©es et sentiments de Jean Meslier, prĂȘtre-curĂ© d'EtrĂ©pigny et de Balaives, sur une partie des erreurs et des abus de la conduite et du gouvernement des hommes, oĂč l'on voit des dĂ©monstrations claires et Ă©videntes de la vanitĂ© et de la faussetĂ© de toutes les religions du monde, pour ĂȘtre adressĂ© Ă ses paroissiens aprĂšs sa mort et pour leur servir de tĂ©moignage de vĂ©ritĂ© Ă eux et Ă tous leurs semblables. ».
- Ou Mellier.
- Curé de Guignicourt.
- Ou Laveaux, curé de Boulzicourt.
- Une femme ne peut pas entrer au service d'un ecclésiastique avant l'ùge de 40 ans.
- Il s'Ă©tait fait une spĂ©cialitĂ© de publier ses Ćuvres les plus radicalement athĂ©es sous le nom d'autres auteurs.
- Le projet fut transmis au ComitĂ© d'instruction publique : « Il est donc reconnu que les adversaires de la religion ont bien mĂ©ritĂ© du genre humain ; c'est Ă ce titre que je demande, pour le premier ecclĂ©siastique abjureur, une statue dans le temple de la Raison. Il suffira de le nommer pour obtenir un dĂ©cret favorable de la Convention nationale : c'est l'intrĂ©pide, le gĂ©nĂ©reux, l'exemplaire Jean Meslier, curĂ© d'EtrĂ©pigny en Champagne, dont le Testament philosophique porta la dĂ©solation dans la Sorbonne, et parmi toutes les factions christicoles. La mĂ©moire de cet honnĂȘte homme, flĂ©trie sous l'ancien rĂ©gime, doit ĂȘtre rĂ©habilitĂ©e sous le rĂ©gime de la nature. », 17 novembre 1793.
- Roland DesnĂ© tempĂšre toutefois l'aspect rĂ©volutionnaire de Meslier : « rĂ©volutionnaire de pensĂ©e, non de tempĂ©rament et d'action. [âŠ] si le cri est bien celui du rĂ©voltĂ©, la perspective s'ouvre cependant sur la rĂ©volution » ; cf. Ćuvres complĂštes. MĂ©moire des pensĂ©es et des sentiments de Jean Meslier, prĂ©faces et notes par Jean Deprun, Roland DesnĂ© et Albert Soboul, Ă©d. Anthropos, 1970, p. CXLV.
- « [I]l me semblait que j'abusais d'autant plus indignement de votre bonne foi, et que j'en Ă©tais, par consĂ©quent, d'autant plus digne de blĂąme et de reproches, ce qui augmentait tellement mon aversion contre ces sortes de cĂ©rĂ©monieuses et pompeuses solennitĂ©s et fonctions vaines de mon ministĂšre, que j'ai Ă©tĂ© cent et cent fois sur le point de faire indiscrĂštement Ă©clater mon indignation, ne pouvant presque plus dans ces occasions-lĂ cacher mon ressentiment ni retenir dans moi-mĂȘme l'indignation que j'en avais. J'ai cependant fait en sorte de la retenir ; et je tĂącherai de la retenir jusqu'Ă la fin de mes jours, ne voulant pas m'exposer durant ma vie Ă l'indignation des prĂȘtres ni Ă la cruautĂ© des tyrans, qui ne trouveraient point, ce leur semblerait-il, de tourments assez rigoureux pour punir une telle prĂ©tendue tĂ©mĂ©ritĂ©. » ; Jean Meslier, MĂ©moire contre la religion, Ă©d. Coda, 2007, p. 17.
- En thĂ©orie, dans le catholicisme, seule l'Ăglise a le charisme, assistĂ©e du Saint Esprit, d'interprĂ©ter les Ă©critures. Le protestantisme est plus souple sur la question.
- Doctrine condamnĂ©e en 1838 par l'Ăglise catholique romaine.
- « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre, je ne suis pas venu apporter la paix mais l'Ă©pĂ©e [âŠ] » Mathieu, chapitre 10, versets 34-35.
- Meslier fait ici référence à une partie du sermon sur la montagne. Voir Luc, chapitre 12, versets 22-30.
- Voir, sur wikipedia, l'article sur Judas et son rÎle dans la rédemption.
- Le message athée et matérialiste de Meslier sera occulté jusqu'à l'édition de 1864 par Rudolf Charles (cf. supra) et la virulence de son propos sera longtemps édulcorée : voir Antony McKenna, Censure et clandestinité aux XVIIe et XVIIIe siÚcle, Paris, Presses Paris Sorbonne, (lire en ligne), p. 133-134.
- a RĂ©volution française, tout comme le vaste courant libĂ©ral qui secouera lâEurope est proche.
- « On constate ici que le mot de âtyrannieâ permet Ă Meslier d'identifier l'oppression des hommes et celle des bĂȘtes, que la malĂ©diction qu'il prononce s'attache non seulement Ă la pratique sacrificielle mais encore Ă la nourriture carnĂ©e â thĂšme sur lequel il revient Ă plusieurs reprises â et qu'enfin le cartĂ©sianisme est accusĂ© de favoriser la cruautĂ©. » â Ălisabeth de Fontenay, Le Silence des bĂȘtes, p. 492.
Références
- « http://hdl.handle.net/10622/ARCH00883 » (consulté en )
- Les sources ne s'accordent pas : voir Testament de Jean Meslier (préf. Rudolf Charles d'Ablaing van Giesenburg), Amsterdam, Meijer, (lire en ligne), p. 35.
- Fénelon, Démonstration de l'existence de Dieu, tirée de la connaissance de la Nature et proportionnée à la faible intelligence des plus simples, 1712.
- Lettre à Helvétius datée du , Weiss, in Michaud, 1821, t. 28.
- « La négation du progrÚs dans la littérature moderne », les Primaires n° 84, décembre 1936.
- Michel Onfray, Les Ultras des LumiĂšres, Paris, Grasset, , « Meslier et "Le doux penchant de la nature" »Il prĂ©cise nĂ©anmoins dans le TraitĂ© d'athĂ©ologie que CristĂłvĂŁo Ferreira faillit ĂȘtre le premier philosophe athĂ©e mais il Ă©tait seulement anticlĂ©rical. Onfray dĂ©clara que le premier auteur ayant fait l'exĂ©gĂšse biblique et la lecture raisonnĂ©e des Ă©vangiles est Richard Simon, contemporain de Meslier, mais les rĂ©actions furent virulentes et l'Ćuvre eut peu de postĂ©ritĂ©.
- Serge Deruette, Lire Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire, Bruxelles, Aden, (lire en ligne).
- Maurice Dommanget, Le Curé Meslier : athée, communiste et révolutionnaire sous Louis XIV, Paris, Julliard, , 555 p. (lire en ligne).
- Michel Onfray, TraitĂ© dâathĂ©ologie, Paris, Grasset, 2005, p. 55.
- (en) Susan Buck-Morss, Dreamworld and Catastrophe, MIT Press, (lire en ligne), p. 43.
- Serge Deruette, « Sur le curĂ© Meslier, prĂ©curseur du matĂ©rialisme », Annales historiques de la rĂ©volution française, no 262,â , p. 411 (lire en ligne).
- Ćuvres complĂštes. MĂ©moire des pensĂ©es et des sentiments de Jean Meslier, prĂ©faces et notes par Jean Deprun, Roland DesnĂ© et Albert Soboul, Ă©d. Anthropos, 1970, p. CXI-CXII.
- Diana Guiragossian Carr, Diderot studies XXIX, GenĂšve, Droz, , 228 p., 22 cm (ISBN 978-2-600-00866-2, lire en ligne), chap. 29, p. 58-59.
- Ălisabeth de Fontenay, Le Silence des BĂȘtes, Paris, Fayard, page 489-496, (ISBN 978-2-213-60045-1).
- Ălisabeth de Fontenay, Le Silence des bĂȘtes, Paris, Fayard, p. 489, (ISBN 978-2-213-60045-1).
- MĂ©moire des pensĂ©es et sentiments de Jean Meslier [1719-1729], preuve 3, in Ćuvres complĂštes, Ă©ditions Anthropos, 1970-1972, t I, p. 210-218, citĂ© par JeangĂšne Vilmer (J.-B.), (dir.), Anthologie d'Ă©thique animale : apologies des bĂȘtes, PUF, 2011, p.51.
Bibliographie
- Marc Génin, Serge Deruette, Yvon Ancelin, préface de Roland Desné, « Jean Meslier, curé d'Etrépigny, athée et révolutionnaire », in Cahier d'études ardennaises, 2011 (ISBN 2-902284-05-5) (BNF 42383018).
- Thierry Guilabert (préf. Michel Onfray), Les Aventures véridiques de Jean Meslier (1664-1729) : curé, athée et révolutionnaire, Libertaires, (ISBN 978-2-914980-87-6, lire en ligne).
- Florian Brion, « La Sagesse colĂ©rique de Jean Meslier, prĂȘtre athĂ©e et parrhĂȘsiaste », Cahiers philosophiques, vol. 120, no 4,â , p. 51-71 (lire en ligne).
- Serge Deruette, prĂ©face de Roland DesnĂ©, Jean Meslier, curĂ© et rĂ©volutionnaire - Introduction au mesliĂ©risme et extraits de son Ćuvre, Ă©d. Aden, « collection Opium du peuple », 2008 (ISBN 978-2-93040-250-5).
- Michel Onfray, Les Ultras des LumiĂšres, Contre-histoire de la philosophie, t. 4, Paris, Grasset & Fasquelle, 2007.
- Thierry Ottaviani, « Influences et limites de la pensĂ©e cartĂ©sienne dans l'athĂ©isme de Meslier », dans Emmanuel Chubilleau, Ăric Puisais, Les AthĂ©ismes philosophiques : actes du Colloque de Chauvigny, octobre 1999, Paris, KimĂ©, , 283 p., 21 cm (ISBN 978-2-84174-217-2, OCLC 50944259, lire en ligne), p. 79-104.
- Miguel BenĂtez, « Jean Meslier et lâargument ontologique », dans Gerhardt Stenger, BĂ©atrice Fink, Ătre matĂ©rialiste Ă lâĂąge des LumiĂšres : mĂ©langes offerts Ă Roland DesnĂ©, Paris, PUF, (lire en ligne).
- Georges Minois, Histoire de lâathĂ©isme : les incroyants dans le monde occidental des origines Ă nos jours, Paris, Fayard, , 671 p., 24 cm (ISBN 9782213601304, OCLC 606747620, lire en ligne).
- Serge Deruette, « Sur le curĂ© Meslier, prĂ©curseur du matĂ©rialisme », Annales historiques de la rĂ©volution française, no 262,â , p. 404-425 (lire en ligne).
- GeneviĂšve MoĂ«ne, « Jean Meslier, prĂȘtre athĂ©e et rĂ©volutionnaire », The French Review, vol. 77, no 1,â , p. 114-125 (lire en ligne).
- Maurice Dommanget, Le Curé Meslier : athée, communiste et révolutionnaire sous Louis XIV, Paris, Julliard, , 555 p. (lire en ligne).
- CurĂ© Meslier. Non ! Dieu n'existe pas ! numĂ©ro de Philosophie libertaire de la colonie communiste d'Aiglemont (Ardennes) 1906 ; re-publiĂ© par La question sociale, Ătude sur le curĂ© Meslier, en 1996 (ISSN 1243-0501).
- Ămile Thellier, Notice historique du village d'EtrĂ©pigny (Ardennes), jadis de la chĂątellenie et prĂ©vĂŽtĂ© de MĂ©ziĂšres : avec une notice biographique du curĂ©-philosophe Jean Meslier (1688-1729), Tours, P. Bousrez, (lire en ligne sur Gallica).
- Jean-Baptiste-Joseph Boulliot, Biographie Ardennaise : ou histoire des Ardennais, t. 2, Paris, (lire en ligne), p. 206-212Avis d'un prĂȘtre catholique romain de la Restauration sur Meslier.
- Bibliographie sur Jean Meslier, par Florian Brion sur le site des Carnets des Cahiers Philosophiques, 25 janvier 2010, consulté le 23 juillet 2011
- Jean Meslier, curé athée, Feu sur les christicoles !, Une ontologie matérialiste, L'égalité des jouissances : quatre séminaires de Michel Onfray sur Jean Meslier retransmis par France Culture.
Ăditions du texte
- Ădition complĂšte de 1864 du Testament par Rudolf Charles, volume 1 sur Google Livres, volume 2 sur Google Livres, volume 3 sur Google Livres.
- Ćuvres complĂštes, Ă©d. Theurgia, Las Vegas, 2018, 2 Vol. (E-Book - BrochĂ©)
- Mémoire des pensées et des sentiments de Jean Meslier, Soignies, Talus d'approche, 2007, 3 volumes (ISBN 9782872461165, 9782872461172 et 9782872461189)
- Jean Meslier, MĂ©moire contre la religion, Paris, Ă©d. Coda, 600 p., 2007 (ISBN 2849670278)
- Ćuvres complĂštes, Ăd. Jean Deprun, Roland DesnĂ© et Albert Soboul, Paris, Anthropos, 1970-1972, 3 vol.
- Les Ćuvres complĂštes du CurĂ© Meslier, par Roland DesnĂ©, avec Jean Deprun et Albert Soboul, Bruxelles, Bruylant-Christophe, 1969-1970, prix Dumas-Millier de lâAcadĂ©mie française en 1972.
Liens externes
- Ressource relative au spectacle :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- La Bonne Parole du curé Meslier, adaptation du Mémoire de Jean Meslier en un monologue théùtral. Texte de Jean-François Jacobs, préface de Serge Deruette ; bande annonce du spectacle.