Grande Coupure
La Grande Coupure Éocène-Oligocène, souvent appelée simplement Grande Coupure ou extinction de masse de la fin de l'Éocène, est l’événement climatique et paléontologique qui a eu lieu à la limite de l'Éocène et de l'Oligocène, il y a 33,9 ± 0,1 Ma. Elle est marquée par une chute rapide des températures à l'échelle des temps géologiques[1] et par l'extinction de nombreuses espèces végétales et animales. Ce changement climatique a notamment eu pour effet de repousser les forêts tropicales chaudes sur la bande équatoriale. On voit alors apparaître de nouvelles lignées animales qui annoncent les formes modernes.
« Grande coupure »
L'expression française « Grande Coupure » a été introduite en 1909 par le paléontologue suisse Hans Georg Stehlin qui propose devant la Société géologique de France de nommer ainsi cette période d'après les faunes de mammifères terrestres d'Europe occidentale[2]. Ce concept s'est depuis élargi à d'autres régions du globe (Amérique du Nord, Asie), si bien que cette expression est aujourd'hui couramment utilisée dans le langage géologique international, y compris dans d'autres langues que le français. De même, l'impact de la Grande coupure a maintenant été établi chez d'autre taxons, dont les squamates[3] crocodiliens[4] et les anoures[5] - [6].
Changement climatique
La Terre a connu une de ses périodes les plus chaudes durant le Paléocène et la première moitié de l'Éocène. Cet épisode très chaud a duré environ 25 millions d'années (Ma) entre −66 et −40 Ma[7], et a culminé à l'Éocène inférieur, il y a environ 50 Ma lors de l’optimum climatique de l'Éocène.
La fin de l'Éocène est marquée par une chute rapide — à l'échelle des temps géologiques — des températures de l'ordre de 4 à 6 °C en environ 500 000 ans[8].
Différentes causes ont été avancées pour cet épisode de refroidissement :
- une forte activité volcanique à l'échelle du globe (phénomène d'« hiver volcanique »), peut-être causée par les trapps d'Éthiopie ;
- la chute de plusieurs météorites avec des cratères datés de cette période, identifiés dans la baie de Chesapeake sur la côte est des États-Unis d'Amérique et le cratère Popigaï en Sibérie centrale[9] ;
- la principale théorie scientifique actuelle pour expliquer ce refroidissement est cependant la diminution du dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique qui a décliné lentement du milieu à la fin de l'Éocène[8] sous l'effet, entre autres, d'une forte altération des silicates sous climat chaud.
Ce refroidissement à la limite Éocène-Oligocène aboutit :
- à l'installation de la calotte polaire sur le continent Antarctique qui dure jusqu'à nos jours : l'isolement du continent antarctique qui, d'un côté, se détache de l'Amérique du Sud (passage de Drake) et, de l'autre, de l'Australie (passage tasmanien (de)), est à l'origine d'un courant autour de l'Antarctique et de vents violents (quarantièmes rugissants et cinquantièmes hurlants)[7] ;
- à l'abaissement du niveau marin de plus de 50 mètres qui facilite les communications entre les continents et le mélange des espèces animales et végétales[7].
Pendant l'Oligocène, l'orogenèse de nouvelles chaînes de montagnes sur tous les continents (Andes, Rocheuses, Himalaya, Alpes) transforme la circulation atmosphérique. Un régime des moussons se met en place dans l'océan Indien, ce qui affecte l'Afrique de l'Est, où apparaissent des savanes.
Impact sur les faunes de mammifères
J. J. Hooker et son équipe[10] ont comparé en 2004 les changements importants intervenus dans les faunes de mammifères au moment de la « Grande coupure », avec d'abord des faunes européennes à caractère endémique puis après la « Grande coupure », leur mélange avec des faunes d'origine asiatique[11] :
- avant la « Grande coupure » la faune est dominée par les périssodactyles de la famille des Palaeotheriidae, auxquels se joignent six familles d'artiodactyles (Anoplotheriidae, Xiphodontidae, Choeropotamidae, Cebochoeridae, Dichobunidae et Amphimerycidae), des rongeurs de la famille des Pseudosciuridae, des primates appartenant aux familles des Omomyidae et des Adapidae et enfin des insectivores de la famille des Nyctitheriidae ;
- après la « Grande coupure » la faune inclut des rhinocéros « vrais » de la famille des Rhinocerotidae, trois familles d'artiodactyles (Entelodontidae, Anthracotheriidae et Gelocidae), trois familles de rongeurs (Eomyidae, Cricetidae — hamsters — et Castoridae — castors —), et des insectivores de la famille des Erinaceidae (hérissons). Les genres Palaeotherium et Anoplotherium ainsi que les familles de Xiphodontidae et d'Amphimerycidae disparaissent complètement. Seules, la famille des Herpetotheriidae (marsupiaux), celle des Cainotheriidae (artiodactyles) et deux familles de rongeurs (Theridomyidae et Gliridae — loirs —) ne sont pas affectées par la « Grande coupure ».
Notes et références
- (en) J.J. Chateauneuf, « A major cooling event preceded the Grande Coupure, based on pollen studies in the Paris Basin », "Palynostratigraphie et paléoclimatologie de l'Éocène supérieur et de l'Oligocène du Bassin de Paris (France),Mémoires du Bureau de Recherches Géologiques et Minières, 1980, vol. 116
- H.G. Stehlin, 1910, « Remarques sur les faunules de Mammifères des couches éocènes et oligocènes du Bassin de Paris », Bulletin de la Société Géologique de France, vol. 4, no 9, 1910, p. 488-520
- (en) Jean-Claude Rage, « Amphibians and squamates in the Eocene of Europe: what do they tell us? », Palaeobiodiversity and Palaeoenvironments, vol. 92, no 4, , p. 445–457 (ISSN 1867-1594 et 1867-1608, DOI 10.1007/s12549-012-0087-3, lire en ligne, consulté le )
- (en) Loredana Macaluso, Jeremy E. Martin, Letizia Del Favero et Massimo Delfino, « Revision of the crocodilians from the Oligocene of Monteviale, Italy, and the diversity of European eusuchians across the Eocene-Oligocene boundary », Journal of Vertebrate Paleontology, vol. 39, no 2, , e1601098 (ISSN 0272-4634, DOI 10.1080/02724634.2019.1601098, lire en ligne, consulté le )
- (en) Davit Vasilyan, « Eocene Western European endemic genus Thaumastosaurus : new insights into the question “Are the Ranidae known prior to the Oligocene?” », PeerJ, vol. 6, , e5511 (ISSN 2167-8359, PMID 30186689, PMCID PMC6118198, DOI 10.7717/peerj.5511, lire en ligne, consulté le )
- (en) Alfred Lemierre, Annelise Folie, Salvador Bailon, Ninon Robin et Michel Laurin, « From toad to frog, a CT-based reconsideration of Bufo servatus, an Eocene anuran mummy from Quercy (France) », Journal of Vertebrate Paleontology, vol. 41, no 3, , e1989694 (ISSN 0272-4634, DOI 10.1080/02724634.2021.1989694, lire en ligne, consulté le )
- (en) Zachos, J., Rohl, U., Schellenberg, S., Sluijs, A., Hodell, D., Kelly, D., Thomas, E., Nicolo, M., Raffi, I., Lourens, L., et al., « Rapid acidification of the ocean during the Paleocene-Eocene thermal maximum », Science, vol. 308, 2005, p. 1611, http://www.whoi.edu/cms/files/zachos05sci_133124.pdf
- (en) Michael T. Hren, Nathan D. Sheldonc, Stephen T. Grimesd, Margaret E. Collinsone, Jerry J. Hookerf, Melanie Buglerd, Kyger C. Lohmannc, « Terrestrial cooling in Northern Europe during the Eocene–Oligocene transition », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 110, no 19, 2013, p. 7562–7567, doi : 10.1073/pnas.1210930110, http://www.pnas.org/content/110/19/7562.full
- (en) Russia's Popigai Meteor Crash Linked to Mass Extinction
- (en) Hooker, J.J., M.E. Collinson et N.P. Sille, « Eocene-Oligocene mammalian faunal turnover in the Hampshire Basin, UK : calibration to the global time scale and the major cooling event », Journal of the Geological Society, vol. 161, 2004, p. 161 (DOI 10.1144/0016-764903-091)
- (en) Zhang, R., Kravchinsky, V.A., Yue, L. (2012), « Link between Global Cooling and Mammalian Transformation across the Eocene-Oligocene Boundary in the Continental Interior of Asia », International Journal of Earth Sciences Int (Geol. Rundschau), DOI 10.1007/s00531-012-0776-1, https://www.ualberta.ca/~vadim/Publications-Kravchinsky_files/2012-Zhang%20et%20al%20-%20Link%20between%20Global%20Cooling%20and%20Mammalian%20Transformation.pdf