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Dendrochimie

La dendrochimie est une mĂ©thode de biosurveillance de l'environnement basĂ©e sur le fait que les anneaux de croissance des arbres ont lors de leur formation enregistrĂ© une partie de la pollution de leur environnement. Certains de ces polluants ne sont pas dĂ©gradables (mĂ©taux lourds et mĂ©talloĂŻdes) ou ont une longue durĂ©e de vie ; ils peuvent ĂȘtre absorbĂ©s par l'arbre sous forme gazeuse, particulaire et/ou sous forme dissoute (c'est-Ă -dire ionique) ; Le bois vivant (puis mort) absorbe et stocke ainsi une partie des mĂ©taux et minĂ©raux que l’arbre a captĂ©s dans l’eau, l’air et/ou le sol qui l'alimentent sa vie durant, via ses racines, ses feuilles, et moindrement via l’écorce et le suber. Ce stock interne se forme en plus ou moins grandes quantitĂ©s selon l’essence et l’ñge de l’arbre, et selon le contexte environnemental.
En zone froide Ă  tempĂ©rĂ©e, durant toute la pĂ©riode de croissance de l’arbre (plusieurs siĂšcles parfois), chaque annĂ©e, un nouveau cerne est produit, qui absorbe et conserve une partie des minĂ©raux et polluants captĂ©s par l’arbre dans l’annĂ©e (et les mois prĂ©cĂ©dents via l’écorce). Sauf chez quelques espĂšces, dans le bois d’un arbre vivant et sain ou dans le bois sec d’une poutre ou d’une planche ancienne, ces produits migrent trĂšs peu d’un cerne Ă  l’autre, ou des cernes dĂ©jĂ  formĂ© vers le suber ou l’écorce, ce qui fait des cernes une archive environnementale potentiellement exploitable des annĂ©es Ă  millĂ©naires aprĂšs qu’ils se soient constituĂ©s[2] - [3] - [4].

Structure de tranche de tronc (bois finalisé à chacune, et en cours de finalisation, super et écorce à droite)
PrĂ©sentation pĂ©dagogique des cernes d’une coupe de tronc
La dendrochronologie utilise un carottage utile pour Ă©valuer l’ñge de l’arbre, mais la prĂ©paration d’un Ă©chantillon pour la dendrochimie nĂ©cessite des protocoles limitant les risques de contamination du bois par des mĂ©taux
DĂ©tail des cernes de croissance d’un Ă©chantillon de bois (Corylus avellana)
Certaines essence présentent un anneau de tissu vivant (externe) plus épais, qui influe sur le temps nécessaire au piégeage des métaux.
L’érosion des parties plus tendres montre bien que la partie du cerne formĂ©e en dĂ©but de saison de croissance est plus tendre que celle formĂ©e en fin de saison
SĂ©quoia, (Sequoiadendron giganteum), MusĂ©e d’Histoire naturelle de Londres
1500 ans d’histoire de vie visible dans une section de tronc de sĂ©quoia (New-York, American Museum of Natural History)
Anneaux de croissance sur bois pétrifié fossile
Tronc couchĂ© et coupĂ© de hĂȘtre (Fagus sylvatica) montrant une pĂ©riphĂ©rie saine avec des anneaux de croissance bien visibles et un cƓur violacĂ© pouvant correspondre Ă  une colonisation et biodĂ©gradation du bois par des champignons et/ou bactĂ©ries. (Dean Castle Country Park, Kilmarnock, East Ayrshire, Écosse). Un tel tronc n'est pas utilisable en dendrochimie
Cernes d’un arbre (Ponderosa pinus) nĂ© vers le milieu des annĂ©es 1500s
Radioactivité des cernes de Pin sylvestre : la bombe atomique et de nombreux essais nucléaires atmosphériques ont (dans les années 1950) libéré beaucoup de radio-isotopes (+ 100% de C-14 dans l'air), en partie retrouvés dans le bois (biomasse et nécromasse ; partie gauche du graphique). Le pic de droite correspond au relargage dans l'atmosphÚre de C-14 par la catastrophe de Tchernobyl. Remarque : légÚre diffusion dans les cernes correspondant aux mois ou années précédant un évÚnement[1]
Analyse du radioisotope carbone 14 (C-14) dans les cernes de bois (Pin sylvestre)
AprÚs la Seconde Guerre mondiale et la bombe atomique, de nombreux essais nucléaires atmosphériques ont (dans les années 1950) libéré une grande quantité de divers radionucléides et radio-isotopes (dont carbone 14) dans l'air ; assez pour doubler le taux normal de C-14 de l'atmosphÚre, et par suite pour le faire augmenter dans la biomasse et nécromasse (partie gauche du graphique). Le pic situé à droite correspond au relargage dans l'atmosphÚre de C-14 par la catastrophe de Tchernobyl
Tige de bananier (herbacĂ©e prĂ©sentant aussi l’équivalent de cernes

Enjeux environnementaux et de santé publique

  • la dendrochimie, permet d’évaluer certaines contaminations de l’environnement (eau, air, sol) et leur Ă©volution sur des pas de temps se comptant en dĂ©cennies Ă  millĂ©naires, ce qui en fait un outil pour l’histoire et l’histoire environnementale ;
  • La dendrochronologie peut renseigner sur certaines pollutions passĂ©es, mĂ©talliques et radioactives notamment, au profit d’études Ă©pidĂ©miologiques ;
  • La dendrochimie peut ĂȘtre utile Ă  la gestion du risque. Par exemple : l’écorce et le suber (partie pĂ©riphĂ©rie du tronc situĂ©e juste sous l’écorce) ne constituent qu’une petite partie d’un tronc adulte, mais c’est la partie souvent la plus « contaminĂ©e » par les mĂ©taux. Or cette partie de l’arbre n’est pas utilisĂ©e dans le bois d’Ɠuvre, ce qui en fait un dĂ©chet pour cette industrie. Elle peut ĂȘtre utilisĂ©e pour produire du « mulch » (qui, si l’arbre venait d’une zone polluĂ©e libĂ©rera des polluants en se dĂ©composant) ou parfois en bois-Ă©nergie (de mauvaise qualitĂ© car laissant beaucoup de cendre, par ailleurs souvent trĂšs contaminĂ©es par les mĂ©taux).
    Connaitre et mieux gĂ©rer les risques Ă©cologiques et les risques sanitaires posĂ©s par l’utilisation sans prĂ©caution des Ă©corces, du suber, ou de bois polluĂ©s est donc un enjeu, tout particuliĂšrement pour les vieux arbres urbains, ou ayant poussĂ© prĂšs de routes ou de zones industrielles ou exposĂ©es aux pollutions de guerre.
  • La dendrochimie peut Ă©clairer certains problĂšmes Ă©coĂ©pidĂ©miologiques : quand l’arbre polluĂ© vieillit et qu’il est attaquĂ© par des insectes xylophages ou des insectes et autres organismes saproxylophages), selon la profondeur de vie des larves d'insectes, champignons et bactĂ©ries dans le bois, ces organismes pourront bioaccumuler des mĂ©taux toxiques (ex : arsenic dans les terrains de golf qui ont utilisĂ© ce produit comme pesticide durant des dĂ©cennies). Les oiseaux (pics) qui se nourrissent sur de tels arbres sĂ©nescents, empoisonnent leurs progĂ©nitures en les nourrissant ; il se retrouvent en situation de piĂšge Ă©cologique[5].
    Ce bois devrait ĂȘtre utilisĂ© avec prĂ©caution et brĂ»lĂ© dans des installations munies de filtres adĂ©quats, c’est-Ă -dire capables de capter les mĂ©taux et mĂ©talloĂŻdes de vapeurs et fumĂ©es de combustion. Leur cendre sera Ă©galement contaminĂ©e.

Absorption et stockage de polluants par le bois

Écorces

L’écorce des arbres adsorbe et accumule divers contaminants (issus de dĂ©position humide et sĂšche)[6].

Cette propriĂ©tĂ© a Ă©tĂ© utilisĂ©e avec succĂšs par de nombreuses Ă©tudes de contamination, y compris en milieux arides (ex : en Jordanie oĂč des Ă©corces de cyprĂšs Ă©taient disponibles (Cupressus sempervirens)[7].

L’écorce reflĂšte souvent trĂšs bien la contamination locale de l’environnement par un polluant (ainsi Heichel et Hankin, 1972) ont montrĂ© que la composition isotopique du plomb microparticulaire intĂ©grĂ©e dans les Ă©corces Ă©tait identique Ă  celle du plomb additif de l’essence [8]. Selon Barnes et al. (1976), les mĂ©taux sont plus concentrĂ©s dans les couches superficielles de l'extĂ©rieur de l'Ă©corce, par rapport aux couches internes de l’écorce. Et les teneurs peuvent aussi varier selon la hauteur le long de la tige ou du tronc[9].

Selon le type d’écorce (qui varie beaucoup selon l’ñge et l’espĂšce) le taux de particules retrouvĂ© sur l’écorce varie considĂ©rablement (par exemple d’un facteur de 1 Ă  10 rien que sur 7 espĂšces testĂ©es dans la cuvette grenobloise en France) ; Dans ce contexte, le peuplier noir (Populus nigra) en contenait le plus et le Paulownia (Paulownia imperialis) le moins notait MickaĂ«l Catinon en 2010[10].

Suber

Le suber est la partie vivante la plus externe de l’écorce et de l’arbre.
C’est aussi le tissu gĂ©nĂ©ralement le plus contaminĂ©, notamment car contenant (pour plusieurs dĂ©cennies) les mĂ©taux absorbĂ©s par les racines et feuilles 
 en plus d’une partie de ceux qui se sont dĂ©posĂ©s sur l’écorce (plus ou moins naturellement acide selon l’espĂšce ou acidifiĂ©e par la pollution de l’air) [10].

Une Ă©corce naturellement acide (ou acidifiĂ©e par les SOx et/ou les NOx) rend les mĂ©taux qu’elle rencontre plus biodisponibles, y compris pour le suber. Une expĂ©rimentation consistant Ă  exposer une Ă©pinette Ă  une fumigation de soufre (sous forme de SO2, un polluant courant de l’air dans les zones de combustion d’hydrocarbures fossiles, fuels lourds et carburants diesels notamment) a montrĂ© que le soufre s'accumule facilement dans l'Ă©corce et peut alors fortement l’acidifier (en y produisant de l'acide sulfurique (H2SO4), dont la plus grande partie va rĂ©agir avec le calcium en formant du gypse (CaSO4)[11]. Kreiner & HĂ€rtel ont en 1986 conclu de cette expĂ©rience que la conductance et la teneur en sulfate des extraits d’écorce reprĂ©sentent et mĂ©morisent une intĂ©gration de soufre anthropique couvrant une pĂ©riode « considĂ©rable »[11].

La thĂšse de Mickael Catinon (2010) a montrĂ© que sur les branches et Ă©corces, les dĂ©pĂŽts atmosphĂ©riques secs et humides influencent directement la teneur en contaminants du suber sous-jacent, mais avec une chronologie dĂ©calĂ©e, car le dĂ©pĂŽt de surface est en rĂ©alitĂ© un « Ă©cosystĂšme construit sur un biotope alimentĂ© conjointement par l'atmosphĂšre et par l'arbre lui-mĂȘme », comportant « une phase vivante reviviscente et pour partie photosynthĂ©tique » ; il et en outre pĂ©riodiquement lessivĂ© et dĂ©placĂ© par la pluie et le ruissellement d’eaux mĂ©tĂ©oritiques. Le suber sous-jacent va nĂ©anmoins absorber et stocker, et donc « mĂ©moriser » une partie de ce dĂ©pĂŽt.

Bois

Si les mĂ©taux toxiques semblent rapidement fixĂ©s dans le bois et ces cernes (jusqu’à ce que le bois soit dĂ©composĂ©), ce n’est pas le cas des cations de micro nutriments vitaux comme : Ca, Mg, Mn et K qui sont retrouvĂ©s dans l’écorce et les cernes, mais en y Ă©tant bien moins « passivement » enregistrĂ©s.

Ils semblent pouvoir recirculer, par exemple lors de la maturation de l’aubier en bois de cƓur, et ils interfĂšrent beaucoup plus avec la vie de l’arbre (mĂ©tĂ©o, blessures, maladies, etc.). L’interprĂ©tation dendrochimique de leurs variations dans le bois doit donc rester trĂšs prudente[12].

Histoire scientifique

Ce moyen de remonter le passĂ© s’est principalement dĂ©veloppĂ© dans les annĂ©es 1970 oĂč il a notamment montrĂ© que l’essence plombĂ©e laissait des traces annuelles dans le bois. Il a Ă©tĂ© encouragĂ© par le fait que des arbres sont prĂ©sents dans une large partie du monde, y compris en ville, dans des cours d’école ou dans les jardins. Leur Ă©corce, le suber ou leurs cernes peuvent enregistrer les informations sur le passĂ© de l’arbre et de son environnement, et un mĂȘme arbre peut ĂȘtre utilisĂ© Ă  plusieurs reprises dans sa vie. La mĂ©thode semble idĂ©ale pour retracer des polluants non dĂ©gradables comme les mĂ©taux ou mĂ©talloĂŻdes.

Le cas particulier du mercure

Comme il est hautement toxique, il est intĂ©ressant de pouvoir retracer les pollutions par ce mĂ©tal. De plus le bois polluĂ© par du mercure ne devrait pas ĂȘtre brĂ»lĂ© ni chauffĂ©, car inhaler de la vapeur de mercure est bien plus toxiques qu’ingĂ©rer du mercure liquide.

Comme le mercure (Hg) est le seul mĂ©tal liquide et volatil Ă  tempĂ©rature ambiante sur terre, on pouvait craindre que les cernes des arbres ne puissent pas l’accumuler ou mal le conserver ; On sait nĂ©anmoins depuis les annĂ©es 1990 que ce mĂ©tal trĂšs toxique peut se dĂ©poser et s’accumuler dans certaines zones boisĂ©es[13], et que lĂ , le mercure est absorbĂ© par les arbres[14] - [15] - [16].
On a montrĂ© en 2014 qu’il peut ĂȘtre recherchĂ© et retrouvĂ© dans les cernes de pins oĂč il est conservĂ©[17], ce travail a permis de confirmer que le taux de mercure diminue en AmĂ©rique du nord long d'un gradient allant de la cĂŽte Ă  l'intĂ©rieur (avec 5,7 ng/g sur la cĂŽte californienne, descendant Ă  1,2 ng/g Ă  l'intĂ©rieur des terres au Nevada). Ce travail a aussi confirmĂ© que les cernes du bois enregistrent aussi les effets de sources locales de mercure et qu’une augmentation des concentrations mondiales au fil du temps.

Une Ă©tude (2010) faite sur des zones contaminĂ©es et de sites de rĂ©fĂ©rence (non contaminĂ©s) autour de Kingston (Ontario)) a recherchĂ© le mercure total (HgT) dans le bois d’érable (Acer spp.), de chĂȘne (Quercus spp.), de peupliers (Populus spp.)et de saules (Salix spp.)[18].
Les taux de HgT dans les Ă©corces et le bois Ă©taient fortement corrĂ©lĂ©es, contrairement aux concentrations dans le sol et le bois. Les espĂšces rivulaires (des berges et ripisylves) Ă©tudiĂ©es (saules et peupliers dans ce cas) prĂ©sentaient les teneurs de mercure dans l'Ă©corce et dans le bois les plus Ă©levĂ©es (jusqu’à 18 ng/g, significativement plus Ă©levĂ©es que pour les arbres de l'intĂ©rieur des terres (chĂȘne et Ă©rable) qui ne dĂ©passaient pas respectivement 7 et 1,2 ng/g de mercure pour l'Ă©corce et le bois[18]. L’étude a estimĂ© que les troncs d'arbres ne sont pas des biomoniteurs temporels fiable pour le HgT, mais que des essences tels que les peupliers et saules « sont prometteuses en tant qu'indicateurs spatiaux de la contamination locale Ă  long terme par le mercure »[18].

D’autres Ă©tudes ont montrĂ© une corrĂ©lation de teneurs en Hg des cernes et des lichens vivant Ă  proximitĂ©[19]. Elles ont permis avec des peupliers de reconstituer la variation temporelle de la contamination d’un site par le mercure « aquatique »[20] ou ont prouvĂ© que la pollution mercurielle de mines ou de fonderies est « mĂ©morisĂ©e » par les arbres[21].

La Recherche doit encore prĂ©ciser la variation de la sensibilitĂ© des Ă©chantillons de cernes d’arbres en fonction de l’espĂšce et de l’ñge, en tant que donnĂ©es indirectes sur les concentrations de Hg dans l’atmosphĂšre[17]. Selon Whright & al ; (2014) les cernes des arbres sont des enregistreurs passifs de Hg atmosphĂ©rique pour de longues pĂ©riodes (plusieurs siĂšcles, voire plusieurs millĂ©naires avec alors une prĂ©cision d’environ 5 ans pour les datations rĂ©trospectives [17]).

Conditions de faisabilité

En raison de certains facteurs limitants, utiliser la dendrochimie nécessite cependant plusieurs conditions :

  • la disponibilitĂ© en arbre assez ĂągĂ©s pour avoir enregistrĂ© les Ă©vĂšnements recherchĂ©s ;
  • Le choix de l’essence doit ĂȘtre pertinent (il faut une essence Ă  faible contamination radiale inter-cernes, frĂȘne par exemple[22]) et capable de bioaccumuler le polluant (recherchĂ© ou suspectĂ©, si l’étude vise un polluant particulier) ;
  • Le polluant recherchĂ© doit ne pas pouvoir se dĂ©grader dans le bois (ou son produit de dĂ©gradation doit ĂȘtre stable et facile Ă  identifier) ;
  • le mĂ©tal ou polluant recherchĂ© doit ĂȘtre biodisponible (ainsi un sol trĂšs calcaire peut contenir une quantitĂ© anormalement Ă©levĂ©e de plomb, et ne pas ou peu le libĂ©rer vers les arbres) ; on en retrouver alors peu dans le bois, sauf si un processus d’acidification est Ă  l’Ɠuvre lĂ  oĂč l’arbre pousse ou Ă  proximitĂ© ;
  • il est utile de disposer d’« arbres tĂ©moins » (non polluĂ©s, de mĂȘme Ăąge et ayant grandi dans un environnement par ailleurs comparable, prospectĂ© Ă  la mĂȘme profondeur par les racines) pour bien distinguer les effets de la pollution d’effets liĂ©s Ă  des alĂ©as climatiques ou phytosanitaires ;
  • Le dĂ©coupage des Ă©chantillons devrait se faire au laser plutĂŽt qu’au scalpel, car les lame trĂšs aiguisĂ©es peuvent laisser des traces significatives de mĂ©taux sur le bois (nickel notamment, qui contamine alors l’échantillon) [23] ;
  • avoir une bonne connaissance du pH du sol, et si possible de son histoire. Pour la plupart des mĂ©taux (plomb et cadmium notamment), le pH du sol joue un rĂŽle majeur dans leur biodisponibilitĂ© : plus le sol est acide plus l’arbre absorbera facilement ces 2 mĂ©taux. Si le sol est Ă©galement plus aĂ©rĂ© (milieu oxydant), les mĂ©taux seront encore plus facilement absorbĂ©s que dans un milieu rĂ©ducteur[24] - [25] ;
  • enfin, plus on se rapproche de l’équateur moins les cernes sont visibles (parfois totalement absent), mais des approches similaires Ă  la dendrochronologie sont nĂ©anmoins dĂ©veloppĂ©es, par exemple en s’appuyant sur le taux de calcium du bois de l’arbre Miliusa velutina qui varie dans une tranche ou une « carotte » de tronc Ă  la maniĂšre des cernes de croissance[26].
  • pour les analyses historiques, lors du croisement de donnĂ©es dendrochimiques et dendromĂ©triques il convient aussi de tenir compte du fait que les cernes de croissance tendent Ă  s’élargir avec le rĂ©chauffement climatique (si l’arbre ne manque pas d’eau) et Ă  diminuer lors de pĂ©riodes froides, comme cela a Ă©tĂ© montrĂ© dans les Vosges Ă  partir d'analyse dendrohronologiques de Sapin argentĂ© (Abies alba Miller) faites 196 placettes[27]

Quels choix d’essences ?

Feuillu ou rĂ©sineux ? Ces deux types d’arbres ont Ă©tĂ© testĂ©s et utilisĂ©s par la dendrochimie.
Selon Rasmussen (1978) les taux de mĂ©taux intĂ©grĂ©s dans les cellules de l’arbre sont plus Ă©levĂ©s dans l'Ă©corce des arbres Ă  feuilles caduques que chez les conifĂšres[28], mais au sein de chaque groupe, certaines essences captent mieux que d’autres les mĂ©taux ou d’autres polluants.
L'acidification des sols (par les aiguilles) peut ĂȘtre un facteurs de confusion chez les rĂ©sineux, car l'aciditĂ© accroĂźt significativement la biodisponibilitĂ© du Pb et elle s'ajoute ici Ă  l'acidification liĂ©e Ă  la pollution de l'air et des eaux mĂ©tĂ©oritiques[29]. Une mobilitĂ© radiale post-dĂ©pĂŽt (du Plomb par exemple) dans le xylĂšme est parfois possible, il faut alors en tenir compte[29].

RĂ©sineux

  • l'ÉpicĂ©a commun : Picea abies L. est une espĂšce assez largement rĂ©partie sur la planĂšte. Il s'est mont montrĂ©s efficaces comme archives gĂ©ochimique et historique potentielles, par exemple pour une Ă©tude de la pollution de l’air par le plomb entre 1960 et 1990 sur 3 sites de RĂ©publique tchĂšque. Les Ă©picĂ©as proches de source de pollutions Ă©taient trĂšs chargĂ©s en plomb, avec un historique de pollution conservĂ© par les cernes de croissance, alors que les Ă©picĂ©as vivant Ă  150 km des zones polluĂ©es dans un parc national Ă©taient totalement « propres » et les l’étude a montrĂ© que dans une zone de tourbiĂšres ombrotrophes (c’est-Ă -dire uniquement alimentĂ©es par la pluie) le plomb gĂ©ologique du substrat rocheux Ă©tait presque absent du xylĂšme (il aurait sinon pu ĂȘtre un facteur de confusion). Et Ă  5 km de centrales au charbon, les Ă©picĂ©as contenaient une grande proportion de Plomb (Pb) provenant du charbon comme le montrait son ratio isotopique (ratio Ă©levĂ© de 206 Pb / 207 Pb de 1,19)[29].

Feuillus

Selon Patrick et al. en 2006, l'érable sycomore n'est pas approprié pour suivre le plomb « dans les zones sans grand apport local de plomb, bien qu'il puisse révéler certaines informations sur l'influence temporelle et spatiale des émetteurs de source ponctuelle »[30].

Utilisations de l’analyse des cernes

Pour des historiens

Des pics anormaux de certains minĂ©raux (ex phosphore) dans les anneaux de bois anciens peuvent rĂ©vĂ©ler des explosions volcaniques anciennes et aider Ă  les dater plus prĂ©cisĂ©ment via la dendrochronologie [31], par exemple pour l’éruption du Mount Hood, un stratovolcan situĂ© dans le nord de l’État amĂ©ricain de l'Oregon. Dont la derniĂšre Ă©ruption a pu ĂȘtre datĂ© de 1781 [32]

Pour reconstituer des Ă©vĂšnements de pollution de nappe superficielle

Comme les racines des arbres s’alimentent en eau en partie dans la nappe phrĂ©atique superficielle, la dendrochimie peut aussi retracer des pollutions de ces nappes[33]. Elle peut suivre d’autres polluants que des mĂ©taux. Par exemple des solvants chlorĂ©s ont aussi Ă©tĂ© quantifiĂ©s dans les cernes du bois, sur un ancien site industriel de Verl (Allemagne) pour reconstituer le passĂ© de contamination d'eaux souterraines , mettant en Ă©vidence entre 1900 et 2010) plusieurs Ă©pisodes de pollution par des solvants chlorĂ©s[34]. Du chlore peut aussi provenir de sels de dĂ©neigement. En cas de combustion de ce bois ou d’incendie, ce chlore peut produire des dioxines et des furanes.

Pour la bioindication

La dendrochimie est l’un des outils de la bioindication gĂ©nĂ©rale, utilisĂ©e par exemple pour l’écologie rĂ©trospective, l’écotoxicologie, l’évaluation environnementale ou en santĂ© environnementale[35] et de la bioindication[36], en complĂ©ment du « phytoscreening » qui lui s’intĂ©resse plutĂŽt Ă  la contamination rĂ©cente (totale ou partielle) des plantes[37]. Il est parfois aussi utilisĂ© pour la recherche de causes environnementales Ă©ventuelles d’épidĂ©mies de maladies non infectieuses (leucĂ©mies par ex)[38].

En épidémiologie ou écoépidémiologie

A titre d’exemple d’utilisation de la dendrochimie dans le domaine de la santĂ© environnementale :

  • La prĂ©valence de certaines maladies pĂ©diatriques respiratoires a pu ĂȘtre mise en relation avec l’évolution locale de la pollution, telle que « mĂ©morisĂ©e » par les Ă©corces de frĂȘne (Fraxinus pennsylvanica), dans le cadre d’un essai de biomonitoring d’élĂ©ments trace rĂ©alisĂ© dans 10 sites diffĂ©rents proches de centres de soins de santĂ© de la ville de CĂłrdoba, (Argentine) Plusieurs « facteurs » ont Ă©tĂ© sĂ©parĂ©s : 1) pollution industrielle, particules provenant des sols, 3) pollution automobile, qui ont respectivement pu ĂȘtre associĂ©es Ă  1) un risque allergique accru, 2) la rhinite allergique, 3) les infections respiratoires. Les auteurs, concluant que l’analyse des Ă©corces peut servir au biomonitoring de l'exposition humaine Ă  certains polluants aĂ©roportĂ©s [39].
  • Des cas inexpliquĂ©s de clusters de leucĂ©mies infantiles sont apparus aux États-Unis (dont Ă  Fallon, Sierra Vista et Elk Grove). Pour tenter de les expliquer, une Ă©tude a mesurĂ© les mĂ©taux et mĂ©talloĂŻdes "archivĂ©s" dans les cernes des arbres durant leur croissance (dendrochimie), afin de savoir si ces enfants ou leurs parents avaient Ă©tĂ© anormalement et rĂ©cemment exposĂ©s Ă  un mĂ©tal ou mĂ©talloĂŻde (ou plusieurs).
    Le seul point commun significatif aux 3 clusters les plus importants - pour les teneurs en éléments traces métalliques du bois des arbres de tous les sites concernés (parmi les nombreux éléments mesurés)- était une augmentation du taux de tungstÚne au fur et à mesure des années (doublement dans un cas)[40].
    Une étude des CDC sur des tissus humains d'habitants de Fallon a confirmé des taux élevés de tungstÚne et une étude USGS sur l'eau potable de la ville a aussi montré une teneur élevée en tungstÚne. L'air extérieur filtrés à Sierra Vista contenait aussi plus de tungstÚne que dans plusieurs régions voisines (sud de l'Arizona). Plusieurs études ont montré au moins un lien possible entre le tungstÚne et la leucémie (ou le cancer plus généralement)[40].

Principes techniques

La mĂ©thode repose sur la possibilitĂ© (depuis les annĂ©es 1970 au moins) d’analyser les teneurs de chaque cernes du bois et grĂące Ă  la dendrochronologie de les attribuer Ă  une pĂ©riode du passĂ©.

Ainsi dans les annĂ©es 1970, l’écorce et le suber contenait beaucoup de plomb issu de l’essence plombĂ©e (microparticules de 3 Ă  13 ”m). Une petite partie de ce plomb persiste ensuite, dans les cernes du bois d’arbres poussant en zone tempĂ©rĂ©e et froide.

Les cernes anciens ne prĂ©sentent pas d’intĂ©rĂȘt pour le suivi de polluants trĂšs dĂ©gradables, trĂšs volatiles ou Ă  forte dĂ©croissance radioactives (iode de Tchernobyl) par exemple, mais ils mĂ©morisent trĂšs bien, outre des indices mĂ©tĂ©orologiques (cernes plus fins voire quasi absents les annĂ©es sĂšches ou trĂšs sĂšches) certains Ă©pisodes passĂ©s de pollution de l’air, de l’eau et/ou des sols. Inversement, l’analyse de l’écorce et des dĂ©pĂŽts sur l’écorce peut fournir des informations complĂ©mentaires sur la pollution rĂ©cente ou actuelle.

Dendrochimie, dendrogéochimie, dendrobiogéochimie


Dans la plupart des milieux boisĂ©s, l’arbre absorbe normalement naturellement peu de mĂ©taux lourds ou mĂ©talloĂŻdes toxiques via ses racines. Par contre dans les milieux trĂšs polluĂ©s ils peuvent en concentrer. De mĂȘme dans les milieux acidifiĂ©s, les mĂ©taux se montrent trĂšs « bioassimilables » et les arbres peuvent alors en accumuler (au point parfois d’en mourir ou - plus souvent - de rendre leur futur bois mort toxique ou source de contamination de la chaine alimentaire via les larves d’insectes saproxylophages, et via les champignons dĂ©composeurs qui vont concentrer ces mĂ©taux). La contamination peut dater de dĂ©cennies ou siĂšcles prĂ©cĂ©dents[41].

Les cernes d’un arbre vivant ou morts ont - alors que les annĂ©es passaient - pu accumuler et fixer divers polluants, dont mĂ©taux lourds (ex : plomb), mĂ©talloĂŻdes (ex : arsenic) et radionulĂ©ides que l’arbre a pu acquĂ©rir via ses feuilles, son Ă©corce ou surtout via ses racines, lesquelles sont gĂ©nĂ©ralement connectĂ©es Ă  un vaste rĂ©seau de mycĂ©lium qui leur permet de capter des nutriments (ou polluants le cas Ă©chĂ©ant) jusqu’à plusieurs dizaines de mĂštres autour de la base de l’arbre et parfois en profondeur. Exceptionnellement, des racines peuvent aussi s’insinuer dans des Ă©gouts ou bassins de dĂ©cantation et directement y capter des nutriments et/oĂ u divers polluants.

MĂ©thode

On utilise par exemple des morceaux d’écorces et des carottes de bois prĂ©levĂ©es Ă  1,30 m dans le tronc, pour retracer des pollutions anciennes, via des mesures micro-Ă©lĂ©mentaires ensuite faites en laboratoire par des techniques de spectromĂ©trie permettant une mesure semi-quantitative d’une large gamme d’élĂ©ments, couplĂ©es avec une interface d’imagerie (microscope Ă©lectronique Ă  balayage). Les cernes peuvent en laboratoire ĂȘtre soigneusement dĂ©tachĂ©s les uns des autres et analysĂ©s un par un, de maniĂšre Ă  reconstituer la pollution passĂ©e Cette mĂ©thode peut permettre de suivre divers polluants ou de s’intĂ©resser Ă  un polluant ou Ă  un Ă©vĂšnement particulier (par ex pour retracer une pollution, par le chrome hexavalent, hautement toxique [42].

Cernes et acidification : l’étude rĂ©trospective des cernes peut apporter des informations fiables sur la date de dĂ©but de I'acidification du site oĂč l’arbre a grandi, sur l’impact biogĂ©ochimique de l’évĂšnement qui est Ă  l’origine de l’acidification, et – si l’on dispose d’un nombre pertinent d’échantillons – la forme de l’évolution spatiotemproelle de I'acidification. Au dĂ©but des annĂ©es 2000, des indicateurs dendrochimiques de variations spatiotemporelles de l’aciditĂ© de milieux forestiers ont Ă©tĂ© mis au point[43]

Autre pollutions : On a ainsi pu montrer que l’écorce, les cernes, ou les souches d’arbres anciens peuvent parfaitement avoir « mĂ©morisĂ© » des pollutions anciennes, et dans leurs cernes avoir retenu un « calendrier » des variations de pollutions de l’air (par exemple par le plomb de l’essence). Les Ă©vĂšnements mĂ©morisĂ©s peuvent dater de dĂ©cennies ou de siĂšcles ou millĂ©naires ;

Plusieurs Ă©tudes ont montrĂ© que la pollution de l’air, du sol ou des eaux superficielles « marque » dĂ©finitivement les arbres. Par exemple :

  • le plomb accumulĂ© dans les cernes formĂ©s dans les annĂ©es 1960-1970 puis disparaissant peu Ă  peu dans les cernes plus jeunes, Ă  la suite de l’interdiction du plomb tĂ©traĂ©thyl comme additif de l’essence marque l’histoire de la formulation de ce carburant. Rem : le phĂ©nomĂšne est trĂšs net dans les arbres urbains, de bords de routes ou d’autoroutes, ou proches de station essence , ce qui a permis de confirmer que cette pollution est gĂ©ographiquement trĂšs marquĂ©e.
  • le drainage minier acide (DMA) ou le drainage minier rocheux (DRA) est source de pollution : le drainage acide est issu de l’oxydation du fer et du soufre contenus dans les minĂ©raux sulfures fraichement mis Ă  jour. Il survient gĂ©nĂ©ralement Ă  la suite d'activitĂ©s miniĂšres, des constructions routiĂšres, ferroviaires ou de canaux, ou d’autres formes d’excavations, de dynamitage ou aprĂšs rĂ©utilisation de stĂ©riles miniĂšres riche en soufre[44] - [45], ou encore Ă  la suite d'un glissement de terrain, d'un effondrement de falaise, d'un Ă©boulement dans un gouffre, etc.). Cette oxydation produit de l’acide sulfurique pur. Cet acide solubilise des mĂ©taux, acidifie l’eau et favorise grandement le transfert, parfois rapide de mĂ©taux Ă©ventuellement trĂšs toxiques dans l’environnement proche ou Ă  l’aval d’un cours d’eau. Ces polluants sont absorbĂ©s et conservĂ©s dans les cernes des arbres qui y vivent ou survivent ; la dendrogĂ©ochimie a ainsi Ă©tĂ© utilisĂ©e au Canada sur l’épinette noire (Picea mariana (Mill.) comme indicateur spatio-temporel de sĂ©quelles miniĂšres. Elle a permis de rĂ©trospectivement chez des arbres ayant commencĂ© Ă  pousser au dĂ©but du XXe siĂšcle de reconstituer la cause et l’historique Ă©volutif d’une pollution par DRA Ă  la suite de la construction dans les annĂ©es 1970 d’une route (Dempster Highway) dans un paysage de roches riches en soufre. Ces cernes ont aussi pu ĂȘtre comparĂ©s Ă  ceux d’arbres poussant dans le mĂȘme environnement mais loin de la route[46]. Les auteurs notent que le cuivre est restĂ© stable dans les cernes du bois, mais que dans les arbres ayant poussĂ© dans la zone de drainage acide, les teneurs en Ni, Zn, As, Sr, Cd et Pb ont trĂšs vite augmentĂ© dans les cernes, avant de dĂ©croitre durant plusieurs dĂ©cennies. L’étude a aussi montrĂ© que ces arbres ont alors ralenti leur croissance annuelle et que leur mortalitĂ© a augmentĂ© par rapport Ă  celles d’arbres situĂ©s hors de la zone de drainage acide. Ces mĂ©taux seront relarguĂ©s des dĂ©cennies ou siĂšcles plus tard quand le bois se dĂ©composera ou brĂ»lera.

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Voir aussi

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