Dendroclimatologie
La dendroclimatologie est la science qui Ă partir de lâĂ©tude des cernes annuels de croissance des arbres (ou d'autres plantes ligneuses) Ă©tudie les climats passĂ©s (palĂ©oclimatologie[2]) et le changement climatique en cours[3]
Principes
La dendroclimatologie se base principalement sur deux propriétés des anneaux de croissance du bois :
- Ils sont plus larges quand les conditions environnementales favorisent leur croissance, plus Ă©troits quand les temps sont difficiles pour l'arbre ;
- la densitĂ© maximale du bois final (ou MXD pour « maximum latewood density ») se montre encore plus intĂ©ressante que la simple largeur des cernes. Elle a permis de reconstituer de nombreux climats locaux depuis des siĂšcles et jusqu'Ă milliers dâannĂ©es.
La corrĂ©lation du climat local (tempĂ©rature, pluviomĂ©trie...) avec la largeur des cernes (et d'autres facteurs d'influences) ont Ă©tĂ© vĂ©rifiĂ©s par des Ă©tudes faite sur des arbres ayant vĂ©cu depuis que l'on mesure prĂ©cisĂ©ment la tempĂ©rature de l'air et la pluviomĂ©trie, y compris en zone froide (oĂč un phĂ©nomĂšne de dĂ©corrĂ©lation a Ă©tĂ© repĂ©rĂ© dans la TaĂŻga) et en zone aride (en zone pĂ©ri saharienne notamment, oĂč on a pu Ă l'occasion montrer d'une part que les croissances du blĂ© et des arbres ne sont pas corrĂ©lĂ©s, et d'autre part que les sĂ©cheresses sont en AlgĂ©rie plus intenses et frĂ©quentes depuis la fin du XXe siĂšcle, et enfin que la pluviomĂ©trie est un facteur majeur d'influence, plus que la tempĂ©rature ; elle atteint environ 75 % des variations de largeur de cernes du pin Pinus halepensis ; d'aprĂšs la dendroclimatologie le record de durĂ©e de sĂ©cheresse est en AlgĂ©rie de cinq ans (1877â1881)[4].
En combinant les Ă©tudes sur les cernes avec des Ă©tudes de dendrochimie, dendrobiochimie[5] et dâautres donnĂ©es indirectes sur le climat, les scientifiques peuvent reconstituer plus finement les climats locaux, rĂ©gionaux et mondiaux passĂ©s (palĂ©oclimatologie).
La dendrochimie et les analyses isotopiques[6] permettent d'obtenir des résultats encore plus précis, conduisant à une nouvelle discipline, la dendroécologie[7]
Avantages
Les cernes de croissance dâarbre sont des indices du climat passĂ©, au moins pour les raisons suivantes :
- ils permettent souvent de bien dater l'arbre ou son bois (via la dendrochronologie, par la correspondance des anneaux dâĂ©chantillon Ă Ă©chantillon, qui permet de reconstruire le passĂ© en utilisant des Ă©chantillons d'arbres morts depuis longtemps, rĂ©cupĂ©rĂ©s dans les bĂątiments ou meubles anciens ou lors de fouilles archĂ©ologiques).
- En zone froide Ă tempĂ©rĂ©e, ils sont clairement dĂ©marquĂ©s par incrĂ©ments annuels, ce qui nâest gĂ©nĂ©ralement pas le cas des investigations faites par forages dans les tourbiĂšres, les sĂ©diments de lacs ou marins, les glacesâŠ
- ils rĂ©agissent Ă de multiples effets climatiques (tempĂ©rature, humiditĂ©, nĂ©bulositĂ©, inondation/sĂ©cheresse, phytopathologie, apports environnemental de mĂ©taux ou mĂ©talloĂŻdes toxiquesâŠde sorte que divers aspects du climat (pas seulement la tempĂ©rature) peuvent ĂȘtre conjointement Ă©tudiĂ©s.
Cependant des sources potentielles de confusion sont Ă prendre en compte.
Limitations
Les facteurs limitants peuvent par exemple ĂȘtre :
- une couverture géographique insuffisante ;
- lâabsence dâarbre (en altitude, dans le dĂ©sert) ;
- une rĂ©solution annulaire difficile ou impossible dans certains bois de la zone Ă©quatoriale ou tropicale oĂč les cernes peuvent ĂȘtre absents ou plus difficiles Ă interprĂ©ter ;
- les difficultés de collecte de bois trÚs anciens.
- des facteurs de confusion (climatiques et non-climatiques) qui peuvent notamment ĂȘtre des effets non linĂ©aires du climat sur les cernes.
Le champ scientifique de la dendroclimatologie utilise plusieurs mĂ©thodes pour sâadapter partiellement Ă ces dĂ©fis. En particulier ces risques de confusion et les risques dâerreurs qui en dĂ©coulent se rĂ©duisent quand le nombre dâĂ©chantillons Ă©tudiĂ©s augmente.
Des moyens dâisoler certains facteurs uniques (dâintĂ©rĂȘt) existent, par exemple
- des études botaniques permettant, en y incluant des paramÚtres hydrométéorologiques de « calibrer » différentes influences des facteurs climatiques (température, précipitations, ensoleillement et vent) sur la croissance des cernes ;
- des choix adaptĂ©s dâĂ©chantillonnage, au sein de « peuplements reprĂ©sentatifs » (ceux censĂ©s rĂ©pondre principalement Ă la variable dâintĂ©rĂȘt). Pour diffĂ©rencier les facteurs climatiques en cause dans une sĂ©quence temporelle de cernes, les scientifiques collectent des informations Ă partir de "peuplements reprĂ©sentatifs » ou en situation extrĂȘme ou limite (par exemple limite forestiĂšre en altitude ; lĂ , les arbres sont - plus quâailleurs - affectĂ©s par des tempĂ©ratures hivernales glaciales (facteur plus "limitant" que la variation des prĂ©cipitations, lâeau Ă©tant plutĂŽt en excĂšs Ă cette altitude). Inversement, les changements de prĂ©cipitations devraient davantage marquer des peuplements dâarbres situĂ©s aux lignes de dĂ©marcation des altitudes plus basses. Ce n'est pas une solution parfaite, car de nombreux facteurs ont toujours un impact sur les arbres, mĂȘme au niveau du « peuplement limitant », mais cela aide. En thĂ©orie, la collecte dâĂ©chantillons dans des peuplements limitrophes (par exemple limitrophes des limites supĂ©rieures et infĂ©rieures d'une mĂȘme montagne) devrait permettre de rĂ©soudre mathĂ©matiquement de multiples facteurs climatiques.
Facteurs non-climatiques
Ce sont notamment le sol, l'Ăąge de lâarbre, l'occurrence et l'intensitĂ© d'incendies, la concurrence entre arbres, les diffĂ©rences gĂ©nĂ©tiques, l'exploitation forestiĂšre ou toute autre perturbation humaine significative, ou encore l'impact des herbivores (en particulier le pĂąturage des bisons, moutons, chĂšvres) ou autre animaux capable d'Ă©corcer le tronc de certains arbres, les infestations de ravageurs, les maladies et la concentration de CO2, dâozone ou de polluant acide (SOx.)âŠ
Pour Ă©liminer les facteurs de confusion qui varient de maniĂšre alĂ©atoire dans l'espace (dâun arbre Ă lâautre ou dâune parcelle Ă lâautre), une solution est de collecter suffisamment de donnĂ©es (â davantage d'Ă©chantillons) pour compenser le « bruit » (la source de confusion). LâĂąge des arbres est corrigĂ© avec diverses mĂ©thodes statistiques : soit en ajustant les courbes splines Ă lâenregistrement global, soit en utilisant des arbres ĂągĂ©s similaires pour la comparaison sur diffĂ©rentes pĂ©riodes (normalisation des courbes rĂ©gionales). Un examen minutieux et une sĂ©lection de site aident Ă limiter certains effets de confusion, par exemple, le choix de sites aussi peu perturbĂ©s que possible par l'homme moderne.
Effets non linéaires
En gĂ©nĂ©ral, les climatologues supposent une dĂ©pendance linĂ©aire de la largeur de l'anneau Ă une variable d'intĂ©rĂȘt (par exemple, l'humiditĂ©). Cependant, en deçà ou au-delĂ de certains seuils physiologiques de l'arbre, quand et si la variable change suffisamment, la rĂ©ponse peut se stabiliser voire se retourner (trop de chaleur ou trop d'humiditĂ© ou trop de CO2 au-delĂ d'un certain seuil induit une diminution de croissance de l'arbre. Des interactions entre facteurs sont possibles, qui peuvent alors induire des rĂ©ponses non linĂ©aires dans la croissance de l'arbre (ex : "tempĂ©rature x prĂ©cipitations"). Ici aussi, l'Ă©tude du "peuplement limite" aide Ă isoler une variable d'intĂ©rĂȘt.
Inférences botaniques pour corriger les facteurs de confusion
Les Ă©tudes et expĂ©riences botaniques aident Ă estimer lâimpact des variables confusionnelles et parfois orientent les corrections correspondantes. Ces expĂ©riences incluent :
- des Ă©tudes oĂč toutes les variables de croissance sont contrĂŽlĂ©es (par exemple dans une serre) ;
- des études avec contrÎle partiel (ex : expériences FACE [Amélioration de la concentration en air libre]) ;
- des Ă©tudes dans la Nature, oĂč les facteurs de confusion sont Ă©tudiĂ©s et surveillĂ©s.
Dans tous les cas, il faut que plusieurs facteurs de croissance soient trĂšs soigneusement enregistrĂ©s afin de dĂ©terminer leurs effets prĂ©cis sur la croissance, seuls et en interaction avec d'autres facteurs. Avec cette information, la rĂ©ponse de la largeur des cernes peut ĂȘtre plus prĂ©cisĂ©ment comprise et les infĂ©rences des cernes historiques (non surveillĂ©s) deviennent plus certaines. En principe, cela ressemble au principe du support limitant, mais il est plus quantitatif, comme un Ă©talonnage.
ProblĂšme de divergence
Dans le domaine de la dendroclimatologie, on dit qu'il y a anomalie de divergence quand les courbes de températures "instrumentales" (c'est-à -dire mesurées par les thermomÚtres) divergent des températures enregistrées dans les cernes de croissance du bois, telles que reconstituées à partir de la densité du bois final et/ou de la largeur des séries de cernes des arbres[9].
Localisation
Ce phĂ©nomĂšne nâa Ă©tĂ© observĂ© que dans des zones dâextrĂȘme climatique (taĂŻga, en zone arctique) : lĂ les thermomĂštres montrent une tendance substantielle au rĂ©chauffement, notamment depuis le milieu du XXe siĂšcle et plus encore depuis la fin de ce siĂšcle, mais l'analyse des cernes d'arbres ne montrent pas les modifications attendues de leur densitĂ© maximale de bois final, ni parfois de largeur des cernes, faisant que la dendroclimatologie ne fonctionne plus dans ce contexte gĂ©oclimatique spĂ©cifique, pour les dates comprises entre 1960 et nos jours. Durant cette pĂ©riode rĂ©cente, les cernes nâĂ©paississent pas comme on sây attendrait dans un contexte de rĂ©chauffement[10] ; si lâon ne se fiait dans ces rĂ©gions quâĂ l'observation visuelle des cernes des arbres, on penserait que - depuis les annĂ©es 1950 - il nây a pas de rĂ©chauffement, alors que les mesures de tempĂ©rature faites in situ par les stations mĂ©tĂ©orologiques ou d'autres instrumentations ne laissent pas de doutes Ă ce sujet[10].
Histoire scientifique
En 1995 G. Taubes [11] et Jacoby & d'Arrigoe [12] ont identifiĂ© ce problĂšme lors dâĂ©tudes faites en Alaska. Trois ans plus tard (en ) Keith Briffa, spĂ©cialiste de la dendrochronologie, montrait que ce problĂšme Ă©tait autant plus rĂ©pandu quâon se rapproche des pĂŽles, alertant sur l'importance de tenir compte de cette exception, pour ne pas se tromper dans l'estimation des tempĂ©ratures du passĂ© rĂ©cent par la dendroclimatologie[8] (qui est lâun des moyens utilisĂ© pour reconstruire les palĂ©oclimats des pĂ©riodes « prĂ©-instrumentales »).
Les évaluations faites à partir des cernes du bois sont cohérentes avec d'autres sources de données sur les températures passées pour la période 1600-1950, mais avant 1600 l'incertitude liée aux reconstructions de température augmente en raison de la rareté relative des ensembles de données et de leur distribution géographique plus limitée.
RĂ©cemment la marge dâincertitude a mĂȘme Ă©tĂ© jugĂ©es trop grande pour qu'on puisse savoir si lâenregistrement de cernes dâarbres dans les rĂ©gions circumpolaires trĂšs froides diffĂšrent des autres approximations faites dans les mĂȘmes pĂ©riodes[13].
Pistes d'explication Ă cette anomalie
Des Ă©tudes plus rĂ©centes suggĂšrent que cette « divergence » a des causes anthropiques, câest-Ă -dire rĂ©sultant des activitĂ©s humaines, ce qui expliquerait aussi quâelle se limite au passĂ© rĂ©cent. Il est important de comprendre les causes de ce phĂ©nomĂšne car l'utilisation sans prĂ©caution d'indications dendroclimatologiques provenant des rĂ©gions touchĂ©es par cette anomalie de divergence peut conduire Ă une fausse estimation des tempĂ©ratures passĂ©es, et par suite Ă minimiser la tendance actuelle au rĂ©chauffement[10].
A ce jour, il semble que cette divergence rĂ©sulte des effets Ă©cologiques dâune autre variable (hydroclimatique) importante pour les forĂȘts modernes de lâhĂ©misphĂšre nord, mais qui Ă©tait restĂ©e non significative jusquâaux annĂ©es 50.
- Rosanne D'Arrigo (chercheuse au Tree Ring Lab de l'Observatoire de la Terre Lamont-Doherty de l'UniversitĂ© Columbia) a posĂ© lâhypothĂšse qu' "au-delĂ d'un certain seuil de tempĂ©rature, les arbres risquent d'ĂȘtre plus stressĂ©s physiologiquement, en particulier lors d'annĂ©es plus sĂšches '(Ă de telles latitudes, les effets d'un stress, notamment hydrique, peuvent ĂȘtre exacerbĂ©s ; et si lâeau et lâhumiditĂ© n'augmentent pas temporellement aussi vite que la tempĂ©rature, la croissance des arbres, voire leur santĂ© peuvent ĂȘtre affectĂ©es). Les images satellitales Ă©voquent de tels stress, avec frĂ©quemment "des signes de roussissement de la vĂ©gĂ©tation nordique en dĂ©pit du rĂ©chauffement rĂ©cent"[14].
- Les arbres pourraient aussi souffrir de lâacidification
- Les arbres de l'Arctique souffrent aussi de la fonte du pergĂ©lisol (qui libĂšre par exemple du mĂ©thane et du mercure (Ă©conomique) et dĂ©stabilise lâenracinement et la stabilitĂ© des grands arbres).
- dans ces zones gĂ©oclimatiques limites (Ă©tĂ© polaire caractĂ©risĂ© par le soleil de minuit), la rĂ©ponse au rĂ©chauffement climatique rapide rĂ©cent pourrait ĂȘtre retardĂ©e ou non linĂ©aire, par exemple en raison de dates de fonte plus prĂ©coces, de changements dans la saisonnalitĂ©, de pullulations plus frĂ©quentes.
- des aĂ©rosols atmosphĂ©riques pourraient aussi ĂȘtre en vue[10].
- En 2012, Brienen et al. ont proposé que le problÚme de la divergence soit en grande partie dû à l'échantillonnage de grands arbres vivants[15]).
- On a montrĂ© que le castor et ses barrages peuvent trĂšs fortement attĂ©nuer les stress hydriques induits par le rĂ©chauffement arctique grĂące Ă une meilleure conservation de l'eau de fonte de neige et des tourbiĂšres qui jouent un rĂŽle d'Ă©ponge profitable Ă des micro-climats plus clĂ©ments pour les arbres[16] - [17], mais les populations de castor amĂ©ricain et eurasien ont Ă©tĂ© l'une des proies favorites des trappeurs et ont beaucoup rĂ©gressĂ© au XXe siĂšcle. Il reste dans le grand nord canadien moins de 10 % des castors encore prĂ©sents avant lâarrivĂ©e des colons europĂ©ens[18]. Leurs barrages sont donc beaucoup moins prĂ©sents[18]. Or dans les zones protĂ©gĂ©es il est courant de trouver des frĂ©quences de 8,6 Ă 16 barrages par km de riviĂšre (par exemple au QuĂ©bec en la limite nord de la rĂ©gion du golfe du Saint-Laurent), et mĂȘme plus de 5 barrages par 200 m de riviĂšre dans le Waterton-Glacier International Peace Park, comme lâont montrĂ© Naiman & al; en 1988, (citĂ©s par les travaux de David R Butler sur la capacitĂ© du castor Ă construire et entretenir de vastes zones humides et Ă remodeler les paysages grĂące Ă ses barrages)[18]. En Ă©tĂ© la flore polaire est exposĂ©e au soleil de minuit, pĂ©riode durant laquelle elle a un mĂ©tabolisme estival qui nĂ©cessite plus dâeau. LĂ oĂč le castor rĂ©gresse le stress hydrique estival augmente, de mĂȘme que le risque dâincendie. Les Ă©tudes de ce type ont surtout concernĂ© le Castor canadien, mais les chercheurs considĂšrent que les effets positifs des barrages sur l'environnement concernent aussi le Castor europĂ©en (lĂ oĂč il fait des barrages)[19] - [20] - [21] mĂȘme si les barrages canadiens sont souvent plus imposants.
Notes et références
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Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- (en) wikilivres en anglais = Dendroclimatology
- Keith Briffa, « Trees as Indicators of Past Climate », University of East Anglia (version du 5 septembre 2006 sur Internet Archive)
- Tree Rings: A Study of Climate Change, Athena study guide for K-12
- International Tree-Ring Data Bank, maintained by NOAA Paleoclimatology Program and World Data Center for Paleoclimatology.
- Henri D. Grissino-Mayer, « Ultimate Tree-Ring Web Pages », University of Tennessee at Knoxville
- Drew Lorrey, « Running rings around climate change », National Institute of Water & Atmospheric Research
Bibliographie
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