DĂ©colonisation de l'espace public
La dĂ©colonisation de l'espace public est une exigence qui apparaĂźt Ă la fin du XXe siĂšcle et au dĂ©but du XXIe siĂšcle en plusieurs endroits de la planĂšte, principalement au sein de la communautĂ© maorie en Nouvelle-ZĂ©lande, de la communautĂ© amĂ©rindienne aux Ătats-Unis et de la diaspora congolaise en Belgique, face Ă la persistance de symboles coloniaux comme des noms de villes, des noms de rues et des statues.
(Monument aux pionniers belges au Congo, parc du Cinquantenaire Ă Bruxelles).
(Monument au Général Thys, parc du Cinquantenaire à Bruxelles).
Cette demande atteint son apogĂ©e chez les Maoris en Nouvelle-ZĂ©lande dĂšs les annĂ©es 2010 alors qu'elle n'atteint son climax chez les AmĂ©rindiens, en Belgique et au Royaume-Uni qu'en 2020 dans la foulĂ©e des manifestations contre le racisme et les violences policiĂšres qui font suite Ă la mort de George Floyd, tuĂ© par la police le Ă Minneapolis aux Ătats-Unis.
DĂ©colonisation de l'espace public en Nouvelle-ZĂ©lande
La Nouvelle-ZĂ©lande est riche en monuments qui cĂ©lĂšbrent des figures coloniales, sans considĂ©ration pour le patrimoine MÄori[1].
Mais la controverse sur les statues coloniales en Nouvelle-ZĂ©lande est de trĂšs loin antĂ©rieure au mouvement Black Lives Matter[2] puisqu'elle remonte Ă 1995[3]. Elle fait rage tout au long des annĂ©es 2010, bien avant la mort de l'Afro-AmĂ©ricain George Floyd aux Ătats-Unis en 2020.
PremiĂšres attaques contre la statuaire victorienne dĂšs 1995
Le mouvement de revendication des droits des autochtones maoris est aussi ancien que la colonisation de l'Ăźle par les EuropĂ©ens mais il Ă©merge dans sa forme moderne au dĂ©but des annĂ©es 1970, avec un point d'orgue constituĂ© par la « MÄori land march » de 1975, une marche de protestation durant laquelle 5 000 marcheurs ont parcouru toute la longueur de l'Ăle du Nord pour arriver Ă Wellington le et prĂ©senter une pĂ©tition signĂ©e par 60 000 personnes au Premier ministre Bill Rowling[4].
Une nouvelle phase d'activisme a lieu au milieu des annĂ©es 1990, avec des actes symboliques comprenant l'attaque de la statuaire victorienne. Ainsi, en 1995, des activistes maoris dĂ©capitent la statue du premier ministre John Ballance Ă Whanganui pendant l'occupation des terres des Moutoa Gardens[3]. John Ballance a Ă©tĂ© premier ministre de la Nouvelle-ZĂ©lande de 1891 Ă 1893 et a participĂ© Ă un certain nombre de rĂ©formes agraires, dont certaines ont eu un coĂ»t Ă©levĂ© pour MÄori[3]. La statue est remplacĂ©e en 2009[3].
Apogée durant les années 2010
En 2016 à Auckland, des activistes anti-colonialistes s'en prennent au « mémorial Zealandia » qui rend hommage aux soldats impériaux et coloniaux qui ont combattu pour la Grande-Bretagne pendant les guerres de Nouvelle-Zélande entre 1845 et 1872 et tué 2154 Maoris opposés au gouvernement, selon l'historien James Cowan[2]. Les activistes volent la palme et le drapeau de bronze que Zealandia tenait dans sa main gauche[2].
Toujours en 2016, une statue du capitaine James Cook Ă Gisborne est Ă plusieurs reprises dĂ©figurĂ©e avec de la peinture rouge, suscitant un dĂ©bat vigoureux sur l'hĂ©ritage du colonialisme en Nouvelle-ZĂ©lande[5]. La plage de Kaiti Ă Gisborne est l'endroit oĂč l'explorateur britannique a dĂ©barquĂ© pour la premiĂšre fois en Nouvelle-ZĂ©lande avec l'Endeavour en 1769[5]. Son voyage a conduit Ă la colonisation europĂ©enne de la Nouvelle-ZĂ©lande, un processus qui a entraĂźnĂ© des dĂ©cennies de mort, de maladies et de dĂ©gradation culturelle du peuple maori[5].
Un autre monument Ă©rigĂ© Ă Auckland cĂ©lĂšbre le colonel Marmaduke Nixon pour s'ĂȘtre illustrĂ© durant les guerres maories (New Zealand Wars en anglais)[1]. Nixon est considĂ©rĂ© comme un hĂ©ros par les colons alors que, lors de l'attaque en 1864 du village non-fortifiĂ© de RangiaĆwhia oĂč vivaient des hommes, des femmes et des enfants ĂągĂ©s, ses troupes ont mis le feu Ă l'Ă©glise, tuant 12 personnes qui s'y cachaient[1] - [3] - [6]. En , l'activiste maori Shane Te Pou propose le retrait de cette statue[6]. Le maire d'Auckland et l'activiste se parlent et conviennent de ne pas retirer la statue mais de « veiller Ă ce que les Ă©vĂ©nements de cette Ă©poque soient expliquĂ©s et de reconnaĂźtre les victimes de la guerre de maniĂšre appropriĂ©e »[6]. « Il pourrait y avoir une plaque sur ou Ă cĂŽtĂ© du monument expliquant ce qui s'est passĂ© des deux cĂŽtĂ©s. Pour l'instant, ce que le monument reprĂ©sente n'est pas une trĂšs belle image »[6].
Le , le « mĂ©morial Zealandia » est Ă nouveau vandalisĂ© par des activistes, qui collent une hache sur la tĂȘte de la statue et une affiche sur le socle du monument, sur laquelle on peut lire « Fascism and White Supremacy are not Welcome Here » (Le fascisme et la suprĂ©matie blanche ne sont pas les bienvenus ici)[2]. AprĂšs cette action, le groupe d'activistes envoie une dĂ©claration Ă la presse affirmant que le mĂ©morial est une « ode Ă l'occupation violente et brutale des terres de MÄori ; il cĂ©lĂšbre la poursuite de la colonisation d'Aotearoa, de ses terres et de ses peuples »[2].
En , une statue controversĂ©e de James Cook est dĂ©mĂ©nagĂ©e de la colline TÄ«tÄ«rangi Ă Gisborne vers un musĂ©e local[7] et, en novembre de la mĂȘme annĂ©e, une statue de la reine Victoria est taguĂ©e Ă Dunedin, avec les mots « Return stolen wealth Charles » and « Uphold Te Tiriti » (« Uphold the Treaty ») peints en rouge sur le socle du monument[8].
John Hamilton (2020)
Le , le conseil municipal de la ville d'Hamilton, en Nouvelle-ZĂ©lande, retire la statue du commandant britannique auquel cette ville doit son nom[9] - [10].
Le conseil municipal reconnaßt que ce retrait s'inscrit dans un effort pour débarrasser l'espace public des éléments de patrimoine « considérés comme représentant la discorde entre les cultures ou la répression »[9] - [10]. « De plus en plus de personnes considÚrent cette statue comme une insulte personnelle et culturelle », déclare la maire Paula Southgate[9].
Hamilton fut un commandant de la marine britannique qui combattit les indigÚnes Maoris qui défendaient leurs terres face à l'expansion coloniale britannique au XIXe siÚcle : il fut tué en 1864 lors de la Bataille de Pukehinahina[9] - [10].
Le retrait de la statue avait été demandé par la tribu maorie Waikato-Tainui, qui évoque également l'idée de redonner à la ville son nom maori Kirikiriroa[9] - [10] et qui veille à identifier les noms de rues offensants pour son peuple[11].
Rejet de Christophe Colomb par les AmĂ©rindiens aux Ătats-Unis
Prémices dÚs 2006
Longtemps prĂ©sentĂ© comme le « dĂ©couvreur de l'AmĂ©rique »[12] et comme un symbole de la contribution des Italiens Ă l'histoire amĂ©ricaine[13], Christophe Colomb est dĂ©noncĂ© au XXIe siĂšcle comme une des figures du gĂ©nocide des AmĂ©rindiens car, au cours de ses quatre voyages dans les CaraĂŻbes et sur la cĂŽte nord de l'AmĂ©rique du Sud, il a asservi et tuĂ© des milliers d'indigĂšnes[12]. Il devient une figure controversĂ©e de l'histoire pour la façon dont il a traitĂ© les communautĂ©s indigĂšnes qu'il a rencontrĂ©es et pour son rĂŽle dans la colonisation violente Ă leurs dĂ©pens[14]. Les activistes amĂ©rindiens s'opposent Ă l'idĂ©e d'honorer Christophe Colomb, affirmant que ses expĂ©ditions en AmĂ©rique ont conduit Ă la colonisation et au gĂ©nocide de leurs ancĂȘtres[15].
La statue de Christophe Colomb qui se dresse dans la quartier Little Italy de Boston est vandalisĂ©e dĂšs 2006, lorsque sa tĂȘte a disparu pendant plusieurs jours, et vandalisĂ©e Ă nouveau en 2015 avec de la peinture rouge[14] - [16].
Dans les annĂ©es 2010, de nombreuses villes et de nombreux Ătats remplacent la JournĂ©e de Colomb (Columbus Day) par la JournĂ©e des peuples indigĂšnes (Indigenous Peoples' Day), en reconnaissance de la douleur et de la terreur causĂ©es par Colomb et d'autres explorateurs europĂ©ens[14].
Climax en 2020
En , les actions des activistes amĂ©rindiens se multiplient dans la foulĂ©e des manifestations contre le racisme et les violences policiĂšres qui font suite Ă la mort de George Floyd, tuĂ© par la police le Ă Minneapolis aux Ătats-Unis.
Le , la statue de Christophe Colomb située dans la quartier Little Italy de Boston est décapitée comme elle l'avait déjà été en 2006[14] - [16]. AprÚs cette action, la Ville de Boston retire la statue et le maire annonce « Nous allons prendre le temps d'évaluer la signification historique de la statue »[14] - [16].
Le mĂȘme jour, la statue de Colomb situĂ©e Ă Richmond en Virginie est abattue, aspergĂ©e de peinture, incendiĂ©e et jetĂ©e dans un lac[16] - [17]. La Richmond Indigenous Society avait dĂ©clarĂ© dans un tweet avant le rassemblement que « nous nous rassemblons au parc Byrd pour protester contre un autre monument raciste. Christophe Colomb a assassinĂ© des indigĂšnes et a intĂ©grĂ© la culture gĂ©nocidaire contre les indigĂšnes que nous voyons encore aujourd'hui »[14]. « Ce continent est construit sur le sang et les os de nos ancĂȘtres » dĂ©nonce Vanessa Bolin, membre de la Richmond Indigenous Society[16].
Le lendemain , la statue de Colomb Ă©rigĂ©e devant le Capitole de l'Ătat du Minnesota Ă Saint Paul est jetĂ©e Ă terre[14] - [16] - [18]. Mike Forcia, activiste de l'American Indian Movement, mouvement pour les droits civiques des Natifs AmĂ©ricains aux Ătats-Unis organisateur du rassemblement, dit avoir nĂ©gociĂ© pendant des annĂ©es avec les occupants du Capitole et reçu constamment la mĂȘme rĂ©ponse : « vous devez attendre ; il y a un processus que vous devez suivre »[14]. Mais pour Forcia « le temps de la complaisance est rĂ©volu »[14] et « le changement de paradigme est en cours »[16].
Le soir mĂȘme, le gouverneur du Minnesota Tim Walz dĂ©clare qu'il avait l'habitude d'enseigner Ă ses Ă©tudiants que de nombreux Minnesotains voient la statue de Colomb comme un "hĂ©ritage de gĂ©nocide", et ajoute qu'il Ă©tait temps de « regarder attentivement les symboles dĂ©passĂ©s et les injustices qui nous entourent »[18]. Mais il souligne que « le retrait de la statue Ă©tait une erreur dans la mesure oĂč les manifestants auraient pu passer par la procĂ©dure officielle » avant de conclure « MĂȘme dans la douleur, nous devons travailler ensemble pour apporter des changements, en toute lĂ©galitĂ© »[18].
DĂ©colonisation de l'espace public en Belgique
Kalvin Soiresse Njall, député écologiste belge, attire l'attention sur le fait que la Belgique « n'a plus de colonies, mais que l'esprit de la colonisation est encore inscrit dans la pierre à tous les coins de rue »[19].
Prémices dÚs 2004
Lors d'une action de protestation en 2004, la main d'un des « Congolais reconnaissants » représentés sur le monument Léopold II à Ostende est sciée pour dénoncer les exactions du roi au Congo.
En , un activiste du nom de ThĂ©ophile de Giraud barbouille de peinture rouge la statue Ă©questre de LĂ©opold II Ă Bruxelles, capitale de la Belgique : il dĂ©crit son acte comme le « symbole du sang des Congolais innocents tuĂ©s ou mutilĂ©s sous les ordres du sanguinaire souverain ». La dĂ©gradation de la statue de LĂ©opold II sert Ă manifester pour lâabolition de l'esclavage et le dĂ©boulonnage des statues de ce roi quâil qualifie ouvertement de « criminel contre lâhumanitĂ© »[20].
- Main sciée à Ostende en 2004 (à gauche).
- Bruxelles.
- Bruxelles.
- Bruxelles.
Collectifs anti-racisme et anti-colonialisme (2015)
Le , Ă la suite du projet de commĂ©moration des 150 ans d'accession au trĂŽne du « roi bĂątisseur » par la Ville de Bruxelles, diffĂ©rents collectifs (parmi lesquels la Nouvelle voie anti-coloniale et le collectif MĂ©moire coloniale et lutte contre les discriminations) se rassemblent devant la statue Ă©questre de LĂ©opold II Ă Bruxelles pour contester cette Ćuvre, dĂ©noncer les crimes de la colonisation belge au Congo et le manque de mĂ©moire en Belgique autour de ce passĂ©[21] - [22].
Cartes blanches (2016 - 2018)
Le , une carte blanche signĂ©e par diffĂ©rents universitaires et membres de la sociĂ©tĂ© civile invite Ă une rĂ©flexion autour de la place de la statue Ă©questre de LĂ©opold II dans une perspective « dĂ©coloniale »[23]. Cette statue, trĂšs proche du quartier africain de Bruxelles Matonge, peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme le point focal du dĂ©bat sur la mĂ©moire coloniale belge.
En , une nouvelle carte blanche intitulĂ©e DĂ©coloniser lâespace public pour lutter contre le racisme signĂ©e par Mireille-Tsheusi Robert, prĂ©sidente de Bamko-Cran ASBL et co-auteure d'un ouvrage intitulĂ© Racisme anti-noirs entre mĂ©connaissance et mĂ©pris, dĂ©nonce l'impact sur les esprits de la persistance dans les rues de Belgique de nombreux symboles coloniaux comme des bustes, des statues et des plaques : « Notre espace public nâest pas neutre, au contraire, il contribue au racisme et renforce les discriminations qui en dĂ©coulent, notamment en glorifiant les figures coloniales »[24]. L'auteure appelle Ă la « dĂ©colonisation de lâespace public et des programmes scolaires » et à « contextualiser les monuments coloniaux avec des plaques explicatives »[24].
Le dossier Storms (2018 - 2020)
Dans les annĂ©es 1870 et 1880, des territoires de l'est du Congo sont l'objet des exactions de Lusinga lwa Ngâombe, un chef actif dans le commerce d'esclaves et dĂ©crit par l'explorateur Ă©cossais Joseph Thomson comme un « potentat des plus sanguinaires » qui n'hĂ©site pas Ă dĂ©capiter ses ennemis (comme le chef Ukala), Ă faire empaler leur tĂȘte et Ă raser leurs villages (comme ceux du chef Manda)[25] - [26].
Dans les années 1870, Lusinga s'installe dans les montagnes à l'ouest de Mpala : « Il s'est abattu comme une avalanche sur les habitants les plus paisibles prÚs du lac, et a balayé toute la population de trente ou quarante villages prospÚres, transformant le pays en un désert parfait », selon les mots de Joseph Thomson durant sa visite dans la région en [25].
Ces exactions servent de prĂ©texte Ă l'intervention colonialiste du lieutenant Ămile Storms (surnommĂ© plus tard le gĂ©nĂ©ral Storms), lâun des Belges chargĂ©s par le roi LĂ©opold II de coloniser le Congo au XIXe siĂšcle[27] - [28], surnommĂ© Bwana Boma (Monsieur Forteresse) lors de son sĂ©jour au village de Lubanda « Ă cause de la formidable forteresse qu'il y construisit en 1883 »[26]. En , Storms monte une expĂ©dition punitive dont le but Ă©tait de rĂ©duire les positions tenues par Lusinga dans la montagne[26]. « Lusinga commandait des hommes engagĂ©s dans le pillage impitoyable et les rafles d'esclaves dans une vaste zone au nord de Lubanda, et de telles activitĂ©s semblaient une justification suffisante pour l'attaque de Storms », qui avait bien sĂ»r d'autres motivations[26].
En effet, Storms commande « la 4Ăšme expĂ©dition de lâAssociation Internationale Africaine (AIA), une organisation crĂ©Ă©e Ă lâinitiative du Roi LĂ©opold II pour explorer lâimmense territoire qui deviendra bientĂŽt le Congo belge » : « l'AIA affichait des ambitions « civilisatrices » et « antiesclavagistes » mais il ne s'agissait de rien dâautre que d'une entreprise de conquĂȘte sâinscrivant dans la course que plusieurs puissances europĂ©ennes se livraient alors pour coloniser lâAfrique centrale »[27].
Durant son expĂ©dition punitive contre Lusinga, Storms fait 60 morts et 125 prisonniers, dĂ©capite le chef Lusinga et note dans son journal Ă la date du : « Jâai pris la tĂȘte de Lusinga pour la mettre dans ma collection. »[27]. Un an plus tĂŽt, Storms Ă©crivait Ă son supĂ©rieur : « Au Marungu, jâai eu une petite difficultĂ© avec le fameux Lusinga. Le fond de lâaffaire est que je lui ai refusĂ© de la poudre. Il a dit quâil couperait la tĂȘte au premier homme de ma station quâil rencontrerait. Sâil a le malheur de mettre son projet Ă exĂ©cution, la sienne, pourrait bien, un jour arriver Ă Bruxelles avec une Ă©tiquette, elle ferait fort bonne figure au musĂ©e. »[27].
En , le magazine Paris Match rappelle que ce crĂąne repose toujours dans une boĂźte Ă l'Institut royal des sciences naturelles Ă Bruxelles, ainsi que celui de deux autres chefs insoumis, dont l'un a toutefois disparu des collections[27].
DĂšs son arrivĂ©e Ă la maison communale d'Ixelles Ă la fin de l'annĂ©e 2018, le bourgmestre Ă©cologiste Christos Doulkeridis travaille sur le dossier Storms, dont le buste se dresse au milieu du square de MeeĂ»s : « Jâai demandĂ© Ă dĂ©placer le buste dans un musĂ©e, ce qui a Ă©tĂ© acceptĂ©. [âŠ] Lâespace public est Ă tout le monde, il porte un message, il nâest pas statique par essence, il est en Ă©volution. Le âGĂ©nĂ©ral Stormsâ reprĂ©sentait une certaine Ă©poque. Il est restĂ© plusieurs dĂ©cennies dans lâespace public. Maintenant, il peut aller ailleurs. Sa place est dans un musĂ©e, ce qui permettra de mieux contextualiser les faits »[28].
Le , la télévision belge annonce un accord de principe pour déplacer la statue de Storms vers le Musée royal de l'Afrique centrale à Tervueren[28].
Mais le directeur du Musée Gido Gryssels apporte quelques précisions : « Il y a un accord de principe avec la commune d'Ixelles, oui, pour une mise en dépÎt chez nous. Mais ce n'est pas un accord écrit. Concernant la place de la statue dans le musée, nous n'avons pas la place. Nous évoquons déjà , à deux endroits différents, le 'Général Storms' dont la salle concernant l'histoire coloniale. Il y a donc déjà pas mal d'informations le concernant. Le buste est beaucoup trop grand et n'apporte pas vraiment de valeur ajoutée »[28].
Le , lors du climax décrit plus bas, le buste du général Storms est aspergé de peinture rouge[29] - [30].
Climax en 2020
Prise de position des partis politiques bruxellois en faveur de la décolonisation de l'espace public
Le , les partis de la majoritĂ© Ă la RĂ©gion de Bruxelles-Capitale (PS, Ecolo, DĂ©FI, Groen, Open Vld, One Brussels) dĂ©posent une rĂ©solution visant Ă dĂ©coloniser lâespace public en rĂ©gion bruxelloise[31] - [32].
« Cette rĂ©solution demande notamment au Gouvernement bruxellois dâĂ©tablir un inventaire des noms de places publiques et de rues sur lâhĂ©ritage de lâhistoire coloniale belge »[31] - [32]. La proposition de rĂ©solution demande de mettre en place un groupe de pilotage composĂ© entre autres dâexperts et de personnes de la sociĂ©tĂ© civile, qui « sera chargĂ© de faire des propositions concrĂštes dans le cadre du travail de contextualisation et/ou de dĂ©placement des vestiges coloniaux dans les musĂ©es »[31] - [32].
« Ce travail important sur la mĂ©moire coloniale constitue une prioritĂ© pour la dĂ©colonisation des esprits. Elle est primordiale pour lutter contre lâimaginaire colonial en Belgique », explique le dĂ©putĂ© Ă©cologiste Kalvin Soiresse Njall[31] - [32].
La dĂ©putĂ©e socialiste bruxelloise Leila Agic cite Frantz Fanon : « L'immobilitĂ© Ă laquelle est condamnĂ© le colonisĂ© ne peut ĂȘtre remise en question que si le colonisĂ© dĂ©cide de mettre un terme Ă l'histoire de la colonisation, Ă l'histoire du pillage, pour faire exister l'histoire de la nation, l'histoire de la dĂ©colonisation »[31].
EnlĂšvements et dĂ©gradations de statues aprĂšs l'assassinat de George Floyd aux Ătats-Unis
Le , une Ă©tudiante afro-descendante lance une pĂ©tition qui demande le retrait de la statue de LĂ©opold II qui sĂ©journe dans les locaux de son universitĂ© de Mons[33]. Le , l'UMons dĂ©cide de « retirer le buste et de le ranger dĂ©finitivement dans les rĂ©serves afin que personne â Ă©tudiants, enseignants ou visiteurs extĂ©rieurs â ne puisse plus se sentir offusquĂ© par sa prĂ©sence »[33] - [34].
Le , une statue de LĂ©opold II datant de 1873 est retirĂ©e dans le quartier anversois d'Ekeren afin d'ĂȘtre restaurĂ©e au musĂ©e Middelheim d'Anvers aprĂšs avoir Ă©tĂ© la cible de dĂ©gradations Ă plusieurs reprises[35].
Le , la presse annonce que la statue Ă©questre de LĂ©opold II Ă Bruxelles a Ă©tĂ© recouverte de plusieurs inscriptions aprĂšs la manifestation « Black Lives Matter » qui a rassemblĂ© plus de 10.000 personnes contre le racisme le Ă Bruxelles[36] dans la foulĂ©e des manifestations et des Ă©meutes contre le racisme et les violences policiĂšres qui font suite Ă la mort de George Floyd Ă Minneapolis aux Ătats-Unis le : « On peut notamment lire un grand « Pardon » sur son buste, l'inscription « BLM » en rĂ©fĂ©rence au mouvement Black Lives Matter, « Fuck racism » ou « This man killed 15M people » (« cet homme a tuĂ© 15 millions de personnes en anglais ») »[37] - [38] - [39] - [40].
Le , un buste du roi situé sur le square du Souverain, prÚs du boulevard du Souverain à Auderghem est jeté à terre à coups de masse puis tagué de peinture rouge[41] - [42].
Le , c'est le buste du roi Baudouin placé devant la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles, à Bruxelles qui est vandalisé : le visage est recouvert de peinture rouge et le mot « Réparation » est tagué sur le socle du monument[43] - [44].
Le lendemain , c'est au tour de la statue de LĂ©opold II situĂ©e rue de Belle-Vue Ă Ixelles d'ĂȘtre taguĂ©e « Abolish racist monuments » et au buste du gĂ©nĂ©ral Storms Ă©voquĂ© plus haut d'ĂȘtre aspergĂ© de peinture rouge[29] - [30]. Quelques jours aprĂšs, on apprend que la statue de LĂ©opold II Ă Arlon a subi le mĂȘme sort[45].
Le , jour du 60e anniversaire de l'indĂ©pendance de la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, des activistes tentent de recouvrir la statue Ă©questre de LĂ©opold II Ă Bruxelles de bĂąches noires mais ils en sont empĂȘchĂ©s par la police.
Tout cela se dĂ©roule dans un contexte mondial de dĂ©prĂ©dations, de destruction et d'enlĂšvement de statues comme celles de Christophe Colomb aux Ătats-Unis (contestĂ© par les AmĂ©rindiens), de l'explorateur James Cook et du commandant de la marine britannique John Hamilton en Nouvelle-ZĂ©lande (contestĂ©s par les Maoris), du prĂ©sident sudiste Jefferson Davis, des marchands d'esclaves Edward Colston et Robert Milligan Ă Bristol en Angleterre, de la reine Victoria, de l'ancien Premier ministre britannique Winston Churchill (dont des propos sur les questions raciales ont suscitĂ© la controverse) et de Robert Baden-Powell, fondateur du scoutisme, accusĂ© de racisme, d'homophobie et de liens avec le rĂ©gime nazi[12] - [10] - [46] - [47] - [48] - [49] - [50]. Le , la dĂ©mocrate Nancy Pelosi, prĂ©sidente de la Chambre des ReprĂ©sentants des Ătats-Unis appelle au retrait des 11 statues du Capitole des Ătats-Unis qui reprĂ©sentent des soldats et des responsables confĂ©dĂ©rĂ©s, dont celle du prĂ©sident Jefferson Davis[12].
Prise de position du secrĂ©taire d'Ătat bruxellois chargĂ© de l'Urbanisme et du Patrimoine bruxellois
Le , Pascal Smet, secrĂ©taire d'Ătat bruxellois chargĂ© de l'Urbanisme et du Patrimoine, annonce qu'il « proposera au gouvernement bruxellois de mettre sur pied un groupe de travail chargĂ© de se prononcer sur le sort Ă rĂ©server aux rĂ©fĂ©rences, dans la capitale, au roi LĂ©opold II, figure contestĂ©e du colonialisme »[39] - [51]. Selon Pascal Smet, ce groupe serait composĂ© notamment dâexperts et de reprĂ©sentants de la population dâorigine congolaise rĂ©sidant Ă Bruxelles[51].
âSi la conclusion de ce dĂ©bat est quâil faut retirer ces rĂ©fĂ©rences, jâaccorderai les permis dâurbanisme nĂ©cessairesâ, a expliquĂ© le secrĂ©taire dâEtat, Ă lâagence Belga. Pascal Smet sâest par ailleurs ouvertement prononcĂ© en faveur de la prĂ©sence Ă Bruxelles dâun mĂ©morial de la dĂ©colonisation[51].
Si le groupe de travail aboutit Ă la conclusion dâun retrait des statues de LĂ©opold II, rien nâexclut non plus la possibilitĂ© dâen transformer lâune ou lâautre pour lâinclure dans le mĂ©morial, selon Pascal Smet[51].
« Pour le secrĂ©taire d'Ătat, le mouvement Black Lives Matter et une pĂ©tition qui a rĂ©uni rĂ©cemment 60.000 signatures en faveur du retrait des statues du roi LĂ©opold II justifient la tenue d'un dĂ©bat approfondi sur cette question »[39] - [51].
RĂ©action du bourgmestre d'Auderghem
Le , le bourgmestre d'Auderghem Didier Gosuin fait savoir qu'il n'a pas l'intention de retirer des sculptures ou de débaptiser des rues : « Ce n'est pas comme ça qu'on fait avancer la démocratie et ce n'est pas comme ça non plus qu'on fait évoluer l'histoire »[52] - [53].
« Je condamne fermement ces actes de vandalisme et je ne crois pas qu'ils facilitent une lecture raisonnĂ©e de l'histoire »[52] - [53]. « Je ne nie pas la nĂ©cessitĂ© d'avoir une lecture objective de l'histoire coloniale, mais ce n'est pas aux communes de faire cela. C'est Ă l'Ătat fĂ©dĂ©ral de rĂ©unir un collĂšgue d'experts et d'historiens pour qu'ils proposent une lecture qui ne serait pas celle faite par les colons. Changer le rĂ©cit doit se faire de maniĂšre apaisĂ©e, pas dans le conflit »[52] - [53].
Didier Gosuin annonce donc qu'il va envoyer un courrier au gouvernement fédéral pour demander à la PremiÚre ministre de réunir un collÚge d'experts et d'historiens afin de proposer un récit conforme à diffuser dans les manuels scolaires et l'espace public[52] - [53].
Des mises en contexte pourraient rappeler les parts d'ombre et de lumiÚre à cÎté de certaines statues et noms de rue[52].
Gosuin conclut en Ă©voquant NapolĂ©on : « On doit Ă NapolĂ©on le code civil et de grandes avancĂ©es, mais aussi une barbarie et des massacres pour assouvir sa folie impĂ©riale Il figure partout dans l'espace public français. Les Français n'ont pas encore Ă son Ă©gard un recul suffisant, mĂȘme si on ne glorifie plus NapolĂ©on de la mĂȘme maniĂšre aujourd'hui. Ceux qui ont eu du pouvoir dans l'histoire ont rarement Ă©tĂ© des saints »[52] - [53].
RĂ©action de Juliana Lumumba
Juliana Lumumba, la fille unique de Patrice Lumumba - qui fut le premier Premier ministre du Congo indĂ©pendant en 1960, avant d'ĂȘtre assassinĂ© quelques mois plus tard Ă Elisabethville (Lumumbashi), suit depuis Kinshasa les discussions passionnĂ©es de qui ont lieu en Belgique sur l'hĂ©ritage de la colonisation belge du Congo[54].
Pour elle, « Qu'on enlĂšve ces statues ou qu'on les laisse, câest une question pour la conscience des Belges. Mais LĂ©opold II fait partie de l'histoire de la Belgique et du Congo, que cela nous plaise ou pas. L'histoire ne changera pas parce qu'on dĂ©cide d'enlever ces statues »[54].
Elle conclut : « Trop de passion s'est glissée dans le débat, et trop peu de connaissances. Combien de personnes savent réellement de qui elles parlent lorsqu'elles parlent de Léopold II ? Je préconise que, dans les écoles belges et congolaises, on étudie les faits historiques. Si vous les connaissez, vous pouvez juger. On ne change pas l'histoire en mettant le feu à une statue »[55].
(Monument aux pionniers belges au Congo, parc du Cinquantenaire Ă Bruxelles).
DĂ©colonisation de l'espace public en Grande-Bretagne
Au Royaume-Uni, l'explosion n'a lieu qu'en 2020.
Le , Ă Bristol, une statue en bronze du marchand d'esclaves du XVIIe siĂšcle Edward Colston, Ă©rigĂ©e en 1895 dans une rue qui porte son nom, est arrachĂ©e de son piĂ©destal, tirĂ©e avec des cordes, piĂ©tinĂ©e, puis jetĂ©e Ă l'eau par des manifestants protestant aprĂšs la mort de George Floyd[12] - [48] - [56]. Le maire de Bristol dĂ©clare que cette statue Ă©tait en elle-mĂȘme un affront, et qu'il n'Ă©prouvait aucun sentiment de perte aprĂšs ce geste de la foule[48]. le dĂ©putĂ© travailliste Clive Lewis tweete : « Si les statues des confĂ©dĂ©rĂ©s qui ont menĂ© une guerre pour l'esclavage et la suprĂ©matie blanche devaient tomber, alors pourquoi pas celle-ci ? Quelqu'un qui est responsable d'un sang et de souffrances incommensurables. Nous ne rĂ©soudrons jamais le problĂšme du racisme structurel tant que nous ne nous attaquerons pas Ă notre histoire dans toute sa complexitĂ© »[56].
Le à Londres, l'inscription « C'était un raciste » est taguée sur le piédestal d'une statue de Winston Churchill, héros de la DeuxiÚme Guerre mondiale, dont divers propos sur les questions raciales ont suscité la controverse[12] - [48] : il a plaidé contre l'autonomie des Noirs ou des autochtones en Afrique et dans les Caraïbes, et avait des opinions mitigées sur les Musulmans, qualifiant les Afghans ou les Irakiens de tribus non civilisées[48].
Durant une manifestation le Ă Oxford, des activistes menacent de s'en prendre Ă la statue de Cecil Rhodes qui domine Ă lâentrĂ©e du collĂšge : « Rhodes, tu es le prochain sur la liste »[48]. Cet homme d'affaires et homme politique est considĂ©rĂ© comme l'archĂ©type de l'impĂ©rialiste britannique et fier de l'ĂȘtre, imprĂ©gnĂ© de sa « mission civilisatrice »[48]. En Afrique du Sud, en 2015, avait eu lieu le mouvement Rhodes must fall, qui avait dĂ©boulonnĂ© la statue de ce mĂȘme homme politique britannique.
AprÚs ces incidents, le maire de Londres Sadiq Khan annonce qu'il va mettre sur pied une commission chargée d'une révision générale des monuments, des statues et de la toponymie de la ville : elle s'appellera la « Commission pour la diversité dans le domaine public »[48].
Articles connexes
- Maoris (Nouvelle-ZĂ©lande)
- Guerres maories
- Black Lives Matter
- Statue Ă©questre de LĂ©opold II
- Monument aux pionniers belges au Congo
- Monument au Général Thys
- Monument au Général Storms
- Ămile Pierre Joseph Storms
- Rhodes must fall
- Controverses sur la représentation des natifs américains dans le sport
- DĂ©colonisation du savoir
- DĂ©boulonnage
- Liste de statues de LĂ©opold II
Références
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Bibliographie
- Jacqueline Lalouette, Les Statues de la discorde, Passés composés, 2021.
- Bertrand Tillier, La disgrĂące des statues, Payot, 2022.