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Chaetognatha

Chétognathes

Chaetognatha
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Cliché MEB de Sagitta sp. (crédit: Yvan Perez).

Super-embranchement

Chaetognathi
Leuckart, 1854

Embranchement

Chaetognatha
Hyman, 1959

Familles de rang inférieur

Tokioka (1965) revu Ruggiero & Gordon (2013).

Classification phylogénétique

Description de l'image Chaetoblack.png.

Les ChĂ©tognathes (Chaetognatha) sont un embranchement (phylum) de prĂ©dateurs marins. Leur nom, du grec khaitē (« chevelure ») et gnathos (« mĂąchoire »), provient des crochets mobiles qui permettent la capture de leurs proies. Ils sont parfois appelĂ©s « vers sagittaires » en raison de leur forme de flĂšche. Le positionnement des ChĂ©tognathes au sein de l'arbre des animaux (mĂ©tazoaires) a Ă©tĂ© l'objet d'un longue controverse mais des arguments sĂ©rieux permettent dorĂ©navant de les classer au sein des protostomiens, l'une des deux grandes lignĂ©es d'animaux bilatĂ©riens avec les deutĂ©rostomiens. Les ChĂ©tognathes forment un groupe animal trĂšs ancien comme l'attestent plusieurs fossiles datant du Cambrien infĂ©rieur. Ils jouent un rĂŽle majeur dans l'Ă©cosystĂšme planctonique comme principaux prĂ©dateurs directs des copĂ©podes et reprĂ©sentent jusqu'Ă  10 % de la biomasse du zooplancton.

Les Chaetognathes apparaissent pour la premiĂšre fois dans des dessins du naturaliste hollandais Martinus Slabber en 1775[1]. Actuellement, le phylum est composĂ© d’une trentaine de genres et d’environ 150 espĂšces dont la taille peut varier de 2 Ă  12 cm environ. On les trouve dans tous les habitats marins, des zones cĂŽtiĂšres au benthos ocĂ©anique[2].

Paléontologie

Reconstitution d'un Eognathacantha ercainella, chétognathe primitif du début du Cambrien.

Les Chaetognathes constituent un des plus anciens embranchements. Des Chaetognathes fossiles ont été retrouvés dans des gisements célÚbres du cambrien tels que le schiste de Burgess ou le gisement de Chengjiang. De nombreux taxons ont été successivement proposés comme étant le plus ancien Chaetognathe. Parmi les taxons récemment décrits, on trouve :

  • Amiskwia dĂ©couvert par Walcott dans la cĂ©lĂšbre faune de Burgess a gĂ©nĂ©ralement Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme un ChĂ©tognathe mais cette hypothĂšse fut rejetĂ©e par la suite.
  • Paucijaculum dĂ©crit par Schram en 1973 est plus tardif (carbonifĂšre) et a constituĂ© pendant une longue pĂ©riode le fossile le plus ancien.
  • Eognathacantha ercainella a Ă©tĂ© dĂ©crit en 2002 par Chen et Wuang comme un ChĂ©tognathe du cambrien infĂ©rieur (520 Ma) malgrĂ© une assez faible qualitĂ© de prĂ©servation[3].
  • les protoconodontes, microfossiles du Cambrien ont Ă©tĂ© proposĂ©s comme des crochets fossilisĂ©s par Szaniawski sur la base d'une analyse comparative assez dĂ©taillĂ©e[4].
  • Oesia disjuncta constitue un retour Ă  l'origine du dĂ©bat car ce fossile du schiste de Burgess originellement dĂ©crit par Walcott est interprĂ©tĂ© en 2005 par Szaniawski comme un chĂ©tognathe[5].
  • Protosagitta spinosa citĂ© au dĂ©part par Chen et Wuang a fait l'objet d'une rĂ©cente analyse dĂ©taillĂ©e fondĂ©e sur l'analyse de certaines structures fines particuliĂšrement bien conservĂ©e dans de nouveaux spĂ©cimens. Ce fossile du gisement de Chengjiang (cambrien infĂ©rieur) constitue donc le fossile le plus ancien et le mieux dĂ©crit Ă  ce jour[6].

Ainsi, non seulement le phylum des Chaetognathes est contemporain de l'explosion cambrienne mais il possĂ©dait dĂšs cette Ă©poque une morphologie quasiment identique Ă  celle qu'il prĂ©sente aujourd’hui. Ce cas de conservation morphologique est trĂšs surprenant et relativement rare, mais suggĂšre Ă©galement que le mode de vie des ChĂ©tognathes est restĂ© inchangĂ© depuis le Cambrien.

Reproduction et développement

Étapes du dĂ©veloppement prĂ©coce d'un ChĂ©tognathe (modifiĂ© d'aprĂšs Doncaster 1902)
Anatomie d'un chétognathe (Spadella cephaloptera)

Les Chaetognathes sont hermaphrodites et leur reproduction se fait par fĂ©condation croisĂ©e. Le dĂ©veloppement est direct, sans mue ni Ă©tape larvaire. L’Ɠuf, transparent, subit une segmentation radiaire totale et Ă©gale. Cependant, des expĂ©riences de marquage des premiers blastomĂšres ont montrĂ© que la disposition tĂ©traĂ©drale des blastomĂšres au stade quatre cellules correspondait aux futurs axes corporels, une caractĂ©ristique Ă©galement prĂ©sente chez les spiraliens[7].

Une blastula avec un blastocƓle Ă©troit se dĂ©veloppe. Au stade de 64 cellules, le dĂ©terminant des lignĂ©es germinal, un corps rond et petit formĂ© aprĂšs la fĂ©condation prĂšs du pĂŽle vĂ©gĂ©tal, se divise pour la premiĂšre fois et est distribuĂ© dans deux blastomĂšres, les futures cellules germinales primordiales (CGP)[8]. Au stade suivant, une invagination typique forme la gastrula. Deux invaginations antĂ©ro-latĂ©rales de l’endoderme forment ensuite deux plis qui migrent vers le blastopore directement Ă  l’intĂ©rieur de l’archentĂ©ron. Ces plis poussent Ă  leur pointe les CGP qui se divisent Ă  nouveau. Il s’agit lĂ  d’une forme particuliĂšre d’entĂ©rocƓlie dans laquelle le mĂ©soderme se forme par des plis qui migrent Ă  l’intĂ©rieur de l’archentĂ©ron, plutĂŽt que par la formation de poches qui envahissent le blastocƓle.

Dans la rĂ©gion antĂ©rieure de l’embryon se forment donc l’intestin, les sacs mĂ©sodermaux bilatĂ©raux (futur cƓlome) et une invagination stomodeale ventrale, alors que le blastopore, situĂ© Ă  l’opposĂ©, se ferme. La diffĂ©renciation des rĂ©gions ectodermales occupĂ©es par le systĂšme nerveux adulte est trĂšs prĂ©coce, le ganglion ventral apparaissant sous la forme de deux masses cellulaires bilatĂ©rales. Les cƓlomes primaires de la tĂȘte et du tronc s’individualisent puis l’embryon s’allonge et se courbe progressivement Ă  l’intĂ©rieur de l’Ɠuf. Toutes les cavitĂ©s se rĂ©duisent ensuite considĂ©rablement. Au cours cet allongement A/P, l’ensemble du systĂšme nerveux poursuit sa diffĂ©renciation et on peut alors observer au niveau du ganglion ventral la mise en place de la neuropile (axones) et le futur ganglion cĂ©rĂ©broĂŻde dans la tĂȘte. Enfin, prĂ©cĂ©dant l’éclosion, la diffĂ©renciation des muscles longitudinaux dĂ©bute dans le mĂ©soderme du tronc.

AprĂšs l’éclosion, le mĂ©soderme du nouveau-nĂ© apparaĂźt comme une masse cellulaire indiffĂ©renciĂ©e dans laquelle il est impossible de repĂ©rer les futurs territoires tissulaires de l’adulte. La formation des Ă©pithĂ©liums lignant la cavitĂ© gĂ©nĂ©rale du tronc se dĂ©roule durant les deux premiers jours de dĂ©veloppement du nouveau-nĂ©. L’apparition progressive de ces tissus conduit Ă  la sĂ©grĂ©gation finale des lignĂ©es germinales (formation du septum caudal Ă  partir de cellules pĂ©ritonĂ©ales spĂ©cialisĂ©es sĂ©parant les ovaires situĂ©es antĂ©rieurement des testicules situĂ©es postĂ©rieurement) et Ă  la mise en place du plan d’organisation adulte : division du corps en trois rĂ©gions, rĂ©ouverture des cavitĂ©s gĂ©nĂ©rales, ouverture du tube digestif et diffĂ©renciation des structures cĂ©phaliques.

Systématique du phylum

Caractéristiques discriminants

Le caractĂšre clef de la systĂ©matique du phylum est la prĂ©sence ou non de musculature transverse (les phragmes). Ce caractĂšre permet de subdiviser la classe Sagittoidae en deux ordres : Phragmophora (prĂ©sence de phragmes) et Aphragmophora (absence de phragme). Cette subdivision a Ă©tĂ© confirmĂ©e par des analyses de phylogĂ©nie molĂ©culaire rĂ©alisĂ©es Ă  partir de l'ARN le gĂšne de la grande sous unitĂ© de l'ARN ribosomique 28S[9] et par la suite de la petite sous unitĂ© l'ARNr 18S[10]. Cette phylogĂ©nie est en accord avec les principaux caractĂšres morphologiques tels que le nombre et la structure des nageoires, le type de fibres musculaires ou le rapport tĂȘte/corps. Cependant, la phylogĂ©nie molĂ©culaire a mis en lumiĂšre la limite des caractĂšres traditionnels : l'espĂšce planctonique Pterosagitta draco dĂ©pourvue de musculature transverse (phragmes), auparavant classĂ©e dans l’ordre des aphragmophora, a Ă©tĂ© incluse dans l’ordre des phragmophora. Cette perte des phragmes chez Pterosagitta draco peut ĂȘtre expliquĂ©e le changement de milieu de vie : ce membre de la famille des benthique des Spadellidae se serait adaptĂ© Ă  la vie planctonique.

Liste des sous-taxons

Différences représentations de chétognathes.

Selon World Register of Marine Species (21 janvier 2021)[11] :

  • classe Sagittoidea
    • ordre Aphragmophora Tokioka, 1965
      • famille Bathybelidae Bieri, 1989
      • famille Krohnittidae Tokioka, 1965
      • famille Pterokrohniidae Bieri, 1991
      • famille Pterosagittidae Tokioka, 1965
      • famille Sagittidae Claus & Grobben, 1905
    • ordre Phragmophora Tokioka, 1965
      • famille Eukrohniidae Tokioka, 1965
      • famille Heterokrohniidae Casanova, 1985
      • famille Krohnittellidae Bieri, 1989
      • famille Spadellidae Tokioka, 1965

Selon ITIS (13 janvier 2020)[12] :

  • classe des Archisagittoidea
  • classe des Sagittoidea
    • ordre des Aphragmophora
      • sous-ordre des Ctinodontina
      • sous-ordre des Flabellodontina
    • ordre des Phragmophora
      • famille des Bathyspadellidae
      • famille des Eukrohniidae Tokioka, 1965
      • famille des Krohnittellidae Bieri, 1989
      • famille des Spadellidae Tokioka, 1965

Selon BioLib (21 janvier 2021)[13] :

  • ordre Aphragmophora Tokioka, 1965
  • ordre Biphragmophora Casanova, 1985
  • ordre Biphragmosagittiformes Kassatkina, 2011
  • ordre Monophragmophora Casanova, 1985
  • ordre Phragmophora Tokioka, 1965


Position phylogénétique du phylum

Une morphologie controversée

Les ChĂ©tognathes partagent des caractĂšres traditionnellement attribuĂ©s aux deutĂ©rostomiens et aux protostomiens. MalgrĂ© une morphologie rappelant celle des protostomiens, la position phylogĂ©nĂ©tique traditionnelle des ChĂ©tognathes a longtemps Ă©tĂ© celle avancĂ©e par Hyman (1959) qui les considĂ©rait comme des parents Ă©loignĂ©s des deutĂ©rostomiens en raison de leurs caractĂšres embryologiques (voir aussi Willmer, 1990). Cependant, considĂ©rant Ă©quitablement les caractĂšres embryologiques et morphologiques, Beklemishev (1969) conclut que les ChĂ©tognathes demeuraient parmi les phyla les plus isolĂ©s du monde animal et les a placĂ©s, avec les brachiopodes, hors des deutĂ©rostomiens et des protostomiens. Une position retrouvĂ©e dans le systĂšme du vivant proposĂ© par Cavalier-Smith (1998), oĂč les ChĂ©tognathes sont les seuls membres des Chaetognathi, une des quatre divisions majeures des protostomiens (avec les Lophozoa, Platyzoa et Ecdysozoa). Meglitsch et Schram (1991), suivis par Eernisse et al. (1992), ont placĂ© les ChĂ©tognathes parmi les aschelminthes, Ă  la suite de leur Ă©tude cladistique de matrices de caractĂšres morphologiques. Nielsen (2001) a considĂ©rĂ© les ChĂ©tognathes comme le groupe frĂšre des gnathostomulides et des rotifĂšres, au sein des Gnathifera, sur la base des crochets chitineux entourant la bouche et de l'innervation des muscles du ganglion vestibulaire. L’hermaphrodisme obligatoire avec la prĂ©sence des gonades femelles en position antĂ©rieure par rapport aux gonades mĂąles a aussi Ă©tĂ© un caractĂšre proposĂ© pour rapprocher les ChĂ©tognathes et les gnathostomulides (Zrzavy, 1993).

PremiÚres analyses de phylogénie moléculaire

C'est en 1993 que, pour la premiĂšre fois, l'outil molĂ©culaire a Ă©tĂ© utilisĂ© pour prĂ©ciser la position phylogĂ©nĂ©tique des ChĂ©tognathes. À partir de l'analyse du 18S de l'espĂšce Sagitta elegans, Telford et Holland ont suggĂšrĂ© que les ChĂ©tognathes auraient divergĂ© prĂ©cocement au sein des bilatĂ©riens, en mĂȘme temps que les platyhelminthes. Ce rĂ©sultat a Ă©tĂ© dans un premier temps conservĂ© au cours des annĂ©es suivantes avec l'inclusion Ă  la fois de nouvelles espĂšces de ChĂ©tognathes et de nouveaux phyla tels que les nĂ©matodes, les gnatostomulides ou les nĂ©matomorphes. Cependant, le rapprochement des ChĂ©tognathes avec les platyhelminthes ou les nĂ©matodes dĂ©crit par l'ensemble de ces travaux pourrait ĂȘtre expliquĂ© par un phĂ©nomĂšne d'attraction des longues branches causĂ© par les taux d'Ă©volution trĂšs rapides observĂ©s pour l'ARN 18S dans ces diffĂ©rents groupes. Des problĂšmes similaires ont Ă©tĂ© rencontrĂ©s avec l'ARN 28S (LSU) ce qui confirme la difficultĂ© de l'analyse molĂ©culaire pour le phylum des ChĂ©tognathes.

Un certain nombre d'arguments complĂ©mentaires mais jamais dĂ©finitifs se sont par la suite accumulĂ©s comme des analyses fondĂ©es sur les filaments intermĂ©diaires, l'analyse combinĂ©e de matrices morphologiques[14] et mĂȘme la recherche d’un marqueur tissulaire spĂ©cifique (Haase et al. 2001). L'ensemble de ces Ă©tudes proposent diffĂ©rentes positions comme une position isolĂ©e au sein des bilatĂ©riens, une inclusion dans les deux clades connus de protostomiens : les lophotrochozoaires et les ecdysozoaires, une exclusion des ecdysozaires mais aucune d'entre elles ne suggĂšre le rapprochement historique des ChĂ©tognathes avec les deutĂ©rostomiens.

Pour conclure sur cet aperçu de la controverse autour de la position phylogĂ©nĂ©tique des ChĂ©tognathes, force est de constater que la situation n’a pas beaucoup Ă©voluĂ© depuis Darwin (1844), qui considĂ©raient les ChĂ©tognathes comme « remarquables pour l’obscuritĂ© [
] de leurs affinitĂ©s ». Dans les ouvrages de Lecointre et Le Guyader (2001) et de Nielsen (2001), comme dans d’autres travaux, les ChĂ©tognathes appartiennent aux protostomiens, mais toujours avec une pointe d’incertitude, due notamment Ă  l’absence de donnĂ©es molĂ©culaires fiables.

GĂ©nomes mitochondriaux

Le séquençage de génomes mitochondriaux de Chétognathe a permis d'apporter de nouveaux arguments moléculaires basés sur l'analyse de l'alignement des séquences des gÚnes ou de la structure du génome mitochondrial.

Le gĂ©nome mitochondrial de S. cephaloptera s’est rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre trĂšs particulier, Ă  la fois par sa taille et sa composition. Avec 11905 pb, il est le plus petit gĂ©nome mitochondrial de mĂ©tazoaire connu et contient seulement 13 des 37 gĂšnes habituels. Le plus surprenant a Ă©tĂ© l’incapacitĂ© d’isoler le moindre ARN de transfert (ARNt) mitochondrial parmi les 22 habituellement prĂ©sents dans les gĂ©nomes mitochondriaux d’animaux. Parmi les treize gĂšnes usuels codant des protĂ©ines, les gĂšnes atp6 et atp8 sont absents. En dĂ©pit de cette organisation trĂšs peu commune, les diverses analyses des sĂ©quences de protĂ©ines mitochondriales rĂ©vĂšlent des zones qui constituent clairement une signature de protostomiens. Il n'y a aucune jonction de gĂšnes en commun avec les deutĂ©rostomiens dans le gĂ©nome mitochondrial de S. cephaloptera. Cependant, aucune de ces donnĂ©es ne permet de dĂ©terminer des affinitĂ©s plus prĂ©cises Ă  l’intĂ©rieur du groupe protostomien.

Exactement deux jours avant que l'article traitant du gĂ©nome mitochondrial de S. cephaloptera ne soit acceptĂ© par Molecular Biology and Evolution, l’article de Helfenbein et al. (2004), sur le gĂ©nome mitochondrial de Paraspadella gotoi Ă©tait publiĂ© dans PNAS. Soulignant l’importance de ces travaux pour le dĂ©cryptage de la phylogĂ©nie animale, Telford (2004b) a publiĂ© un commentaire couvrant les deux articles dans la partie ‘News and Views’ de la revue Nature. Il y a donc ainsi deux gĂ©nomes complets de ChĂ©tognathes aujourd’hui disponibles. Les rĂ©sultats des deux Ă©quipes sont Ă©quivalents : le gĂ©nome mitochondrial de P. gotoi est trĂšs rĂ©duit (11424 pb), et son Ă©tude montre que les ChĂ©tognathes sont des protostomiens. Parmi les diffĂ©rences avec le gĂ©nome de S. cephaloptera, on peut citer la prĂ©sence d’un unique ARNt, celui de la mĂ©thionine (trnM) ou le fait que le gĂ©nome comprend deux ensembles de gĂšnes, chacun transcrit dans un sens diffĂ©rent. L’analyse phylogĂ©nĂ©tique des sĂ©quences du gĂ©nome mitochondrial de P. gotoi montre que les ChĂ©tognathes sont le groupe frĂšre des protostomiens, du moins, prĂ©cisent les auteurs, des protostomiens Ă©chantillonnĂ©s dans l’étude. Les analyses phylogĂ©nĂ©tiques des deux gĂ©nomes prĂ©sentent plusieurs diffĂ©rences, susceptibles d'expliquer les lĂ©gĂšres diffĂ©rences de rĂ©sultat :

  • Helfenbein et al. (2004) n’ont utilisĂ© que huit sĂ©quences de protĂ©ines mitochondriales (cob, cox1, 2, 3, nad1, 3, 4 et 5) alors que les onze protĂ©ines du gĂ©nome de S. cephaloptera (nad2, 4L et 6 en sĂ©quences supplĂ©mentaires) ont Ă©tĂ© utilisĂ©es.
  • L'Ă©chantillonnage taxonomique est sensiblement diffĂ©rent
  • L’analyse phylogĂ©nĂ©tique des sĂ©quences primaires de P. gotoi n’a Ă©tĂ© faite qu’avec la mĂ©thode de parcimonie.

Phylogénomique

Chez Spadella cephaloptera 11 526 ESTs ont Ă©tĂ© sĂ©quencĂ©s par le GĂ©noscope (Evry, Paris). À partir de ces sĂ©quences, un jeu de donnĂ©es de 79 protĂ©ines ribosomiques concatĂ©nĂ©es chez 18 taxa, reprĂ©sentant plus de 11 500 positions, a Ă©tĂ© analysĂ©. Une nouvelles fois, les ChĂ©tognathes se trouvent liĂ©s aux protostomiens, confirmant les rĂ©sultats issus du marqueur mitochondrial, et en position basale[15]. Un projet similaire, avec Flaccisagitta enflata, a abouti Ă  une conclusion similaire (affinitĂ© des Chaetognathes avec les protostomiens) mais avec une position diffĂ©rente Ă  l’intĂ©rieur des protostomiens : Ă  la base des lophotrochozoaires[16].

Implications de la position phylogénétique des Chétognathes

La division phylogĂ©nĂ©tique des bilatĂ©riens en protostomiens et deutĂ©rostomiens est traditionnellement basĂ©e sur les caractĂšres suivants : l'origine du cƓlome, la destinĂ©e du blastopore ou la segmentation de l’Ɠuf. Le partage de certains de ces caractĂšres entre les ChĂ©tognathes et les deutĂ©rostomiens (entĂ©rocƓlie, deutĂ©rostomie, trimĂ©risme, clivage radiaire ; Table 1), ainsi que l’absence de certaines caractĂ©ristiques (1) molĂ©culaires (gĂšnes hox, marqueur tissulaire ; voir plus bas pour les gĂšnes hox de ChĂ©tognathes, Haase et al. 2001) ou (2) morphologiques (principalement la mue, la prĂ©sence de lophophores ou de larves trochophores ; Lecointre et Leguyader 2001) dĂ©finissant les ecdysozoaires et les lophotrochozoaires, soutiennent la position des ChĂ©tognathes Ă  la base des protostomiens, Ă  l’image de notre analyse phylogĂ©nomique (Fig. 3). Ainsi, les caractĂšres de type deutĂ©rostomien auraient Ă©tĂ© conservĂ©s entre les ChĂ©tognathes et les deutĂ©rostomiens et perdus dans la lignĂ©e menant au dernier ancĂȘtre commun des ecdysozoaires et des lophotrochozoaires.

Pourtant, le mode de formation du cƓlome, la destinĂ©e du blastopore, ou le mode de clivage de l’Ɠuf sont des caractĂšres sujets Ă  controverse, et ce depuis plusieurs dĂ©cennies (Lovtrup 1975, Bergström 1986, Nielsen 2001). Pour exemple :

  • les cas de deutĂ©rostomie pouvant ĂȘtre observĂ©s chez des annĂ©lides ou des mollusques (Lovtrup 1975, Arendt et Nubler jung 1997),
  • les brachiopodes ou les entĂ©ropneustes comprenant Ă  la fois des organismes schizocƓliens et entĂ©rocƓliens,
  • ou encore le cƓlome des tardigrades se formant par entĂ©rocƓlie (Bergström 1986, Nielsen 2001, Jenner 2004).

Enfin, les ChĂ©tognathes ne sont, en rĂ©alitĂ©, pas des animaux trimĂ©riques, mais dimĂ©riques. L’observation des Ă©tapes prĂ©coces de l’embryologie montre que la diffĂ©renciation du mĂ©soderme conduit Ă  la formation de seulement deux paires de sacs cƓlomiques : le cƓlome primaire cĂ©phalique et le cƓlome primaire du tronc (Doncaster 1902).

Ce bref rappel montre que les critĂšres ontologiques qui dĂ©finissent traditionnellement les lignĂ©es deutĂ©rostomiennes et protostomiennes peuvent ĂȘtre trompeurs. Et c’est la prise en compte de la diversitĂ© animale dans son ensemble qui nous permettra de ne pas surestimer la conservation de caractĂšres en rĂ©alitĂ© trĂšs labile et de mieux apprĂ©hender l’évolution et ces mĂ©canismes. À ce titre, les phylums mineurs encore peu Ă©tudiĂ©s, comme les ChĂ©tognathes, ont toute leur importance.

Génétique évolutive du développement

Les gĂšnes hox codent des facteurs de transcription Ă  homĂ©odomaine. Ils sont impliquĂ©s dans la rĂ©gionalisation de l’axe antĂ©ropostĂ©rieur des animaux et ont Ă©tĂ© dĂ©couverts chez la drosophile mais ont ensuite Ă©tĂ© caractĂ©risĂ©s chez tous les bilatĂ©riens, ainsi que chez les cnidaires[17].

Chez Spadella cephaloptera, plusieurs gĂšnes hox ont Ă©tĂ© identifiĂ©s : un membre du groupe de paralogie hox3 (sceHox3), quatre gĂšnes mĂ©dians (sceMed1-4) et un gĂšne mosaĂŻque qui partage des caractĂ©ristiques Ă  la fois avec les classes de gĂšnes mĂ©dians et postĂ©rieurs (sceMedPost). Aucun des gĂšnes hox spĂ©cifiques de Lophotrochozoaires, d’Ecdysozoaires ou de deutĂ©rostomiens n’a pu ĂȘtre clairement identifiĂ©. Plusieurs hypothĂšses ont Ă©tĂ© envisagĂ©es pour expliquer la prĂ©sence de SceMedPost, mais la position phylogĂ©nĂ©tique issue des analyses de l’ADN mitochondrial et des protĂ©ines ribosomiques suggĂšrerait plutĂŽt qu’il s’agit d’un gĂšne dĂ©rivĂ© spĂ©cifique du phylum.

L’expression d’un de ces gĂšnes, sceMed4, a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©e Ă  diverses Ă©tapes du dĂ©veloppement de S. cephaloptera, oĂč il est exprimĂ© dans deux massifs cellulaires latĂ©raux au niveau du tronc. Cette rĂ©gion d’expression est localisĂ©e dans les corps cellulaires neuronaux du ganglion ventral en formation. Aucune expression n’est dĂ©tectĂ©e dans le reste du systĂšme nerveux (ganglion cĂ©rĂ©broĂŻdes et neuropile ventrale). Ces rĂ©sultats prĂ©liminaires reprĂ©sentent les premiĂšres donnĂ©es d’expression d’un gĂšne hox chez les ChĂ©tognathes, suggĂ©rant un rĂŽle de SceMed4 dans la rĂ©gionalisation du systĂšme nerveux central, une fonction qu’assurent les gĂšnes hox chez un grand nombre de bilatĂ©riens.

Trois espÚces de virus géants ont été trouvées chez les chaetognathes, dont le plus long virus connu à ce jour

Comparison de taille entre divers virus et la bactérie E. coli

En 2018, la rĂ©analyse de photographies de microscopie Ă©lectronique des annĂ©es 1980 a permis d’identifier un virus gĂ©ant (Meelsvirus) infectant Adhesisagitta hispida ; son site de multiplication est nuclĂ©aire et les virions (longueur : 1,25 ÎŒm) sont enveloppĂ©s[18]. En 2019, la rĂ©analyse d’autres travaux antĂ©rieurs a permis de montrer que des structures qui avaient Ă©tĂ© prises en 1967 pour des soies prĂ©sentes Ă  la surface de l’espĂšce Spadella cephaloptera[19], et en 2003 pour des bactĂ©ries infectant Paraspadella gotoi[20] Ă©taient en fait des virus gĂ©ants enveloppĂ©s, de forme fusoĂŻdale, et dont le site de multiplication est cytoplasmique[21]. L’espĂšce virale infectant P. gotoi, dont la longueur maximale est de 3,1 ÎŒm, a Ă©tĂ© nommĂ©e Klothovirus casanovai [Klotho Ă©tant le nom grec d’une des trois Moires (Parques pour les Latins) dont l’attribut Ă©tait le fuseau et casanovai en l’hommage au Pr J.-P. Casanova qui a consacrĂ© une grande partie de sa vie scientifique Ă  l'Ă©tude des chaetognathes]. L’autre espĂšce, plus longue, a Ă©tĂ© nommĂ©e Megaklothovirus horridgei (en hommage au premier auteur de l’article de 1967). Sur une photographie, un des virus M. horridgei, bien que tronquĂ©, mesure 3,9 ÎŒm de long soit environ deux fois la longueur de la bactĂ©rie Escherichia coli. De nombreux ribosomes sont prĂ©sents dans les virions mais leur origine reste inconnue (cellulaire, virale ou en partie virale seulement). À ce jour, les virus gĂ©ants connus comme pouvant infecter des mĂ©tazoaires sont exceptionnellement rares.

Voir aussi

Références taxinomiques

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Blogpost à propos de Martinus Slabber and Dessins originaux sur le site du MBL de Woods Hole incluant le fameux dessin montrant un Chétognathe
  2. The Biology of Chaetognaths (1991) Q. Bone, H. Kapp, and A.C. Pierrot-Bults, eds., Oxford University Press
  3. Chen JY and Huang DY (2002) A Possible Lower Cambrian Chaetognath (Arrow Worm). Science 298: 187.
  4. Szaniawski H. (2002) New evidence for the protoconodont origin of Chaetognaths. Acta Palaeontologica Polonica 47, pages 405–419 (lire en ligne).
  5. Szaniawski H. (2005) Cambrian Chaetognaths recognized in Burgess Shale fossils. Acta Pal. Polonica 50, 1–8.
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