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Carte à jouer

Une carte à jouer est une petite fiche illustrée de motifs variés et utilisée, au sein d'un ensemble, dans la pratique de divers jeux de société appelés jeux de cartes.

Ensemble d'un jeu de 32 cartes au portrait français ; le roi de cœur est placé à part.

Elles possèdent une face commune, appelée dos, et une face particulière qui distingue chaque carte.

Un ensemble de cartes complet forme un jeu ou un paquet, tandis que les cartes qu'un joueur tient en main pendant une partie forment une main.

Il existe des ensembles de cartes traditionnels propre à chaque zone géographique (jeu de 52 cartes, jeu de tarot, etc.) et il en existe des spécifiques créées pour un jeu de société particulier.

Du fait de leur standardisation et de leur statut d'objets de consommation courante, les cartes peuvent être utilisées dans d'autres buts que le jeu, comme l'illusionnisme, la cartomancie, les châteaux de cartes, ou même de la monnaie.

Origine et évolution

Carte à jouer imprimée de la dynastie Ming, vers 1400.

Chine

Les plus anciennes cartes à jouer connues sont d'origine chinoise et apparurent durant la dynastie Tang (618-907) au moment où le format des livres passe du rouleau à la feuille[1]. Elles semblent avoir été développées à partir des anciens dés en provenance d'Inde[2] et en liaison avec des pratiques divinatoires. La plus ancienne carte, datée environ de 1400, a été trouvée par Albert von Le Coq à Tourfan en 1905 dans la province chinoise du Xinjiang[3]. Les cartes sont parmi les premiers exemples de xylographie apparus à la fin de dynastie des Tang (Xe siècle). Joseph Needham estime au vu de différentes sources que les cartes à jouer (en papier) remontent au moins au IXe siècle[4]. Au début de la période Song, soit au XIe siècle. Il s'agit d'une évolution de dés, apparus au moment où les livrets imprimés venait remplacer les rouleaux et qui donna également naissance aux dominos et mahjong[5].

Les cartes chinoises correspondent à trois types de jeux : les cartes domino, les cartes monétaires, et les cartes d'échecs, qui reproduisent les pièces du xiangqi (échecs chinois)[6].

Les cartes monétaires comprenaient un nombre variable de séries numériques, et étaient utilisés par différents jeux chinois :

Corée

En Corée, les jeux de carte les plus anciens sont le tujeon (hangeul : 투전), qui pourrait avoir inspiré le Keno, est cité au XVIIe siècle et le seosda (ko) (hangeul : 섯다).

Proche-Orient

Il est possible que les précurseurs directs des cartes européennes aient atteint l'Europe par l'intermédiaire des Mamelouks d'Égypte à la fin du XIVe siècle, sous une forme très proche de celle connue aujourd'hui.

Un ensemble assez bien conservé de 47 cartes Mamelouk a été découvert par Leo Mayer au palais de Topkapi à Istanbul en 1938[7]. Ce jeu n'était pas plus ancien que 1400, mais il a permis d'identifier des fragments de jeux datés du XIIe siècle ou du XIIIe siècle[8]. Par déduction, ce jeu devait comprendre au moins 5 couleurs (les bâtons de polo, les bâtons, les pièces, les épées et les coupes), 4 honneurs et 10 cartes à points par couleur, et peut être un joker au dessin de croissant, pour un total de 70 cartes sans compter les éventuels Joker[7].

Les honneurs portaient les noms de malik (Roi), nā'ib malik (Vice-Roi), thānī nā'ib (Second), et ahad al-arkān (Assistant). Ces cartes portent des motifs géométriques abstraits, sans représenter des individus, leur dénomination était cependant inscrite sur les cartes.

Europe

Les cartes à jouer sont apparues en Europe au XIVe siècle (leur présence est attestée en Catalogne en 1371[9] - [10], en Allemagne et à Florence dès 1377[11], en Espagne entre 1377 et 1381 et en France en 1381[12]) ; elles y sont peut-être arrivées par l'intermédiaire des Arabes ou par les échanges marchands avec les Mongols le long de la Route de la soie, deux hypothèses retenues par Joseph Needham ou par Thomas T. Allsen[13] - [14] - [15] - [16] ; les mêmes historiens suggèrent que les cartes à jouer aient pu stimuler en Europe le développement de la xylographie, et en conséquence les autres techniques d'imprimerie[17] - [18], ceci paraît toutefois improbable puisque par exemple, si la datation du bois Protat est exacte (mais elle est aujourd'hui remise en question), elle précède largement l'apparition des cartes à jouer en Europe avec des travaux de qualité dans des zones géographiquement éloignées des régions où les cartes sont apparues.

Le jeu de tarot ou tarots apparaît dans les années 1440 en Italie du Nord[19]. Très tôt sa structure se fixe : quatre couleurs composées de dix cartes numérales de l'as au dix, quatre figures (valet ou fante, cavalier, reine et roi) ; à ces quatre séries est ajoutée une cinquième série de cartes (les triomphes qui seront plus tard désignés comme atouts) de vingt-deux cartes.

En France

L'énorme demande pour ce nouveau jeu de hasard va pouvoir être satisfaite grâce à la gravure sur bois, un procédé innovant qui permet la multiplication mécanique des images. Lyon, ville de l'impression sur étoffes utilise déjà ce mode de fabrication de motifs en gravant des figures sur une plaque de bois qui va servir de tampon. Après encrage, les plaques impriment leurs motifs par pression sur le papier. Puis le contre-collage de quatre feuilles de papier rigidifie le tout pour lui donner une texture cartonnée, d'où le nom de cartes. Elles sont alors peintes à la main, puis découpées avant d'être recouvertes de savon, et enfin passées au lissoir afin de faciliter une bonne manipulation du jeu[20].

Les cartiers de Lyon présentent leurs cartes avec des caractéristiques propres: les rois portent un sceptre à la fleur de lys, le roi de cœur tient un perroquet, le roi de trèfle un globe surmonté d'une croix, la dame de carreau une fleur de tournesol, le valet de carreau une hallebarde[20].

Sous l'Ancien régime, les cartes sont soumises à des droits qui provoquèrent parfois la colère des cartiers[21].

En 1858, Baptiste-Paul Grimaud introduit en France les coins arrondis, pour éviter qu'ils ne s'effritent[22].

Avant 1800, le verso des cartes — à l'exception des jeux de tarot — était blanc. Les gens les utilisaient parfois pour transmettre des messages, mais les Américains innovèrent de ce côté-là. Au début, ils imprimaient des publicités pour promouvoir toutes sortes de choses (idées, modes, idéologies, services, paysages célèbres, etc.) mais, peu à peu, des gravures abstraites les remplacèrent. Les publicités tendent de nouveau à apparaître.

Les cartes, un véhicule idéologique

Carte appartenant à un jeu dessiné par Jacques-Louis David sous la Terreur, dans lequel les dames incarnent des vertus ou des libertés nouvelles. Ainsi, l'ancienne dame de cœur personnifie la fraternité et la liberté de culte.

La hiérarchie traditionnelle des cartes n'est pas toujours respectée. Ainsi, dans certains jeux comme la belote (et son dérivé la coinche), le skat et le jass, le Valet (en allemand Bube, garçon) est la carte maîtresse à l'atout. En France, ceci renvoie à une symbolique révolutionnaire (le valet plus fort que le roi).

C'est en 1704 que, le père jésuite François Ménestrier (1631-1705), enseignant au collège de la Trinité à Lyon, considère que le jeu de cartes représente un état politique composé de quatre corps: les ecclésiastiques, gens de cœur; la noblesse militaire et ses armes, les piques ; les bourgeois aux maisons pavées comme des carreaux et les trèfles revenant tout naturellement aux paysans. Louis XIV en profite, aussitôt, pour lever un impôt sur chaque jeu[23].

Pendant la Révolution française, la carte devient un véritable tract politique : le 22 octobre 1793, la Convention interdit les signes de royauté et de féodalité. Le bonnet phrygien dissimule la couronne, un soleil cache la fleur de lys[23]. Puis des jeux furent imprimés remplaçant les rois par des génies, les dames par des libertés, les valets par des égalités[24] - [25].

Jeu de cartes sous la Révolution française
dessiné par Jacques-Louis David


Force / Génie de la guerre
Fraternité / Liberté des cultes
Sécurité / Égalité de devoirs


Force / Génie du commerce
Industrie / Liberté des professions
Courage / Égalité de couleur


Prospérité / Génie de la paix
Pudeur / Liberté du mariage
Justice / Égalité de droits


Goût / Génie des arts
Lumière / Liberté de la presse

Puissance / Égalité de rang

L'idée d'employer les jeux de cartes comme symbole politique a connu un renouveau en 2003 durant la guerre en Irak quand les soldats américains reçurent des jeux représentant les hauts responsables irakiens les plus recherchés, la valeur de la carte (roi en premier) reflétant la place dans le régime[26].

Formats contemporains

Au-delà des ensembles de cartes propres à un jeu de société donné et souvent à une zone géographique restreinte dont on ne parlera pas ici, on trouve un standard mondial qui dérive de la structure commune du Jeu de 52 cartes, en utilisant tout ou parties des valeurs de ces jeux (jeu de 32, 36, etc. cartes) et en variant les enseignes (couleurs) utilisées et dans le cas du Tarot en y ajoutant une nouvelle couleur dit d'atout.

Selon les zones géographiques, ce sont tel ou tel ensemble qui seront privilégiés, même si le standard international dérive du jeu français.

Notes et références

  1. Voir pages 116-117 in The Genius of China - 3,000 years of science, discovery and invention, Prion Books, 1983
  2. Voir page 55 in The shorter Science and Civilisation in China: an abridgement of Joseph Needham's original text - Volume 3, Colin A. Ronan, Cambridge University Press, 1986
  3. Voir Turfan Studies sur le site de la "Berlin - Brandenburgische Akademie der Wissenschaften"
  4. Voir pages 131-132 in Science and civilisation in China - Volume V : Chemistry and chemical technology - Part 1 : Paper and Printing, Joseph Needham & Tsuen-hsuin Tsien, Cambridge University Press, 1985 (edition de 2001) : Playing made of paper, written or printed with design, probably existed no later than the +9th century, when the relatives of a princess are said to have played the "leaf-game".
  5. (en) Joseph Needham et Colin A. Ronan, The shorter Science and civilisation in China: an abridgement by Colin A. Ronan of Joseph Needham's original text : 3, Cambridge University Press, (lire en ligne), p. 55
  6. Temple 2007, p. 130-131.
  7. Leo Mayer, Le Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, 1939, volume 38, pages 113–118
  8. International Playing Cards Society Journal, 30-3, page 139
  9. J. Brunet i Bellet, Lo joch de naibs, naips o cartas, Barcelona, 1886, cite dans le "Diccionari de rims de 1371 : darrerament/per ensajar/de bandejar/los seus guarips/joch de nayps/de nit jugàvem, voir aussi le site trionfi.com
  10. Jean-Pierre Etienvre, « Pour une sémantique du jeu de cartes en Espagne: analyse de la parasynonymie naipe/carta », dans Mélanges de la Casa de Velázquez, t. XV, Casa de Velázquez, (ISBN 84-499-3528-8, lire en ligne), p. 303-304
  11. Thierry Depaulis Brève histoire des cartes à jouer, dans Cartes à jouer et tarots de Marseille, éditions Alors Hors du Temps, 2004, page 33 :« ...le nouveau jeu se répand comme une trainée de poudre. Déjà fixé dans sa forme à quatre couleurs, doté de trois figures (sans dame), et de cartes numérales dans chaque série, il est connu dès 1377 à Florence et dans la vallée du Rhin »
  12. ibid.
  13. Voir pages 116-117 in The Genius of China - 3,000 years of science, discovery and invention, Robert Temple, Prion Books, 1983 - Extrait: « Playing cards spread to the West from China either through the Arabs or through the travelers such as Marco Polo who circulated during the Mongol Dynasty, when thre was such freedom of travel between Europe and Asia. In the seventeenth century, Valère Zani claimed that Venice was the first European city to have playing cards from China. It may well have been the case, but the earliest appearance in Europe of which can be certain is Germany and Spain by the year 1377. By 1379, we know they were being used in Italy and Belgium, and by 1381 in France. »
  14. Voir page 329 in Science and civilisation in China - Volume IV, Part 1, Joseph Needham & Ling Wang, Cambridge University Press, 1962 (ed 2004)
  15. Voir milieu de page 181 in Culture and Conquest in Mongol Eurasia, Thomas T. Allsen, Cambridge University Press, 2001
  16. Voir milieu de page 55 in The shorter Science and civilisation in China, Colin A. Ronan, Cambridge University Press, 1986
  17. Voir milieu de page 181 in Culture and Conquest in Mongol Eurasia, Thomas T. Allsen, Cambridge University Press, 2001 - Extrait: « Further, there is the suggestion that playing cards from China stimulated printing in Europe. »
  18. Voir aussi page 78 in Asia in the Making of Europe - Volume II: A Century of Wonder - Book 1, Donald F. Lach, The University of Chicago Press, 1970 (ed. 1994) - Extrait: « Chinese printed textiles, playing cards, and image prints which circulated in late medieval Europe certainly influenced the development of block printing there. » Mais rien ne permet de justifier de telles affirmations car il n'existe aucune trace de textiles ou d'images imprimés chinois parvenus en Europe au Moyen Âge, sans parler des cartes à jouer.
  19. Thierry Depaulis, Tarot, jeu et magie, Bibliothèque nationale, 1984, p. 35 : "C'est en 1442, à Ferrare, qu'est mentionné pour la première fois le jeu de carte da trionfi.", ancien nom du tarot.
  20. Julie Bordet-Richard, « Les cartes à jouer: le cartier, tailleur d'histoires », La Ficelle, (ISSN 2111-8914)
  21. Collectif,, « Cartes (droits sur), Dictionnaire de la Ferme générale », 2020-2024
  22. « le Quid »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?)
  23. Hubert Duez – Les cartes à jouer - Journal La Croix, p. 26, 20-21 septembre 2014
  24. Les cartes à jouer de la Révolution - Histoire Généalogie - La vie et la mémoire des hommes
  25. Souvenirs de Paris - Jeu de cartes Revolution française
  26. « Les dirigeants irakiens sur un jeu de cartes » (consulté le )

Annexes

Bibliographie

  • Zôé Grand-Wiemert, "OBJETS/La Molle de cartes à jouer", dans Histoires lyonnaises, carnet de recherches, juin 2019 (https://lyonnais.hypotheses.org/4642 consulté le 19 août 2019).
  • Gabriel Peignot, Recherches historiques et littéraires sur les danses des morts et sur l'origine des cartes à jouer, Librairie Victor Lagier, Paris, 1826 (lire en ligne).
  • Hyacinthe Chobaut, « Les maîtres-cartiers d'Avignon du XVe siècle à la Révolution », dans Provence historique, 1955, tom 5, fascicule 22, p. 5-84 (lire en ligne)
  • Dictionnaire de la Ferme générale, 2020-2024
  • Pierre Germa, « Dictionnaire des inventions », Berger-Levrault, 1986, p. 85 (ISBN 270130329X)
  • Robert Temple (trad. de l'anglais), Le génie de la Chine : 3 000 ans de découvertes et d'inventions, Arles, P. Picquier, , 288 p. (ISBN 978-2-87730-947-9)
  • Laetitia Laguzet, Les cartes dans l'art contemporain depuis le cubisme, Jeu et Divination thèse soutenue en mars 2011, Paris Sorbonne.

Articles connexes

Liens externes

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