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Biennat progressiste

Le Biennat progressiste (en espagnol : Bienio Progresista) est la brĂšve pĂ©riode de l’histoire politique contemporaine de l’Espagne s’étendant entre juillet 1854 et juillet 1856, au cours de laquelle le pouvoir exĂ©cutif fut exercĂ© par le Parti progressiste.

SuccĂ©dant Ă  une dĂ©cennie de domination du Parti modĂ©rĂ©, il se caractĂ©rise par des tentatives de rĂ©forme du systĂšme politique du rĂšgne d'Isabelle II visant Ă  renforcer les caractĂ©ristiques propres d’un rĂ©gime libĂ©ral, aprĂšs l’échec des gouvernement prĂ©cĂ©dents dans cette tĂąche.

Il commença avec la rĂ©volution de 1854, menĂ©e par le gĂ©nĂ©ral modĂ©rĂ© « puritain » Leopoldo O'Donnell, et s’acheva avec la renonciation du gouvernement du gĂ©nĂ©ral progressiste Baldomero Espartero.

Contexte: révolution de 1854 et fin de la Décennie modérée

ÀprĂšs la dĂ©mission de Juan Bravo Murillo fin 1852, les trois exĂ©cutifs qui se succĂ©dĂšrent gouvernĂšrent par dĂ©cret, ce qui fragilisait la Constitution de 1845. Les principales figures modĂ©rĂ©es, insatisfaisates de la politique de ceux-ci, avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©es par la reine mĂšre, Marie-Christine de Bourbon, qui exerçait de fait le contrĂŽle dans le rang du parti. Ainsi, Francisco MartĂ­nez de la Rosa, Alejandro Mon y MenĂ©ndez, et Leopoldo O'Donnell, figures de poids dĂ©sireuses de former un gouvernement qui restaure la confiance dans la Monarchie sans rester dans les mains du Parti progressiste, Ă©taient exclues de toute possible initiave.

En fĂ©vrier 1954, les premiĂšres protestations de rue se produisirent Ă  Saragosse, qui s’étendirent jusqu’en juillet Ă  toute l’Espagne. Le 28 juin 1854, le gĂ©nĂ©ral O'Donnell, qui Ă©tait restĂ© cachĂ© Ă  Madrid durant les persĂ©cutions contre les libĂ©raux et diffĂ©rents secteurs modĂ©rĂ©s, se joignit Ă  diffĂ©rentes troupes et affronta l’armĂ©e fidĂšle au rĂ©gime Ă  VicĂĄlvaro. Ce pronunciamiento, qui exigeait un gouvernement nouveau et la fin de la corruption, reçut le nom de « Vicalvarada » (qu’on pourrait traduire par « coup de VicĂĄlvaro »). Pour le mener, O'Donnell bĂ©nĂ©ficia du soutien de la France et du Royaume-Uni, Ă  travers leurs ambassades respectives[1] - [2]. Ce pronunciamiento fut le rĂ©sultat du rapprochement entre les modĂ©rĂ©s du gĂ©nĂ©ral NarvĂĄez, les modĂ©rĂ©s « puritains » et les progressistes, et fut motivĂ© par le rejet de la violation des usages parlementaires de la part de la Couronne. Ils formĂšrent un comitĂ© Ă©lectoral pour prĂ©senter des candidatures conjointes aux Ă©lections, dont l’objectif Ă©tait la conservation du rĂ©gime reprĂ©sentatif qu’ils considĂ©raient en danger. Les puritains Antonio de los RĂ­os Rosas et JoaquĂ­n Francisco Pacheco entrĂšrent en contact avec plusieurs militaires proches de leurs idĂ©es — comme O'Donnell — ou progressistes — comme les gĂ©nĂ©raux Domingo Dulce et Antonio Ros de Olano — pour organiser un pronunciamiento et ainsi obliger la reine Isabelle II Ă  remplacer le gouvernement du comte de San Luis par un autre d’« union libĂ©rale »[3].

Luis José Sartorius, comte de San Luis.

Le pronunciamiento fut lancĂ© par O'Donnell le 28 juin 1854, mais rencontra l’opposition avec les troupes fidĂšles au gouvernement dans la localitĂ© de VicĂĄlvaro, prĂšs de Madrid, — qui donna son nom Ă  la rĂ©bellion : « Vicalvarada » — fut indĂ©cis, si bien que les forces d’O'Donnell se retirĂšrent vers le sud, errant dans La Manche et se dirigeant vers le Portugal, dans l’attente que d’autres unitĂ©s militaires se joignent au mouvement. Cela ne se produisant pas, les conjurĂ©s prĂ©cisĂšrent leur programme libĂ©ral dans le but de susciter l’union de l’opposition au gouvernement et augmenter la pression sur la reine, Ă  travers le manifeste de Manzanares, Ă©crit par Antonio CĂĄnovas del Castillo, avec les conseils du gĂ©nĂ©ral Serrano, rendu public le 7 juillet et qui promettait la « rĂ©gĂ©nĂ©ration libĂ©rale » Ă  travers l’approbation une nouvelle loi sur la presse et une nouvelle loi Ă©lectorale, la convocation du Parlement, la dĂ©centralisation administrative et le rĂ©tablissement de la Milice nationale, des revendications classiques du Parti progressiste[4].

Au cours de leur retrait vers le sud, le gĂ©nĂ©ral O'Donnelle et ses troupes entrĂšrent en contact avec le gĂ©nĂ©ral Serrano. Avec d’autres, ils proclamĂšrent le 7 juillet 1854 le manifeste de Manzanares pour mobiliser la population civile du pays :

« Nous souhaitons la conservation du TrĂŽne, mais sans la camarilla qui le dĂ©shonore, nous souhaitons la pratique rigoureuse des lois fondamentales en les amĂ©liorant, surtout, l’électorale et celle sur l’imprimerie [
], nous souhaitons que soit respectĂ©s les emplois militaires et civils, l’anciennetĂ© et le mĂ©rite [
], nous souhaitons arracher les villes et villages de la centralisation qui les dĂ©vore, en leur donnant l’indĂ©pendance locale nĂ©cessaire pour qui soient conservĂ©s et augmentĂ©s leurs intĂ©rĂȘts propres, et comme garantie de cela nous souhaitons et nous Ă©tablirons sur de solides bases la Milice nationale. Telles sont nos intentions, que nous exprimons franchement sans les imposer pour autant Ă  la Nation. Les Juntes de gouvernements qui doivent se constituer peu Ă  peu dans les Provinces libres, les Cortes generales qui se rĂ©uniront plus tard, la Nation elle-mĂȘme, en fin, dĂ©cidera les bases dĂ©finitives de la rĂ©gĂ©nĂ©ration libĂ©rale Ă  laquelle nous aspirons. Nos Ă©pĂ©es sont consacrĂ©es Ă  la volontĂ© nationale et nous ne les rengaĂźnerons pas tant que celle-ci ne sera pas respectĂ©e. »

C’est alors que commença la deuxiĂšme phase de ce qui serait nommĂ© plus tard la « rĂ©volution de 1854 », sous l’impulsion des progressistes et des dĂ©mocrates, qui commencĂšrent l’insurrection le 14 juillet Ă  Barcelone et le 17 juillet Ă  Madrid, et secondĂ©e en d’autres lieux, oĂč des juntes furent Ă©galement constituĂ©es, comme Alzira, Cuenca, Logroño, Valence Saragosse. À Madrid, la vie de la reine mĂšre Marie-Christine de Bourbon elle-mĂȘme fut mise en danger, l’obligeant Ă  chercher refuge[5].

Le général Baldomero Espartero.

Face Ă  la dĂ©gradation de la sitution, Isabelle II destitua le 17 juillet le comte de San Luis et le remplaça par le gĂ©nĂ©ral Fernando FernĂĄndez de CĂłrdova. Celui-ci forma un gouvernement rĂ©unissant des modĂ©rĂ©s puritains et progressistes, mais il cĂ©da deux jours plus tard la prĂ©sidence au duc de Rivas, qui ne dura Ă  nouveau que deux jours lui-mĂȘme. La rĂ©volte populaire, avec Madrid rempli de barricades le 18 juillet, empĂȘcha les militaires insurgĂ©s O'Donnelle et Serrano d’accepter le compromis offert par le gouvernement. Le duc de Rivas tenta de rĂ©primer le soulĂšvement populaire — ce qui lui valut le surnom de « ministĂšre mitraille » —, pendant qu’il attendait le retour des troupes qui Ă©taient sorties de la capitale[6].

Finalement, la reine, peut-ĂȘtre sur le conseil de sa mĂšre, se dĂ©cida Ă  appeler le gĂ©nĂ©ral progressiste Baldomero Espartero, retirĂ© Ă  Logroño, pour qu’il forme un gouvernement, tout en demandant Ă  O'Donnelle de rentrer Ă  la cour. Espartero accepta en Ă©change de l’exigence de la convovation de CortĂšs constituantes, que la reine mĂšre rĂ©ponde des accusations de corruptions et qu’Isabelle publie un manifeste reconnaissant les graves erreurs commises. La reine accepta toutes ces conditions et publia le 26 juillet un manifeste adressĂ© au pays, dans lequel elle affirmait sa « complĂšte adhĂ©sion » aux idĂ©es du « duc de la Victoire » — c’est-Ă -dire Espartero —[7].

Le 28 juillet , Espartero faisait son entrée triomphable à Madrid, acclamé par la foule et fit des embrassades avec son ancien ennemi, le général O'Donnell, marquant le début du Biennat progressiste[8].

DĂ©roulement

Nouveau gouvernement et premiĂšre mesures

Seulement deux jours aprĂšs son entrĂ©e triomphale Ă  Madrid, le gĂ©nĂ©ral Espartero forma un gouvernement, dans lequel le gĂ©nĂ©ral O'Donnell exigea pour lui-mĂȘme le ministĂšre de la Guerre. Le modĂ©rĂ© puritain JoaquĂ­n Francisco Pacheco prit en charge le portefeuille de l’État, le reste des ministĂšres Ă©tant attribuĂ© Ă  des figures mineures des modĂ©rĂ©s puritains et des progressistes « tempĂ©rĂ©s »«_Los_ministros..._iban_a_tener_escasa_influencia_en_una_vida_polĂ­tica_dominada_por_los_dos_espadones._»_9-0">[9].

La premiĂšre mesure prise par le nouveau gouvernement supposa la premiĂšre dĂ©sillusion pour ceux qui avaient participĂ© Ă  l'insurrection populaire, Ă©tant donnĂ©es que les juntes rĂ©volutionnaires provinciales furent transformĂ©es en organismes consultatifs et les mesures qu’elles avaient approuvĂ©es furent suspendues, en particulier l’abolition des consumos — impĂŽts indirects sur les produits de premiĂšre nĂ©cessitĂ©, qui Ă©taient particuliĂšrement dĂ©testĂ©s au sein des classes populaires —, qui furent rĂ©tablis face Ă  l’impossibilitĂ©s de les remplacer par d’autres impĂŽts. La seconde dĂ©ception se produisit le 14 aoĂ»t, lorsque les manifestations d’ouvriers des travaux publics qui demandaient une hausse de salaire et l’interdiction du travail au forfait (qui s’opposait au travail Ă  la journĂ©e) fut rĂ©primĂ©e par la Milice nationale restaurĂ©e, dont la mission Ă©tait dĂ©sormais — selon le gouvernement — de dĂ©fendre le « nouvel ordre ». La troisiĂšme dĂ©ception arriva le 25 aoĂ»t, lorsque le gouvernement ne remplit pas son engagement de juger la reine mĂšre et la laissa quitter le pays sous prĂ©texte d’« expulsion » avec son mari AgustĂ­n Fernando Muñoz y SĂĄnchez pour se rendre au Portugal. Lorsque les dĂ©mocrates tentĂšrent de se soulever pour protester, la Milice nationale intervint de nouveau, les dĂ©sarma et les fit emprisonner[10].

CortÚs constituantes et débat sur la nouvelle Constitution

Le gouvernement tint sa promesse de convoquer des Ă©lections Ă  CortĂšs constituantes, qui furent cĂ©lĂ©brĂ©es selon la loi Ă©lectorale de 1837, qui augmentait considĂ©rablement le nombre d’électeurs, passant de 100 000 — ceux qui avaient le droit de vote durant la DĂ©cennie modĂ©rĂ©e — Ă  prĂšs de 500 000. De plus les districts uninominaux de la loi de 1846 furent remplacĂ©s par les districts provinciaux. Les Ă©lections se tinrent en octobre et se soldĂšrent par une victoire pour les candidats du gouvernement — avec 240 siĂšges — rassemblĂ©s dans une dĂ©nommĂ©e « union libĂ©rale » formĂ©e des modĂ©rĂ©s puritains, au sein desquels se dĂ©tachait un jeune Antonio CĂĄnovas del Castillo, et les progressistes tempĂ©rĂ©s, menĂ©s par Manuel Cortina. Les groupes d’opposition Ă©taient formĂ©s Ă  droite par les modĂ©rĂ©s — qui remportĂšrent une vingtaine de dĂ©putĂ©s — et Ă  gauche par les dĂ©mocrates, pour leur part menĂ©s par Salustiano de OlĂłzaga, Pedro Calvo Asensio et un jeune PrĂĄxedes Mateo Sagasta[11].

Les sessions des CortĂšs constituantes s’ouvrirent le 8 novembre 1854 et tout de suite commença le dĂ©bat sur la nouvelle Constitution qui devait remplacer celle de 1845. L’approbation d’une timide tolĂ©rance religieuse — seconde base du projet, aprĂšs avoir Ă©tabli que nation s’obligeait Ă  soutenir « le culte et les ministres de la religion catholique que professent les Espagnols », affirmait que personne ne serait pousuivi « pour ses opinions et croyances religieuses, tant qu’il ne les manifeste pas par des actes publics contraires Ă  la religion » — suscita les protestations des Ă©vĂȘques espagnols et la rupture des relations avec le Vatican, qui s’aggravĂšrent encore lorsque fut approuvĂ©e la loi de dĂ©samortissement gĂ©nĂ©rale civile et ecclĂ©siastique — connue comme le dĂ©samortissement de Madoz, en rĂ©fĂ©rence au ministre qui l’avait dĂ©fendue —. Les pressions de la hiĂ©rarchie catholique parvinrent jusqu’à la reine Ă  qui l’on dit qu’elle irait en enfer si elle sanctionnait la loi. Finalement, Isabelle II se rĂ©solut malgrĂ© tout Ă  le faire par crainte de perdre la Couronne et la loi fut promulguĂ©e le 1er mai 1855. Ce fut alors qu’apparurent quelques groupes carlistes, encouragĂ©s par les protestations clĂ©ricales. La proposition des dĂ©mocrates d’approuver une vĂ©ritable libertĂ© de culte fut rejetĂ©e par les autres groupes de la Chambre. Leur proposition d’établir une Ă©ducation primaire gratuite et le suffrage universel (masculin) ne furent Ă©galement pas acceptĂ©es[12].

GrÚve générale en Catalogne (1855)

Un des plus graves problĂšmes auxquels dut faire face le gouvernement d’Espartero fut l’augmentation de la conflictualitĂ© ouvriĂšre en Catalogne, et plus particuliĂšrement Ă  Barcelone, comme le mit en avant le conflit des selfactinas (es). À la diffĂ©rence du reste de l’Espagne, la rĂ©volution de 1854 avait eu dans la rĂ©gion une importante participation ouvriĂšre, et la nouvelle de l’accession au pouvoir du gĂ©nĂ©ral Espartero fut reçue avec joie parmi les classes populaires. GrĂące aux nouvelles libertĂ©s acquises et Ă  la relative tolĂ©rance du gouvernement, les associations ouvriĂšres prolifĂ©rĂšrent, dont trente en vinrent Ă  former une Junte centrale. Mais le nouveau capitaine gĂ©nĂ©ral de Catalogne, Juan Zapatero y Navas — surnommĂ© « GĂ©nĂ©ral Quatre Tirs » —, mit fin Ă  la tolĂ©rance et entama une politique de rĂ©pression du mouvement ouvrier incluant la condamnation Ă  mort et l’exĂ©cution du dirigeant ouvrier JosĂ© BarcelĂł, accusĂ© d’un supposĂ© dĂ©lit de vol avec assassinat. Le 21 1855, il interdit les associations ouvriĂšres et annula les conventions collectives entre patrons et travailleurs, qui avaient rĂ©gulĂ© le monde du travail depuis que les ouvriers du secteurs textiles avaient commencĂ© leur lutte contre l’utilisation des machines Ă  tisser selfactinas. De mĂȘme, il fit emprisonner et dĂ©porter de nombreux dirigeants ouvriers et rĂ©publicains afin de tenter de mettre fin aux grĂšves et aux problĂšmes posĂ©s par les ouvriers[13].

En rĂ©ponse, les ouvriers dĂ©clarĂšrent une grĂšve gĂ©nĂ©rale qui commença le 2 juillet 1855, la premiĂšre de l'histoire de l'Espagne. La grĂšve gĂ©nĂ©rale de 1855 s’étendit dans toutes les zones industrielles de la Catalogne, oĂč apparurent des drapeaux rouges avec le slogan « Vive Espartero. Association ou mort. Pain et travail ». Les grĂ©vistes ne revinrent au travail que lorsqu’Espartero mandata Ă  Barcelone un reprĂ©sentant personnel qui leur demandait de lui faire confiance, car il Ă©tait « un fils du peuple qui n’a jamais trompĂ© le peuple ». Alors, les associations ouvriĂšres Ă©laborĂšrent et envoyĂšrent Ă  Madrid un Ă©crit intitulĂ© « Exposition de la classe journaliĂšre aux Cortes », dans lequel ils demandaient la rĂ©gulation des relations du monde du travail Ă  travers une loi des associations ouvriĂšres, soutenu par 33 000 signatures Ă  travers le pĂ©riodiques ouvrier qu’ils avaient fondĂ© Ă  Madrid, El Eco de la Clase Obrera (« L’Écho de la Classe OuvriĂšre »)[14].

Crise de subsistance

Un autre problĂšme auquel le gouvernement dut faire face fut la crise de subsistance, qui constituait l’un des motifs de la mobilisation populaire durant la rĂ©volution de 1854 et qu’il aggrava de façon indirecte en permettant le maintien des exportations de blĂ© en Europe, oĂč la demande grandissait Ă  cause de la guerre de CrimĂ©e, qui avait paralysĂ© les exportations de grain russe. À cette situation difficile vint s’ajouter une Ă©pidĂ©mie de cholĂ©ra qui s’étendit dans tout le pays durant l’étĂ© 1854, avec des rĂ©surgences au cours des deux annĂ©es suivantes. Des rĂ©voltes eurent lieu, comme celle de Burgos Ă  l’automne 1854, oĂč fut empĂȘchĂ©e la sortie des vĂ©hicules transportant du blĂ© devant ĂȘtre embarquĂ© au port de Santander. Le gouvernement rĂ©agit en baissant les impĂŽts de consumos durant un temps et de recouri Ă  la milice pour rĂ©primer les troubles. DĂ©but 1856, lorsque furent rĂ©tablis les consumos Ă  cause des graves problĂšmes que traversait le TrĂ©sor public, les Ă©meutes de subsistance prolifĂ©rĂšrent[15].

La rĂ©gion la plus affectĂ©e par les rĂ©voltes de subsistance durant les premiers mois de 1856 fut la Castille, oĂč les Ă©meutiers protestaient contre la chertĂ© du pain. Dans quelques endroits ils brĂ»lĂšrent des fabriques de farine, entre autres, comme Ă  Valladolid, Palencia ou Medina de Rioseco, oĂč d’importantes quantitĂ©s de grains Ă©taient gardĂ©es. Le rapport prĂ©sentĂ© par le ministre du Gouvernement, Patricio de la Escosura, devant les CortĂšs le 24 juin 1856 niait que les Ă©meutes soient provoquĂ©es par la misĂšre mais prĂ©tendait qu’elles devaient ĂȘtre attribuĂ©es Ă  des instigateurs inconnus. Pour sa part, la municipalitĂ© de Valladolid affirmait que leur cause rĂ©sidait dans l’influence des ouvriers industriels de Barcelone, Valence et de l’Aragon, « imbus d’idĂ©es et d’habitudes nouvelles et pernicieuses qui s’étaient infiltrĂ©es dans les ouvriers de Castille, plus ignorants et dĂ©moralisĂ©s »[16].


Fin du biennat : contre-révolution de 1856

Le gĂ©nĂ©ral O'Donnell, encouragĂ© par le gĂ©nĂ©ral Serrano, profita de la conflictualitĂ© sociale des premiers mois de 1856 — Ă©meutes de subsistance en Castille, grĂšves en Catalogne, Ă©meutes contre les quintas (service militaire obligatoire) au Pays valencien) — pour faire un discours catastrophiste aux CortĂšs visant Ă  faire chuter le gouvernement progressiste Espartero, au pouvoir depuis le dĂ©but du Biennat, avec O'Donnell lui-mĂȘme comme ministre de la Guerre. Il assura que les mouvements revendicatifs Ă©taient inspirĂ©s par « le principe du socialisme », motivĂ©s par des idĂ©es qui, « jusqu’alors inconnues en Espagne, s’infiltrent aujourd’hui dans nos masses » et qui se rĂ©sumaient dans le slogan « Guerre Ă  celui qui possĂšde ! ». Ainsi, il affirma que le gouvernement devait mettre fin Ă  ces « crimes » qui Ă©taient « les plus grands que l’on puisse commettre [
]; il s’agit seulement de l'attaque contre la famille, contre la propriĂ©tĂ©, contre ce qui existe de plus sacrĂ© dans la sociĂ©tĂ© »[17].

Étant donnĂ© que des membres de la Milice nationale avaient participĂ© aux dĂ©sordres, O'Donnelle posa au gouvernement la question de son dĂ©sarmement et de s’en remettre Ă  l’armĂ©e pour mener la rĂ©pression. DĂ©but juillet 1856, le ministre du Gouvernement, Patricio de la Escorura, se rendit Ă  Valladolid pour juger sur place de la crise sociale et des actions rĂ©pressives des autoritĂ©s. Lorsqu’il revint Ă  Madrid le 9 juillet, il informa le prĂ©sident Espartero que les militaires avaient recours Ă  des mesures extrĂȘmes dans la rĂ©pression, soumettant des civils Ă  des conseils de guerre et en procĂ©dant Ă  des exĂ©cutions sommaires, ce qui l’amena Ă  proposer la destitution du ministre de la Guerre O'Donnell, qui en tant que tel en Ă©tait le responsable voire l’instigateur[18]. Il l’avertit Ă©galement qu’O'Donnell et Serrano conspiraient contre lui, et qu’il Ă©tait convaincu que les modĂ©rĂ©s se trouvaient derriĂšre les Ă©meutes de subsistance[19].

O'Donnell entra alors dans un affrontement direct avec Escosura au sein du gouvernement. Le conflit fut prĂ©sentĂ© devant la reine, qui donna son appui Ă  O'Donnell et acepta la dĂ©mission d’Escosura, qui fut suivie de celle d’Espartero, qui s’étant senti dĂ©lĂ©gitimĂ© par Isabelle, mais allĂ©gua des problĂšmes de santĂ©. Par la suite, la reine nomma O'Donnell prĂ©sident du Conseil des ministres, ce dernier atteignant ainsi son objectif d’en finir avec le gouvernement progressiste. Sa nomination, publiĂ©e le 14 juillet 1856, fut accompagnĂ©e de la dĂ©claration de l’état de guerre dans toute l’Espagne, en prĂ©vision des rĂ©voltes des progressistes et des dĂ©mocrates, et de la rĂ©action d’Espartero lui-mĂȘme. De plus, le « coup contre-rĂ©volutionnaire » — comme le nomme Josep Fontana — s’était produit durant la pĂ©riode de suspension estivale des CortĂšs commencĂ©e le 1er juillet, la sanction royale de la nouvelle Constitution, dĂ©jĂ  terminĂ©e, ayant Ă©tĂ© laissĂ©e en suspens[19].

La premiĂšre rĂ©action se produisit le jour mĂȘme, le 14 juillet, dans l’aprĂšs-midi, lorsqu’un groupe de 83 ou 91 dĂ©putĂ©s (selon les sources) sur 350 se rĂ©unirent au CongrĂšs pour voter de façon quasi-unanime le censure du nouveau gouvernement, proposĂ©e par le dĂ©putĂ© progressiste et ancien ministre du Budget, Pascual Madoz, car cela signifiait l’introduction d’« une politique diamĂ©tralement opposĂ©e » Ă  ce que les CortĂšs avaient manifestĂ© jusqu’alors. Ne parvenant pas Ă  ĂȘtre reçus par la reine, ils s’enfermĂšrent dans l’hĂ©micycle oĂč ils passĂšrent la nuit du 14 au 15 juillet. C’est alors qu’O'Donnell ordonna le bombardement de l’édifice. Les miliciens qui dĂ©fendaient les accĂšs au palais des CortĂšs abandonnĂšrent leurs positions, et Ă  11 h 30 les 43 dĂ©putĂ©s qui avaient rĂ©sistĂ© jusqu’alors — 37 progressistes et 6 dĂ©mocrates — abandonnĂšrent le bĂątiment et rentrĂšrent chez eux[20][21].

À ce moment, tous Ă©taient en attente de la rĂ©action du gĂ©nĂ©ral Espartero, dont dĂ©pendait l’issue de la contre-rĂ©volution orchestrĂ©e par O'Donnell. Ce fut par exemple le cas de la Milice nationale, qui Ă©tait disposĂ©e Ă  rĂ©sister et Ă  se se placer sous les ordres d’Espartero. Mais le gĂ©nĂ©ral refusa d’assumer la direction du mouvement d’opposition — ce qu’il justifia en affirmant que cela mettrait en danger la monarchie d’Isabelle II elle-mĂȘme — et, aprĂšs avoir poussĂ© le cri « Vive l’indĂ©pendance nationale ! », se retira de la vie politique — « il s’enfuit », dirent certains de ses partisans dĂ©senchantĂ©s —. Ceci facilita la victoire de l’armĂ©e, qui prit les rues de Madrid et fit mĂȘme usage de l’artillerie pour Ă©craser la milice[22]. Dans la matinĂ©e du 16 juillet, la rĂ©sistance avait disparu, le gouvernement dĂ©crĂ©tait la dissolution du conseil municipal et de la dĂ©putation provinciale de Madrid, et ordonnait aux membres de la Milice nationale de remettre leurs armes[21]. Espartero, qui Ă©tait restĂ© cachĂ© Ă  Madrid, prit congĂ© de la reine le 3 aoĂ»t et partit pour sa rĂ©sidence de Logroño[22].

La rĂ©sistance la plus acharnĂ©e fut l’Ɠuvre des classes populaires de Barcelone, au cris de « Vive Espartero ! », ignorant que celui-ci n’allait pas intervenir. Le 18 juillet, les participations Ă  une manifestation furent mitraillĂ©s sur ordre du capitaine gĂ©nĂ©ral Zapatero. Le lendemain les barricades furent dressĂ©es et le dimanche 20 juillet l’armĂ©e et les insurgĂ©s combattirent rue par rue. La ville fut bombardĂ©e depuis le chateau de MontjuĂŻc. Le jour suivant, les soldats assaillirent les barricades Ă  la baĂŻonnette, appuyĂ©s par l’artillerie, et ils mirent fin Ă  la rĂ©bellion le 22. Le bilan final fit Ă©tat de 63 morts chez les militaires et plus de 400 civils, sans compter les victimes ultĂ©rieures des « rĂ©prĂ©sailles sauvages ». Le consul français Ă  Barcelone dit que les insurgĂ©s avaient poussĂ© des cris de « Mort Ă  la reine p
, aux gĂ©nĂ©raux O'Donnell et Zapatero ! Guerre totale et d'extermination des riches, des fabricants et des propriĂ©taires », mĂȘlĂ©s de « Vive le gĂ©nĂ©ral Espartero ! » et « Vive la rĂ©publique dĂ©mocratique et sociale ! »[22]. L’ampleur de la rĂ©pression dĂ©ployĂ©e Ă  Barcelone par le capitaine gĂ©nĂ©ral Zapatero amena le pĂ©riodique El Centro Parlamentario Ă  demander de mettre fin Ă  ce bain de sang « au nom de ce qu’il y a de plus sacrĂ©, au nom de la religion et de l’honneur national », et Ă  soutenir le lieu commun selon lequel « dans aucun pays civilisĂ© on ne fusille autant qu’en Espagne ». Le 31 juillet, le dernier foyer de rĂ©sistance au coup contre-rĂ©volutionnaire se rendait Ă  Saragosse[21].

Une fois tous les mouvements de rĂ©sistance rĂ©primĂ©s et Espartero retirĂ© de la scĂšne politique, le gouvernement d'O'Donnell dĂ©crĂ©ta la suppression de la Milice nationale, destitua conseils municipaux et dĂ©putations provinciales, et rĂ©prima la presse. Le 2 septembre 1856, il dĂ©clara dĂ©finitivement fermĂ©es par dĂ©cret royal les CortĂšs constituantes, alors que la nouvelle Constitution n’avait pas encore Ă©tĂ© proclamĂ©e. Finalement, un autre dĂ©cret royal rĂ©tablit la Constitution de 1845, modifiĂ©e par un acte additionnel qui libĂ©ralisait son contenu, et marqua la fin du Biennat progressiste[23].

Notes et références

  1. (es) Vicente Pinilla Navarro, Conflictividad social y revuelta polĂ­tica en Zaragoza, 1854-1856, DiputaciĂłn General de AragĂłn, (lire en ligne), p. 206.
  2. (es) María Teresa Costa, La financiación exterior del capitalismo español en el siglo XIX, Barcelone, Edicions de la Universitat de Barcelona, (ISBN 84-7528-051-X, lire en ligne), p. 43.
  3. Vilches 2001, p. 47-49.
  4. Vilches 2001, p. 49.
  5. Vilches 2001, p. 49-50.
  6. Fontana 2007, p. 269.
  7. Fontana 2007, p. 269-270.
  8. Fontana 2007, p. 270.
  9. «_Los_ministros..._iban_a_tener_escasa_influencia_en_una_vida_política_dominada_por_los_dos_espadones._»-9" class="mw-reference-text">Fontana 2007, p. 272-273. « Los ministros... iban a tener escasa influencia en una vida política dominada por los dos espadones. »
  10. Fontana 2007, p. 270-271.
  11. Fontana 2007, p. 272-273.
  12. Fontana 2007, p. 273-274.
  13. Fontana 2007, p. 275-276.
  14. Fontana 2007, p. 276-277.
  15. Fontana 2007, p. 274-275.
  16. Fontana 2007, p. 282-283.
  17. Fontana 2007, p. 283-284.
  18. Fuentes 2007, p. 191-192.
  19. Fontana 2007, p. 284.
  20. Fontana 2007, p. 284-285.
  21. Fuentes 2007, p. 193.
  22. Fontana 2007, p. 285-286.
  23. Fontana 2007, p. 287.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • (es) Braulio DĂ­az Sampedro, « Derecho e ideologĂ­a en el bienio progresista », Anuario de la Facultad de Derecho, no 24,‎ , p. 159-175 (ISSN 0213-988X, lire en ligne)
  • (es) Josep Fontana, Historia de España, vol. 6 : La Ă©poca del liberalismo, Barcelone-Madrid, CrĂ­tica/Marcial Pons, (ISBN 978-84-8432-876-6)
  • (es) Juan Francisco Fuentes, El fin del Antiguo RĂ©gimen (1808-1868). PolĂ­tica y sociedad, Madrid, SĂ­ntesis, (ISBN 978-84-975651-5-8)
  • (es) Jorge Vilches, Progreso y Libertad : El Partido Progresista en la RevoluciĂłn Liberal Española, Madrid, Alianza Editorial, (ISBN 84-206-6768-4)

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