Bel Hadj El Maafi
Bel Hadj El Maafi (en arabe : بلحاج المعفي) parfois appelé Bel Hadj Ben Maafi (-) est un imam et mufti français et algérien né à l'oasis de Lichana, près de Biskra, qui exerce dans la ville de Lyon de 1923 à sa mort.
Intermédiaire privilégié des autorités françaises avec les Algériens de Lyon, il s'engage dans la Résistance et sauve de nombreux Juifs pendant la Seconde guerre mondiale.
Avant et pendant la guerre d'Algérie, El Maafi choisit de collaborer avec les autorités françaises et reste hostile à l'indépendance de l'Algérie. Ses liens avec les autorités françaises font de lui une cible et dans le cadre de la guerre des cafés (en), il est visé par un attentat du Front de libération nationale (FLN) auquel il survit.
Malgré les différents politiques ayant eu cours lors de la guerre d'Algérie, il reste très apprécié de la communauté musulmane de Lyon jusqu'à sa mort, notamment grâce à sa longévité ainsi qu'à ses visites aux prisonniers, aux malades et aux militaires musulmans, mais laisse un souvenir mitigé chez certains anciens militants du FLN.
Jeunesse et Entre-deux-guerres
Bel Hadj El Maafi naît le à l'oasis de Lichana[1], à dix kilomètres de la ville de Biskra, en Algérie française[2] - [3]. Il est issu d'une famille d'imams, son père Maafi l'est également[1] et son frère homonyme est aumônier militaire mort pour la France le à Vérone en Italie[4] lors de la Première Guerre mondiale[3] à l'âge de 21 ans. Sa mère, quant à elle, se nomme Salam Khadouje[1].
Après des études coraniques, il rejoint la France métropolitaine en 1923[5] - [6]. Il est envoyé à Lyon par la confrérie soufie Rahmaniyya à laquelle il appartient, et qui est alors la plus importante confrérie d'Algérie[3] - [7]. Il parle très mal français à son arrivée en Métropole mais apprend peu à peu[3]. Dès 1923, il devient aumônier militaire d'un régiment de tirailleurs[6].
En 1933, avec l'aide du maire de Lyon, Édouard Herriot et du préfet du Rhône, Achille Villey-Desmeserets, il demande l'ouverture du premier lieu de culte musulman à Lyon[8]. Cette demande est refusée par le ministre de l'Intérieur, Camille Chautemps, qui déclare[8] - [9] :
« Ces prétendus mokkadems cherchent, sous couvert de prosélytisme religieux, des avantages purement temporels, notamment des dons d'argent extorqués à leurs coreligionnaires musulmans. »
Dès les années 30, il collabore avec les autorités françaises ; il devient secrétaire adjoint du Comité de protection des travailleurs nord-africains, mais aussi auxiliaire du Service des nord-africains de la préfecture du Rhône, dont une des tâches est de surveiller la communauté algérienne et de repérer les individus indépendantistes[2] - [8]. Pour ce faire, il aide Julien Azario, un fonctionnaire de la préfecture, résistant français et Juste parmi les nations[10], dans sa tâche de surveillance[8].
À côté de ces liens, dans l'Entre-deux-guerres, El Maafi s'engage en tant qu'aumônier militaire, il rend par ailleurs visite aux condamnés à mort musulmans en prison à partir de 1931[5], comme Abdelkader Rakida, condamné à mort pour avoir tiré sur deux policiers venus l'interpeller[11]. Il est également actif dans l'aumônerie aux malades, intervenant souvent dans les hôpitaux[12].
Résistance
Lors de l'Occupation de la France, il rejoint la résistance où il semble avoir différents rôles. Tout d'abord, il semble renseigner la résistance intérieure française sur les résistants musulmans, pour éviter que des infiltrés et des collaborateurs puissent pénétrer la résistance. Dans ce cadre-là, il semble avoir coopté Djaafar Khemdoudi pour rejoindre la résistance, comme il l'exprime dans une lettre au gouverneur militaire de Lyon en 1946[5] - [13].
De plus, bien qu'il n'en ait manifestement jamais parlé, il aurait sauvé de nombreux Juifs séfarades marocains[14], notamment la communauté se trouvant dans la ville de Saint-Fons, selon un rapport des Renseignements généraux déclarant, en 1950, qu'il aurait[15] :
« profité bien souvent de ses fonctions d’interprète auprès de la brigade nord-africaine pour faire établir de fausses cartes d’identité aux israélites marocains, notamment ceux de la commune de Saint-Fons »
Ce sauvetage de Juifs de Saint-Fons est probablement à mettre en relation avec les actions de Djaafar Khemdoudi dans la même commune, où il sauve des enfants juifs[16]. Il agit de la sorte aussi en lien avec Jacob Kaplan, grand rabbin de France, et Pierre Gerlier, cardinal et archevêque de Lyon[17].
Il tresse aussi des réseaux avec la résistance spirituelle au nazisme, inhumant clandestinement les morts de la résistance et des bombardements en compagnie de frère Benoît, résistant, avec qui il conserve une relation amicale après la guerre, participant avec lui aux manifestations d'anciens résistants[5] - [13].
Après-guerre
La résistance comme ligne unificatrice
La Seconde guerre mondiale s'achevant, il continue de participer à des réunions d'anciens résistants et à manifester avec eux. Il représente les résistants algériens et les détenus de la prison de Montluc lors des cérémonies officielles, et s'exprime abondamment sur la Shoah dès les années 1945-1950[18]. El Maafi représente une idée de concorde nationale autour de la résistance, c'est le message qu'il cherche à exprimer dans ses prises de parole[18] ; cherchant à se rapprocher des communautés juives de France métropolitaine, dont un certain nombre sont issues d'Afrique du Nord et ont vécu dans les mêmes endroits que les musulmans[18].
La rupture de la guerre d'Algérie
Bel Hadj El Maafi est pris de court par la guerre d'Algérie, lui qui est pleinement inséré dans la société des anciens résistants, mais qui doit aussi faire face à l'indépendantisme et à l'anticolonialisme grandissant de ses compatriotes et coreligionnaires algériens se trouve dans une situation compliquée[8]. Il choisit de conserver une position anti-indépendantiste et les Renseignements généraux témoignent que[19] :
« Pendant les événements d’Algérie Bel Hadj el Maafi a toujours manifesté des sentiments pro-français. »
En raison de ses liens avec la France et la préfecture du Rhône, il est ciblé par un attentat auquel il survit le [20], en pleine guerre des cafés (en)[20]. L'auteur de l'attentat, Amar Akbache, refuse de le voir avant d'être guillotiné, le considérant comme un collaborateur de la puissance coloniale. Un certain nombre de prisonniers refusent ainsi de le voir avant d'être exécutés, bien qu'il se présente à eux[21].
Dernières années et mort
Il continue à participer aux commémorations de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah ainsi qu'à diriger sa mosquée, qu'il a obtenue entre-temps[3].
Le , il est fait officier de l'ordre national du mérite en raison de ses services rendus en tant qu'aumônier des hôpitaux[12] par le maire de Lyon, Louis Pradel puis chevalier de la Légion d'Honneur en 1984 et enfin commandeur de l'ordre national du mérite en 1989[19].
Il rencontre le pape Paul VI à Lyon en [2].
Il y meurt le à l'âge de 98 ans, très apprécié de la communauté musulmane pour ses nombreux déplacements auprès des familles de malades, des prisonniers et des militaires musulmans[2] mais laissant un souvenir mitigé chez certains anciens militants du FLN[21].
Décorations
- Commandeur de l'Ordre national du Mérite (après avoir été Officier)
- Officier de la Légion d'Honneur
Voir aussi
Références
- E. E. N., Jacques Lafitte et Stephen Taylor, « Who's Who in France: Paris », Books Abroad, vol. 28, no 4, , p. 452 (ISSN 0006-7431, DOI 10.2307/40093595, lire en ligne, consulté le )
- « L'imam Ben Maafi », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Solenne,. Jouanneau, Les Imams en France, (ISBN 978-2-7489-1160-2 et 2-7489-1160-1, OCLC 1153447129, lire en ligne)
- « Faire une recherche - Mémoire des hommes », sur www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr (consulté le )
- Marc André, « Commémorer et réprimer », dans Une prison pour mémoire : Montluc, de 1944 à nos jours, ENS Éditions, coll. « Sociétés, Espaces, Temps », (ISBN 979-10-362-0575-0, lire en ligne), p. 31–82
- Marc André, « Généalogies résistantes », dans Une prison pour mémoire : Montluc, de 1944 à nos jours, ENS Éditions, coll. « Sociétés, Espaces, Temps », (ISBN 979-10-362-0575-0, lire en ligne), p. 223–287
- Horizons Maghrébins - Le droit à la mémoire, PERSEE Program (lire en ligne)
- Neil MacMaster, Colonial migrants and racism : Algerians in France, 1900-62, St. Martin's Press, (ISBN 0-333-64466-2, 978-0-333-64466-9 et 0-333-68700-0, OCLC 35174905, lire en ligne)
- Geneviève Massard-Guilbaud, Des Algériens à Lyon : de la Grande Guerre au Front populaire, CIEMI, (ISBN 2-7384-3256-5 et 978-2-7384-3256-8, OCLC 33197336, lire en ligne)
- « Dosssiers », sur Comité Français pour Yad Vashem (consulté le )
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- Rue89Lyon, « Désolé, Eric Zemmour, mais on compte de nombreux ‘Mohamed’ dans la Résistance », sur Rue89Lyon, (consulté le )
- Par Times of Israel Staff et Glenn Cloarec, « Abdelkader Mesli, l’imam parisien qui a sauvé des Juifs pendant la Shoah », sur fr.timesofisrael.com (consulté le )
- Renseignements Généraux, « Dossier personnel Bel Hadj el Maafi (no 030308). Note d’information du 6 juin 1950. », Renseignements Généraux,
- « Vaulx-en-Velin. Djaafar Khemdoudi, héros de la Résistance française », sur www.leprogres.fr (consulté le )
- https://www.facebook.com/actu.fr, « Chronique histoire. 8 mai 1945 : la capitulation de l'Allemagne met fin aux persécutions religieuses des nazis », sur actu.fr, (consulté le )
- Marc André, Une prison pour mémoire Montluc, de 1944 à nos jours, ENS Éditions, (ISBN 979-10-362-0575-0, OCLC 1363109813, lire en ligne) :
« À travers lui se manifeste aussi la volonté de montrer des relations interconfessionnelles pacifiées : alors que la vie des Juifs et celle des musulmans étaient entremêlées en France depuis la première guerre mondiale, et que les conditions de l’Occupation ont dégradé leurs interactions en France27, Bel Hadj el Maafi incarne la bonne entente retrouvée. La présence de Bel Hadj el Maafi à toutes les commémorations montre la volonté d’afficher une France réconciliée, rassemblant la métropole et ses colonies, et unifiée, le présent s’appuyant sur le passé pour façonner un avenir fait de solidarités. »
- Marc André, « La séparation des mémoires », dans Une prison pour mémoire : Montluc, de 1944 à nos jours, ENS Éditions, coll. « Sociétés, Espaces, Temps », (ISBN 979-10-362-0575-0, lire en ligne), p. 417–460
- Paul-Marie Atger, « Le Mouvement national algérien à Lyon: Vie, mort et renaissance pendant la guerre d'Algérie », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 104, no 4, , p. 107 (ISSN 0294-1759 et 1950-6678, DOI 10.3917/ving.104.0107, lire en ligne, consulté le )
- Marc André, « Le temps de la lutte, la lutte contre le temps », dans Une prison pour mémoire : Montluc, de 1944 à nos jours, ENS Éditions, coll. « Sociétés, Espaces, Temps », (ISBN 979-10-362-0575-0, lire en ligne), p. 289–363