Antoine de Jomini
Antoine Henri, baron de Jomini, né le à Payerne (Confédération des XIII cantons) et mort le dans le 16e arrondissement de Paris (France), est un historien et stratège militaire suisse. Il a fait partie des États-majors de Napoléon et du tsar Alexandre Ier.
Antoine de Jomini | ||
Jomini en tenue de général russe. | ||
Naissance | Payerne (Confédération des XIII cantons) |
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Décès | (à 90 ans) Paris 16e (anc. Passy) (Empire français) |
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Origine | Suisse | |
Allégeance | République helvétique (1798-1801) Empire français (1803-1813) Empire russe (1813-1829) |
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Grade | Général de brigade | |
Conflits | Guerres napoléoniennes Guerre russo-turque de 1828-1829 |
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Distinctions | Baron de l'Empire | |
Autres fonctions | Banquier et historien | |
Hautement célébré de son vivant, Jomini est un historien reconnu des guerres napoléoniennes et un stratège exceptionnel de l’histoire militaire occidentale. Son Précis de l’art de la guerre, en particulier, fut considéré au XIXe siècle comme le guide le plus méthodique et le plus complet sur les mécanismes des opérations militaires. Il a été enseigné dans les écoles d’État-major de Russie, d’Angleterre, d’Allemagne, de France, de Belgique et des États-Unis.
Biographie
Jeunesse
Il naît dans le pays de Vaud. Sa famille est citée dans les archives de la ville de Payerne dès 1340[1] ; elle appartient à la bourgeoisie aisée et occupe depuis des générations, des fonctions de banneret, ou d'avoyer. Dès ses 12 ans, il est attiré par la carrière militaire et cherche à entrer à l'école militaire du prince de Wurtemberg à Montbéliard. Ce projet avorte en raison du déménagement de l'école à Stuttgart. Puis, quand peu après sa famille veut lui acheter une charge dans le régiment de Watteville alors au service de la France, les événements révolutionnaires y feront obstacle.
Jomini est alors envoyé à Aarau, pour se préparer à une carrière commerciale dans la « Pension mercantile pour jeunes Messieurs » qu'Emmanuel Haberstock y a fondée. Il travaille effectivement quelque temps dans une banque.
Carrière militaire
En 1798, il est secrétaire du ministre de la Guerre de la République helvétique, et en devient l'adjoint en 1800, avec le grade de chef de bataillon. Mais il démissionne dès 1801.
Autodidacte de génie, il est découvert en 1803 par le maréchal Ney qui l’aide à publier ses premières œuvres (Traité de grande tactique). Il commence sa carrière militaire comme volontaire dans l’armée française au camp de Boulogne sous les ordres du maréchal Ney et acquiert rapidement une grande renommée pour ses écrits. Napoléon l'appelle à l'État-major de la Grande Armée. Il participe à la campagne d’Allemagne en 1805, à la campagne de Prusse en 1806 (Iéna, Auerstaedt), à la campagne de 1807 en Pologne (Eylau). Il est récompensé de sa conduite lors de cette bataille par sa nomination au grade de chevalier de la Légion d'Honneur le . Pour le remercier de ses services, Napoléon le fait baron de l'Empire, par lettres patentes du .
Il participe ensuite à la campagne d'Espagne durant laquelle il est promu au grade de général de brigade le .
Il participe aussi à la campagne de Russie comme gouverneur de Vilnius, puis gouverneur de Smolensk. Il découvre le passage de Studienka, sur la Bérézina, qui permet à la Grande Armée d'échapper à Wittgenstein et à une destruction totale. Bien que gravement malade, il parvient à rentrer en France. En 1813, il participe comme chef d’état-major du maréchal Ney, aux batailles de Lützen et de Bautzen. Pour sa contribution au succès de cette journée, le maréchal Ney le place en tête du tableau d’avancement pour une nomination au grade de général de division. La requête est rejetée par le maréchal Berthier pour un motif futile. Ulcéré de cet affront, Jomini décide de trahir la France pour rejoindre l’armée russe où l'attend depuis des années la promesse d'une carrière brillante.
Il sert dans l'armée russe d’abord avec le grade de général de division (lieutenant général) et devient aide de camp de l'empereur Alexandre Ier. À son tour, Nicolas Ier se l’attache comme conseiller privé et le nomme général en chef en 1826. Il participe comme conseiller du tsar à la campagne de Turquie de 1828. Jomini est à nouveau consulté lors de la guerre de Crimée en 1854. Le tsar Nicolas Ier le charge d'étudier une réforme de l'enseignement militaire et de revoir les plans des forteresses de l'Empire. De plus, il reçoit la charge de précepteur militaire du tsarévitch Alexandre, qui sera plus tard le tsar Alexandre II, grand réformateur de la Russie. Il pose les bases de l’Académie militaire et consacre à ce projet beaucoup de temps et d’énergie. Des intrigues l’empêchent de devenir le premier directeur de cette académie.
Napoléon III le consulte pour la campagne d'Italie en 1859.
Jomini historien
Jomini est l'auteur d'une très importante œuvre d'historien et de critique militaire. Il est l'auteur en particulier du Traité des grandes opérations militaires, contenant l'histoire critique des campagnes de Frédéric II qui lui permet une approche profondément originale de l’art militaire et de forger ses propres convictions en matière de stratégie. Puis entre 1820 et 1824 paraît son Histoire des Guerres de la Révolutions en 15 volumes, à laquelle se réfèrent de nombreux historiens, notamment Thiers. Il publie en 1827, après la mort de Napoléon à Sainte-Hélène, une passionnante Vie politique et militaire de Napoléon en 4 volumes écrite à la première personne, et si crédible que cela lui valut le surnom de « devin de Napoléon ». Cet ouvrage est traduit et publié aux États-Unis en 1864 par Henry Wager Halleck, général américain engagé dans la guerre de Sécession.
D’autres œuvres historiques, qui s’inspirent des « Souvenirs » du général Jomini, ont été publiées après sa mort, comme son Précis politique et militaire des campagnes de 1812 à 1814, publié par Ferdinand Lecomte en 1886, ou sa Guerre d’Espagne publiée en 1892.
Il meurt en 1869 au no 129 rue de la Tour (16e arrondissement de Paris)[2].
Ĺ’uvre
Jomini est consacré de son vivant comme le premier expert d’Europe en matière de stratégie militaire. Ses nombreux ouvrages ont assuré sa réputation. Son Traité de grande tactique se divise, au fil des volumes, en deux ouvrages distincts, le Traité des grandes opérations militaires, relatif aux campagnes de Frédéric II, et l’Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution.
À l’issue de la guerre russo-turque de 1828–1829, Jomini décide de rassembler dans un ouvrage l’ensemble de ses considérations théoriques, pour que celles-ci constituent une introduction au Traité. En 1836, devenu précepteur du prince impérial, il remanie son texte, l’enrichit et en fait le Précis de l’art de la guerre.
Le Traité des grandes opérations militaires
Dans son Traité, Jomini veut démontrer la supériorité du système de guerre de Napoléon sur celui de Frédéric II. Il fustige les généraux autrichiens qui, avec leur système de défense en cordon, commettent la faute grossière de vouloir tout couvrir. Il faut, face à cela, tenir son armée concentrée sur une seule ligne d’opérations et manœuvrer sur les lignes intérieures pour accabler successivement les fractions de l’armée ennemie. Jomini se fait l’avocat de l’offensive, qui donne l’initiative des mouvements : vérité parfaitement illustrée, selon lui, par la marche de la Grande Armée en 1805. Cet avantage dispense de marcher en masse, tant que l’armée n’a pas atteint le point où elle doit rencontrer et combattre l’ennemi. La dispersion précède la concentration. Le but suprême est la destruction de l’armée ennemie.
L’Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution
Dans son Histoire des guerres de la révolution, Jomini aborde toutes les dimensions du conflit, politiques, diplomatiques, opérationnelles, maritimes et coloniales. Il laisse aussi transparaître sa conception des relations internationales. Pour lui, chaque État essaie d’étendre le rayon de sa puissance. Ce tropisme est légitime tant qu’il ne cause pas à l’humanité de commotions trop violentes. Dans certaines limites, Jomini accepte que des conquêtes résultent d’une telle politique. Il estime toutefois qu’il existe un petit nombre de problèmes généraux dont la solution appartient à toute l’Europe, notamment les principes sur le droit des états neutres, sur un équilibre maritime et sur la balance politique du continent. Jomini est partisan d’un équilibre européen, maintenu au besoin par des guerres d’intervention, et il est hostile à toute domination des mers.
Le Précis de l’art de la guerre
Le Précis représente l’aboutissement de la pensée de Jomini. Il contient cinq branches : la politique de la guerre, la stratégie, la grande tactique, la logistique et la tactique de détail. Jomini entend par politique de la guerre différentes combinaisons, qui appartiennent plus ou moins à la politique diplomatique et par lesquelles un homme d’État doit juger si une guerre est convenable, ou même indispensable, et déterminer les diverses opérations qu’elle nécessitera pour atteindre son but. Il inclut ensuite dans la politique militaire toutes les combinaisons d’un projet belliqueux autres que celles de la politique diplomatique et de la stratégie, comme les passions des peuples, les institutions militaires, les ressources et les finances, le caractère du chef de l’État, celui des chefs militaires, etc. La stratégie est l’art de bien diriger les masses sur le théâtre de la guerre, soit pour l’invasion d’un pays, soit pour la défense du sien. La grande tactique est l’art de bien combiner et bien conduire les batailles. La logistique désigne l’art pratique de mouvoir les armées et la tactique de détail la manière de disposer les troupes pour les conduire au combat.
D’une façon générale, le Précis noie quelque peu les enseignements de la guerre napoléonienne dans un ensemble de considérations qui peuvent faire croire à une volonté de retour à une stratégie plus prudente, où l’objectif est l’occupation de territoires plutôt que la destruction de l’armée ennemie. La stratégie est abordée avec un ensemble de définitions et de démarches conçues en termes d’espace.
Préceptes stratégiques
Les préceptes énoncés par Jomini sont tirés de l’observation des multiples campagnes militaires d’Alexandre le Grand, César, Frédéric II et Napoléon.
Dans un premier temps :
- localiser précisément les fronts droit, centre et gauche de l’ennemi ;
- comparer les forces de chaque armée ;
- attaquer Ă©nergiquement sur celui qui semble le plus faible.
Dans un second temps :
- poursuivre l’ennemi avec énergie ;
- en montagne, couvrir le front avec de petits détachements, pour repérer l’ennemi, puis l’attaquer avec le gros de ses troupes, avant sa concentration ;
- manœuvrer de manière à couper l’ennemi de ses bases.
Certains principes ont été repris dans la théorie de la guerre de blindés en général, alors que Clausewitz disparaissait peu à peu des pensées :
- prendre l’initiative des mouvements ;
- attaquer le point le plus faible ;
- combiner force et mobilité dans l’offensive ;
- disperser l’ennemi par de fausses attaques ;
- des trois alternatives, défensive, offensive, ou une combinaison des deux, choisir soit la deuxième soit la troisième ;
- si la supériorité d’une armée face à une autre est vraiment forte, elle aura tout intérêt à ne pas concentrer ses forces, mais à attaquer en deux points, comme les deux ailes.
Postérité
Jomini reste avant tout, avec Clausewitz, le grand interprète de la mutation opérée dans l’art de la guerre par Napoléon. À la différence du stratège prussien, Jomini n’a pas analysé en profondeur les liens entre politique et stratégie.
Mais il a donné à la théorie de la stratégie des bases conceptuelles qu’elle n’a pas encore reniées, même si elles sont dépassées à l’âge nucléaire. Jomini a imposé le terme de stratégie dans son acception opérationnelle, il a répandu les notions de lignes d’opérations, de manœuvres sur lignes intérieures, de position centrale, de logistique. Il a exercé une influence énorme sur toutes les armées d’Europe et d’Amérique de 1815 à 1871 au moins. Si la première moitié du XXe siècle a été marquée par des guerres d’extermination très coûteuses en vies humaines, les guerres de la fin du siècle ont été remportées en appliquant les préceptes stratégiques énoncés par Jomini.
Voir aussi
Ouvrages de Jomini
- Traité de grande tactique, 1805
- Histoire critique et militaire des guerres de la RĂ©volution, 1810
- Traité des grandes opérations militaires, 1811
- Vie politique et militaire de Napoléon, 1827
- Précis de l'art de la guerre, 1838
RĂ©Ă©ditions :
- Précis de l’art de la guerre, cartes et plans hors texte, volume relié, éditions Ivrea / fonds Champ Libre, 1994 ;
- The art of War, London Greenhill Books, 1996 ;
- Les guerres de la RĂ©volution, Hachette, 1998, 2010 ;
- Précis de l’Art de la Guerre, éditions Ivrea / fonds Champ Libre, 1994 ; édition abrégée présentée par Bruno Colson, Perrin, 2001.
Ouvrages sur Jomini
- Ferdinand Lecomte, Le général Jomini, sa vie ses écrits : esquisse biographique et stratégique, Lausanne, 1860 ;
- Charles-Augustin Sainte-Beuve, Le général Jomini, étude, Paris, 1869 ;
- Xavier de Courville [3], Jomini, le devin de Napoléon, préface de Jacques Bainville, Paris, Plon, 1935 ;
- Lucien Poirier, Les voix de la stratégie : généalogie de la stratégie militaire Guibert, Jomini, Paris, Fayard, coll. « Géopolitiques et stratégies », , 488 p. (ISBN 978-2-213-01621-4) ;
- C. Brinton, G.A. Craig, F. Gilbert, « Jomini », in Les maîtres de la stratégie, s.dir. E. M. Earle, vol. I, Flammarion, coll. « Champs », 1987 ;
- Bruno Colson, La culture stratégique américaine. L’influence de Jomini, Economica, Bibliothèque stratégique, 1993 ;
- Jean-François Baqué, L'homme qui devinait Napoléon : Jomini, Paris, Perrin, , 293 p. (ISBN 978-2-262-01017-1).
- Jean-Jacques Langendorf, Faire la guerre : Antoine-Henri Jomini, t. 1 : Chronique, situation et caractère, Genève, Georg éd, , 388 p. (ISBN 978-2-8257-0770-8) ;
- Ami-Jacques Rapin, Jomini et la stratégie : une approach historique de l'œvre, Lausanne, Editions Payot, coll. « Histoire », , 336 p. (ISBN 978-2-601-03297-0) ;
- Ami-Jacques Rapin, Guerre, politique, stratégie et tactique chez Jomini, A.-J. Rapin, , 164 p. (ISBN 978-1-5123-2744-1, OCLC 1013908181) ;
- Jean-Jacques Langendorf, Faire la guerre : Antoine-Henri Jomini, t. 2 : Le penseur politique, l'historien, le stratégiste, Genève, Georg éd, , 497 p. (ISBN 978-2-8257-0772-2) ;
- Andreï Merzalov, Liudmila Merzalova, Antoine-Henri Jomini : Der Begründer der wissenschaftlichen Militärtheorie, Eine Bewertung aus russicher Sicht, VDF, 2004, Zürich ;
- Antoine-Henri Jomini, Des premières années à la guerre d'Espagne, Payerne Sierre, Société suisse d'études napoléoniennes Editions à la carte, , 207 p. (ISBN 978-2-88464-883-7) ;
- Alain Chardonnens, Les batailles de Iéna (1806) et d'Eylau (1807) racontées par le général Antoine-Henri Jomini, Vaudois au service de Napoléon Ier, Fribourg Sierre, Société suisse d'études napoléoniennes Editions à la carte, , 111 p. (ISBN 978-2-88464-837-0) ;
- Renée-Paule Guillot, Jomini, âme double de Napoléon, Monaco, Alphée, , 297 p. (ISBN 978-2-7538-0241-4, BNF 41103824) ;
- Jacques Forgeas, Le jumeau de l'empereur : roman, Paris, Ed. de la Loupe, , 428 p. (ISBN 978-2-84868-281-5, BNF 42204598).
Articles connexes
Notes et références
- D.L. Galbreath, Armorial vaudois, tome II, Baugy sur Clarens, 1936.
- Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, Éditions de Minuit, septième édition, 1963, t. 2 (« L-Z »), « Rue de la Tour », p. 563-564.
- Xavier de Courville est l'arrière-petit-fils du général Jomini.
- Aurélien Rouquet, « Jomini, le « devin de Napoléon » qui inventa la logistique », sur The Conversation, .