Abbaye de Savigny
L'abbaye de Savigny est une ancienne abbaye de l'ordre de Savigny, puis cistercienne, située sur le territoire de la commune française de Savigny-le-Vieux, dans le département de la Manche, en région Normandie. Fondée en 1112-1113 par Raoul de Fougères et son épouse Amicia pour l'ermite Vital de Mortain, elle devint abbaye-mère de l'ordre de Savigny et fut chef-d'ordre de 74 monastères. En 1147, elle s'affilia (avec tout l'ordre savignien) à l'ordre de Cîteaux, dont elle était spirituellement proche.
Abbaye de Savigny | ||||
Porte Saint-Louis, sortie du cloître, mur sud. | ||||
Diocèse | Avranches | |||
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Numéro d'ordre (selon Janauschek) | CCXXXVIII (238)[1] | |||
Fondation | 1112 | |||
Cistercien depuis | ||||
Dissolution | 1791 | |||
Abbaye-mère | Clairvaux | |||
Lignée de | Clairvaux | |||
Abbayes-filles | 239 - Beaubec (1148-1790) 240 - Les Vaux-de-Cernay (1147-1790) 241 - Furness (1147-1537) 242 - Chaloché (1147-1790) 243 - Foucarmont (1147-1791) 244 - Neath (1147-1539) 245 - Gouffern (1147-1790) 246 - La Boissière (1147-1790) 247 - Aunay (1147-1791) 248 - Quarr (1131-1536) 249 - Basingwerk (1147-1536) 250 - Combermere (1147-1539) 251 - Fontaine-les-Blanches (1147-1791) 255 - Longvillers (1147-1791) 256 - Stratford Langthorne (1147-1538) 257 - Buildwas (1147-1536) 259 - Buckfast (1147-1539) 262 - Sainte-Marie de Dublin (1147-1539) 263 - Coggeshall (1140-1538) 264 - La Vieuville (1137-1790) 420 - Bon-Repos (1172-1790) 444 - Barbery (1176-1790) 484 - Champagne (1188-XVIIIe siècle) |
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Congrégation | Savigniens (1112-1147) Cisterciens (1147-1791) |
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PĂ©riode ou style | Architecture romane | |||
Protection | Classé MH (1924)[2] | |||
Coordonnées | 48° 30′ 16″ nord, 1° 01′ 46″ ouest[3] | |||
Pays | France | |||
Province | Duché de Normandie | |||
RĂ©gion | Normandie | |||
DĂ©partement | Manche | |||
Commune | Savigny-le-Vieux | |||
GĂ©olocalisation sur la carte : Manche
GĂ©olocalisation sur la carte : Basse-Normandie
GĂ©olocalisation sur la carte : France
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L'ancienne abbaye est partiellement classée aux monuments historiques.
Historique
Vital de Mortain, né vers 1050, à Tierceville, près de Bayeux, fut chapelain de Robert de Mortain et chanoine de la collégiale de Mortain. Ses nombreux talents et qualité lui valurent une réputation méritée. L'ermitage qu'il avait créé à Dompierre en Mantilly (conformément à ses goûts de retraite) était devenu insuffisant pour les nombreux solitaires qui se joignaient à lui.
Vital fonda l'abbaye de Savigny, au milieu d'une forêt sauvage obtenue auprès de Raoul de Fougères (1112)[4] (Raoul refuse son départ, mais tombe malade. Les prières de Vital le sauvent). La communauté réunie autour de Vital s'établit de façon assez sommaire près du ruisseau du Moulin du Pré, « sur les ruines de l'ancien château des seigneurs de Fougères », écrit Dom Auvry ; peu à peu, les dépendances s'élèvent et la première église en bois, commencée par saint Vital, achevée par son successeur saint Geoffroy, est dédicacée en 1124 et dédiée à la Sainte Trinité. À cette fête assistent les évêques d'Avranches et des diocèses voisins, les seigneurs des environs venus reconnaître la nouvelle abbaye et offrir leurs libéralités ; le fils de Raoul Ier, Henri, baron Fougères, qui d'ailleurs se fera moine à Savigny, se distingue par sa générosité, suivant en cela l'exemple de son père.
Il s'agit d'un monastère double : un monastère d'hommes, auquel est associé un monastère de femmes, cinq-cents pas plus loin, à « la Prise aux Nonnes », à l'entrée de la forêt[5]. En 1120, les moniales sont déplacées au prieuré de la Blanche (ou abbaye Blanche), près de Mortain[5]. L'abbaye se développe rapidement et saint Vital meurt en 1122 après avoir fondé trois nouvelles maisons. Geoffroy, abbé de 1122 à 1139, organise la vie claustrale et institue le premier chapitre. La communauté compte alors plus de cent moines et elle essaime surtout en Normandie et en Angleterre.
À ce stade de son évolution, l'abbaye de Savigny compte treize monastères en Angleterre et un à Dublin : leur nombre croît régulièrement. Cette extension considérable commence à poser problème : certaines abbayes anglaises souhaitent s'affranchir de la tutelle de l'abbaye-mère de Savigny, principalement celle de Furness qui a déjà essaimé sur plusieurs sites. Pour éviter toute sécession, après avoir pris conseil près de saint Bernard, Serlon, quatrième abbé de la congrégation, choisit de réunir la famille de Savigny à celle de Cîteaux dont elle se sent très proche ; la fusion se fait en 1147 avec l'accord du Pape Eugène III. Savigny devient la cinquième filiale de l'ordre de Cîteaux dont elle adopta l'habit et les règles monastiques. L'abbaye fut chef-d'ordre de 74 monastères[6].
L'Ă©glise abbatiale, qui subsistait en 1789, fut construite en 1200-1230[7]. L'archevĂŞque de Rouen la consacre en 1220[4]. Cinq religieux de cette abbaye ont eu les honneurs de la canonisation :
- saint Vital ;
- saint Geoffroy ;
- saint Pierre d'Avranches ;
- saint Guillaume ;
- saint Hamon ;
auxquels il faut ajouter sainte Adeline, sœur de saint Vital, qui fonda l'abbaye blanche de Mortain. La translation définitive de leurs reliques eut lieu en l'an 1248.
En 1172, le roi d'Angleterre y rencontre les Ă©missaires du pape concernant l'assassinat de Thomas Becket[4]. Le vendredi , Saint Louis se recueillit Ă l'abbaye[8]. Pierre-Daniel Huet, Ă©vĂŞque d'Avranches s'y rend en 1696.
En , par ses lettres patentes, le roi Louis XI (1423-1483) confirma sa protection royale octroyée par ses prédécesseurs[9]. Le sac de l'abbaye de Savigny par les calvinistes, en 1562, avait porté un rude coup à ce monastère, qui depuis lors périclita. Elle fut pillée et brûlée par les Protestants compagnons de Gabriel de Montgomery[4]. La Révolution de 1789 expulsa les moines et, depuis, un vandalisme cupide acheva de détruire l'important chef-d'œuvre. Le mobilier fut vendu, les bâtiments furent détruits pour servir de carrière de pierre[4].
Description
L'architecture de l'abbaye, était gigantesque[note 1] avant sa destruction quasi-totale au XIXe siècle : superficie de l'église abbatiale de 3 256 m2, 82 m de longueur, 50 m de largeur au niveau du transept, 27 m au niveau de la nef, flèche de 70 m, quinze autels, soixante-seize vitraux et trois rosaces de six mètres. Son chevet à cinq chapelles rectangulaires inscrites dans une enveloppe demi-circulaire reproduisait ceux de Clairvaux et de Pontigny[7].
Ruines de l’abbaye
Après sa vente à la Révolution française, comme bien national, l’abbaye est devenue une carrière de pierre, les démolisseurs s’employant à arracher, y compris à l'aide d'explosifs, tous matériaux de construction et en particulier les pierres de taille de parements des murs, ne laissant souvent que quelques moignons de la grosse maçonnerie interne, moellons hourdés au mortier de chaux.
Il ne resterait sans doute rien aujourd’hui de cette très importante abbaye, ancien chef-d’ordre, si, au milieu du XIXe siècle, Arcisse de Caumont n’était intervenu en achetant de ses deniers le vestige le plus connu dit « porte Saint-Louis » qui donnait accès du cloître au grand réfectoire : c'est cette partie qui est classée aux monuments Historiques. Divers dégagements ont été faits alors, mais depuis cette période la végétation et le lierre avaient recouvert les parties hautes des ruines, enserrant les maçonneries et les pénétrant profondément.
Les vestiges aujourd’hui conservés sont les restes très irréguliers en hauteur (0 à 7 m) d'une muraille épaisse de 0,80 à 2 m qui constituait la séparation du cloître du réfectoire aujourd’hui disparu et des différents corps de bâtiments annexes, comme le cellier ou les cuisines, eux aussi disparus, la porte géminée du réfectoire (porte Saint-Louis) avec son décor géométrique, la léproserie et sa chapelle[10]. L’église abbatiale présentait un aspect encore plus ruiné, avec des pans de murs très diminués ou des remplissages de maçonneries laissés par les démolisseurs du XIXe siècle après l’arrachage des pierres de taille.
Des travaux de dégagement et cristallisation des ruines subsistant hors sol ont été entrepris en deux phases, entre 2003 et 2009, par la Communauté de communes de Saint-Hilaire du Harcouët, propriétaire des lieux. Ces travaux, conduits par François Pougheol, architecte du patrimoine, visaient à sauver durablement les vestiges, sans leur faire perdre leur caractère de ruines. En 1983, cet architecte avait tenté une restitution du plan complet de l'abbaye, en se fondant entre autres sur les notes et dessins de l'abbé Lemesle, curé de Savigny au milieu du XIXe siècle.
Divers éléments du mobilier religieux et funéraires de l'abbaye se trouvent de nos jours dans l'église paroissiale de Savigny : bas-reliefs, statues, tombeaux[10].
- Mur sud du cloître, vu de l'emplacement du réfectoire.
- Mur sud du cloître et bâtiment d'accueil.
- Mur nord du cloître et contreforts de l'église abbatiale.
Protection aux monuments historiques
La double porte de l'ancien réfectoire au sud de l'église et les contreforts attenants de chaque côté sur une longueur totale de treize mètres sont classés au titre des monuments historiques par décret du [2].
Liste des abbés
- Abbés réguliers
- 1112 - 1122 : Vital de Mortain, fondateur
- 1122 - 1139 : Geoffroy
- vers 1147 : Serlon
- vers 1154 : Richard
- 1161 - 1170 : Milon
- Josselin
- vers 1179 : Simon
- 1229 - 1242 : Étienne de Lexington (1198-1258), précédemment abbé de Stanley, ensuite abbé de Clairvaux
- 1261 - : Jean de Ballou, précédemment abbé de Saint-André-de-Gouffern
- 1415 - : neveu de Philippe de Thurey
- Abbés commendataires
- 1512 - : Louis d'Estouteville, précédemment abbé de Valmont et de Hambye
- Charles-François de La Vieuville (†1676), évêque de Rennes
- Henry de La Vieuville, frère du précédent
- 1691 - : Jacques BĂ©nigne Bossuet (1664-1743), Ă©vĂŞque de Troyes
Notes et références
Notes
- L'abbaye était plus grande que la cathédrale de Coutances[7].
Références
- (la) Leopold Janauschek, Originum Cisterciensium : in quo, praemissis congregationum domiciliis adjectisque tabulis chronologico-genealogicis, veterum abbatiarum a monachis habitatarum fundationes ad fidem antiquissimorum fontium primus descripsit, t. I, Vienne, , 491 p. (lire en ligne), p. 188 & 189.
- « Ancienne abbaye », sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Mérimée, ministère français de la Culture.
- « Savigny », sur http://www.cistercensi.info, Ordre cistercien (consulté le ).
- Michel Hébert et André Gervaise, Les 15 abbayes de la Manche... et le début du christianisme, éd. Charles Corlet, 2002
- La clôture des moniales au XIIe siècle en France sur le blog de l'ancienne abbaye cistercienne de la Séauve-Bénite.
- Bernard Beck (photogr. Bernard Pagnon), Quand les Normands bâtissaient les églises : 15 siècles de vie des hommes, d'histoire et d'architecture religieuse dans la Manche, Coutances, Éditions OCEP, , 204 p. (ISBN 2-7134-0053-8), p. 177.
- Beck 1981, p. 115.
- André Davy, Les barons du Cotentin, Condé-sur-Noireau, Éditions Eurocibles, coll. « Inédits et introuvables du patrimoine Normand », , 319 p. (ISBN 978-2-91454-196-1), p. 133.
- Lettres patentes de Louis XI, Poitiers, mars 1465 (1464, avant Pâques) (lire en ligne).
- Beck 1981, p. 177.
Voir aussi
Bibliographie
- Publications
- Claude Auvry, Histoire de la congrégation de Savigny . 3 vol. / Claude Auvry ; éditeur scientifique Auguste Laveille ; éditeur scientifique Société de l'histoire de Normandie. - Rouen : Lestringant (libr.), 1896 à 1898
- Brigitte Galbrun et Véronique Gazeau (éd.), L’abbaye de Savigny (1112-2012). Un chef d’ordre anglo-normand. Actes du colloque international de Cerisy-la-Salle (3-6 octobre 2012), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019 (ISBN 9782753575950).
- Victor Gastebois, L'abbaye de Savigny en 1751, Livre d'histoire, (ISBN 9782758603221)
- Victor Gastebois, Savigny(L'Abbaye de) et les derniers moines, Livre d'histoire, , 324 p. (ISBN 9782758603221)
- Hippolyte Sauvage, Saint Vital et l'abbaye de Savigny dans l'ancien diocèse d'Avranches / Hippolyte Sauvage. - Mortain : Leroy (impr.), 1895, 77 p.
- Hippolyte Sauvage, Savigny et la Réforme : émeutes et Révolution dans un monastère / Hippolite Sauvage. - Avranches : Durand (impr.), 1897, 18 p.
- Hippolyte Sauvage, Le Dernier abbé de Savigny : François-Odet d'Aydie / Hippolyte Sauvage. - Mortain : Mathieu (impr.), 1881. Vitae B. Petri Abrincensis et B. Hamonis, monachorum coenobii Saviniacensis in Normannia / E. P. Sauvage. - Polleunis, 1883
- Cartulaire, Liber cartarum Domus Savigneii : transcrit sur l'exemplaire copié par Mr de Gerville, appartenant à Mr Paul de Farcy, 1891-1892. vol. 1 & 2
- Dom Léon Guilloreau, « Les fondations anglaises de l'abbaye de Savigny », dans Revue Mabillon, 1908, p. 290-335 (lire en ligne)
- Jean Durand de Saint-Front, L'Abbaye de Savigny : ce qu'elle fut, ce qu'elle devint / Jean Durand de Saint-Front. - Fougères, Chronique de Fougères (impr.), 1959, 21 p.
- Jean Fournée, Notes sur quelques familles des environs de Flers au XIIe siècle d'après les chartes de l'Abbaye de Savigny / Jean Fournée. - p. 80-94, Le Pays Bas-Normand, 4, 01/10/1968.
- abbé J-B. Blin, Notice sur saint Guillaume de Niobé, novice de l'abbaye de Savigny / J-B. Blin. - Séez, Montauzé (impr.), 18?., 14 p.
- Jaap Van Moolenbroek, Vital, l'ermite, prédicateur itinérant, fondateur de l'abbaye de Savigny / Jaap Van Moolenbroek ; trad. Anne-Marie Nambot, s.n., 1991, pp. 395, Revue de l'Avranchin et du Pays de Granville, 346, 01/03/1991.
- Le cabinet des manuscrits de la bibliothèque nationale, Léopold Delisle - 1868, lire sur Google Livres
- revue ART DE BASSE NORMANDIE no 77 "Abbayes Normandes"- carte de l'abbaye et de ses filles, p. 71
- revue ART DE BASSE NORMANDIE no 125, 1er trimestre 2001 : concernant l'abbaye et ses filles, diverses illustrations, p. 45 Ă 48 et 90 Ă 95
- Autres sources
- Joseph Mastrolorenzo, Abbaye de Savigny-le-Vieux, Rapport de fouilles archéologiques, Transept sud, SRA et CRMH de Basse-Normandie, 2009-2010.
- François Pougheol, architecte du patrimoine et maître d'œuvre des travaux de cristallisation.