Widewuto
Widewuto (aussi appelé Viduutis, Witowudi ou Waidevut) était un roi semi-légendaire prussien du VIe siÚcle qui aurait régné avec son frÚre Bruteno. Son histoire a été rapportée par le chroniqueur allemand du XVIe siÚcle Simon Grunau.
La Prusse pré-teutonique
Avant les croisades baltes et la colonisation des terres par lâOrdre monastique des chevaliers teutoniques, la Prusse Ă©tait habitĂ©e par les Baltes, des peuples paĂŻens tels les Prussiens ou les Lituaniens. Ces derniers habitaient dans les forĂȘts du sud de la mer Baltique et Ă©taient organisĂ©s en tribus « prĂ©-fĂ©odales », les nobles se rĂ©unissant rĂ©guliĂšrement en conseils pour dĂ©cider de lâorganisation tribale. Ces peuples pratiquaient un paganisme « romuvien », nommĂ© dâaprĂšs le site sacrĂ© du bosquet Romuva (en), trĂšs semblable aux autres paganismes dâorigine indo-europĂ©enne telles les religions germaniques ou slaves.
Widewuto et son frĂšre Bruteno seraient les fondateurs lĂ©gendaires de ces tribus prussiennes, les terres baltiques Ă©tant habitĂ©es par dâautres peuples hĂ©tĂ©rogĂšnes avant lâarrivĂ©e des deux frĂšres.
Selon Simon Grunau, la Prusse sous lâempereur romain Trajan sâappelait « Ulmegania » et Ă©tait habitĂ©e par les « Huhuri » (probablement des Huns, des barbares) qui ont soumis dâautres peuples appelĂ©s « Maxobei » ou « Stagnani ».
La région était aussi habitée par des peuples nomades tels les Galanis ou les Alanis[1].
La légende de Widewuto
La lĂ©gende de Widewuto est une histoire rapportĂ©e par Simon Grunau dans la Chronique Prussienne, venant dâun certain Christian d'Oliva, premier Ă©vĂȘque prussien (mort en 1245). Bien que cette lĂ©gende soit trĂšs controversĂ©e, certains passages de lâhistoire concordent avec les sources archĂ©ologiques.
Widewuto et Bruteno sont des nobles scandiens vivant en Cimbrie[2], tributaires du roi goth Wisboo mais ne le reconnaissant pas comme leur suzerain. Ainsi Wisboo enverra des messagers aux deux frĂšres « Voulez-vous Ă©changer des denrĂ©es avec les Cimbres, vivre sur leur terre et payer un tribut ou combattre contre eux ? », le peuple des Cimbres reconnaissait en effet Widewuto et Bruteno comme seigneurs mais ces derniers savaient que sâils devenaient tributaires des Goths, en tant que chefs-nĂ©s, ils seraient perdus. Ils ne pouvaient pas non plus se battre contre les goths, leurs hommes Ă©tant les plus puissants de la rĂ©gion : Widewuto et Bruteno voulaient devenir plus forts ailleurs[1].
Ils passĂšrent un contrat avec les Goths au nom de leur dĂ©esse-mĂšre et purent ainsi prendre la mer pour partir en quĂȘte de nouvelles terres, emmenant avec eux 46000 hommes et femmes. Ils arrivĂšrent dans la rĂ©gion de Krono, dans les eaux dâHaillibo ce qui correspondrait respectivement au fleuve NiĂ©men et au lagon de la Vistule selon les textes de PtolĂ©mĂ©e. Sur place ils trouvĂšrent 100000 personnes inexpĂ©rimentĂ©es en artisanat et en construction[3]. Ainsi Widewuto fit construire des tentes, des chĂąteaux, des villages et sâimposa rapidement comme chef de ce mĂ©lange de peuples germaniques et dâAlains : il devint Alane Vidvutus (Widewuto, roi des Alains).
Widewuto gouvernait avec sagesse et composait des lois rĂ©gissant la vie de famille (un homme pouvait par exemple avoir trois Ă©pouses, brĂ»ler un membre de sa famille gravement malade Ă©tait autorisĂ© et lâinfidĂ©litĂ© Ă©tait punie de mort), la vie publique (Widewuto a interdit lâesclavage, les guerriers sachant monter Ă cheval Ă©taient Ă©levĂ©s au rang de nobles) et punissant les activitĂ©s criminelles.
Bruteno, quant Ă lui, Ă©tait le Grand PrĂȘtre (le Kriwe-Kriwajto (en)) chargĂ© de la vie religieuse du royaume, câest notamment Ă lui que nous devons le grand bosquet sacrĂ© Romuva.
Widewuto a eu douze fils qui se sĂ©pareront le royaume de leur pĂšre a sa mort et donnant ainsi les douze tribus baltes (Par exemple la Lituanie est nommĂ© dâaprĂšs le fils Litvas, la Sudovie dâaprĂšs Sudo etc).
Ă lâĂąge de 116 ans, Widewuto sâimmole par le feu avec son frĂšre Bruteno lors dâune cĂ©rĂ©monie religieuse au temple de Romuva. AprĂšs leur mort les deux frĂšres seront vĂ©nĂ©rĂ©s en tant quâun dieu nommĂ© Wurskaito, pĂšre de la nation prussienne.
Ce mĂ©lange de peuples et lâarrivĂ©e de Widewuto donna naissance Ă la culture borusse, plus tard appelĂ©e prussienne.
Noms
Widewuto a plusieurs noms selon les textes, mais il est admis que son nom vient du gotique WidewoĂŸs, signifiant furieux, obsĂ©dĂ© par la raison.
Le mot « Prusse », vient quant Ă lui de Pruten, venant lui-mĂȘme de Bruteno, grand frĂšre de Widewuto.
Drapeau de Widewuto
Widewuto avait un drapeau blanc, mesurant cinq par trois aunes. Le drapeau avait des portraits de trois dieux prussiens, que Grunau reproduisit dans son Ćuvre. Sur la gauche, il y a le dieu des enfers, Peckols - un vieil homme avec une barbe blanche et un foulard blanc sur la tĂȘte. PerkĆ«nas d'Ăąge moyen et aux cheveux de feu, dieu du ciel, de la tempĂȘte et du tonnerre, est au milieu. Le dieu de la mer, de la terre et des rĂ©coltes, Patrimpas, a Ă©tĂ© dĂ©peint comme un jeune homme imberbe portant une couronne d'Ă©pis de cĂ©rĂ©ales.
Lien avec le Widsith
Des Ă©tudes sur la Chronique Prussienne de Simon Grunau ont montrĂ© que lâhistoire a une grande part de fantastique et est notamment inspirĂ©e par lâorigine des Lombards[2] et par le poĂšme anglo-saxon Widsith[4].
On retrouve un personnage semblable à Widewuto dans ce poÚme : Vudi qui a lui aussi un frÚre, fils du forgeron divin Völunda et qui habitent la région de la Vistule.
Ces deux frĂšres ont fondĂ© un petit royaume barbare sur la CĂŽte dâAmbre, lieu de commerce important Ă lâĂ©poque romaine puis mĂ©rovingienne, et ont bouleversĂ© la sociĂ©tĂ© tribale, de par leurs activitĂ©s civilisatrices.
Le lien fort entre un personnage lĂ©gendaire prussien et un personnage de poĂšme germanique est important car il permet aux historiens dâĂ©tudier la vĂ©racitĂ© des faits prĂ©sentĂ©s dans la Chronique Prussienne de Grunau.
Preuves archéologiques
Ă lâĂ©poque des Grandes Migrations, le Vidivarium (nom romain de la Prusse) Ă©tait peuplĂ© par diverses tribus que les Romains appelaient « Vidivaris », un peuple habitant aux abords de la mer Baltique. La cĂŽte est gardĂ©e par les « Estoniens », un peuple dĂ©crit comme paisible. Certains Vidivaris sont devenus mercenaires Ă la solde de Rome, pratique courante dans le Barbaricum.
Dans le Vidivarium ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s des broches en forme dâĂ©toile dont le prototype se situe au sud de la Scandinavie et est datĂ© de la fin du IVe siĂšcle. On a aussi retrouvĂ© de tels artefacts datant du dĂ©but du Ve siĂšcle en Pannonie et en Norique, oĂč des guerriers germaniques se prĂ©paraient Ă la bataille face aux Huns sous la banniĂšre dâAttila. Des poignards baltes ont notamment Ă©tĂ© utilisĂ©s durant la bataille dâAdrianople, le commerce de ces armes avec les Germains est vraisemblablement un point clĂ© dans la formation de la culture prussienne.
Des tombes dĂ©corĂ©es ont Ă©tĂ© retrouvĂ©es dans le cimetiĂšre de Warnikam, sur le site archĂ©ologique de MĆoteczno, avec des artefacts prĂ©cieux tĂ©moignant dâun enterrement princier, comme dans la lĂ©gende de Widewuto[5].
Comme dit dans la lĂ©gende de Widewuto, les chefs militaires et les dirigeants vidivaris construisaient, comme en Germanie, des avant-postes fortifiĂ©s pour les guerriers, des lieux de collecte de lâargent des tribus, ainsi que des Ă©tablissements permettant de crĂ©er des lois, correspondant au leges barbarorum. Ces innovations se reflĂštent dans lâĂ©mergence dâune culture balte unique, plus seulement linguistique comme Ă lâĂ©poque prĂ©-romaine.
Sur le drapeau de Widewuto, redessiné par Simon Grunau, des inscriptions appelées « runes lituaniennes » figurent. Au premier abord les linguistes pensaient à un nouvel alphabet prussien, mais diverses études ont montré que ces inscriptions sont en réalité une forme alternative du futhark, les runes germaniques[6]. Ces runes lituaniennes sont aussi présentes sur quelques tombes en Prusse.
NĂ©anmoins, le blason de Widewuto avec les chevaux portant les armes, dessinĂ© par Grunau, est anachronique, ce genre dâemblasonnement Ă©mergeant beaucoup plus tard dans lâhistoire. Ce blason est donc un pur produit de lâimagination du chroniqueur allemand.
Bien que les dates ne correspondent pas toujours, beaucoup dâĂ©lĂ©ments de la lĂ©gende de Widewuto concordent avec les preuves archĂ©ologiques montrant le lien entre la culture germanique et lâĂ©mergence de la culture prussienne.
Le texte de Simon Grunau reste tout de mĂȘme flou, la lĂ©gende de Widewuto est devenue lâune des lĂ©gendes ethnogĂ©nĂ©tiques nĂ©es au tournant du Moyen Ăge et de la Renaissance chez certains peuples dâEurope centrale qui ne possĂ©daient pas, contrairement aux Francs, Anglo-saxons ou Danois, de premiers enregistrements folkloriques de lĂ©gendes de ce genre[7].
Sources
- (de) Simon Grunau, Preussiche Chronik, Danzig,
- (lt) Gintaras BeresneviÄius, PrĆ«sijos amfiktionijos steigtis prĆ«sĆł legendose ir germaniĆĄkasis kontekstas, , 190 p.
- (lt) Ulmiganija, Vilnius, , 594 p. (ISBN 5-420-01470-X)
- (en) George Phillip Krapp, « Widsith », sur Sacred Texts (consulté en )
- (ru) Vladimir Kulakov, ĐŃŃ Đ”ĐŸĐ»ĐŸĐłĐžŃĐ”ŃĐșĐžĐč ĐșĐŸĐŒĐŒĐ”ĐœŃĐ°ŃĐžĐč Đș Đ»Đ”ĐłĐ”ĐœĐŽĐ” ĐŸ ĐОЎДĐČŃŃĐ”, Zimovniki,â , 178 p. (lire en ligne)
- (en) Mindaugas Peleckis, « Lithuanian Runes Revealed », sur Radikaliai, (consulté le )
- (en) James Hastings, EncyclopĂŠdia of Religion and Ethics: Mundas-Phrygians, T. & T. Clark, (ISBN 0567065138, lire en ligne)