Vol de l'aigle
Le Vol de l'aigle est l'expression usuellement consacrée au retour de Napoléon Ier depuis l'île d'Elbe, entre le 1er et le .
DĂ©roulement
Départ de l'île d'Elbe
Au cours de ses 300 jours de séjour à l'île d'Elbe, Napoléon active des réseaux civils et militaires et reçoit de France de nombreuses visites. Cette activité lui permet de se rendre compte d'une certaine déception des Français vis-à -vis de la Restauration, mais c'est surtout la crainte d'un débarquement allié et d'un enlèvement qui l'incitent à partir.
Au cours du mois de , sept bateaux sont préparés pour accueillir l'Empereur et un millier d'hommes composant sa suite, dont les généraux Bertrand et Cambronne, ainsi que les armes et le matériel nécessaires. Le brick L'Inconstant, maquillé en navire anglais, est préparé pour accueillir Napoléon et une grande partie de ses soldats.
Le 24 février, des mouvements suspects lui ayant été signalés, le navire britannique le Partridge accoste sur l'île. Le navire la quitte peu après, mais le capitaine, rentré au port de Livourne, fait son rapport.
Le départ des sept navires a lieu le 26 février vers 21 heures. La flotte anglaise, mise en alerte par le capitaine Ady, du Partridge, se met en route le 26 dans l'après-midi mais ne peut l'intercepter[1].
Napoléon souhaite reconquérir son trône « sans verser une seule goutte de sang », il espère donc que les Français le rejoignent massivement.
DĂ©barquement Ă Golfe-Juan
Le débarquement a lieu le à 13 heures. Napoléon est accompagné d'à peu près 1 200 hommes, et envoie un détachement composé de 25 soldats pour prendre Antibes, mais la ville refuse de se rendre et fait prisonniers les soldats. Après avoir installé son campement, l'Empereur envoie deux déclarations aux Français et aux soldats afin de justifier son retour. Il effectue également le choix de son itinéraire, renonçant à passer par la vallée du Rhône en raison des importantes garnisons qui s'y trouvent mais aussi de l'opinion provençale, majoritairement royaliste. Il passe par la route du Dauphiné.
Trajet de Golfe-Juan Ă Paris[2]
- Jeudi 2 mars : Golfe-Juan - SĂ©ranon (63 km)[2].
- Vendredi 3 mars : l'Empereur arrive Ă Seranon, puis part rejoindre BarrĂŞme, oĂą il dort (48 km).
- Samedi 4 mars : Barrême - Malijai (48 km)[2]. Lorsque Masséna, alors qu'il est à Marseille, prend connaissance du débarquement de « l'usurpateur », il informe le roi par télégraphe et envoie des troupes pour le contrer[3].
- Dimanche 5 mars : Malijai - Gap (68 km). Le roi de France apprend que Napoléon a débarqué en France[3]. Le conseil des ministres demande de l'arrêter militairement.
- Lundi 6 mars : Gap - Corps (40 km)[2]. Le comte d'Artois (futur roi Charles X) va à Lyon pour arrêter « l'ogre corse », aidé par le général Macdonald. Le général Marchand, fidèle au roi, ordonne au bataillon du 5e de ligne, commandé par Lessart (ou delassart, suivant les versions), de marcher sur le défilé de Laffrey par lequel Napoléon doit passer[3].
Bonaparte est déclaré « traître » et Louis XVIII rassure les diplomates étrangers. Dans le même temps, l'empereur d'Autriche apprend le retour de Napoléon[4].
Lessard, commandant avec le capitaine Randon (neveu du général Marchand) le régiment du 5e de ligne dépêché pour arrêter « l'ogre corse », rencontre la troupe de l'empereur à proximité de Laffrey dans ce qui sera appelé par la suite la prairie de la Rencontre. Le colonel Raoul, dans le camp bonapartiste, se porte vers le commandant royaliste et annonce : « l'Empereur va marcher vers vous ». Lessard lui répond : « Je suis déterminé à faire mon devoir, et si vous ne vous retirez pas sur-le-champ, je vous fais arrêter »[3]. Les deux camps se font face[3]. Les soldats du camp royaliste hésitent, s'interrogent, s'interpellent, discutent entre eux[5].
Lessard confie à ses officiers : « Comment engager le combat avec des hommes qui tremblent de tous leurs membres et qui sont pâles comme la mort ? »[3] À ce moment, des civils qui suivaient la troupe bonapartiste traversent l'espace entre les deux camps et vont vers les troupes royalistes[5]. Ils donnent alors aux soldats sous les ordres du roi une proclamation écrite par l'empereur : « Soldats ! Venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. Son existence ne se compose que de la votre. L'aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame[5]. » Napoléon fait aussi un discours pour demander le ralliement des soldats à son camp[6]. Il prend aussi à témoin les paysans qui le suivent[6] :
« Je viens avec une poignée de braves, parce que je compte sur le peuple et sur vous. Le trône des Bourbons est illégitime, puisqu'il n'a pas été élevé par la nation ; il est contraire à la volonté nationale, puisqu'il est contraire aux intérêts de votre pays, et qu'il n'existe que dans l’intérêt de quelques familles. Demandez à vos pères ; interrogez tous ces habitants qui arrivent ici des environs : vous apprendrez de leur propre bouche la véritable situation des choses. Ils sont menacés du retour des dîmes, des privilèges, des droits féodaux et de tous les abus dont vos succès les avaient délivrés. N'est-il pas vrai, paysans ? »[6]
A la lecture de la proclamation et à la suite du discours de Napoléon, les soldats discutent entre eux pendant trois quarts d'heure. Lessard est totalement paralysé. C'est alors Randon qui intervient ; il prend des soldats dans l'avant-garde, les fait avancer, les fait agenouiller et mettre en joue. Le capitaine donne alors l'ordre de tirer, mais aucun ne fait feu[5]. Un soldat aurait dit alors : « Est-ce mon chef de bataillon qui en donne l'ordre ? » Le capitaine redemande de faire feu. Le même soldat aurait déclaré alors : « Je tirerai si mon chef de bataillon en donne l'ordre[5]. »
Napoléon s'avance alors tout seul, demande aux soldats bonapartistes de reculer et de ne pas tirer[3]. L'empereur lance d'une voix forte : « Soldats du 5e, je suis votre empereur. Reconnaissez-moi ! ». Il s'avance de nouveau, ouvre sa redingote et déclare : « S'il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son empereur, me voilà ! ». Les cris de « Vive l'empereur » se font alors entendre, le 5e de ligne rejoint Bonaparte, doublant les effectifs de la troupe[3].
Le 7e régiment de ligne, qui était sur le chemin de Bonaparte par pur hasard[7], rejoint ses troupes peu avant Grenoble ; il est commandé par Charles de La Bédoyère, qui passe pour un royaliste alors qu'il est en réalité tout dévoué à l'Empereur[3]. La Bédoyère dit à ses hommes : « Je viens de recevoir l'ordre de me porter en avant et de m'opposer au retour de l'Empereur. Marchons-nous contre lui ou pour lui ? ». Les soldats répondent « Pour lui ! »[3]. 2 000 paysans se rallient spontanément aux troupes bonapartistes avant l'entrée dans Grenoble[3].
Napoléon poursuit sa route vers Vizille puis le plateau de Brié et Angonnes et redescend vers Grenoble en empruntant la longue avenue d'Eybens afin d'arriver devant la porte de Bonne. Le colonel chargé de garder cette ville refuse d'ouvrir les portes de celle-ci[7]. La Bédoyère monte alors sur un tertre et s’écrie, en s'adressant aux militaires gardant la ville : « Soldats ! Nous vous ramenons le héros que vous avez suivi dans tant de batailles ; c'est à vous de le recevoir et de répéter avec nous l'ancien cri de ralliement des vainqueurs de l’Europe : Vive l'empereur ! »[7]. Ce sont finalement les soldats chargés de défendre la ville qui ouvrent le passage aux bonapartistes[7]. Plus-tard, Bonaparte écrira : « Jusqu'à Grenoble, j'étais aventurier ; à Grenoble, j'étais prince »[3].
- Mercredi 8 mars : Napoléon Bonaparte reste à Grenoble[2]. Le Maréchal Ney promet au roi de France de ramener Bonaparte à Paris « dans une cage de fer »[4].
- Jeudi 9 mars : Grenoble - Bourgoin (57 km)[2]. Le roi de Prusse apprend le retour de Napoléon[4]. Louis XVIII refuse l'aide des autres puissances européennes[4].
Le roi d'Angleterre apprend à son tour le retour de « l'aigle » en France. Napoléon quitte Bourgoin à 15 heures, laissant aux autorités royalistes en place à Lyon le choix de demeurer sur place ou de partir. À Lyon, les troupes du roi commandées par son frère le duc d’Artois (futur Charles X), le duc d'Orléans (futur Louis-Philippe) et le général Macdonald refusent d'attaquer les bonapartistes[3]. Les commandants de l'armée quittent la ville le matin, suivis par le préfet Chabrol. Ses opposants partis, Napoléon entre sereinement à Lyon, acclamé par une foule composée notamment de canuts.
- Samedi 11 et dimanche 12 mars : Bonaparte reste à Lyon[2]. Ces deux journées sont consacrées à la réception des corps constitués de la ville de Lyon, à la revue des troupes sur la place Bellecour[2] ainsi qu'à la rédaction de décrets rétablissant son autorité (les « décrets de Lyon » instituant le retour du drapeau tricolore, par exemple)[3].
- Lundi 13 mars : Lyon - Mâcon (72 km)[2]. Napoléon quitte Lyon à une heure du matin et parvient dans la matinée à Villefranche-sur-Saône, où il remonte la rue principale acclamé, selon la chronique bonapartiste, par 60 000 personnes[2][Note 1]. Il parvient à Mâcon à 19 heures. Une adresse aux Lyonnais est placardée sur les murs de la ville. Les puissances européennes se réunissent à Vienne et déclarent « l'usurpateur » hors-la-loi.
- Mardi 14 mars : Mâcon - Chalon-sur-Saône (64 km).
- Mercredi 15 mars : Chalon-sur-Saône - Autun (60 km). Le maréchal Ney est tiraillé entre le roi et Bonaparte. Napoléon lui envoie un message, lui disant « je vous recevrai comme le lendemain de la Moskova ». Ney, envoyé pour attaquer l'Empereur, dit de lui-même qu'il « ne peut pas arrêter l'eau de la mer avec les mains »[3]. Il se rallie à Napoléon. Sa décision prise, le maréchal Ney fait afficher sa proclamation de Lons-le-Saunier, le même jour :
- « Soldats ! La cause des Bourbons est à jamais perdue. La dynastie légitime, que la nation française a adoptée, va remonter sur le trône. C’est à l’empereur Napoléon, notre souverain, qu’il appartient de régner sur notre beau pays… ». Ses soldats crient « Vive l'empereur ! »[3]
- Joachim Murat, roi de Naples et allié de Napoléon, décide de déclarer la guerre à l'Autriche[4].
- Jeudi 16 mars : Autun - Avallon (80 km).
- Vendredi 17 mars : Avallon - Auxerre (61 km).
- Samedi 18 mars : Napoléon reste à Auxerre. Le 18 mars, lui et le maréchal Ney se rencontrent à huis clos. Les témoignages divergent. Il semble que les deux hommes aient fortement haussé le ton. Certains prétendent que Napoléon aurait fortement tancé son maréchal pour sa « défection » de 1814. Il n’y a dans tous les cas pas eu d’affrontement entre les troupes du maréchal Ney et celles de Napoléon. Désormais, les troupes bonapartistes sont fortes de 30 000 hommes[3].
Le ralliement de Ney fait forte impression dans la capitale. La Garde, aux ordres du maréchal Oudinot, rejoint Napoléon à Chaumont. À Auxerre, Bonaparte écrit à Marie-Louise sa troisième lettre depuis son départ de l'île d'Elbe[2].
- Dimanche 19 mars : Auxerre - Pont-sur-Yonne (61 km). Louis XVIII et son ministère quittent Paris.
- Lundi 20 mars - Pont-sur-Yonne - Fontainebleau puis Paris (110 km). Alors que Napoléon n'est pas encore dans la capitale, le drapeau impérial flotte déjà dans la ville. Le roi, lui, est à Abbeville. Enfin, à 20 ou 21 h, Bonaparte entre dans Paris, où il est accueilli par une foule immense.
Napoléon a réussi son objectif, il a reconquis son trône « sans verser une seule goutte de sang »[3].
Bibliographie
- Georges Blond, Les Cent-Jours, Julliard, .
- Bruno Benoît et Jean-Philippe Rey, Les Cent-Jours, itinéraires politiques et géographiques, éditions du Poutan, .
- Jean Tulard et Louis Garros, Napoléon au jour le jour, Tallandier, .
- Emmanuel de Waresquiel, Cent Jours : La Tentation de l'impossible. Mars-juillet 1815, Fayard, .
Notes et références
Notes
- Le chiffre de la population caladoise Ă cette date (environ 5 000 habitants) rend ce chiffre de 60 000 sujet Ă discussion.
Références
- Benoît et Rey 2014, p. 30-38.
- Benoît et Rey 2014, p. 41-74.
- Dmitri Casali, Antoine Auger, Jacques Garnier et Vincent Rollin, Napoléon Bonaparte, Paris, France Loisirs, 407 p. (ISBN 978-2-298-01771-7)
- « Retour de Napoléon d'Elbe: la carte toutes les 12 heures »
- « Napoléon Bonaparte : les Cent-Jours et le vol de l'Aigle. DOCUMENTAIRE. Saison 2. Épisode 18. »
- Jacques Olivier Boudon, Discours de Guerre, Editions Pierre de Taillac (ISBN 978-2-36445-178-0)
- Sylvie Yvert, Une année folle, Paris, Pocket, , 364 p. (ISBN 978-2-266-29846-9)