Tourisme noir
Le tourisme noir[1], appelé aussi tourisme sombre[2], tourisme morbide, tourisme macabre, thanatourisme[3] ou nécrotourisme[4], est une forme controversée[5] de tourisme qui consiste à organiser la visite payante de lieux étroitement associés à la mort, à la souffrance ou à des catastrophes (par ce fait, on parle également de tourisme de catastrophe).
Généralement lié à l'histoire locale du pays, il peut s'agir d'aller visiter les vestiges d'une catastrophe naturelle[6]ou d'origine humaine[7], un camp de concentration[8] ou un mémorial (voir tourisme de mémoire) et parfois les lieux d'un fait divers[9] - [10].
Définition
Pour désigner les dérives voyeuristes et « culturellement dissonnantes »[3] de ce tourisme (à partir de l'exemple de La Nouvelle-Orléans ravagée par l'ouragan Katrina), Julie Hernandez parle de « tourisme macabre »[11]. D'autres auteurs évoquent aussi un « tourisme-réalité ». Quant à la dimension éthique ou morale[12] s'ajoutent des risques juridiques ou sanitaires, on parle parfois de « tourisme extrême », concept qui évoque toutes les pratiques habituellement jugées antagonistes avec les motivations du tourisme classique.
La pratique du tourisme noir ne doit cependant pas être confondue avec la pratique de l'exploration urbaine (Urbex), consistant à explorer des zones abandonnées, parfois la nuit, ou plus généralement des lieux sinistres, avec des termes associés à la peur ou à la découverte. L'Urbex est en effet plutôt enclin à la découverte de lieux insolites, tandis que le tourisme noir s'exerce dans des lieux avec une réputation controversée.
Exemples
Les lieux liés à des massacres, des crimes contre l'humanité, comme les camps de concentration et d'extermination nazis de la Seconde Guerre mondiale (par exemple celui d'Auschwitz-Birkenau en Pologne, visité tous les ans par un million de visiteurs[8], les ruines du village-martyr français d'Oradour-sur-Glane, dont la population a été assassinée par la Waffen SS le [13], et son centre de mémoire, ou encore le Murambi Genocide Memorial Centre, relatif au génocide des Tutsi au Rwanda.
Les lieux associés à des catastrophes industrielles et technologiques, notamment liées à l'industrie nucléaire, comme la ville de Prypiat, en Ukraine, abandonnée après la catastrophe de Tchernobyl[14].
Les lieux marqués par des actes terroristes de grande ampleur, tels Ground zero sur le site du World Trade Center à New York, site des attentats du 11 septembre 2001[15].
Les lieux où se sont déroulés des faits divers médiatisés, atypiques pour des raisons diverses. Il peut s'agir de lieux de naufrages, comme avec l'épave du Costa Concordia[16], ou de lieux de meurtres ou d'agressions.
Les lieux particulièrement touchés par des catastrophes naturelles spectaculaires, ayant engendré de lourdes pertes humaines, comme en Indonésie, les flancs du Merapi après son éruption de 2010[17] et le volcan de boue de Sidoarjo[18].
Les lieux où se sont déroulés des épisodes historiques souvent vecteurs de remords, voire de honte dans l'histoire du pays, comme le lieu historique national du Canada de la Grosse Île, lieu d'internement et de quarantaine de migrants, irlandais notamment, ou des épisodes évocateurs d'échecs et de désillusions, comme les villes fantômes abandonnées après une déconvenue minière[19].
Les champs de bataille sont également concernés par ce phénomène, comme celui de Waterloo, le plus visité en Europe[20].
Documentaires
Le 20 juillet 2018, Netflix diffuse la série "Dark Tourist", présentée par le journaliste David Ferrier, qui se rend dans des lieux associés à des catastrophes, la mort ou de la souffrance. La série compte une saison de 8 épisodes d'environ 40 minutes[21].
Notes et références
- Lennon J.J. & Fooley M. (2000), Dark tourism: The attraction of death and disaster, Continuum, Londres
- Numéro spécial de la revue Téoros : « Tourisme noir ou tourisme sombre ? »
- Hartmann R. (2014), « Dark tourism, thanatourism, and dissonance in heritage tourism management: New directions in contemporary tourism research », Journal of heritage tourism, Vol. 9, No. 2, p. 166-182.]
- Caroline Piquet, Libération, « Le nécrotourisme décrypté », -La Libre Belgique,‎ (lire en ligne , consulté le )
- Craig D et Thompson C (2011), « Surrealist pilgrims, melting clocks in marble halls: Dark tourism for a postmodern world », in O. Moufakkir, P.M. Burns, Controversies in tourism (pp. 174-185), CABI Publishing, Cambridge, MA.
- « Les Katrina Tours ou le tourisme morbide », sur muvactualites.com (consulté le ).
- l'équipe Ça m'intéresse, « Tourisme noir : la face macabre du tourisme », sur Ça m'intéresse, (consulté le )
- « La prison Sighet, mecque du "tourisme noir" », sur Presseurop (consulté le ).
- « Infanticides de Villers-au-Tertre : après trois jours d'effervescence, le village a retrouvé son calme »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), sur La Voix du Nord (consulté le ).
- « Affaire Grégory », sur prod.estrepublicain.fr.gr-grix.sdv.fr (consulté le ).
- Hernandez, J. (2008). « Le tourisme macabre à La Nouvelle-Orléans après Katrina : résilience et mémorialisation des espaces affectés par des catastrophes majeures. » Norois. Environnement, aménagement, société, (208), 61-73.
- Korman R. (2012) « La dimension morale des mémoriaux ».
- « Souviens-toi d'Oradour-sur-Glane »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), sur feuillesdautomne.spaces.live.com (consulté le )
- « Les touristes jouent à se faire peur sur le site nucléaire de Tchernobyl »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), sur Le Matin (consulté le )
- « Tourisme morbide : À défaut de morceaux, les passants ramassent de la poussière », sur La Dernière Heure/Les Sports (consulté le )
- « L'épave du Costa Concordia attire des milliers de curieux », sur Le Télégramme (consulté le )
- « Après l'éruption, les touristes affluent sur le volcan Merapi », AFP,‎ (lire en ligne, consulté le )
- (en) Alvin Darlanika Soedarjo, « Indonesian disasters draw tourist dollars », AFP,‎ (lire en ligne, consulté le )
- (en) Korstanje Maximilano E., « The Rise of Thana-Capitalism and Tourism », sur Routledge & CRC Press (consulté le )
- (en) A.V. Seaton, « War and thanatourism: Waterloo 1815–1914 », Annals of Tourism Research, vol. 26, no 1,‎ , p. 130–158 (DOI 10.1016/S0160-7383(98)00057-7).
- (en) « Netflix’s Dark Tourist and the trouble with ‘extreme’ travel TV », sur the Guardian, (consulté le )
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- Dossier « Le tourisme sombre. Une nécessité émotionnelle », revue Espaces, no 337, , 49 p.
- Dossier « Tourisme noir ou sombre tourisme ? » de la revue Téoros (2016).
- (en) J. John Lennon, Malcolm Foley, Dark tourism, Continuum, (ISBN 0-82645-064-4)
- (en) Richard Sharpley, Philip R. Stone, The darker side of travel : the theory and practice of dark tourism, Channel View Publications, (ISBN 9781845411145)
- Ambroise Tézenas, Tourisme de la désolation (traduit de l'anglais par Christine Piot), Actes Sud, 2014, 200 p. (ISBN 978-2-330-03676-8)
- (en) Chris Ryan, Battlefield Tourism, Routledge, , 316 p. (lire en ligne)
- (en) Podoshen J.S (2013), « Dark tourism motivations: Simulation, emotional contagion and topographic comparison », Tourism management, No. 35, p. 263-271
- (en) Yuill S.M (2003), Dark tourism: Understanding visitor motivation at sites of death and disaster, Master’s thesis, Texas A&M University