Thapsigargine
La thapsigargine ou Tg est une molécule de type lactone sesquiterpÚne polyoxygénée structurellement classée dans la famille des guaianolides. Son squelette est tricyclique et contient une gamma-lactone.
On ne sait pas encore synthétiser la thapsigargine ; elle est extraite d'une plante qui pousse dans le bassin méditerranéen : Thapsia garganica[1], dont la molécule a été isolée en 1978 par Christensen, Rasmussen et Sandberg[2]. Cette plante était déjà citée par Hippocrate en 400 avant JC, alors utilisée contre le rhumatisme et certains problÚmes pulmonaires[3].
Activité biochimique
La thapsigargine est une puissante inhibitrice non compétitive des enzymes ubiquitaires SERCAs (sarco/réticulum endoplasmique Ca 2+ ATPases)[4]. Ce faisant, elle augmente le taux de calcium dans le lumen du réticulum endoplasmique, et engendre une apoptose cellulaire.
La thapsigargine, dans le modĂšle animal murin notamment, selon des Ă©tudes publiĂ©e dans les annĂ©es 1980, s'est aussi montrĂ©e ĂȘtre un promoteur de tumeur au sein de cellules de mammifĂšres[5] - [6] - [7] - [8].
Le caractĂšre cytotoxique de cette molĂ©cule a fait suggĂ©rer qu'elle pourrait ĂȘtre utilisĂ©e pour tuer certains types de cellules cancĂ©reuses[9].
Effet intracellulaire
Dans la cellule, la thapsigargine a pour effet d'augmenter le taux de calcium dans le cytosol.
Elle le fait en bloquant la capacité de la cellule à pomper le calcium dans les réticulums endoplasmique et sarcoplasmique. L'épuisement des réserves peut activer secondairement les canaux calciques de la membrane plasmique, permettant un afflux de calcium dans le cytosol.
L'épuisement des réserves de calcium du réticulum endoplasmique (RE) entraßne un stress du RE et l'activation de la réponse protéique dépliée[10]. Le stress du RE non résolu peut conduire de maniÚre cumulative à la mort cellulaire[11] - [12]. L'épuisement prolongé des réserves peut protéger contre la ferroptose via le remodelage des phospholipides synthétisés par l'ER[13].
Le traitement à la thapsigargine et la déplétion calcique du RE qui en résulte inhibent l' autophagie indépendamment de l'UPR[14] - [15].
Usages
La thapsigargine est utilisée dans certaines expérimentations étudiant les impacts de l'augmentation des taux de calcium cytosolique et de l'épuisement du calcium du réticulum endoplasmique[16].
Une étude récente (2021) de l'université de Nottingham a conclu à des résultats prometteurs concernant son utilisation contre la Covid-19 et d'autres coronavirus.
BiosynthĂšse
La biosynthĂšse complĂšte de la thapsigargine n'est pas encore Ă©lucidĂ©e. Une voie de biosynthĂšse proposĂ©e commence avec le farnĂ©syl pyrophosphate. Une premiĂšre Ă©tape est contrĂŽlĂ©e par l'enzyme germacrĂšne B synthase. Dans une seconde Ă©tape, la position C(8) est facilement activĂ©e pour une oxydation allylique due Ă la position de la double liaison. L'Ă©tape suivante est l'ajout de la fraction acyloxy par une P450 acĂ©tyltransfĂ©rase ; qui est une rĂ©action bien connue pour la synthĂšse d'un diterpĂšne, le taxol. Lors d'une troisiĂšme Ă©tape, le cycle lactone est formĂ© par une enzyme cytochrome P450 utilisant NADP +. Avec le groupe butyloxy sur le C(8), la formation ne gĂ©nĂ©rera que le cycle 6,12-lactone. Une quatriĂšme Ă©tape est une Ă©poxydation qui initie la derniĂšre Ă©tape de la formation de base du guaianolide. Dans la cinquiĂšme Ă©tape, une enzyme P450 ferme la structure 5 + 7 guaianolide. La fermeture du cycle est importante, car elle se fera par Ă©poxydation 1,10 â afin de conserver la double liaison 4,5 â nĂ©cessaire dans la thapsigargine. On ignore encore si les modifications secondaires du guaianolide se produisent avant ou aprĂšs la formation de la thapsigargine, mais devront ĂȘtre prises en compte lors de l'Ă©lucidation de la vĂ©ritable biosynthĂšse. Plusieurs de ces enzymes sont des P450, par consĂ©quent l'oxygĂšne et le NADPH sont probablement essentiels Ă cette biosynthĂšse, ainsi que d'autres cofacteurs tels que Mg 2+ et Mn 2+ potentiellement nĂ©cessaires[17].
Tentatives de synthĂšse de la thapsigargine ou d'analogues
Au début des années 2010, à l'Université de Paris 5, des chimistes ont utilisé les outils de la chimie organique pour d'abord synthétiser, avec une bonne sélectivité et un bon rendement, un modÚle 8-desoxy-bicyclo[5.3.0]decadiénone, présentant une structure assez similaire à celle du squelette de la thapsigargine. Cette synthÚse a été faite via une réaction clé de Pauson-Khand allÚne-yne, catalysée par un complexe de rhodium. Un époxyde optiquement enrichi a ensuite été utilisé pour produire la partie Sud de la thapsigargine (le « motif lactonique »). Puis les centres C6 et C8 ont été synthétisés respectivement par alcynylation/réduction asymétrique et par propargylation énantiosélective. On a alors pu obtenir en dix-sept étapes un produit énantiopure possédant les centres chiraux C6, C7 et C8[3]. Une autre méthode, créant plus rapidement (en dix étapes) la partie Sud de la molécule via une réaction de dihydroxylation a abouti à un produit racémique possédant les centres chiraux C6, C7, C8 et C11 et le motif lactonique[3]. Une étude méthodologique de la réaction de Pauson-Khand allénol-yne intramoléculaire a aussi permis de produire des composés bicycliques synthétisés en série acétal et NTs[3].
Au mĂȘme moment, une autre voie Ă©tait explorĂ©e pour synthĂ©tiser le squelette bicyclique[18] - [19] - [20] de cette molĂ©cule (rĂ©action de mĂ©tathĂšse Ă©nyne cyclisante).
Recherche
Comme l'inhibition de lâenzyme SERCA est un mĂ©canisme dĂ©jĂ utilisĂ© pour cibler les tumeurs solides, la thapsigargine a suscitĂ© l'intĂ©rĂȘt de la recherche contre le cancer (notamment testĂ©es au dĂ©but des annĂ©es 2010 contre le cancer de la prostate non-hormono dĂ©pendant)[21] - [22]. Un promĂ©dicament de la thapsigargine, la mipsagargine fait l'objet d'essais cliniques pour le traitement du glioblastome[23] - [24] - [25] - [26]. On envisage aussi de l'utiliser contre les cancers ovariens chimiorĂ©sistants.
L'activité biologique de cette molécule a aussi suscité des recherches sur sa synthÚse en laboratoire. à ce jour, trois synthÚses distinctes ont été rapportées, respectivement par Steven V. Ley[27], par Phil Baran[28] et par P. Andrew Evans[29].
Des études précliniques ont démontré que d'autres effets de la thapsigargine incluent la suppression de l'activité des récepteurs nicotiniques de l'acétylcholine dans les neurones du plexus sous-muqueux de l'iléon[30] et du ganglion cervical supérieur du rat[31].
Les travaux de l'université de Nottingham indiquent sa promesse en tant qu'antiviral à large spectre, avec une activité contre le virus Covid-19 (SARS-CoV-2), un virus du rhume, le virus respiratoire syncytial (RSV) et le virus de la grippe A[32].
Notes et références
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- Rasmussen U (1978). Thapsigargine and thapsigargicine, two new histamine liberators from Thapsia garganica L.
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Voir aussi
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