Remigration
« Remigration » est un euphĂ©misme et nĂ©ologisme issu de l'anglais pour parler du retour, forcĂ© ou non, des immigrĂ©s non europĂ©ens dans leur pays d'origine. Le concept, souvent liĂ© Ă la thĂ©orie conspirationniste d'extrĂȘme droite du « grand remplacement », est utilisĂ© par la mouvance identitaire avec un objectif de banalisation du terme. Le terme de rĂ©Ă©migration est quelquefois utilisĂ© dans le mĂȘme sens.
Origine du terme
Dans son utilisation faite en français, le mot est importé du mot néerlandais « remigratie », traduit en « remigration » via la mouvance identitaire[1].
Il est couramment utilisé par les démographes de langue anglaise comme synonyme de « retour dans son pays d'origine » par des migrants, de maniÚre non-polémique[1] - [2]. En langue allemande, il inclut la notion de « retour dans sa communauté ethnique », sans lien géographique nécessaire avec le pays d'origine[3].
Le mot « Reemigracja » (« Remigration » en polonais) est utilisé entre 1945 et 1949 dans le sens de « retour dans son pays d'origine » en évoquant les dizaines de milliers de Polonais rentrant en Pologne.
En 2018, il est défini au Canada comme le « retour des immigrants et de leurs descendants dans leur pays d'origine », la banque de données terminologiques et linguistiques Termium Plus précisant que le mot est « neutre, le fait qu'il soit parfois employé par des groupes anti-immigration lui conf[é]r[ant] toutefois une connotation raciste dans certains contextes »[4].
DĂ©finition et justification
« Remigration » dĂ©signe en thĂ©orie une inversion des flux migratoires, donc aussi bien un retour volontaire qu'un retour forcĂ© des immigrants, selon Jean-Yves Camus[5], tandis que pour la directrice de l'Institute for Strategic Dialogue et la journaliste CĂ©cile Guerin : « Concept clĂ© de la pensĂ©e identitaire française, la remigration est un nouvel euphĂ©misme pour un phĂ©nomĂšne ancien, Ă savoir le dĂ©placement forcĂ© de populations entiĂšres » et une des « rhĂ©toriques extrĂ©mistes aux implications dâĂ©puration ethnique en Europe »[6].
En 2014, le Bloc identitaire dĂ©finit la remigration comme « le retour dans leur pays dâorigine dâune majoritĂ© des immigrĂ©s extra-europĂ©ens prĂ©sents sur notre territoire ». Selon la chercheuse en science politique Marion Jacquet-Vaillant, cette dĂ©finition vise sommairement les personnes issues de l'immigration africaine. Elle note cependant que chez l'homme politique d'extrĂȘme droite Ăric Zemmour, qui reprend aussi ce nĂ©ologisme, la remigration vise plutĂŽt les personnes Ă©trangĂšres. Elle explique ces diffĂ©rences par une vision ethno-diffĂ©rentialiste du Bloc identitaire, et une autre assimilationniste chez Zemmour[7].
La possibilitĂ© d'un dĂ©placement massif de population est justifiĂ©e par certains militants dĂ©fendant cette idĂ©e, par le fait qu'elle aurait dĂ©jĂ lieu lors du retour des immigrĂ©s italiens sous Mussolini[8] ou de l'exode des Pieds-Noirs[5]. Le retour pourrait ĂȘtre forcĂ© ou aidĂ©[9].
D'aprĂšs Jean-Yves Camus, « le mot ne peut ĂȘtre compris sans rĂ©fĂ©rence Ă la thĂ©orie du « grand remplacement », Ă©laborĂ©e par l'Ă©crivain Renaud Camus en 2010 dans son AbĂ©cĂ©daire de l'In-nocence »[5]. Il relĂšve Ă©galement que « le Front national (FN), du temps de Jean-Marie Le Pen, proposait dĂ©jĂ l'inversion des flux migratoires avec pour slogan « Quand nous arriverons, ils partiront ». Et il recueillait 19 % sur cette base, ce qui est Ă©norme »[5].
Usage par l'extrĂȘme droite
En France
Le terme est utilisĂ© Ă partir du dĂ©but des annĂ©es 2010 par la mouvance identitaire, dont le Bloc identitaire (BI) ; Ă titre d'exemple, le militant Laurent Ozon fonde en 2013 le « Mouvement pour la remigration »[5]. Selon la chercheuse en science politique Marion Jacquet-Vaillant, le terme est empruntĂ© par les identitaires français au Vlaams Belang, parti nationaliste flamand belge, et devient utilisĂ© de maniĂšre rĂ©currente Ă partir de 2014[7]. Pour Jean-Yves Le Gallou, cofondateur de l'Institut Iliade, un organisme de formation de l'extrĂȘme droite qui publie par ailleurs du matĂ©riel de propagande, la promotion de ce mot, issu d'un glissement sĂ©mantique[6], s'inscrit dans une « bataille du vocabulaire » afin de faire progresser les positions identitaires : « Race blanche, Français de souche, grand remplacement et remigration sont les mots qu'il faut utiliser »[10] - [11]. En novembre 2014, le BI organise les « Assises de la remigration » auxquelles sont conviĂ©es de nombreuses personnalitĂ©s de la mouvance identitaire. Cet Ă©vĂ©nement engendre une mobilisation de l'extrĂȘme droite sur Twitter et une plus grande attention mĂ©diatique portĂ©e Ă ce terme[1].
Le terme est ensuite repris par d'autre partis d'extrĂȘme droite français comme Civitas et la Dissidence française[1]. Une stratĂ©gie virale pour rĂ©pandre le nĂ©ologisme est adoptĂ©e par des groupuscules tels que Le Bloc identitaire ou la Dissidence française, qui utilisent abondamment les rĂ©seaux sociaux dans leur stratĂ©gie de communication[12]. Selon Mathieu Dejean des Inrocks, « cette stratĂ©gie a pour effet de leur donner parfois une grande visibilitĂ© alors qu'ils sont en rĂ©alitĂ© trĂšs peu nombreux »[12]. Selon l'Institute for Strategic Dialogue, le mot aurait fait l'objet de 500 000 tweets entre fin 2014 et dĂ©but 2019, dont 10 000 Ă©mis par un seul compte appartenant Ă un identitaire lors du lancement de la campagne au cours du second trimestre de 2015[13].
Henry de Lesquen, « emblĂšme des jeunes dâextrĂȘme droite sur Internet » et poursuivi pour contestation de crime contre lâhumanitĂ©, souhaite la « rĂ©Ă©migration » pour « les populations extra-europĂ©ennes qui ne souhaitent pas, ou qui ne peuvent pas, sâassimiler Ă la culture française »[14] - [15].
Lors des Ă©lections europĂ©ennes de 2019, deux listes soutiennent ouvertement la remigration : la Ligne claire de Renaud Camus et Karim Ouchikh et la Liste de la ReconquĂȘte de Vincent Vauclin. Si elles recueillent un faible rĂ©sultat Ă©lectoral, elles permettent « de rendre publique la remigration » via leur couverture mĂ©diatique et l'attention qu'elles suscitent sur les rĂ©seaux sociaux, y compris celle d'opposants, plus nombreux Ă critiquer le mot qu'auparavant, permettant ainsi Ă ce mot de circuler au-delĂ des milieux d'extrĂȘme droite[1].
Le 21 mars 2022, le candidat Ă l'Ă©lection prĂ©sidentielle française de 2022 Ăric Zemmour dĂ©clarait vouloir crĂ©er un ministĂšre de la remigration s'il Ă©tait Ă©lu Ă la prĂ©sidence de la RĂ©publique[16]. Selon Marion Jacquet-Vaillant, cette proposition reprend celle de la « feuille de route pour la politique dâidentitĂ© et de remigration » Ă©mise par le BI en 2014, qui demandait la crĂ©ation d'un « haut-commissariat Ă la remigration » et d'un « ministĂšre de l'IdentitĂ© et de l'enracinement »[7]. Selon elle, pour les identitaires, « le grand remplacement est pour eux un constat, la remigration est le programme qui va avec ce constat ». Cette proposition est saluĂ©e par les anciens responsables de l'organisation dissoute GĂ©nĂ©ration identitaire mais est jugĂ©e comme une provocation par Jean-Philippe Tanguy, directeur adjoint de la campagne du Rassemblement national car « la remigration, telle que thĂ©orisĂ©e par ses concepteurs, consisterait Ă sortir des populations installĂ©es lĂ©galement (titres de sĂ©jour, naturalisation ou autres), et de les renvoyer car elles changeraient la structure dĂ©mographique du pays ». Le HuffPost considĂšre cette proposition « comme une ultime tentative de relancer la machine » Ă la suite de la chute des intentions de vote pour Zemmour, qui tombent Ă 9 %[17].
En Autriche
Le terme est utilisĂ© par le « mouvement identitaire d'Autriche » (IdentitĂ€re Bewegung Ăsterreichs (en), IBĂ), groupuscule fondĂ© en 2012 qui dĂ©nonce le « grand remplacement » des populations europĂ©ennes et cultive les thĂšmes de « fermeture des frontiĂšres, culture dominante, remigration ». Les « IdentitĂ€ren », bien que peu nombreux, entretiennent des liens Ă©troits avec le Parti de la libertĂ© d'Autriche (FPĂ)[18].
RĂ©ception
En dĂ©cembre 2017, une Ă©tude sur le complotisme â Ă la mĂ©thodologie contestĂ©e[19] â rĂ©alisĂ©e par la Fondation Jean-JaurĂšs et Conspiracy Watch, au moyen d'une enquĂȘte de l'Ifop, met en Ă©vidence le lien entre remigration forcĂ©e et grand remplacement chez une grande partie des sondĂ©s. Sur plusieurs opinions concernant l'immigration, figure : « c'est un projet politique de remplacement d'une civilisation par une autre organisĂ© dĂ©libĂ©rĂ©ment par nos Ă©lites politiques, intellectuelles et mĂ©diatiques et auquel il convient de mettre fin en renvoyant ces populations d'oĂč elles viennent ». 48 % des personnes interrogĂ©es se disent d'accord avec cette opinion, dont 17 % « tout Ă fait d'accord » et 31 % « plutĂŽt d'accord »[20].
Selon un sondage IFOP mené en mars 2022, seuls 42 % des Français interrogés disent savoir exactement de quoi il s'agit, mais 66% considÚrent que l'expulsion des immigrés clandestins, des fichés S étrangers et des délinquants étrangers est un objectif qu'ils soutiennent[21] - [22].
Selon un sondage OpinionWay pour Valeurs actuelles datant de mars 2022, 55% des Français se dĂ©clarent favorables Ă la crĂ©ation d'un MinistĂšre de la Remigration, proposĂ© par Ăric Zemmour lors de la campagne pour l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 2022[23] - [24].
Notes et références
- Marion Jacquet-Vaillant, « Les identiaires, acteurs de lâĂ©mergence des idĂ©es radicales: », Pouvoirs, vol. N° 181, no 2,â , p. 47â59 (ISSN 0152-0768, DOI 10.3917/pouv.181.0047, lire en ligne, consultĂ© le )
- DĂ©finition sur English - Oxford dictionnaries
- (de) « Remigration », sur ome-lexikon.uni-oldenburg.de
- Travaux publics et Services gouvernementaux Canada Gouvernement du Canada, « remigration [1 fiche] », sur btb.termiumplus.gc.ca, (consulté le )
- Annie Mathieu, « D'oĂč vient l'expression «remigration»? », sur La Presse.ca, (consultĂ© le ).
- Sasha Havlicek et Cécile Guerin, « La «remigration», un concept qui essaime au-delà des identitaires », Libération (journal),
- Nicolas Massol, «En reprenant le terme ââremigrationââ, Zemmour offre une victoire sĂ©mantique aux identitaires» , sur LibĂ©ration, (consultĂ© le )
- « Remigration : à jeter », sur L'Humanité, (consulté le )
- « Au Bloc Identitaire, l'apologie de la «remigration» », sur lefigaro.fr, (consulté le )
- Ăric Dupin, La France identitaire : enquĂȘte sur la rĂ©action qui vient, La DĂ©couverte, (lire en ligne).
- Mathilde Siraud, « Au Bloc identitaire, l'apologie de la âremigrationâ », sur Le Figaro.fr, (consultĂ© le )
- Mathieu Dejean, « Un groupuscule cible le musĂ©e de lâHistoire de lâimmigration pour prĂŽner la « remigration » », sur lesinrocks.com,
- (en) Michael Weiss et Julia Ebner, « The strange tale of an unlikely racist slogan that went viral â to lethal effect », The Washington Post],
- Vincent Matalon, « "Réémigration", négationnisme, "race congoïde"⊠Les mauvaises ondes d'Henry de Lesquen, le patron de Radio Courtoisie », sur francetvinfo.fr, .
- Xavier Ridel, « Comment Henry de Lesquen est devenu lâemblĂšme des jeunes dâextrĂȘme droite sur internet ? », sur lesinrocks.com, .
- Nicolas Barreiro, « PrĂ©sidentielle 2022 : Zemmour veut crĂ©er un "ministĂšre de la re-migration" s'il est Ă©lu », RTL,â (lire en ligne)
- « Aux abois dans les sondages, Zemmour achĂšve sa marginalisation Ă l'extrĂȘme droite », sur Le HuffPost, (consultĂ© le )
- "RĂŒffel vom Schweigekanzler", Spiegel, 3 avril 2019.
- « Est-il vrai qu'un Français sur dix croit que la Terre est plate ? », sur Libération.fr, (consulté le )
- Jean-Baptiste de Montvalon, « Les théories du complot bien implantées au sein de la population française », sur Le Monde, .
- https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-le-concept-de-remigration/
- « Pour Ăric Zemmour, sur la remigration, «Madame Le Pen se retrouve du cĂŽtĂ© de la gauche et mĂȘme de LFI» », sur parismatch.com (consultĂ© le )
- Jules Torres, « [Sondage exclusif] 55 % des Français dâaccord avec Zemmour sur la crĂ©ation dâun âministĂšre de la Remigrationâ », sur Valeurs actuelles, (consultĂ© le )
- Benoßt Rayski, « 55% des Français sont favorables à un ministÚre de la Remigration ! », sur Atlantico, (consulté le )
Voir aussi
Bibliographie
- Larry Portis, La remigration et la démocratie nord-américaine, dans Cahiers du Centre de recherches sur les littératures modernes et contemporaines, 1999, p. 115-120.
- Stéphane de Tapia, « De l'émigration au retour : les mutations du champ migratoire turc », dans Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°52-53, 1989, Les Arabes, les Turcs et la Révolution française, p. 255-272.
- (en) François Weil et Mark Wyman, « Round-Trip to America : The Immigrants Return to Europe, 1880-1930 », dans Annales. Histoire, Sciences Sociales, 51e année, n° 5, 1996, p. 1150-1151.
- (en) Mark Wyman, Round-Trip to America: The Immigrants Return to Europe, 1880-1930, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 1993.