AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

RĂ©gence d'Espartero

La rĂ©gence d'Espartero est la pĂ©riode de l’histoire politique contemporaine de l’Espagne s’étendant entre 1840 et 1843, faisant suite Ă  la rĂ©gence de Marie-Christine de Bourbon et prĂ©cĂ©dant le dĂ©but du rĂšgne effectif de la reine Isabelle II, au cours de laquelle le gĂ©nĂ©ral Baldomero Espartero assuma la rĂ©gence du royaume.

Le général Baldomero Espartero.

La rĂ©gence commença aprĂšs la « rĂ©volution de 1840 » qui mit fin Ă  la rĂ©gence de Marie-Christine de Bourbon, mĂšre de la reine Isabelle alors ĂągĂ©e de neuf ans, et prit fin lorsqu’un mouvement militaire et civique menĂ© par une partie des partis progressiste et modĂ©rĂ©, soutenu par plusieurs gĂ©nĂ©raux prestigieux comme RamĂłn MarĂ­a NarvĂĄez, Francisco Serrano et Leopoldo O'Donnell, contraignit Espartero Ă  prendre l’exil. La coalition victorieuse dĂ©cida alors de proclamer la majoritĂ© d’Isabelle dĂšs qu’elle eut treize ans, en octobre 1843, marquant ainsi le dĂ©but de son rĂšgne effectif.

Contexte : « Révolution de 1840 » et fin de la régence de Marie-Christine de Bourbon

Evaristo Pérez de Castro, président du gouvernement « modéré » qui lança la loi sur les municipalités de 1940.

La prĂ©sentation aux CortĂšs de la loi sur les municipalitĂ©s par le gouvernement du modĂ©rĂ© Evaristo PĂ©rez de Castro consomma la rupture entre les partis modĂ©rĂ© et progressiste. Le projet de loi rĂ©duisait les compĂ©tences des conseils municipaux et Ă©tablissait que le maire Ă©tait nommĂ© librement par le gouvernement — du moins un de ses reprĂ©sentants —, parmi les conseillers Ă©lus[1], ce qui Ă©tait contraire Ă  la Constitution selon les progressistes. Ces derniers eurent recours Ă  la pression populaire durant le dĂ©bat parlementaire sur la loi et, lorsqu’elle fut approuvĂ©e, choisirent de quitter l’hĂ©micycle et de dĂ©ployer une campagne depuis la presse et les municipalitĂ©s pour que la rĂ©gente Marie-Christine ne la sanctionne pas. Lorsqu’ils virent que Marie-Christine Ă©tait disposĂ©e Ă  signer la loi, ils adressĂšrent leurs demandes au gĂ©nĂ©ral Espartero, la personnalitĂ© la plus populaire du moment aprĂšs son triomphe dans la premiĂšre guerre carliste, qui se montrait plus proche des idĂ©es progressistes[2]. La grande estime dont jouissait Espartero dans l’opinion, considĂ©rĂ© comme le « pacificateur de l’Espagne », fut illustrĂ©e lors de son entrĂ©e triomphale Ă  Barcelone le 14 juin 1840[3].

La rĂ©gente se rendit alors dans la capitale catalane, oĂč elle offrit au gĂ©nĂ©ral la prĂ©sidence du Conseil des ministres, mais celui-ci posa comme condition que celle-ci ne sanctionne pas la loi sur les municipalitĂ©s, si bien que lorsqu’elle ratifia la loi le 15 juillet 1840 une grave crise politique commença, obligeant le gouvernement de PĂ©rez de Castro Ă  dĂ©missionner trois jours plus tard[4]. À partir du 1er septembre, des rĂ©voltes progressistes Ă©clatĂšrent dans de nombreuses villes, avec la formation de « comitĂ©s » ou « juntes rĂ©volutionnaires » (« juntas revolucionarias ») qui dĂ©fiaient l’autoritĂ© de la rĂ©gente[5].

Le 5 septembre, depuis Valence oĂč elle s’était dĂ©placĂ©e pour fuir le climat hostile qu’elle avait trouvĂ© Ă  Barcelone, Marie-Christine ordonna au gĂ©nĂ©ral Espartero de se rendre Ă  Madrid pour mettre un terme Ă  la rĂ©bellion — qui serait aussi dĂ©signĂ©e par certains auteurs comme la « rĂ©volution de 1840 »[6] —. Toutefois, celui-ci « refusa avec de bons mots, qui contenaient, au fond, tout un programme politique : la reine devait, selon lui, signer un manifeste dans lequel elle s’engagerait Ă  respecter la Constitution, Ă  dissoudre les CortĂšs (modĂ©rĂ©es) et Ă  soumettre celles qui seraient Ă©lues Ă  la rĂ©vision des lois approuvĂ©es dans la derniĂšre lĂ©gislature, parmi elles, implicitement, la Loi sur les municipalitĂ©s. Dix jours plus tard Marie-Christine n’eut d’autre recours que de nommer prĂ©sident du gouvernement le gĂ©nĂ©ral Espartero dans l’espoir de freiner la marĂ©e rĂ©volutionnaire qui s’était emparĂ©e du pays »[7][5].

Le 12 octobre 1840, Espartero s’entretint avec la rĂ©gente Ă  Valence. Au cours cet entretien, la rĂ©gente communiqua Ă  Espartero sa dĂ©cision d’abandonner la rĂ©gence et de lui confier le soin de ses filles : Isabelle II et sa sƓur Louise-Fernande de Bourbon[7]. Le mĂȘme jour, Marie-Christine signait sa renonciation Ă  la rĂ©gence — et la convocation d’élections — et le 17 octobre elle embarquait Ă  Valence pour Marseille, pour commencer un exil — volontaire selon Juan Francisco Fuentes ; forcĂ© selon Jorge Vilches — qui durerait trois ans[7][8]. Selon Josep Fontana, la rĂ©gence « rejeta Ă  Valence les conditions qu’on exigeait d’elle et dĂ©cida de renoncer Ă  la rĂ©gence et de s’exiler en France, non pour se retirer de la politique, mais pour conspirer depuis lĂ -bas avec plus de sĂ©curitĂ© », comme l’illustra le pronunciamiento modĂ©rĂ© de 1841, qui Ă©choua et dont elle Ă©tait l’instigatrice[9].

Histoire

Nomination d’Espartero comme rĂ©gent et dissensions avec les progressistes

AprĂšs le dĂ©part en exil de Marie-Christine, la rĂ©gence fut exercĂ©e de façon intĂ©rimaire par le gouvernement prĂ©sidĂ© par Espartero, selon ce qu’établissait la Constitution de 1837 — on parla alors de « MinistĂšre-RĂ©gence » —, jusqu’à ce que les CortĂšs se prononcent. À propos de la rĂ©gence, la Constitution affirmait : « jusqu’à ce que les CortĂšs nomment la rĂ©gence le royaume sera provisoirement gouvernĂ© par le pĂšre ou la mĂšre du Roi et en cas de dĂ©faut de ces derniers par le Conseil des Ministres »[10].

La premiĂšre mesure prise par le nouveau gouvernement fut de satisfaire la principale revendication des progressistes, qui avait motivĂ© les rĂ©voltes : la suspension de la loi sur les municipalitĂ©s sanctionnĂ©e par Marie-Christine. Par la suite, il convoqua des Ă©lections aux CortĂšs, cĂ©lĂ©brĂ©es le 1er fĂ©vrier 1841 et qui donnĂšrent une majoritĂ© confortable au Parti progressiste, notamment en raison du retrait des modĂ©rĂ©s, ce qui rendait le rĂ©sultat peu lĂ©gitime et dĂ©naturait l’essence mĂȘme d’un rĂ©gime parlementaire et reprĂ©sentatif. Ainsi, en raison du manque d’une vĂ©ritable opposition au gouvernement Ă  cause de l’absence des modĂ©rĂ©s au Parlement, cette opposition fut en pratique assumĂ©e par une fraction du parti progressiste lui-mĂȘme, comme cela se produisit lors des dĂ©bats portant sur la question de la rĂ©gence[11].

En effet, lors de ces dĂ©bats une division se rĂ©vĂ©la au sein des progressistes, entre « unitaires » et « trinitaires ». Les premiers, Ă©galement nommĂ©s « esparteristes », soutenaient que la rĂ©gence devait ĂȘtre exercĂ©e par une seule personne, en l’occurrence Espartero, tandis que les seconds, craignant d’une concentration excessive de poouvoir dans les mains du seul gĂ©nĂ©ral, proposĂšrent une rĂ©gence dirigĂ©e par trois personnes, dont Espartero, afin de prĂ©server « un plus grand Ă©quilibre entre Ă©lĂ©ments civils et militaires et un contrĂŽle plus prĂ©cis, par consĂ©quent, de la RĂ©gence, rappelant la trajectoire de Marie-Christine »[12].

Portrait d’Antonio González y González par Ricardo María Navarrete y Fos.

Ainsi, lorsque les nouvelles CortĂšs, inaugurĂ©es le 19 mars 1841, votĂšrent Ă  propos de la rĂ©gence, les esparteristes gagnĂšrent le vote avec 153 dĂ©putĂ©s favorables Ă  une rĂ©gence unique, les trinitaires obtinrent un rĂ©sultat malgrĂ© tout notable, avec 136 voix pour une rĂ©gence « trinitaire ». Espartero « put constater que l’appui de ses associĂ©s au gouvernement, les progressistes, n’allait pas ĂȘtre unanime ni inconditionnel ». Finalement, le gĂ©nĂ©ral Espartero fut Ă©lu rĂ©gent le 10 mai par 179 votes, le candidat « trinitaire » AgustĂ­n de ArgĂŒelles remportant le soutien de 110 dĂ©putĂ©s, rĂ©sultat non nĂ©gligeable, d’autant plus si on considĂ©rait son Ă©lection comme prĂ©sident du CongrĂšs des dĂ©putĂ©s et comme tuteur de la reine Isabelle II[13]. Ce vote marqua « la premiĂšre fissure importante entre Espartero et le parti progressiste »[14].

Les divergences entre une partie des progressistes et Espartero se poursuivirent lorsque celui-ci, exerçant la rĂ©gence, nomma le 20 mai Antonio GonzĂĄlez y GonzĂĄlez Ă  la prĂ©sidence du gouvernement, un homme qui avait sa confiance mais n’était pas du goĂ»t des principaux leaders progressistes. Cette dĂ©signation unissait de facto la direction de l'État et la prĂ©sidence du gouvernement, ce qui allait contre l’esprit du rĂ©gime parlementaire[15][14].

Tensions avec les ayacuchos et apparition du militarisme

Le général Valentín Ferraz, membre des ayacuchos (es).

Peu de temps aprĂšs avoir assumĂ© la rĂ©gence, Espartero fut accusĂ© par certains secteurs de l’ArmĂ©e et des partis modĂ©rĂ© et progressiste de favoriser uniquement les membres de sa camarilla militaire — connue sous le nom d’« ayacuchos (es) » — dans sa politique de nominations militaires — et mĂȘme civils dans certains cas —. Les ayacuchos Ă©taient des gĂ©nĂ©raux qui avaient la pleine confiance du rĂ©gent, car ils avaient combattu et fait l'essentiel de leur carriĂšre militaire avec lui dans les guerres d'indĂ©pendance hispano-amĂ©ricaines, d’oĂč leur dĂ©nomination — en rĂ©fĂ©rence Ă  la bataille qui constitua le dernier grand affrontement de ces conflits, Ă  laquelle Espartero n’avait d’ailleurs pas participĂ© —[16]. Ces militaires rentrĂ©s en Espagne maintinrent des relations clientĂ©laires de soutien mutuel durant la guerre carliste de 1833-1840 autour d’Espartero, qui se poursuivirent lorsque celui-ci exerça la rĂ©gence[10].

La favoristisme envers les ayacuchos s’additionnait au mal-ĂȘtre dans les rangs de l’armĂ©e Ă  cause des retards dans le paiement des soldes des officiers de l'ArmĂ©e, et des difficultĂ©s qu’ils rencontraient pour bĂ©nĂ©ficier de promotions et dĂ©velopper leur carriĂšre militaire. Espartero n'Ă©tait nĂ©anmoins pas responsable de cette situation, qui provenait d’un problĂšme de fond : le nombre excessif d'officiers, de chefs militaires et de gĂ©nĂ©raux, rĂ©sultat des guerres quasi-permanentes dans lequel le pays s’était trouvĂ© impliquĂ© depuis 1840, qui avaient donnĂ© lieu Ă  de nombreuses promotions par mĂ©rite de guerre et nominations. Un problĂšme notablement aggravĂ© par la Convention d'Ognate du 29 aoĂ»t 1839, qui permettait l'intĂ©gration dans l'ArmĂ©e des officiers carlistes, dont un bon nombre firent la demande. L’État se trouva ainsi incapable de faire face au coĂ»t Ă©conomique d’une ArmĂ©e aux effectifs gonflĂ©s et dont le rĂ©publicain Fernando Garrido dit quelques annĂ©es plus tard qu'elle Ă©tait « la plus chĂšre du monde ». En consĂ©quence, les paies se firent de plus en plus sporadiques et les protestations de militaires se firent omniprĂ©sentes, Ă  tel point q'un rĂ©gime en arriva Ă  se dĂ©clarer en grĂšve en 1841[17].

Selon Juan Francisco Fuentes, « c’est ainsi que fut crĂ©Ă© un cercle vicieux trĂšs difficile Ă  briser : les militaires voulaient toucher leurs soldes, rĂ©ussir dans leur carriĂšre et avec un destin en accord avec leur grade. Les gouvernants, pour leur part, qu'ils fussent civils ou militaires, manquaient du courage politique pour aborder la nĂ©cessaire rĂ©forme de l'armĂ©e, qui exigeait une rĂ©duction drastique des tableaux d’avancement, mais en maintenant un tel Ă©tat des choses, ils perpĂ©tuaient le mĂ©contentement des militaires et leur disposition Ă  participer Ă  tout type d'aventures politiques »[18]. Ceci encouragea la naissance d’un discours corporatiste et militariste canalisĂ© Ă  travers des pĂ©riodiques, dont certains aux noms Ă©vocateurs, comme El Grito del EjĂ©rcito (« Le Cri de l'ArmĂ©e ») ou El Archivo Militar (« L’Archive Militaire »), qui publia dans ses colonnes un article disant[19] :

« Nous ne pouvons ni ne voulons dire : l'État c'est nous, mais nous dirons : la patrie, oĂč si vous prĂ©fĂ©rez, la partie la plus pure de la patrie c’est nous. »

Travail législatif des CortÚs

Les nouvelles CortĂšs commencĂšrent un intense travail lĂ©gislatif qui, Ă©tant donnĂ© l’écrasante majoritĂ© progressiste, se plaça dans la continuitĂ© par les gouvernements de mĂȘme sensibilitĂ© prĂ©sidĂ©s par Juan Álvarez MendizĂĄbal et JosĂ© MarĂ­a Calatrava au cours de la dĂ©cennie antĂ©rieure. La loi du 19 aoĂ»t 1941 complĂ©ta le processus lĂ©gal de suppression du caractĂšre aliĂ©nable (en) de certains biens immobiliers nobiliaires — en pratique le majorat — et une autre du 2 septembre de la mĂȘme annĂ©e Ă©tendit le dĂ©samortissement de MendizĂĄbal aux biens du clergĂ© sĂ©culier. Cette foi, avec l'abolition dĂ©finitive de la dĂźme, ainsi que d’autres projets « anticlĂ©ricaux » — comme la rĂ©novation de l’obligation pour le clergĂ© de jurer fidĂ©litĂ© au pouvoir constituĂ©, le 14 novembre 1841, ou le projet de loi sur la juridiction ecclĂ©siastique prĂ©sentĂ© le mois suivant —, contribuĂšrent Ă  dĂ©grader les relations dĂ©jĂ  tendues du rĂ©gime isabellin avec le Saint SiĂšge depuis que le nonce avait quittĂ© l'Espagne en 1835. Le pape GrĂ©goire XVI protesta contre ce qu’il considĂ©rait une ingĂ©rence du gouvernement en matiĂšre ecclĂ©siastique. Le prĂȘtre conservateur Jaime Balmes en vint Ă  l’accuser d’ĂȘtre guidĂ© par un esprit « schismatique » et de vouloir faire de l’Église espagnole une entitĂ© similaire l’Église anglicane. La loi sur l’imprimerie progressiste de 1837 fut Ă©galement restaurĂ©e, ce qui permit d’étendre considĂ©rablement la libertĂ© d'expression de la presse, y compris celle qui Ă©tait critique envers le gouvernement[20][21].

D’autres lois remarquables furent celles qui tentĂšrent de rĂ©gulariser les fors navarrais (es) et basques. Or, si dans le premier cas, les nĂ©gociations avec la dĂ©putation forale de Navarre furent un succĂšs et dĂ©bouchĂšrent sur un accord ratifiĂ© par les CortĂšs le 20 septembre 1841 avec la Loi de modifications des fors de la province de Navarre (es) — qui « harmonisait » les fors avec la Constitution de 1837 —, aucun accord ne fut possible dans le second cas, si bien que la Biscaye, l’Alava et le Guipuscoa restĂšrent dans une infĂ©dinition lĂ©gale qui ne serait rĂ©solue qu’en 1876. Toutefois, deux dĂ©crets limitĂšrent les attributions des trois dĂ©putations forales basques. Le premier, du 5 janvier 1841, Ă©limina une disposition qui jusqu’alors permettait aux dĂ©putations forales de ne pas suivre les lois de l’État qui seraient contraire Ă  ses fors. Le second est un dĂ©cret du 29 octobre de la mĂȘme annĂ©e, qui supprima les douanes intĂ©rieures, Ă©tablit dans les trois provinces les tribunaux de premiĂšre instance et Ă©tendit le nombre de personnes pouvant participer aux Ă©lections municipales et forales[22].

L’échec du pronunciamiento modĂ©rĂ© de 1841 et ses consĂ©quences

Le gouvernement d’Antonio GonzĂĄlez y GonzĂĄlez dut faire face au pronunciamiento de 1841, organisĂ© depuis Paris par la rĂ©gente Marie-Christine avec la collaboration du Parti modĂ©rĂ© et rĂ©alisĂ© par des gĂ©nĂ©raux de mĂȘme sensibilitĂ©, sous la direction de RamĂłn MarĂ­a NarvĂĄez, avec la collaboration du jeune colonel Juan Prim, bien que ce dernier fĂ»t plus proche des progressistes[15].

Isabelle II enfant (vers 1840).

Le pronunciamiento fut lancĂ© le 27 septembre Ă  Pampelune par le gĂ©nĂ©ral Leopoldo O’Donnell, mais il n’obtint pas que la ville proclamĂąt Marie-Christine comme rĂ©gente, en dĂ©pit du fait qu’il ordonnait de la bombarder depuis citadelle (es)[23]. L’insurrection ne commença vraiment que le 4 octobre, avec le soulĂšvement de Vitoria par le gĂ©nĂ©ral JosĂ© Rosell del Piquer, suivi de la proclamation de la rĂ©gente faite Ă  Bergara sous le commandement du gĂ©nĂ©ral Juan Antonio de Urbiztondo, accompagnĂ©e de la constitution au nom de Marie-Christine d’une Junte suprĂȘme de gouvernement prĂ©sidĂ©e par Manuel Montes de Oca (es)[24].

Le mĂȘme 7 octobre eut lieu le fait le plus significatif de ce soulĂšvement : l’assaut du palais royal pour capturer Isabelle II et sa sƓur et les emmener au Pays basque. La rĂ©gence de Marie-Christine fut de nouveau proclamĂ©e et un gouvernement prĂ©sidĂ© par Francisco Javier de IstĂșriz fut nommĂ©. Au cours d’une nuit pluvieuse, les gĂ©nĂ©raux Diego de LeĂłn et Manuel de la Concha, avec la complicitĂ© de la Garde extĂ©rieure, entrĂšrent au palais royal, mais ne parvinrent pas Ă  s’emparer des deux enfants Ă  cause de la rĂ©sistance que leur prĂ©sentĂšrent les hallebardiers dans l’escalier principal. Diego de LeĂłn se livra, convaincu qu’Espartero n’allait pas le fusiller[23].

Le pronunciamiento fut justifiĂ© en allĂ©guant que la reine se trouvait sĂ©questrĂ©e par les progressistes Ă  travers son tuteur AgustĂ­n de ArgĂŒelles et la dame de compagnie nommĂ©e par ce dernier, la comtesse d’Espoz y Mina (es), veuve du fameux guĂ©rillero et militaire libĂ©ral Francisco Espoz y Mina. Ce faisant, les progressistes mettaient en pratique l’une de leurs aspiratons fondamentales : contrĂŽler l’éducation de la jeune reine de sorte qu’elle devienne l’idĂ©es qu’ils se faisaient d’une « reine libĂ©rale »[14]. Pour cette raison, l’objectif du pronunciamiento Ă©tait le retour de MarĂ­a Cristina, « dĂ©sireuse de rĂ©cupĂ©rer la RĂ©gence et la tutelle royale dont elle avait Ă©tĂ© formellement Ă©cartĂ©e », ce qui « supposait de contrĂŽler les ressorts du Palais comme pouvoir de fait dans la prise de dĂ©cisions politiques et Ă©conomiques »[24].

Selon Juan Francisco Fuentes, le pronunciamiento n’était pas seulement opposĂ© Ă  Espartero, mais Ă©galement antilibĂ©ral, ce qui « s’explique par le poids dĂ©terminant qu’aussi bien l’ancienne rĂ©gente — qui finança le soulĂšvement avec plus de huit millions de rĂ©aux — que son mari, Fernando Muñoz, eurent dans la direction du coup et par la participation dans celui-ci de secteurs carlistes insatisfaits du supposĂ© non-respect de l’accord de Bergara [
] ainsi que la notoire complicitĂ© des dĂ©putations forales, contraires Ă  la solution centraliste que le gouvernement venait de donner aux fors basques »[25]. Le soulĂšvement avait le soutien des anciens militaires carlistes mĂ©contents car ils restaient dans l’attente de la reconnaissance des mĂ©rites accomplis au cours de la premiĂšre guerre carliste de 1833-1840 et de leur intĂ©gration dans l'ArmĂ©e. Bien que la « question carliste » ne fĂ»t pas la clĂ© de la rĂ©bellion, elle lui donna une base sociale et une couverture territoriale, et il est significatif que ses principaux noyaux se trouvent en Navarre et au Pays basque[24].

Conséquences

Le général Diego de León, fusillé en raison de son implication dans le pronunciamiento.

La rĂ©ponse d’Espartera brisa une des rĂšgles non Ă©crites des militaires en rapport avec les pronunciamientos — respecter la vie des vaincus —, car il fit fusiller les gĂ©nĂ©raux Montes de Oca, Borso de Carminati et Diego de LeĂłn, ce qui eut un impact important dans une grande partie de l’ArmĂ©e et de l’opinion publique, y compris la progressiste, car la mort du jeune gĂ©nĂ©ral Diego de LeĂłn — il avait tout juste 34 ans —, qu’Espartero refusa de gracier, « resta dans la mĂ©moire populaire comme un crime impardonnable du rĂ©gent »[23]. D’autre part, la dure rĂ©pression ordonnĂ©e par Espartero ne mit pas fin aux conspirations des modĂ©rĂ©s, qui continuĂšrent d’agir dans la clandestinitĂ©[25][26].

Dans certaines villes, on rĂ©pondit au soulĂšvement modĂ©rĂ© de 1841 par des soulĂšvements progressistes contraires, mais, une fois le premier vaincu, certaines juntes dĂ©sobĂ©irent aux ordres de dissolution donnĂ©s par Espartero et dĂ©fiĂšrent l’autoritĂ© du rĂ©gent. Les Ă©vĂšnements les plus graves eurent lieu Ă  Barcelone, oĂč la Junte de surveillance prĂ©sidĂ©e par Juan Antonio LlinĂĄs, profitant de l’absence du capitaine gĂ©nĂ©ral Antonio Van Halen — qui s’était rendu en Navarre afin de mettre fin au pronunciamiento modĂ©rĂ© —, se livra Ă  la destruction de la forteresse de la citadelle, construite sur ordres de Philippe V aprĂšs sa victoire dans la guerre de succession et considĂ©rĂ© comme un symbole d'oppression par la majoritĂ© des Barcelonais. Avec cette mesure, on prĂ©tendait de plus donner du travail aux nombreux ouvriers qui se trouvaient alors au chĂŽmage. Espartero rĂ©agit par la suppression de la Junte pour « abus de libertĂ© », le dĂ©sarmement de la milice ainsi que la dissolution du conseil municipal et de la dĂ©putation de Barcelone — il fit payer Ă  la ville les murs de la citadelle qui avaient Ă©tĂ© abattus —[27].

Plan de Barcelone en 1806 avec la forteresse de la citadelle, Ă  droite, Ă  l’intĂ©rieur des murailles. À gauche, la colline de MontjuĂŻc.

Peu aprĂšs, en dĂ©cembre 1841, furent cĂ©lĂ©brĂ©es des Ă©lections municipales, avec une montĂ©e notable du rĂ©publicanisme dans certaines villes importantes — notamment Barcelone, Valence, SĂ©ville, Cadix, Cordoue, Alicante ou Saint-SĂ©bastien —. Ainsi, aux traditionnelles revendications populaires des consumos (es) — impĂŽts indirects sur certains produits de premiĂšre nĂ©cessitĂ©, trĂšs impopulaires — et l’abolition des quintas (es) — service militaire obligatoire — s’ajouta celle de l’abolition de la Monarchie, la rĂ©duction des dĂ©penses militaires ou la rĂ©partition des terres. Ces Ă©lections marquĂšrent donc l'apparition — ou la consolidation notable — d’un mouvement radical Ă  gauche du Parti progressiste, qui « unissait la lutte pour la pleine dĂ©mocratie, idenfiĂ©e avec la rĂ©publique et le fĂ©dĂ©ralisme, Ă  l’aspiration Ă  une sociĂ©tĂ© plus Ă©galitaire »[28].

La mouvement rĂ©publicain, en plus de personnages comme AbdĂłn Terradas ou Wenceslao Ayguals de Izco, bĂ©nĂ©ficiait du soutien des sociĂ©tĂ©s ouvriĂšre d’entraide, dont la premiĂšre organisation — celle des tisserands — Ă©tait apparue Ă  Barcelone en mai 1840. Elle supposa « un vĂ©ritable tournant dans l'histoire du mouvement ouvrier espagnol, qui commençait Ă  s’organiser, lĂ  oĂč existait une classe ouvriĂšre Ă  proprement parler, Ă  la marge des formes d’association et de lutte des classes moyennes libĂ©rales »[28][29]. L’Association mutuelle des ouvrieres de l’industrie cotonniĂšre, prĂ©sidĂ©e par Juan Munts, avait Ă©tĂ© fondĂ©e sous l’égide de l’ordre royal du 28 fĂ©vrier 1830 sur ce genre de sociĂ©tĂ©s[30]. En 1842, les sociĂ©tĂ©s ouvriĂšres s’étaient dĂ©jĂ  consolidĂ©es et se livraient Ă  un bras de fer avec le patronat afin d’amĂ©liorer les conditions de travail et les droits de leurs membres[31].

Insurrection et bombardement de Barcelone (fin 1842)

Portrait du général José Ramón Rodil y Campillo.

Le 28 mai 1842, le gouvernement d’Antonio GonzĂĄlez tomba Ă  cause d’un vote de censure remportĂ© par le Parti progressiste aux CortĂšs. Selon Josep Fontana, « cet affrontement absurde » entre les CortĂšs et le gouvernement qui y Ă©tait majoritaire — commençait le suicide du progressisme —[32].

Le Parti progressiste proposa comme candidat le progressiste « pur » Salustiano de OlĂłzaga, mais Espartero dĂ©signa Ă  la place le gĂ©nĂ©ral ayacucho JosĂ© RamĂłn Rodil y Campillo. Un mois et demi plus tard, il fermait les CortĂšs. En dĂ©signant un membre de sa camarilla militaire Ă  la prĂ©sidence du gouvernement, Espartero « s'Ă©loignait de son rĂŽle d’article, en se repliant sur un cercle intime principalement composĂ© par des militaires liĂ©s Ă  sa personne, qui ne rĂ©pondaient pas au contenu parlementaire progressiste »[33]. Avec cette nomination, il maintint la dualitĂ© de pouvoirs dont il jouissait, ceux du chef de l’État et de la prĂ©sidence de facto de l’exĂ©cutif, dont le bombardement de Barcelone en dĂ©cembre 1842 qu’il avait dĂ©cidĂ©e — lui et pas le gouvernement de Rodil (es) —[34] et qui fut « l’un des Ă©pisodes qui contribua le plus Ă  la dĂ©gradation de la figure du RĂ©gent »[30].

Le 13 novembre 1842 Ă©clata Ă  Barcelone une insurrection Ă  laquelle se joignit la milice et, en quelques heures, la ville se remplit de barricades. Son catalyseur fut la nouvelle selon laquelle le gouvernement s’apprĂȘtait Ă  signer un accord commercial libre-Ă©changiste avec le Royaume-Uni qui baisserait les frais de douane sur les produits textiles britanniques, ce qui supposerait la ruine pour l’industrie cotonniĂšre catalane[35]. L’insurrection fut dĂ©clenchĂ©e par une Ă©meute survenue sur l’avenue Portal de l'Àngel en lien avec les consumos l’aprĂšs-midi du dimanche 13 novembre[36]. L’autoritĂ© militaire rĂ©pondit par l’occupation de la municipalitĂ© et la dĂ©tention de plusieurs journalistes d’El Republicano prĂ©sents lors des faits[31][30]. Le lendemain, les membres d’une commission qui demandait la libĂ©ration des dĂ©tenus furent Ă  leur tour emprisonnĂ©s.[37].

Commença alors une guerre de barricades protagonisĂ©e par la milice, appuyĂ©e par des civils armĂ©s[37]. Le capitaine gĂ©nĂ©ral de Barcelone, l’ayacucho Antonio Van Halen, se vit contraint Ă  ordonner Ă  ses hommes d’abandonner la ville et de se replier vers le chĂąteau de MontjuĂŻc — situĂ© sur la montagne homonyme, dominant la capitale — et vers la forteresse de la citadelle, Ă  l’autre bout de la ville[30].

Le repli des troupes gouvernementales fut considĂ©rĂ© comme un triomphe par les insurgĂ©s, dont la junte — prĂ©sidĂ©e par Juan Manuel Carsy et dont l’origine se trouvait dans la Junte de surveillance formĂ©e l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente — rendit son programme public[37] :

« Union entre tous les libĂ©raux. À bas Espartero et son gouvernement. CortĂšs constituantes. En cas de rĂ©gence, plus d’un [
]. Justice et protection Ă  l’industrie nationale. »

Espartero dĂ©cida de diriger personnellement la rĂ©pression de l’insurrection et arriva le 22 novembre Ă  Barcelone. Le mĂȘme jour, le gĂ©nĂ©ral Van Halen, sur ordre du rĂ©gent, communiqua que Barcelone serait bombardĂ©e depuis le chĂąteau de MontjuĂŻc si les insurgĂ©s ne se rendaient pas dans les 48 h. La confusion rĂ©gna alors dans la ville et la junte fut remplacĂ©e par une autre plus modĂ©rĂ©e, avec laquelle Espartero refusa de nĂ©gocier, puis par une troisiĂšme, dominĂ©e par les rĂ©publicains et prĂȘte Ă  rĂ©sister[38]. Finalement, le 3 dĂ©cembre 1842 commença le bombardement. Environ 1014 projectiles furent tirĂ©s depuis le chĂąteau, qui abĂźmĂšrent 462 maisons et causĂšrent 20 victimes mortelles. La ville se rendit le lendemain et l'armĂ©e y refit son entrĂ©e[38].

La rĂ©pression ordonnĂ©e par Espartero fut trĂšs dure. Il dĂ©sarma la milice et plusieurs centaines de personnes furent dĂ©tenues, dont une centaine fut fusillĂ©e. Il punit collectivement la ville avec le paiement d’une contribution extraordinaire de 12 millions de rĂ©aux pour financer la reconstruction de la citadelle [38]. Il dissolut Ă©galement l’Association des tisserands et ordonna la fermeture de tous les pĂ©riodiques Ă  l’exception du conservateur Diario de Barcelona. Avant de revenir Ă  Madrid le 22 dĂ©cembre, depuis sa rĂ©sidence Ă  SarriĂ  et sans avoir posĂ© le pied Ă  Barcelone, il remplaça Van Halen Ă  la tĂȘte de la capitainerie gĂ©nĂ©rale de Catalogne par un autre gĂ©nĂ©ral ayacucho Antonio Seoane, qui proposait de gouverner la rĂ©gion « en fusillant et en tirant de la mitraille »[39].

Espartero avait rĂ©ussi Ă  mettre fin Ă  la rĂ©volte, mais avec le bombardement et la dure rĂ©pression qui suivit, il perdi l'« immense appui social et politique qu’il avait traditionnellement eu Ă  Barcelone ». Ainsi, « L’unanimitĂ© qu’aura Ă  Barcelone le soulĂšvement contre Espartero en 1843 n’a rien d’étonnant »[40]. De mĂȘme, « le symbole de Barcelone agit Ă©galement sur Madrid », le retour d’Espartero Ă©tant « accueilli avec une froideur qui contrastait avec le dĂ©bordement de joie et la pompe ed 1840 »[41].

Crise de mai 1843

AprĂšs le bombardement de Barcelone, Espartero perdit une grande partie de la popularitĂ© qu’il avait gagnĂ©e en tant que vainqueur du premier conflit carliste et qui lui avait valu le titre de « duc de la Victoire ». Ainsi, au cours des premiers mois de 1843 se constitua une coalition hĂ©tĂ©rogĂšne qui lui Ă©tait opposĂ©e et Ă  laquelle se joignirent tous les groupes et secteurs qui rejetaient la politique qu’il menait avec sa camarilla d’ayacuchos[42].

Peu aprĂšs son retour Ă  Madrid, Espartero dissolut les CortĂšs le 3 janvier 1843 et convoqua de nouvelles Ă©lections pour le mois de mars, auxquelles se prĂ©sentĂšrent cette fois les modĂ©rĂ©s. Le 3 avril les nouvelles CortĂšs ouvrirent leurs sessions. Son activitĂ© au cours du mĂȘme mois se limita Ă  dĂ©battre des candidats Ă©lus car des dĂ©nonces furent dĂ©posĂ©es contre les violations commises par le gouvernement et l'ArmĂ©e pour s’assurer le triomphe des candidats esparteristes[39]. À la fin du dĂ©bat il fut Ă©tabli que le Parti progressiste avait de nouveau remportĂ© la majoritĂ©. Il Ă©tait cependant divisĂ© en trois secteurs, dont un seul maintenait encore son soutien au rĂ©gent — celui prĂ©cisĂ©ment nommĂ© « esparteriste » — tandis que les deux autres — celui des « lĂ©gaux », menĂ©s par Manuel Cortina, et celui des « purs », Ă  la tĂȘte duquel se trouvait JoaquĂ­n MarĂ­a LĂłpez — Ă©taient hostiles Ă  Espartero. De cette maniĂšre, en rĂ©alitĂ©, c’était l'opposition antiesparteriste — formĂ©e par les progressistes lĂ©gaux et purs, les dĂ©mocrates-rĂ©publicains et les modĂ©rĂ©s — qui dĂ©tenait la majoritĂ© au Parlement.

Le premier acte de la nouvelle majoritĂ© fut de faire chuter le gouvernement du gĂ©nĂ©ral Rodil et d’obliger le rĂ©gent Ă  nommer le 9 mai le leader des progressistes purs JoaquĂ­n MarĂ­a LĂłpez, qui obtint le soutien de la chambre. La crise s'accentua lorsque le gouvernement de LĂłpez exigea d’Espartero qu’il destitue son secrĂ©taire personnel le gĂ©nĂ©ral Francisco Linage pour le mettre Ă  la tĂȘte d’une capitainerie gĂ©nĂ©rale — il perdit ainsi Ă©galement le poste d’inspecteur de l'infanterie et des milices —[43]. Ce faisant, les antiesparteristes prĂ©tendaient dĂ©manteler la camarilla d'ayacuchos qui soutenait le caudillisme du rĂ©gent. En rĂ©ponse Espartero destitua JoaquĂ­n MarĂ­a LĂłpez — aprĂšs seulement 10 jours Ă  la tĂȘte du gouvernement —, ce qui constitua le dĂ©clencher la crise[44][41].

Le 19 mai, Espartero nomma Álvaro GĂłmez Becerra nouveau prĂ©sident du Conseil des ministre, mais lorsque la nouvelle fut connue au CongrĂšs, les dĂ©putĂ©s votĂšrent une motion de soutien au gouvernement destituĂ©, approuvĂ©e avec 114 votes pour et 3 contre, dans ce qui Ă©tait de facto une motion de censure contre le rĂ©gent. Ainsi, lorsque GĂłmez Becerra se prĂ©senta devant le Parlement, il fut reçu par des cris de « Dehors ! Dehors ! » lancĂ©s depuis les tribunes. Le progressiste pur Salustiano OlĂłzaga intervint en poussant le rĂ©gent Ă  choisir « entre cet homme [Linage] et la nation entiĂšre reprĂ©sentĂ©e par le congrĂšs unanime de ses dĂ©putĂ©s » et termina son discours par un « Dieu sauvera le pays et sauvera la reine ! » qui, dĂ©formĂ© en « Que Dieu sauve le pays, que Dieu sauve la reine ! », devint le cri de guerre de la rĂ©volte contre Espartero qui Ă©clata le mois suivant. À partir du 26 mai, les sessions des CortĂšs furent suspendues[45].

Fin de la régence

La crise de mai renforça et souda encore plus les secteurs antiesparteristes malgrĂ© leur hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© — ils incluaient depuis les modĂ©rĂ©s jusqu’aux dĂ©mocrates et rĂ©publicains, en passant par la majoritĂ© du Parti progressiste —. Dans l’ensemble, les dĂ©cisions prises par Espartero au cours de la crise de mai « furent considĂ©rĂ©es comme un attentat flagrant contre l'ordre constitutionnel et firent de la conspiration antiesparteriste un mouvement en dĂ©fense de la lĂ©galitĂ© »[46].

À peine la destitution du gouvernement de JoaquĂ­n MarĂ­a LĂłpez et la suspension des CortĂšs connues, le 27 mai se produisit Ă  Reus un soulĂšvement menĂ© par Juan Prim et Lorenzo Milans del Bosch, militaires proches du progressisme, au cri de « À bas Espartero ! MajoritĂ© de la Reine ! »[47]. Bien que le gĂ©nĂ©ral esparteriste Zurbano parvĂźnt Ă  dominer la rĂ©bellion Ă  Reus, Barcelone se joignit rapidement au mouvement et en juin fut formĂ©e une Junte suprĂȘme de gouvernement de la province de Barcelone dans laquelle figuraient rĂ©publicains, progressistes et modĂ©rĂ©s. Peu aprĂšs, le gĂ©nĂ©ral Prim faisait son entrĂ©e triomphale dans la ville[48].

L’insurrection s'Ă©tendit non seulement dans le reste de la frange mĂ©diterranĂ©enne et en Andalousie « la typique « gĂ©ographie juntera » » mais aussi dans certaines grandes villes de l’intĂ©rieur oĂč les modĂ©rĂ©s dominaient — Valladolid, Burgos, Cuenca et celles du Pays basque —[49]. « Des rĂ©voltes qui acceptĂšrent la supposĂ©ment dĂ©sintĂ©ressĂ©e collaboration des gĂ©nĂ©raux modĂ©rĂ©s, qui avaient crĂ©Ă© en France une "SociĂ©tĂ© militaire espagnole", organisĂ©e comme un regroupement secret », « et qui revenaient maintenant, de nouveau appuyĂ©s par l’argent de la reine mĂšre »[50].

Le 21 juin, Espartero prit la route en direction de Valence pour diriger les opĂ©rations contre les insurgĂ©s. Cependant, le 27 juin, revenant de leur exil Ă  Paris, trois gĂ©nĂ©raux proches du Parti modĂ©rĂ© — RamĂłn MarĂ­a NarvĂĄez, Manuel GutiĂ©rrez de la Concha et Juan GonzĂĄlez de la Pezuela — dĂ©barquĂšrent Ă  Valence, ce qui amena le rĂ©gent Ă  renoncer Ă  son projet initial et Ă  s’arrĂȘter Ă  Albacete, oĂč il sĂ©journa entre le 25 juin et le 7 juillet (es)[51]. Le 27 juin un autres des gĂ©nĂ©raux conjurĂ©s, Francisco Serrano, accompagnĂ© de l’homme politique Luis GonzĂĄlez Bravo — alors dans les rangs des progressistes lĂ©gaux —. Le jour suivant, Serrano, aprĂšs s’ĂȘtre auto-proclamĂ© « ministre universel », dĂ©crĂ©tait la destitution du rĂ©gent et du Gouvernement de GĂłmez Becerra[51].

Selon Josep Fontana, Serrano prétendait[52] :

« stabiliser une situation confuse dans laquelle NarvĂĄez avait assumĂ© initialement le protagonisme, dans le but de lui donner une sortie politique, en assurant le rĂ©tablissement du gouvernement de LĂłpez [dans lequel Serrano avait Ă©tĂ© ministre de la Guerre] et, avec cela, le maintien des progressistes au pouvoir. En mĂȘme temps Serrano nommait NarvĂĄez capitaine gĂ©nĂ©ral, ratifiant ainsi le poste que lui avait donnĂ© la Junte rĂ©volutionnaire de Valence, avec l’intention d’éviter qu’autour de lui ne surgisse un pouvoir politique parallĂšle.
La Junte de Barcelone assuma cette prĂ©tention et nomma le 29 juin Serrano chef d’un « gouvernement provisoire » qui reprĂ©sentait le rĂ©tablissement du vieux ministre progressiste, en Ă©change de l’acceptation par ce dernier, comme il le fit, du programme Ă  trois points des rĂ©volutionnaires barcelonais : « Constitution de 1837, Isabelle II et Junte centrale ». AprĂšs avoir promis Ă  Barcelone tout ce qui lui Ă©tait demandĂ©, Serrano se rendit Ă  Madrir pendant que les Barcelonais reprenaient la destruction des murailles. »

Le 22 juillet eut lieu prĂšs de Madrid la bataille de TorrejĂłn de Ardoz (es), dans laquelle s’affrontĂšrent les troupes gouvernementales de l’Aragon commandĂ©es par le gĂ©nĂ©ral Antonio Seoane et celles insurgĂ©es sous les ordres de NarvĂĄez, qui venaient de Valence. Il y eut en rĂ©alitĂ© Ă  peine un combat — la bataille dura seulement un quart d’heure et se solda par deux morts et vingt blessĂ©s dans les deux camps rĂ©unis —, car presque toutes les troupes de Seoane passĂšrent au camp rebelle au cri de « Nous sommes tous un ! ». Le 23 juillet, NarvĂĄez faisait son entrĂ©e Ă  Madrid et rĂ©tablissait JoaquĂ­n MarĂ­a LĂłpez Ă  la tĂȘte du gouvernement[53][51].

Cependant, LĂłpez ne reconnut pas l’engagement pris d’un commun accord entre Serrano et la Junte de convoquer une Junte centrale qui assumerait le pouvoir, ce qui finirait par dĂ©cl;encher la « rĂ©volution centraliste » catalane de septembre-novembre 1843, connue sous le nom de « Jamancia (es) », lorsqu’Espartero avait dĂ©jĂ  chutĂ©[54].

Pendant ce temps, le rĂ©gent combattait la rĂ©bellion en Andalousie. Sa tentative de prendre SĂ©ville Ă©choua, mĂȘme aprĂšs le bombardement de la ville par Van Halen. AprĂšs avoir appris le dĂ©nouement de la bataille de TorrejĂłn de Ardoz, il dĂ©cida de prendre l'exiul avec quelques hommes de confiance. Le 30 juillet, ils embarquĂšrent tous Ă  El Puerto de Santa MarĂ­a sur un navire britannique Ă  destination de l’Angleterre, mettant fin Ă  la rĂ©gence d’Espartero[51].

Notes et références

  1. Fuentes 2007, p. 131.
  2. Vilches 2001, p. 32.
  3. Fuentes 2007, p. 132.
  4. Vilches 2001, p. 33-34.
  5. PĂ©rez NĂșñez 1996.
  6. DĂ©nomination dĂ©battue. Par exemple PĂ©rez NĂșñez 2014, qui considĂšre que la rĂ©volte visait Ă  rĂ©sister contre les changements que prĂ©tendaient instaurer les modĂ©rĂ©s et n’étaient pas dirigĂ©es contre le rĂ©gime de la Constitution en vigueur, celle de 1837, mais visaient au contraire Ă  le prĂ©server : « La historiografĂ­a ha designado a la movilizaciĂłn popular del verano de 1840 como una revoluciĂłn. No creemos que lo fuera. No, porque los movilizados no se levantaron contra el rĂ©gimen polĂ­tico vigente de 1837, que fue la propia bandera de la insubordinaciĂłn, sino contra su desnaturalizaciĂłn por los desarrollos legislativos que estaban llevando y proyectaban llevar a cabo los moderados desde el poder. En este sentido, dado que lo que se pretendĂ­a era restablecer el orden constitucional conculcado y no instituir otro nuevo, parece que fue ante todo la expresiĂłn del ejercicio del derecho a la resistencia o a la insurrecciĂłn. »
  7. Fuentes 2007, p. 133.
  8. Vilches 2001, p. 35. «María Cristina entendió que había perdido toda su autoridad y que su continuidad como regente hacía peligrar el trono de su hija, por lo que renunció a la Regencia, pidiendo a Espartero que se encargara de la misma»
  9. Fontana 2007, p. 187.
  10. Bahamonde 2001, p. 230.
  11. Fuentes 2007, p. 139.
  12. Bahamonde 2001, p. 230-231.
  13. Fuentes 2007, p. 139-140.
  14. Bahamonde 2001, p. 231.
  15. Fuentes 2007, p. 140.
  16. Fuentes 2007, p. 144.
  17. Fuentes 2007, p. 144-145.
  18. Fuentes 2007, p. 145.
  19. Fuentes 2007, p. 145-146. "Era sólo el comienzo de un proceso plagado de consecuencias políticas a largo plazo, a medida que la insatisfacción profesional fue derivando en un rechazo al poder civil, señalado como causante de los males del ejército."
  20. Fuentes 2007, p. 147.
  21. Bahamonde 2001, p. 233-234.
  22. Fuentes 2007, p. 147-148.
  23. Fontana 2001, p. 188.
  24. Bahamonde 2001, p. 232.
  25. Fuentes 2007, p. 141.
  26. Bahamonde 2001, p. 232-233.
  27. Fontana 2001, p. 189.
  28. Fuentes 2007, p. 141-142.
  29. Bahamonde 2001, p. 233.
  30. Bahamonde 2001, p. 235.
  31. Fuentes 2007, p. 142.
  32. Fontana 2001, p. 190.
  33. Bahamonde 2001, p. 234.
  34. Fuentes 2007, p. 144;148.
  35. Fontana 2001, p. 190-191.
  36. Fontana 2001, p. 191-192.
  37. Fontana 2001, p. 192.
  38. Fuentes 2007, p. 143.
  39. Fontana 2001, p. 194.
  40. Fuentes 2007, p. 143-144.
  41. Bahamonde 2001, p. 236.
  42. Fuentes 2007, p. 148.
  43. Fontana 2001, p. 195.
  44. Fuentes 2007, p. 148-149.
  45. Fontana 2001, p. 195-196.
  46. Fuentes 2007, p. 149.
  47. Fuentes 2007, p. 149-150.
  48. Fontana 2001, p. 197-198.
  49. Bahamonde 2001, p. 237.
  50. Fontana 2001, p. 196-197.
  51. Fuentes 2007, p. 150.
  52. Fontana 2001, p. 198-199.
  53. Fontana 2001, p. 197.
  54. Fontana 2001, p. 199.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • (es) Ángel Bahamonde (es) et JesĂșs Antonio MartĂ­nez, Historia de España. Siglo XIX, Madrid, CĂĄtedra, , 6e Ă©d. (1re Ă©d. 1994) (ISBN 978-84-376-1049-8)
  • (es) Josep Fontana, Historia de España, vol. 6 : La Ă©poca del liberalismo, Barcelone-Madrid, CrĂ­tica/Marcial Pons, (ISBN 978-84-8432-876-6)
  • (es) Juan Francisco Fuentes, El fin del Antiguo RĂ©gimen (1808-1868). PolĂ­tica y sociedad, Madrid, SĂ­ntesis, (ISBN 978-84-975651-5-8)
  • (es) Javier PĂ©rez NĂșñez, « Los debates parlamentarios de la ley municipal de 1840 », Revista de Estudios PolĂ­ticos, vol. 93,‎ , p. 273-291 (lire en ligne)
  • (es) Javier PĂ©rez NĂșñez, « La revoluciĂłn de 1840: la culminaciĂłn del Madrid progresista », Cuadernos de Historia ContemporĂĄnea, vol. 36,‎ , p. 141-164 (lire en ligne)
  • (es) Jorge Vilches, Progreso y Libertad : El Partido Progresista en la RevoluciĂłn Liberal Española, Madrid, Alianza Editorial, (ISBN 84-206-6768-4)
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.