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Punition du goudron et des plumes

La punition du goudron et des plumes est une torture, qui remonte au moins à l'époque des Croisades. Héritage d'une justice féodale, officielle ou non, d'abord appliquée en Europe et au sein de ses colonies, puis au début des temps modernes aux États-Unis, notamment au Far West, elle fut exécutée en général par une foule vengeresse, comme le lynchage.

Les habitants de Boston payant le droit d'accise, 1774[1].
Affiche de propagande britannique représentant l'application du goudron et des plumes au commissaire des douanes John Malcolm quatre semaines après la célèbre Boston Tea Party. Ses tortionnaires versèrent également du thé bouillant dans sa gorge, comme le montre la gravure. Noter la corde suspendue à l'arbre de la liberté et le Stamp Act affiché à l'envers.

Description

Le goudron (de pin) et les plumes issues des élevages de gallinacés se trouvaient alors en abondance. Lors d'une scène typique d'utilisation du goudron et des plumes, le sujet de la vindicte populaire était dévêtu jusqu'à la taille. Du goudron était alors soit versé, soit appliqué au pinceau sur la personne tandis qu'on l'immobilisait. Ensuite, soit l'on jetait des plumes sur la victime, soit on la roulait dans une pile de plumes de façon que ces dernières adhèrent au goudron collant. Il n'était pas rare d'exhiber la victime au cours d'une parade dans la ville. Les plumes collaient au goudron pendant plusieurs jours, rendant évidente et durable l'infamie de la personne. Le but de ce supplice était à la fois la blessure physique et morale, humiliant le supplicié suffisamment pour lui faire quitter la ville et le dissuader d'y causer des troubles.

Cette pratique ne constitua jamais une punition officielle aux États-Unis, mais plutôt une forme d'auto-justice.

Il y eut en outre des cas d'usage du goudron et des plumes en Irlande du Nord, au cours du conflit nord-irlandais. En ces derniers cas, le personnel médical put s'occuper rapidement et efficacement des victimes.

Variantes passées et contemporaines

Ce supplice connut en outre quelques variantes au cours de l'Histoire :

  • une variante plus brutale encore dĂ©nommĂ©e pitchcapping, destinĂ©e Ă  endommager gravement l'Ă©piderme et la chair sur le sommet du crâne, fut utilisĂ©e par les troupes britanniques contre les sujets suspectĂ©s de rĂ©bellion durant l'expĂ©dition d'Irlande de 1798 ;
  • parfois, seule la tĂŞte Ă©tait rasĂ©e, goudronnĂ©e et parsemĂ©e de plumes ;
  • sous une forme moins sĂ©vère, ne causant pas de blessure, le goudron et les plumes Ă©tant appliquĂ©s sur les vĂŞtements ou sous-vĂŞtements de la victime ; cette pratique est toujours occasionnellement en usage, en tant que châtiment humiliant, par exemple pour marquer la dĂ©sobĂ©issance du sujet Ă  ses engagements envers une fraternitĂ© (voir bizutage).

Conséquences physiques possibles

Un certain mythe a Ă©tĂ© entretenu selon lequel le goudron chaud provoque de graves brĂ»lures, parfois mortelles, partant du principe que le « goudron » dĂ©signe l'asphalte, utilisĂ© sur les routes, gĂ©nĂ©ralement stockĂ© Ă  l'Ă©tat liquide Ă  environ 150 °C. Mais au dix-huitième siècle, on entend par « goudron » le goudron de pin, utilisĂ© Ă  plusieurs fins dans la construction et le calfatage des navires. Le goudron de pin n’a pas besoin d’être très chaud pour ĂŞtre collant (voir aussi l'incident du goudron de pin). Les chantiers navals chauffaient ce goudron pour qu'il s'Ă©coule plus facilement, mais le goudron de pin commence Ă  fondre Ă  environ 60 °C. C’est bien au-dessus de la tempĂ©rature idĂ©ale de l’eau d'un bain, mais bien en deçà de la tempĂ©rature de l’asphalte chaud. Le goudron de pin a pu toutefois ĂŞtre assez chaud pour blesser quelqu'un. Le juge loyaliste Peter Oliver se plaignit de cette manière, lorsqu'une foule attaqua le Dr Abner Beebe, du Connecticut : « on lui a versĂ© du goudron chaud qui lui a terni la peau Â». Les Ă©meutiers ont probablement appliquĂ© le goudron avec un balai ou un pinceau, ce qui a dĂ» abaisser sa tempĂ©rature; il Ă©tait parfois mĂŞme badigeonnĂ© par-dessus les vĂŞtements[2].

Les goudrons et les plumes causaient sans aucun doute de la douleur et beaucoup d’inconfort et de désagrément[2] ; les éventuelles blessures physiques causées par ce châtiment variaient selon la température et la qualité du goudron utilisé – des brûlures au premier degré sont occasionnées après un très bref contact avec un matériau chauffé à environ 70 °C ou après trente secondes pour un matériau atteignant les 55 °C – mais le châtiment devait avant tout être source d'embarras pour la victime, et appliqué en public, il devait être humiliant. Il n'y a toutefois pas d'exemples de personnes de l'Amérique révolutionnaire en train de mourir de la punition du goudron et des plumes[2].

La chimie s'est désintéressée du goudron de pin avec la disparition de son principal débouché, la marine en bois. Il n'avait pas la nocivité du goudron de houille, cancérigène avéré: le goudron de pin a fait par ailleurs partie des pharmacopées anciennes, à usage interne comme à usage externe ; aujourd'hui encore il est l'ingrédient de certains shampooings[3].

Histoire

John Meints, un fermier du Minnesota d'origine allemande, victime du châtiment du goudron et des plumes en août 1918, au plus fort du sentiment antigermanique aux États-Unis suscité par l'entrée en guerre de ce pays dans le premier conflit mondial. Sur la photographie, des touffes de plumes adhèrent encore au corps de Meints.
  • Photographie en noir et blanc reprĂ©sentant un homme Ă  mi-corps, torse nu, vu de face, avec des touffes de poils adhĂ©rant au corps.
  • Photographie en noir et blanc reprĂ©sentant un homme Ă  mi-corps, torse nu, vu de dos, avec des touffes de poils adhĂ©rant au corps.

La plus vieille mention de cette punition se trouve dans les ordres que Richard Ier d'Angleterre fit passer à son armée en partance pour la Terre sainte en 1191. Elle était destinée aux voleurs et aux traîtres, à qui l'on rasait la tête avant de la badigeonner de goudron et d'y déposer des plumes. Le condamné était ensuite abandonné à son sort[4].

Un usage plus tardif de cette punition est mentionné dans Notes and Queries série 4, vol. V, qui cite un certain James Howell, écrivant de Madrid en 1623. Il décrit comment l'évêque d'Halberstadt fit tuer des volailles et disposer leurs plumes dans une grande salle. Il fit ensuite déshabiller les moines et nonnes, les fit couvrir d'huile et de goudron et rouler dans les plumes[5].

En 1696, un huissier de justice londonien qui tentait de poursuivre un débiteur réfugié dans le quartier dénommé Liberties of the Savoy — l'un des quartiers où la loi londonienne ordinaire ne s'appliquait pas — fut passé au goudron et aux plumes avant d'être emmené dans une brouette jusqu'au Strand, où il fut attaché à l'arbre de mai qui était érigé là où se trouve l'actuelle Somerset House.

Le second incident de cette nature à avoir eu lieu en Amérique fut rapporté en 1766. Un certain capitaine William Smith fut couvert de goudron et de plumes avant d'être jeté dans le port de Norfolk, en Virginie. Il fut secouru par un navire juste avant que ses forces ne l'abandonnent. Il survécut et fit le récit suivant : « ils couvrirent mon corps et mon visage de goudron puis me jetèrent des plumes dessus ». Comme la plupart des victimes de ce châtiment au cours de la décennie suivante, Smith était suspecté de renseigner des contrebandiers cherchant à éviter le service des douanes britanniques.

La punition fut employée à Salem, Massachusetts, en 1767, quand des foules en colère se vengèrent sur de petits employés de ce même service des douanes. En , une foule à Boston s'attaqua de la même façon à un marin des douanes, et d'autres incidents eurent lieu en 1774, avec pour point culminant le passage au goudron et aux plumes du loyaliste John Malcolm qui attira particulièrement l'attention du public. Ces actes associèrent la punition du goudron et des plumes à la frange Patriote lors de la Guerre d'indépendance des États-Unis. En , un régiment britannique infligea le même châtiment à un homme du Massachusetts suspecté de vouloir acheter leurs mousquets. Il n'y a pas de source écrite attestant que quiconque soit décédé des suites de cette punition à cette époque.

Dans les années 1920, des opposants au syndicat Industrial Workers of the World capturèrent l'un des chefs de file du mouvement dans le port de San Pedro, à Los Angeles, Californie. Ils le passèrent au goudron et aux plumes avant de l'abandonner en un lieu isolé.

Au cours du XXe siècle, de nombreux Afro-Américains subirent ce traitement en guise de punition et de harcèlement.

À la suite de la libération de la France à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, il y eut des rumeurs concernant l'utilisation de cette punition sur de supposés collaborateurs des Allemands. La plupart des victimes supposées seraient des femmes ayant entretenu des relations intimes avec des soldats allemands.

Une technique similaire fut employée par l'Armée républicaine irlandaise au cours des premières années du conflit en Irlande du Nord. La plupart des victimes étant là encore des femmes suspectées d'avoir eu des relations sexuelles avec des policiers ou des soldats britanniques[6].

Le , un inconnu fut passé au goudron et aux plumes dans le sud de Belfast par l'Ulster Defence Association. Il était suspecté de se livrer au trafic de drogue[7].

Goudron et plumes dans la culture populaire

  • Dans la sĂ©rie de bande dessinĂ©e Lucky Luke, les Dalton sont des habituĂ©s du goudron et des plumes, ainsi que les tricheurs professionnels. La bande dessinĂ©e et plusieurs des films d'animation qui en ont Ă©tĂ© tirĂ©s — et plus particulièrement le premier, intitulĂ© Daisy Town — prĂ©sentent des scènes oĂą les quatre frères subissent ce châtiment puis se lavent dans un point d'eau. Dans la sĂ©rie animĂ©e Les nouvelles aventures de Lucky Luke, ce châtiment est parfois injustement pratiquĂ© par des brutes contre un "pied-tendre", dĂ©signant une personne gentille et faible. Mais lorsque Lucky Luke est lĂ , cela se retourne toujours contre les auteurs.
  • Dans le jeu tĂ©lĂ©visĂ© espagnol El Gran juego de la oca, le concurrent tombĂ© sur la case 58 fut passĂ© tout habillĂ© au goudron et aux plumes.
  • Dans Les Aventures de Huckleberry Finn, le Dauphin et le Duc subissent cette punition après avoir jouĂ© The Royal Nonesuch Ă  une foule prĂ©venue de leurs mauvaises intentions par Jim.
  • Le personnage de fiction Jonesy est suppliciĂ© par des miliciens de l'Ă©poque de la Grande DĂ©pression au cours d'un Ă©pisode de La Caravane de l'Ă©trange (CarnivĂ le), sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e de la chaĂ®ne HBO. Son supplice est particulièrement brutal et manque de le tuer. Il est sauvĂ© par Ben Hawkins qui utilise l'âme de dizaines de vautours dĂ©jĂ  rĂ©unis pour festoyer afin de sauver Jonesy.
  • Edgar Allan Poe, dans sa nouvelle humoristique Le Système du docteur Goudron et du professeur Plume, raconte comment le personnel d'un asile psychiatrique (du Sud de la France) est passĂ© au goudron et aux plumes par les patients rebellĂ©s. Ce titre est repris dans l'album musical de The Alan Parsons Project, Tales of Mystery and Imagination (1976) sous la forme : (The System Of) Doctor Tarr and Professor Feather.
  • Le groupe Cardiacs a lui aussi Ă©crit une chanson sur ce thème, sous le titre de Tarred and Feathered, issu de l'EP Big Ship.
  • Jimmy Carter, dans son roman Hornet's Nest paru en 2003, dĂ©crit le châtiment appliquĂ© Ă  un membre du parti conservateur du Royaume-Uni par des Fils de la LibertĂ©. Le personnage s'en sort avec des brĂ»lures graves aux mains et aux pieds et doit ĂŞtre amputĂ© des orteils.
  • Dans le film Des hommes sans loi de John Hillcoat un des Bootlegger subit le supplice du goudron et des plumes. Il est couvert de la tĂŞte aux pieds par un policier qui fait auto-justice, et est ensuite exhibĂ© chez un autre bootlegger pour le dissuader de continuer son mĂ©tier.
  • Dans la quatrième saison de la sĂ©rie amĂ©ricaine American Horror Story, le père d'un des membres du cirque subit le supplice du goudron et des plumes après avoir mutilĂ© sa propre fille.
  • Dans l'Ă©pisode 5 de la saison 2 de la sĂ©rie Deadwood, une foule en colère essaye d'enduire de goudron et de plumes un homme, en raison de sa couleur de peau.
  • Dans la mini-sĂ©rie John Adams de la chaine HBO, un agent du gouvernement britannique est pris Ă  partie par une foule en colère, lasse des taxes qu'elle doit payer Ă  la couronne. Celle-ci dĂ©shabille le fonctionnaire et le couvre de goudron brĂ»lant et de plumes, avant de l'exhiber publiquement sur une poutre dans les rues de Boston.
  • Le quatrième Ă©pisode de la première saison de la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e Norsemen se termine par la dĂ©piction du supplice infligĂ© par des villageois Ă  leur chef par intĂ©rim qui avait abusĂ© de son pouvoir.
  • Dans le deuxième Ă©pisode de la saison 5 de Outlander des RĂ©gulateurs torturent des Britanniques avec du goudron et des plumes.

Usage métaphorique dans la sphère anglo-saxonne

L'image du hors-la-loi soumis au supplice du goudron et des plumes est restée si vivace dans les pays de culture anglo-saxonne que l'expression y désigne métaphoriquement une humiliation publique, de nombreuses années après que la pratique elle-même a disparu. (to be) tarred and feathered (lit. « être passé au goudron et aux plumes ») signifie ainsi soulever l'indignation ou provoquer la vindicte publique. Dans le même ordre d'idées, (to be) tarred with the same brush (lit. « être goudronné avec le même pinceau ») signifie être associé dans l'esprit d'autrui à une personne souffrant d'une image négative.

Notes et références

  1. The Bostonians paying the excise-man or Tarring and feathering, Pendleton's Lithography, Boston : litho. de Pendleton, 1830. (OCLC 57747859)
  2. J. L. Bell. 5 Myths of Tarring and Feathering sur allthingsliberty.com
  3. Pine Tar Shampoo sur grandpasoap.com
  4. Texte original : Concerning the lawes and ordinances appointed by King Richard for his navie the forme thereof was this… item, a thiefe or felon that hath stolen, being lawfully convicted, shal have his head shorne, and boyling pitch poured upon his head, and feathers or downe strawed upon the same whereby he may be knowen, and so at the first landing-place they shall come to, there to be cast up - transcription des ordres originaux dans les Voyages de Richard Hakluyt, chap. II. p. 21.
  5. Citation originale : the boisterous Bishop of Halberstadt, having taken a place where there were two monasteries of nuns and friars, he caused divers feather beds to be ripped, and all the feathers thrown into a great hall, whither the nuns and friars were thrust naked with their bodies oiled and pitched and to tumble among these feathers, which makes them here [Madrid] presage him an ill-death.
  6. (en) Ruth McDonald, Has Northern Ireland left the past behind?, BBC Radio 4.
  7. (en) BBC News, Belfast man tarred and feathered sur le site de la BBC, consulté le 28 août 2007.

Annexes

Bibliographie

Liens externes

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