Accueil🇫🇷Chercher

Néoréaction

La néoréaction, dite les Lumières sombres, et abrégée NRx[1], est une pensée et un mouvement politique antidémocratique, antiégalitariste et antiprogressiste. Née avec le blog Unqualified Reservations de Mencius Moldbug, la pensée NRx rejette la démocratie libérale et préconise un gouvernement monarchique afin de promouvoir une autre sorte de société « ouverte ». S’inspirant de l'école d'économie autrichienne, de la théorie « élitiste » et de la tradition réactionnaire, surtout de Thomas Carlyle, Moldbug soutient que l'Occident, notamment les Etats-Unis, est gouverné par des élites progressistes qui produisent une culture « universaliste » afin de renforcer leur pouvoir. Selon Moldbug, le régime universaliste-démocratique est inefficace, incapable de comprendre la réalité, et condamné à s’effondrer dans le chaos[2].

L'hebdomadaire conservateur L'Incorrect définit la néoréaction comme un courant de pensée aux croisements de l'ultralibéralisme économique, de l'alt-right et de la monarchie absolue[3]. Cependant, la néoréaction se différencie de l'alt-right en cela que l'alt-right est populiste et anticapitaliste quand la philosophie néoréactionnaire est élitiste et prône un capitalisme débridé[4].

Historique et influences

La paternité de la philosophie néoréactionnaire (NRx) est attribuée à Mencius Moldbug et Nick Land[5] - [6] - [7] - [8] - [9]. La philosophie NRx s'inspire entre autres des travaux de Thomas Carlyle, Robert Filmer, Julius Evola, Hans-Hermann Hoppe, Murray Rothbard, Ludwig von Mises et James Burnham[6] - [8] - [10]. Dans une moindre mesure, Carl Schmitt, Oswald Spengler, Martin Heidegger, Friedrich Nietzsche, Leo Strauss, Friedrich Hayek, William Rees-Mogg et Michel Houellebecq ont aussi influencé le mouvement[11] - [12] - [13] - [14].

Politiquement, la mouvance néoréactionnaire s'inspire de figures historiques comme Lee Kuan Yew à Singapour, Augusto Pinochet au Chili ou encore Frédéric II de Prusse[2].

La pensée NRx est particulièrement influente et populaire au sein des élites de la Silicon Valley incarnée notamment par le milliardaire Peter Thiel[10] - [15] - [3], et son associé Blake Masters (en)[8] - [9] - [16] - [17]. Elle était également appréciée par plusieurs cadres de l'administration Trump tels que Michael Anton et Steve Bannon[4] - [17] - [18]. Tucker Carlson, le journaliste vedette de Fox News, est également un admirateur des écrits de Curtis Yarvin[19].

La néoréaction est également fortement associée à l'accélérationnisme, notamment l'accélérationnisme inconditionnel (Unconditional Accelerationism ou U/Acc)[20] - [21] - [22].

Concepts

L'une des notions clés de la critique néoréactionnaire est celle de « Cathédrale »[23]. La Cathédrale correspond a une structure décentralisée incluant la presse, les universités et la haute administration publique, qui promeut et impose l'idéologie du progressisme et le modèle de la démocratie libérale[24]. L'économiste Gilles Saint-Paul, dans un essai intitulé Contre la Cathédrale, définit ainsi le concept[25]:

« Nous pouvons postuler l’existence d’une convergence d’intérêts entre l’administration, le monde universitaire et (sans doute) les médias officiels que nous appellerons complexe administrativo-médiatico-universitaire ou, pour faire court, la Cathédrale. De même qu’il est dans l’intérêt objectif du complexe militaro-industriel (l’un des rivaux de la Cathédrale) de susciter des conflits afin d’accroître la production et la vente d’armes, il est dans l’intérêt de la Cathédrale de susciter des problèmes socio-économiques afin d’accroître la production de rapports d’experts, débats de société, conférences internationales, crédits de recherche et réglementations. »

— Gilles Saint-Paul, Contre la Cathédrale

D'autres concepts clés de la philosophie NRx incluent "la manipulation des résultats procéduriers" (manipulating procedural outcomes)[26], "l'hyper-racisme"[27], "le léninisme biologique"[28], "la biodiversité humaine" (human biodiversity - HBD)[1] - [29], ou encore RAGE (Retire All Government Employees)[1] - [12].

Principes et analyse

Le blogueur néoréactionnaire Michael Anissimov établit la pensée NRx sur 6 principes fondamentaux[30]:

  1. Les individus ne sont pas égaux. L'égalité entre les individus est impossible. Nous rejetons l'égalité dans toutes ses formes.
  2. La droite a raison et la gauche a tort.
  3. La société doit être fondée sur une hiérarchie entre les individus.
  4. La société doit être fondée sur les rôles de genre traditionnels.
  5. Le libertarianisme est une idéologie attardée.
  6. La démocratie est un système politique intrinsèquement défectueux dont on doit se défaire.

Pour New York Magazine, l'éditorialiste Andrew Sullivan synthétise ainsi la pensée de Mencius Moldbug développée dans An Open Letter to Open-Minded Progressives[18]:

« Moldbug's critique of our present is not that we need a correction to return us to traditional notions of national culture and to unseat the administrative state and its elites; it is that we need to take the whole idea of human “progress” itself and throw it in the trash can. Things didn’t start going wrong in the 1960s or under the Progressives. Yarvin believes that the Western mind became corrupted during the Enlightenment itself. The very idea of democracy, allied with reason and constitutionalism, is bunk: “Washington has failed. The Constitution has failed. Democracy has failed.” His golden era: the age of monarchs. (“It is hard not to imagine that world as happier, wealthier, freer, more civilized, and more pleasant.”) His solution: “It is time for restoration, for national salvation, for a full reboot. We need a new government, a clean slate, a fresh hand which is smart, strong and fair.”

[...]

The assumption that all of history has led inexorably to today’s glorious and democratic present is, he argues, a smug and self-serving delusion. It’s what used to be called Whig History, the idea that all of human history led up to the democratic institutions and civilizational achievements of liberal Britain, the model for the entire world. This reflexive sense that the world is always going forward has become an American orthodoxy almost no one questions. Insofar as progressives see flaws in the system, Yarvin suggests, it is only because the work of progress is never done.

Why do so many of us assume that progress is inevitable, if never complete? Yarvin, like the Claremonters and American Greatness brigade, blames an elite that he calls by the inspired name “the Cathedral,” an amalgam of established universities and the mainstream press. It works like this: “The universities make decisions, for which the press manufactures consent. It’s as simple as a punch in the mouth.” If that concept of “manufacturing consent” reminds you of the Chomskyite far left, you wouldn’t be wrong. But for Yarvin, the consent is manufactured not by capitalism, advertising, and corporations but by liberal academics, pundits, and journalists. They simply assume that left liberalism is the only rational response to the world. Democracy, he contends, “no longer means that the public’s elected representatives control the government. It means that the government implements scientific public policy in the public interest.”

And the Cathedral has plainly failed. “If we imagine the 20th century without technical progress, we see an almost pure century of disaster,” Yarvin writes, despairing from his comfy 21st-century perch. His solution is not just a tyrannical president who hates all that the Cathedral stands for but something even more radical: “the liquidation of democracy, the Constitution and the rule of law, and the transfer of absolute power to a mysterious figure known only as the Receiver, who in the process of converting Washington into a heavily armed, ultra-profitable corporation will abolish the press, smash the universities, sell the public schools, and transfer ‘decivilized populations’ to ‘secure relocation facilities’ where they will be assigned to ‘mandatory apprenticeships.’ ” »

— Andrew Sullivan, The Reactionary Temptation (New York Magazine)

Dans une tribune publiée dans le New York Times, Sam Adler-Bell résume ainsi la critique néoréactionnaire de la démocratie libérale américaine telle que celle formulée par Curtis Yarvin (Mencius Moldbug)[16]:

« Curtis Yarvin, an influential neo-reactionary blogger who is close to both Mr. Thiel and Mr. Masters, has furnished an explanation for this failure: Even a more dedicated nationalist than Mr. Trump would be thwarted in accomplishing his goals because he doesn’t actually control the state. Nothing happens without the consent of an unelected oligarchy of status-obsessed elites: the journalists and professors who shape the nation’s political reality, the corporate leaders who set its economic priorities, and the tenured agency bureaucrats empowered to decide, ultimately, how and whether to carry out the president’s will. This cabal, which Mr. Yarvin calls “the Cathedral,” has no investment in America’s national interest, only in the perpetuation of its own cultural hegemony. »

— Sam Adler-Bell, The Violent Fantasies of Blake Masters (The New York Times)

La néoréaction s'oppose à d'autres mouvements politiques de droite tels que l'antisémitisme, le nationalisme blanc et le libertarianisme, tous les trois vivements critiqués et rejetés par Mencius Moldbug[31] - [32] - [33].

Voir aussi

Références

  1. (en) Roger Burrows, « On Neoreaction », The Sociological Review Magazine, (lire en ligne, consulté le )
  2. (en) Joshua Tait, Key Thinkers of the Radical Right: Behind the New Threat to Liberal Democracy, Oxford, Oxford University Press, (DOI https://doi.org/10.1093/oso/9780190877583.003.0012), chap. 12 (« Mencius Moldbug and Neoreaction »)
  3. Mathieu Bollon, « Game of thrones avec des smartphones : Le grand virage à droite de la Silicon Valley », sur L'Incorrect, (consulté le )
  4. Rosie Gray, « Behind the Internet's Anti-Democracy Movement », The Atlantic, (lire en ligne)
  5. (en-US) « Dark Enlightenment - ECPS » (consulté le )
  6. « Unqualified Reservations by Mencius Moldbug », sur www.unqualified-reservations.org (consulté le )
  7. (en-US) « The Dark Enlightenment, by Nick Land », sur The Dark Enlightenment, (consulté le )
  8. (en) George Michael, « An antidemocratic philosophy called 'neoreaction' is creeping into GOP politics », sur The Conversation (consulté le )
  9. (en) Current Affairs, « The Strange and Terrifying Ideas of Neoreactionaries », Current Affairs, (ISSN 2471-2647, lire en ligne, consulté le )
  10. « « NRx », le mouvement néo-réac monarchiste de la Silicon Valley », sur usbeketrica.com (consulté le )
  11. (en) Hesiod, « Modernity and the Neo-Reactionaries », sur Hesiod's Corner, (consulté le )
  12. (en) Harrison Smith et Roger Burrows, « Software, Sovereignty and the Post-Neoliberal Politics of Exit », Theory, Culture & Society, vol. 38, no 6, , p. 143–166 (ISSN 0263-2764 et 1460-3616, DOI 10.1177/0263276421999439, lire en ligne, consulté le )
  13. (en-US) Tyler Cowen, « What is neo-reaction? », sur Marginal Revolution, (consulté le )
  14. (en) Ross Douthat, « Houellebecq's Islam, Houellebecq's West », sur The New York Times, (consulté le )
  15. (en-US) Condé Nast, « Inside the New Right, Where Peter Thiel Is Placing His Biggest Bets », sur Vanity Fair, (consulté le )
  16. (en-US) Sam Adler-Bell, « Opinion | The Violent Fantasies of Blake Masters », The New York Times, (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
  17. (en) Andrew Prokop, « Curtis Yarvin wants American democracy toppled. He has some prominent Republican fans. », sur Vox, (consulté le )
  18. (en-US) Andrew Sullivan, « Andrew Sullivan: Why the Reactionary Right Must Be Taken Seriously », sur Intelligencer, (consulté le )
  19. (en-GB) « Curtis Yarvin schools Tucker in 'neoreaction' », sur UnHerd (consulté le )
  20. (en) Nick Land, « A Quick and Dirty Introduction to Accelerationism », Jacobite, (lire en ligne)
  21. (en-US) xenogothic, « A U/Acc Primer », sur xenogothic, (consulté le )
  22. (en-US) xenogothic, « A Further Fragment on Unconditional Accelerationism: What is Anti-Praxis? », sur xenogothic, (consulté le )
  23. (en) Social Matter, « The Compendium: The NRx Compendium Of Concepts And Terms », sur Social Matter
  24. (en) Curtis Yarvin, « A brief explanation of the cathedral », sur graymirror.substack.com (consulté le )
  25. Gilles Saint-Paul, « Contre la Cathédrale », sur Le Grand Continent, (consulté le )
  26. (en) Contemplator V2.1, « The most underrated and under-discussed phrase in Moldbug's corpus is 'Manipulating procedural outcomes.' », Contemplator V2.1, (lire en ligne)
  27. (en) Nick Land, « Hyper-Racism », Alternative Right, (lire en ligne)
  28. https://spandrell.com/2017/11/14/biological-leninism/
  29. (en-US) Klint Finley, « Geeks for Monarchy: The Rise of the Neoreactionaries », sur TechCrunch, (consulté le )
  30. (en) Michael Anissimov, « Principles of Reactionary Thought », More Right, (lire en ligne)
  31. « Why I am not an anti-Semite | Unqualified Reservations by Mencius Moldbug », sur www.unqualified-reservations.org, (consulté le )
  32. « Why I am not a white nationalist | Unqualified Reservations by Mencius Moldbug », sur www.unqualified-reservations.org, (consulté le )
  33. « Why I am not a libertarian | Unqualified Reservations by Mencius Moldbug », sur www.unqualified-reservations.org, (consulté le )

Bibliographie

  • (en) Andrew Jones, « From NeoReactionary Theory to the Alt-Right », dans Critical Theory and the Humanities in the Age of the Alt-Right, Palgrave Macmilan, (ISBN 978-3-030-18752-1, DOI https://doi.org/10.1007/978-3-030-18753-8_6), p. 101-120
  • (en) Bryce Laliberte, What is Neoreaction : Ideology, Social-Historical Evolution, and the Phenomena of Civilization, , 90 p.
  • (en) Mencius Moldbug, Unqualified Reservations: Vol. I, Passage Publishing, (lire en ligne)
  • (en) Joshua Tait, « Mencius Moldbug and Neoreaction », dans Key Thinkers of the Radical Right: Behind the New Threat to Liberal Democracy, Oxford University Press, (DOI https://doi.org/10.1093/oso/9780190877583.003.0012), p. 187-203
  • (en) Elizabeth Sandifer, Neoreaction a Basilisk, Eruditorum Press, , 416 p. (lire en ligne)

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.